Présentation officielle, sur un chantier bien avancé, de La Seine Musicale, vaisseau amiral, sur l’Ile Seguin jadis occupée par l’usine Renault, de la culture en Hauts-de-Seine. Un projet babylonien relancé in extremis à la suite du désengagement de François Pinault en 2008, sauvetage dont se félicitent Partick Devedjian, président du Conseil départemental, et Pierre-Christophe Baguet, maire de Boulogne, devant un auditoire nombreux et largement institutionnel. Deux nouvelles salles (4000 à 6000 places pour le grand spectacle, 1150 pour le classique) à l’opposé géographique de la très plébiscitée Philharmonie de Paris, mais pas loin de la Maison de la Radio, dont le nouvel auditorium, inauguré en novembre 2014, peine à trouver son public. « Pour apprécier Mozart ou Brel, il n’est pas impératif d’être un musicien chevronné ou un singe savant, » annonce Patrick Devedjian. Résidents de la « petite » salle : Laurence Equilbey et son Insula Orchestra (dénomination adéquate prévue de longue date), la renommée Maîtrise des Hauts-de-Seine et une académie musicale confiée au contre-ténor Philippe Jaroussky, le tout managé par Jean-Luc Choplin, ex-directeur du Châtelet. Voyages promis en Amérique du nord (West Side Story), en Afrique de l’ouest et du Sud (le musical Tsotsi), au Brésil et en Inde (une version exotique de Maître Puntila et son valet Matti de Bertolt Brecht). « La nécessité est mère de l’invention, » cite Choplin en guise de préambule. Au Châtelet, il a transcendé les contraintes du cahier de charges en ménageant la surprise permanente. A nouvelle nécessité, invention nouvelle ? Début de réponse au printemps 2017.
François Lafon
Photo © Shigeru Ban Architects Europe - Jean de Gastines Architectes
Injonction - relevée par le site Forum Opéra - de la Cour d’appel de Paris à propos de Dialogues des Carmélites filmé à Munich en 2010 dans la mise en scène de Dmitri Tcherniakov et diffusé en DVD et Blu-Ray par Bel-Air Classics : « Prendre toute mesure pour que cesse immédiatement et en tous pays la publication dans le commerce ou plus généralement l’édition, y compris sur les réseaux de communication au public en ligne, du vidéogramme litigieux ». Motif : les ayants-droit de Francis Poulenc et Georges Bernanos n’ont pas apprécié de voir l’ouvrage privé de sa dimension religieuse. En l’occurrence, la relecture était radicale et le résultat sujet à discussion (voir ici : « Nonnes perdues sans couvent »), mais quid du principe ? Si cette décision fait jurisprudence, nombre de spectacles sont en danger, même si à l’opéra plus qu’au théâtre, l’essentiel du répertoire est dans le domaine public. Le problème n’est pas nouveau : en 1979, les héritiers de Massenet - coutumiers du fait - avaient fait le même genre de misères au Werther « psy » mis en scène par Jean-Claude Fall au festival d’Aix-en-Provence. A la peur du psy a succédé la susceptibilité religieuse : hasard ou signe des temps ?
François Lafon
« Ici habita Henri Dutilleux, compositeur de musique contemporaine, Gand Prix de Rome ». Ainsi était libellée la plaque censurée par la marie du IVème arrondissement de Paris où résidait le compositeur, sous prétexte qu'il a collaboré pendant la guerre à un film de propagande vichyste. Réaction sur Twitter de Christophe Girard, maire du IVème et ex-Monsieur Culture à la mairie de Paris : « Je ne fais que suivre les recommandations du Comité d'histoire de la Ville. Louis-Ferdinand Céline est un grand écrivain mais... ». Levée de bouclier (justifiée) du monde culturel, rappel de l’absence de la ministre Aurélie Filippetti aux obsèques du musicien en 2013 (elle avait préféré honorer de sa présence celles, plus médiatisées, de Georges Moustaki), pétition en ligne. Double palme de l’inculture : comparer Dutilleux à Céline et le qualifier de « compositeur de musique contemporaine » (c'est à dire dissuasive?). Bertrand Delanoë, ex-maire de Paris, aurait-il supporté qu’on traite son idole Dalida de « chanteuse disco »?
François Lafon
Comme un écho aux propos de la chanteuse et metteur en scène Mireille Delunsch (voir ici) à propos du régime sec imposé en ces temps de crise aux institutions culturelles, la dramaturge et professeur de lettres Barbra Métais-Chastanier pointe dans le quotidien Libération la dérive populiste des politiques culturelles : « Se diffuse, ainsi, à gauche comme à droite, un discours antiélitiste qui privilégie les formes les «moins contraignantes», selon les mots de Karim Boumedjane, chargé de la culture au Blanc-Mesnil, au détriment de l’exigence artistique », débouchant sur des « fabriques de l’exclusion » et sur un « élitisme qui ne dit pas son nom », les « lieux d’art et de culture » devenant « des lieux «populaires» et « soucieux des goûts de chacun», vague succédané démagogique du «populaire» des années 50 défendu par Jean Vilar ou Antoine Vitez ». Appliqué à la musique dite classique, communément considérée comme élitiste, le débat perd une partie de son sens, une fois admis que Carmen est plus populaire que Moïse et Aaron de Schoenberg (et pourtant, le Veau d’or vs le Verbe désincarné…) et que le Boléro de Ravel est plus susceptible de plaire au plus grand nombre que la 3ème Symphonie d’Albert Roussel, son exacte contemporaine (1930). Déjà Jean Vilar, Maurice Béjart et Pierre Boulez, dans un rapport célèbre commandé par André Malraux, suggéraient de rebaptiser l’Opéra de Paris « Centre français pour le théâtre et la musique ». « Il ne s’agit plus alors d’un opéra où l’on vient passer une soirée même excellente, mais d’un centre de rénovation aidant à repenser tous les problèmes posés par la fonction du théâtre, du mouvement de la musique, un noyau dont pourront surgir de nouvelles idées sur la conception de notre époque quant à la culture générale », y expliquait Boulez. Rapport datant de ... 1968, bien vite enterré, Vilar refusant de "collaborer" avec le régime gaulliste. Aucun lien bien sûr avec l’onéreuse et élitiste Philharmonie de Paris tant désirée par Boulez, laquelle d’ailleurs, pour l’instant, ne désemplit pas.
François Lafon
Dans la revue professionnelle La Lettre du Musicien de février, la soprano Mireille Delunsch publie un texte polémiquement intitulé « A quand une Music Pride ? ». Extraits : « Offrez la musique classique, comme un cadeau précieux (…). Si vous ne le faites pas, bientôt, il n’y en aura plus ! (…) Demandez-en ! A vos députés, à vos élus, oui, en leur écrivant ! (…) N’écoutez pas les grands médias qui font du “classique-bashing”, si, si ! C’est insidieux mais, sur fond de millions qu’a coûté la Philharmonie et qui n’est pas “populaire”, sur fond d’accusation d’élitisme, on nous suggère que (…) gratter trois accords de guitare est bien suffisant pour provoquer des extases. Protestons donc pour que l’excellence reste la locomotive de notre culture (…), ne serait-ce que pour garder un œil critique sur ce que les multinationales de la production musicale veulent nous forcer à acheter, à grand renfort de publicité. (…) Et nous autres musiciens et chanteurs (…), cessons de raser les murs en ayant honte de ne pas faire d’argent, de dépendre de l’argent public. Cet argent-là génère des recettes considérables en activités économiques parallèles ». Un texte clair et net, qui colle au contexte : coupes claires dans les subventions, fermeture de théâtres et de conservatoires, lâchages municipaux d’institutions prestigieuses (Les Arts Florissants à Caen, Les Musiciens du Louvre à Grenoble), oubli de la pratique musicale dans le plan gouvernemental de « mobilisation de l’école pour les valeurs de la république ». Sur le site de Pompei, en Italie (2 millions de visiteurs chaque année), la Maison des gladiateurs, endommagée par les pluies diluviennes de l’automne dernier, est laissée à l’abandon au prétexte que les programmes de restauration sont arrêtés faute d'argent : « On a fait de grandes expositions, des concerts, un site Internet, et on a délaissé la conservation, le travail de l'ombre », commente dans le quotidien La Croix un professeur d’histoire ancienne. Là aussi, la crise a bon dos.
François Lafon
Photo : Mireille Delunsch dans la Voix humaine © DR
Sur le site de Cordes et âmes, « label équitable de musique nouvelle », interview de Jacques Attali, énarque et polytechnicien, économiste écouté, écrivain prolifique, conseiller spécial de François Mitterrand à l’époque où ce dernier était président de la république. Sujet : son activité de chef d’orchestre qu’il pratique depuis une quinzaine d’années, dans la lignée du Premier ministre de Grande Bretagne Edward Heath ou de l’homme politique français Lionel Stoleru. « La musique est ma passion, lorsque l’on m’a donné la possibilité de diriger j’ai saisi cette opportunité. J’ai beaucoup travaillé, appris un instrument : la direction, maintenant je la pratique ». Et d’ajouter : « Je suis de ceux qui pensent que comme on n’est pas sûr d’avoir sept vies successives, il faut avoir sept vies simultanées ». La suite est moins claire (la faute au décrypteur ?) : « Il y a un continuum qui va de la musique religieuse jusqu’à celle la plus populaire et simple. La musique classique est celle qui est la plus proche de la musique religieuse dans la plupart des cas mais en même temps elle s’inspire énormément de la musique populaire. Musique classique, religieuse, populaire, elles sont considérablement interdépendantes. Vous avez des tas de musiciens dits populaires qui maîtrisent les règles classiques de la musique ». Limpide en revanche la déclaration finale : « La seule chose qui me semble ne pas avoir de sens c’est la musique lorsqu’elle sort de la « grille harmonique ». Je crois personnellement que la musique atonale est une impasse, elle ne correspond pas à la nature même de l’audition, elle a constitué une tentative de « terrorisme musical » qui ne correspond pas à la nature profonde de ce qu’est la musique. En dehors de ça toutes les musiques qui sont à l’intérieur de la gamme, et en particulier la musique indienne, mais avec des nuances tout à fait considérables, méritent d’être prises au sérieux ». Mais pourquoi, en France, la réflexion sur la musique est-elle si souvent le talon d’Achille des intellectuels ?
François Lafon
Dépassement(s) de budget, retrait de la participation de la Mairie de Paris au motif – attendu mais inquiétant - qu’une structure de cette importance ne peut être entièrement dévolue à un art aussi élitiste que la « grande musique » : la Philharmonie de Paris va devoir mettre de l’eau dans son vin, du David Bowie dans son Beethoven. Bon. La Cité de la musique, rebaptisée Philharmonie 2 (?) a bien, dès son ouverture, panaché les genres avec un certain succès. La Salle Pleyel de son côté a accueilli les grands du jazz au même titre que les géants du piano. Mais alors pourquoi l’acquéreur de ladite Salle n’aura pas le droit d’y programmer du classique ? Réponse de Laurent Bayle – M. Pleyel-Cité-de-la-musique en même temps que M. Philharmonie-1-et-2 : « Pour ne pas faire de concurrence à la Philharmonie ». De concert avec le nouvel Auditorium de Radio France, la Philharmonie va de toute façon modifier le paysage musical parisien. Mais pourquoi alors le Théâtre des Champs-Elysées continue-t-il de faire de la concurrence à l’Opéra en programmant des ouvrages lyriques, le Châtelet ayant depuis bientôt dix ans cessé lui de le faire en se reconvertissant dans la comédie musicale ? Plus de classique à Pleyel, cela fait penser à l’éphémère Ballet à Garnier – Opéra à Bastille plombant l’Opéra de Paris dans les années 1990. L’ADN des lieux et le cerveau reptilien du public sont souvent plus forts que les oukases technocrato-commerciales.
François Lafon
Mercredi 4 juin, annulation de La Traviata (mise en scène Jean-Paul Scarpitta) à l’Opéra-Comédie de Montpellier. Soutenus par le maire Philippe Saurel (DVG) et par la nouvelle directrice de l’Opéra-Orchestre-National (OONM) Valérie Chevalier, les intermittents sont hués par le public. Samedi 7, deuxième représentation de La Traviata (mise en scène Benoit Jacquot) retardée d’une heure (ou moins, selon les sources) à l’Opéra de Paris - Bastille. Une trentaine d’intermittents selon le Journal du Dimanche, une centaine selon Libération tiennent une assemblée générale devant un public en majorité réprobateur. Au Festival d’Aix-en-Provence 2003, la première de La Traviata (mise en scène Peter Mussbach), déjà retardée de quelques jours, avait été perturbée par le charivari des intermittents sur la place de l’Archevêché. Public furieux, prêt à en découdre avec les trublions. Une coïncidence bien sûr. Quoique… Programmé aussi à Aix en 2003, Wozzeck (mise en scène Stéphane Braunschweig) n’avait même pas été représenté, mais chahuter Wozzeck aurait-il été aussi « payant » que de chahuter La Traviata ? De même ce 7 juin, au Palais Garnier, la première du Couronnement de Poppée (mise en scène Robert Wilson) a eu lieu sans encombre (voir ici). Moins « payant », là aussi ? Peut-être le public de Berg et de Monteverdi aurait-il été un peu plus favorable aux justes revendications des intermittents. Pour être - avec Carmen et La Flûte enchantée -, l’opéra grand public par excellence, La Traviata n’est pas cependant grand-chose en regard du feuilleton Plus belle la vie (France 3), dont les équipes ont observé quelques heures de grève vendredi 6 juin, provocant le désarroi des fans. Panem et circenses…
François Lafon
Effet Coupe du monde chez Erato : du Brésil sous toutes les formes, cross-over compris. Sous le titre Brazil, le Quatuor Ebène, les pieds dans l’eau sur fond de Copacabana, accompagne l’Américaine Stacey Kent et le Français Bernard Lavilliers dans un répertoire où passent Astor Piazzolla ("Libertango") et Charlie Chaplin ("Smile"). Les fans de celui-ci et de celle-là seront-ils rejoints par les amateurs des Ebène dans Brahms et Debussy ? Ceux-ci, il est vrai, s’étaient déjà distingués en 2010 chez Virgin (devenu… Erato) avec l’album Fiction, où Stacey Kent côtoyait Natalie Dessay, laquelle aujourd’hui fait partie du voyage Rio-Paris, en compagnie d’Agnès Jaoui, d’Helena Noguerra et de la guitariste Liat Cohen. Sous une couverture Pain de sucre/Tour Eiffel/Christ Rédempteur dans le pur style tour- operator, ce deuxième disque s’offre la caution du Carioca Villa-Lobos, même si l’on y retrouve du premier - mais cette fois en VF -, le tube "Aguas di Marços" ("Les Eaux de Mars", version Moustaki), très différemment interprété. Et si ce mélange des genres vous paraît trop salé-sucré – pour ne pas dire trop commercial – vous pouvez visiter le Brésil avec le plus sérieux (quoique…) Darius Milhaud, honoré par un formidable coffret de dix CD issus des catalogues Erato et EMI. Le Boeuf sur le toit par Bernstein et Milhaud lui-même (avec une préférence pour le second), mais aussi les Saudades do Brazil sous les doigts de Jacques Février, la Brazileira de Scaramouche à deux pianos par Milhaud et la grande Marcelle Meyer, le "Souvenir de Rio" du Carnaval d’Aix et la Ballade pour piano et orchestre ponctuent cette « Vie heureuse » (rappel des mémoires de Milhaud Ma vie heureuse – Belfond) où dans les genres les plus variés, le grand Aixois fête comme personne le soleil et le jeu.
François Lafon
Brazil : 1 CD Erato – Rio-Paris : 1 CD Erato – Darius Milhaud, Une Vie heureuse : 10 CD Erato
Signature, au foyer Pierre Dux de la Comédie-Française, de la cession des éléments démontables composant le Théâtre éphémère au Grand Théâtre de Genève. Soulagement perceptible de Muriel Mayette-Holtz, actuel successeur de Molière à la tête de la Maison, sous l’œil impassible de Lorella Bertani et Tobias Richter, respectivement présidente de la Fondation et directeur du Grand Théâtre. Un temps préemptée par la Libye, la structure de bois qui a servi de repli pendant les travaux de la salle Richelieu va disparaître de l’espace – ô combien symbolique – séparant le Théâtre Français du ministère de la Culture. Recomposée telle un Lego ®, elle passera de 750 à 1150 places et sera augmentée d’une fosse d’orchestre, de loges et d’espaces publics, pour remplacer là aussi le vieux théâtre pendant sa rénovation, de 2015 à 2017. Coût de l’opération : 6,8 millions d’euros. Problème pas encore résolu, la localisation du bâtiment : sept lieux envisagés, choix final entre la Caserne des Vernets et la place des Nations. Théâtre des Nations sera d’ailleurs le nom de la structure, davantage en hommage à sa vocation voyageuse (où ira-t-elle après ?) qu’en souvenir du festival annuel - apparemment oublié des intervenants - qui a fait venir en France pendant les années 1950-1960 le Berliner Ensemble, le Living Theater et les spectacles légendaires de Peter Brook et Luchino Visconti.
François Lafon
Sur le site de l’Orchestre Philharmonique de Vienne, à la section “Histoire”, la rubrique “National-Socialisme”, créée en mars 2013, est illustrée par une photo des musiciens devant lesquels se tient un chef de profil (apparemment Karl Böhm), et prend place entre les rubriques « Début du XXème siècle » et « Ere moderne », significativement illustrées par des photos de Gustav Mahler et Leonard Bernstein. Le sujet avait déjà été traité : dans Les Grandes heures du Philharmonique de Vienne, paru en français aux Editions Du May en 1993, Clemens Hellsberg, directeur des Archives historiques de l’Orchestre, consacre trente pages à la période. En six chapitres intitulés « Processus de politisation du Philharmonique depuis la 1ère Guerre mondiale jusqu’à 1945 », « Expulsion et assassinat de musiciens après 1938 », « Déportation et assassinat », « Morts à Vienne », « Musiciens exilés » et « Observations sur la nazification et la dénazification », le texte est précis et documenté. On ne s’y contente pas, comme sur le site du Philharmonique de Berlin, de raccourcis du genre : « Pour l'orchestre, les années du Troisième Reich ont été une question d'équilibre entre le respect des lignes directrices de la politique culturelle et idéologique du régime et la préservation de l'autonomie artistique ». Selon Le Monde du 10 mars dernier, « Le prestigieux orchestre philharmonique de Vienne a été contraint de dévoiler les conclusions accablantes d'une enquête sur son passé nazi ». Intéressant de voir, ce midi en Mondovision, le public trié sur le volet du Concert du nouvel an acclamer Daniel Barenboim dirigeant Légendes de la forêt viennoise avec un art consommé du chaloupé local.
François Lafon
Photo : L'Orchestre Philharmonique de Vienne en 1942 © DR
Nomination, le 11 septembre, du Catalan Joan Matabosch, actuel directeur du Liceo de Barcelone, à la tête du Teatro Real de Madrid, pour succéder à Gerard Mortier, sous contrat jusqu’en 2016 mais absent pour (graves) raisons de santé. Dans une interview au quotidien El Pais, Mortier avait déclaré qu’il ne voyait aucun Espagnol pour lui succéder, et avait donné une liste de prétendants selon ses vœux, menaçant de partir s’il n’était pas écouté, ce qu’apparemment, il ne compte plus faire : « Je n'ai pas été informé du fait que mon successeur avait été choisi. Nous nous trouvons face à une situation juridique complexe, avec deux directeurs artistiques, car je ne suis pas encore mort, même si certains en seraient heureux (…) Matabosch est un homme sympathique, mais ce qu’il propose n’a rien à voir avec le projet en cours. Je crains qu’il n’ait pas la force de s’imposer face au gouvernement. » Balle coupée de Carmelo Di Gennaro, ex-directeur artistique adjoint du Real : « Le Teatro Real est soumis à des pressions politiques qu’il faut traiter avec prudence, ce que Mortier n’a jamais réussi à faire. » Indignation dans le New York Times de Gregorio Maranon, président du Real : « M. Mortier n'a pas été congédié, mais ses commentaires très inhabituels sur le processus de sélection, ainsi que sa menace de démissionner s'il n'approuvait pas le choix de son successeur, ont rendu impossible pour l'Opéra de risquer de se retrouver sans directeur artistique. » Déclaration d’intention de Joan Matabosch : « Le Teatro Real a besoin de chanteurs internationaux de haut niveau, mais c’est un théâtre national espagnol, où il convient de promouvoir les talents espagnols. Les deux objectifs sont compatibles. » Mot de la fin ou pot aux roses ?
François Lafon
Photo © DR
Mercato d’été : Warner Music Group rachète les sections classiques d’EMI et de Virgin, qui deviennent Warner Classics et Erato.
Pourquoi Warner, puisque c’est Universal qui a racheté EMI ? Parce que le monopole est interdit et qu’Universal a dû se séparer de quelques branches annexes.
Pourquoi ne pas conserver des logos aussi prestigieux ? Parce qu’Universal en est désormais propriétaire, et ne compte pas s’en séparer.
Pourquoi Erato, racheté (en 1992) et mis en hibernation (en 2001) par… Warner ? Parce que Virgin Classics, né à Londres mais adopté en 1996 par EMI Classics France et son directeur Alain Lanceron, est devenu, tel Erato en son temps, un label français de pointe, et qu’une telle filiation vaut bien un repentir tardif.
Sur la page d’accueil du site Warner Classics : des highlights Teldec, Das Alte Werk et … Erato, deux nouveautés Warner - Sacred Verdi dirigé par Antonio Pappano (chef ex-EMI) et le nouveau CD Rachmaninov de Simon Rattle (idem) – et une compilation d’enregistrements de la mezzo Joyce DiDonato - locomotive ex-Virgin - pour le 10ème anniversaire de sa collaboration avec … Warner/Erato. Aux dernières nouvelles, Alain Lanceron et son équipe font partie du voyage. « Il faut que tout change pour que rien ne change », dit Burt Lancaster dans Le Guépard.
François Lafon
Parmi les premières victimes de la loi interdisant « la propagation d’informations sur les relations sexuelles non-traditionnelles auprès des jeunes » en Russie : le biopic de Tchaikovski que prépare Kirill Serebrenikov, cinéaste de bonne réputation et directeur artistique du Théâtre Gogol de Moscou. Au terme de cinq révisions imposées au script par le ministère de la Culture – lequel finance en partie le projet – le scénariste Yuri Arabov a nié que lesdites révisions aient concerné la sexualité du compositeur et affirmé que celui-ci n’était pas gay, qu’il était « une personne sans famille, poursuivi par la réputation d’aimer les hommes et souffrant de cette rumeur. » Réaction du musicographe Alexandre Poznanski, spécialiste du compositeur : « Nier que Tchaikovski ait été un homosexuel avéré est insensé. Cette histoire est significative de l’atmosphère qui règne actuellement en Russie, et fait de ce pays la risée du public occidental cultivé. » Post d’un lecteur du quotidien britannique The Independent à la suite d’un article sur le sujet : « Abraham Lincoln était gay ou bisexuel, il a vécu un moment avec un homme. Dans le récent biopic de Steven Spielberg, cela n’est jamais mentionné. Censure, autocensure ou décision commerciale ? » Un partout ! Avec ses défauts et ses outrances, le film de Ken Russell Music Lovers, la Symphonie Pathétique, récemment réédité en DVD (voir ici), nous renvoie au moins à une époque (1970) où l’on avait l’innocence de croire que les mentalités ne repartiraient plus dans ce sens.
François Lafon
A propos de La Flûte enchantée, retransmis samedi 6 juillet en direct de l’Opéra de Lyon sur un écran géant installé Place des Terreaux et dans 14 villes en Rhône-Alpes (25 000 spectateurs selon les organisateurs), Myriam Pleynard, candidate à l’investiture UMP pour les élections municipales, écrit sur son blog : « …Mais ce qui me dérange c’est que « La flûte enchantée » de MOZART est la musique de référence des Francs-Maçons du Grand Orient de France, ceux-là mêmes d’où est sorti le mariage gay ainsi que la plaidoirie pour la théorie du genre. Ce soir c’est le veau d’or qui est fêté en la Place des Terreaux. MOZART, ce n’est pas ça. MOZART c’est la rectitude, le génie dans la beauté exaltée, la magnificience. COLLOMB nous dit donc bien indirectement ce soir, avec le concert de la Flûte Enchantée, sur la Place des Terreaux, aux pieds de la maire centrale : je suis pour le mariage gay et la théorie du genre. DONT ACTE. ». Tout commentaire est superflu, si ce n’est celui de Stéphane Degout, Lyonnais, baryton et interprète de référence du rôle de Papageno, publié sur le blog Lyonnitude(s) de Romain Blachier : « Madame Pleynard a oublié de préciser que La Flûte Enchantée est aussi un opéra raciste et misogyne. Une lourde tâche l’attend, faire le ménage dans le répertoire. Il y a quelques mois, une dame bien pensante se plaignait que la parité n’était pas respectée à l’opéra, très peu de femme chef d’orchestre, encore moins de metteuses en scène et ne parlons pas des compositrices et librettistes. J’attends avec impatience une diffusion de Billy Budd sur la place des Terreaux ! Que des hommes sur le plateau, un sujet homo-érotique, un compositeur homo ! Ça pourrait être intéressant ! ». Dont acte, là-aussi.
François Lafon
Photo : bandeau d'annonce de La Flûte enchantée à Lyon © DR
Polémique autour d’un jeu concours lancé sur le RER A et le Transilien J et L, intitulé « Choisissez l’ambiance musicale de votre gare. » Une ambiance classique, Mozart et Chopin étant censés participer plus efficacement à l’adoucissement des mœurs aux heures de pointe que Gilbert Montagné ou M. Pokora. Les gagnants auront droit à trois CD des morceaux sélectionnés et à un voyage RER en cabine conducteur. Mais si l’on va sur le blog officiel de la ligne J, on trouve (ou l’on trouvait, car il a été supprimé à la suite d’un article du site Rue89) un post intitulé « De la musique classique pour rétablir l’ordre, » expliquant que Mozart et Chopin n’ont pas leur pareil pour faire fuir les lascars, zonards et junkies dont la présence pollue les gares et précisant que le procédé avait déjà fait ses preuves dans d’autres pays comme le Danemark et l’Allemagne. En 2008, le Mosquito (moustique), un « boitier anti-jeunes » émettant des ondes particulièrement désagréables aux oreilles des moins de vingt-cinq ans avait été interdit (voir ici). D'ici que Mozat et Chopin subissent le même sort...
François Lafon
Quel rapport entre Boris Godounov, l’opéra de Moussorgski, et La Reine Margot, le film de Patrice Chéreau ? Entre Rigoletto, de Giuseppe Verdi, et Le Cinquième élément, de Luc Besson ? Le pouvoir, la soif de pouvoir. Costumer le pouvoir, tel est le titre de l’exposition visible jusqu’au 20 mai au Centre National du Costume de Scène de Moulins qui, depuis 2006, fait revivre les costumes d’opéras et de théâtre à travers de magnifiques scénographies. Des vitrines en clair-obscur pour mettre en valeur les costumes, des extraits vidéo pour restituer les ambiances, des posters habilement pédagogiques pour raconter le contexte, voilà qui entraîne le promeneur dans une démarche passionnante : parcourir au gré de ses envies la frontière qui sépare les deux univers indissociables d’un spectacle. Côté pile, la préparation, l’invention, la création ; côté face, la représentation, son atmosphère, sa magie. Cette façon de mettre en parallèle l’infini des heures passées à travailler dans l’ombre et la fugacité du passage d’un spectacle en pleine lumière en dit long sur l’aventure du théâtre, du cinéma et de l’opéra, sans jamais écraser par quelque explication pédante le plaisir de l’’œil et de l’oreille : voir rassemblés dans une même vitrine les costumes du célèbre Atys mis en scène par Villégier ou les robes superbes des Adieux à la Reine, le film de Benoît Jacquot, crée un émotion indicible.
Gérard Pangon
Centre National du Costume de Scène – Quartier Villars – Moulin sur Allier. Tous les jours de 10 h - 18 h. www.cncs.fr Photo : La vitrine des Adieux à la Reine © CNCS
Concert du Nouvel an à Vienne, suite. Selon le quotidien autrichien Kurier (social-démocrate), l’eurodéputé vert Harald Walser remet en cause l’institution, créée en 1939 et fer de lance de la propagande nazie jusqu’à la fin de la guerre. Reprenant les thèses des historiens Bernadette Mayrhofer et Fritz Trümpi, il rappelle que la moitié des membres du Philharmonique (à commencer par le chef Clemens Krauss) étaient à l’époque inscrits au parti, qu’une quinzaine de musiciens en avaient été exclus parce qu’ils étaient juifs et que sept d’entre eux étaient morts dans les camps. Il révèle que Goebbels avait préservé le label Strauss en arrachant la page du registre des mariages de la cathédrale St Etienne de Vienne où il était indiqué que Strauss grand-père (Michael) était un juif baptisé, et regrette que les archives de l’Orchestre ne soient pas encore accessibles au public, ce que conteste son directeur Clemens Hellberg. Il n’emboite cependant pas le pas à certains radicaux, qui vont jusqu’à demander l’abolition du Concert. Scoop du jour : c’est Daniel Barenboim qui sera au pupitre en 2014. Le chef qui a osé diriger Wagner en Israël aura certainement un avis sur la question.
François Lafon
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Sables mouvants sous le chantier de la Philharmonie de Paris. Premier grief : le coût, de 150 millions d’euros à 173 millions, de 336 millions (en 2011, après un an d’arrêt) à 386 millions, auxquels il faudra ajouter une cinquantaine de millions si l’ouverture, prévue pour fin 2014, n’est pas encore retardée. L’Etat et la ville font la grimace - lettre comminatoire d’Aurélie Filippetti et Bertrand Delanoë au directeur Laurent Bayle - mais continuent à payer, au motif que le projet coûterait encore plus cher si on l’arrêtait maintenant, mais aussi au nom de la « démocratisation de la musique classique » que devrait entraîner la construction de cette salle de 2400 places dans le quartier de la Villette. Réactions très dures des internautes : « Vous connaissez beaucoup de Zyvas qui ont un abonnement à l'Opéra de Paris ? » ; « Par ces temps de crise, d'autres dépenses auraient pu être faites, notamment des logements sociaux » ; « Bouygues a réussi à avoir de juteux contrats, entre le Pentagone à Balard et cette salle de concerts pour bobos qui sera vide. » ; « On a déjà la salle Pleyel, la Cité de la musique (qu'on a bien du mal à remplir), le théâtre des Champs-Elysées, la salle Gaveau... L'Etat a déjà été obligé de racheter Pleyel vendue par Jospin et payer la rénovation ! Et après il y aura le coût du fonctionnement de ce machin qui ne sert à rien. » ; « Espérons que les professionnels ne se feront pas bouffer comme les ethnologues et historiens d'art au Quai Branly, ce hangar sans doute construit pour accueillir les soldes de Pier Import ». Réplique de Jean Nouvel, architecte du projet : « Jamais la France n'avait eu une telle ambition. On en rêve depuis un demi-siècle! » Il veut sans doute parler de l’époque où les Parisiens rougissaient à la pensée que la Ville Lumière ne possédait pas de grande salle de concert moderne, alors que les autres capitales en avaient (au moins) une, que Metz s’offrait L’Arsenal et Dijon un auditorium high-tech.
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Curieuse discrétion : le 9 juillet 2011 à Matamoros (Mexique), dix-huit personnes sont enlevés par un cartel de la drogue. Parmi elles, un homme de trente-cinq ans, Rodolfo Casares, et son épouse Ludivine Barbier Casares, habitant Saint-Sauveur (Isère). Le 11 juillet, les femmes et les enfants sont relâchés. Le 17, une rançon de 100 000 dollars est versée, mais aucune libération ne s’ensuit. Les raisons de l’enlèvement sont floues : Rodolfo Casares pourrait avoir un homonyme lié aux milieux de la drogue, à moins que le responsable ne soit son grand-père, dont la maîtresse aurait eu des enfants qui feraient partie d’un cartel rival (!). Ludivine Casares dépose plainte. Au Quai d’Orsay, on lui répond que l’affaire est compliquée, car son mari n’était qu’en voie de naturalisation lors de son enlèvement. La presse se mobilise partout, sauf en France, où le torchon brûle avec le Mexique, suite à l’affaire Florence Cassez. Ludivine Casares profite aujourd’hui de la réception à l’Elysée du futur président mexicain Enrique Pena Nieto pour remuer ciel et terre. « C'est l'otage oublié. Je veux que la France entière le sache » déclare-t-elle au Figaro. Précision : Rodolfo Casares n’est ni journaliste, ni humanitaire, il est chef d’orchestre, directeur musical du théâtre de Bremerhaven (land de Brême) en Allemagne. Pas assez médiatique, peut-être.
François Lafon
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Ca y est : la Commission européenne a donné son aval au rachat d’EMI par Universal, validant l’accord passé en novembre dernier et le chèque de 1,9 millions de dollars déjà encaissé aux deux tiers par Citygroup, la banque américaine jusqu’ici propriétaire d’EMI. Mais comme il ne faut pas que le monstre soit trop gros, Universal doit se délester de différents labels représentant les deux tiers du chiffre d’affaire d’EMI en Europe. Voilà donc, entre autres, EMI Classics France et Virgin Classics, tous deux basés à Paris, remis sur le marché après une période d’incertitude dont les artistes et les mélomanes ont déjà fait les frais : plus de « signatures », pénurie d’enregistrements. Les autres majors, Warner, Sony et BMG sont sur les rangs, cette dernière, à capitaux européens, ayant, d’après Le Monde, la préférence de la Commission. Dans le cas d’une vente à la découpe, des labels indépendants, comme le français Naïve, pourraient être intéressés par une part du gâteau. Une seule prise de guerre à laquelle Universal tienne vraiment. Maria Callas ? Non, les Beatles.
François Lafon
Concerts, vendredi et samedi, de l’Orchestre des jeunes Demos à la salle Pleyel. Des Orchestres plutôt : 450 franciliens de sept à quatorze ans, répartis en quatre formations et dirigés par deux chefs. C’est le Sistema à la française, « dispositif d’éducation musicale à vocation sociale » initié en 2010 sur le modèle vénézuélien dont Gustavo Dudamel est le héraut. Logistique bien huilée : cinq minutes, pas plus, pour que Demos 92 (Hauts-de-Seine, en orange) laisse la place à Demos 94-95 (Val-de-Marne - Val-d’Oise, en bleu), etc. Présentation succincte, explications éclairantes. La complexité rythmique des Danses roumaines de Bartok ? Trois coups sur la poitrine, trois sur la cuisse, deux avec les pieds. Encadrés par les enseignants, parmi lesquels des membres de l’Orchestre de Paris et de l’orchestre Divertimento, les têtes blondes et brunes s’exécutent comme des pros. Chaque formation joue trois morceaux, classique (Beethoven, Dvorak) ou non (Piazzolla, John Williams), avec soliste ou non (un concerto, ça ne demande pas les mêmes réflexes qu’une symphonie). Dans la salle, familles et amis : « On est là ! », crie une mère à l’entrée de Demos 93 (en blanc). « Même pas trois ans, et ce qu’ils font ressemble à quelque chose, » commente, ému, un directeur de Conservatoire, partie prenante de l’opération. Atmosphère festive, sans démagogie ni com agressive : une rareté par les temps qui courent. Pas même besoin d’un Dudamel pour faire flamber l’affaire. A partir d’octobre, nouvelle phase de trois ans : mille Franciliens plus trois autres régions.
François Lafon
Salle Pleyel, Paris, 29, 30 juin Photo © Laure Vasconi
Lever de boucliers à la suite des déclarations d’Aurélie Fillipetti à propos du futur Centre National de la musique et des variétés, lequel devrait, selon elle, avoir vocation de défendre les labels discographiques indépendants plutôt que les majors. Dans Le Monde du 11 juin, David El Sayegh, directeur du Syndicat national de l'Edition Phonographique (SNEP), explique qu’ « en 2011, les majors ont versé plus de 60 millions d'euros à leurs partenaires producteurs indépendants », que « les indépendants font donc quasiment jeu égal avec les majors », et que « voir dans les relations majors/indépendants un rapport par nature antagoniste relève d'une approche populiste ». Dans Le Point du 24 mai, il précisait que « contrairement à une idée reçue, les majors sont des actrices de la diversité musicale. Elles sont, par exemple, les seules à éditer de la musique classique ». Réfutation de ce dernier argument par Jérôme Roger, directeur de l’Union des Producteurs Phonographiques Français Indépendants (UPFI) : « Loin d'avoir "déserté le classique" comme le prétend le SNEP, sur 461 albums classiques, principalement européens et français, édités en 2011 (source : Aide-mémoire des victoires classiques), les indépendants en ont produit 72,5 %. Des labels aussi prestigieux que Harmonia Mundi, Naïve, Outhere et tant d'autres continuent à se battre pour défendre les couleurs du classique en France et dans le monde. » Toujours selon Le Point du 24 mai : « Aurélie Filippetti a notamment marqué son intérêt particulier pour la musique classique, qui, selon ses mots, doit être particulièrement soutenue et encouragée ». Or dans Les Inrocks du 31 mai, on peut lire : « Le CNM n’interviendra pas dans certains domaines, comme la musique classique ». On peut y lire aussi qu’ « au CNM, on veut croire que pour les employés concernés, ce sera plus valorisant et motivant d’être dans une structure qui rassemble ». Nous voilà rassurés.
François Lafon
« Les temps sont durs, votez MOU (Mouvement Ondulatoire Unifié) ». En 1965, face à Charles De Gaulle, François Mitterrand, Jean Lecanuet, Jean-Louis Tixier-Vignancourt, Pierre Marcilhacy et Marcel Barbu, le Parti d’en Rire présente deux candidats à l’élection présidentielle. Clip de campagne (déjà), sur un air obstiné…
Prévue le 20 avril, la reprise de l’opéra de Wagner Rienzi dans la mise en scène de Philip Stölzl au Deutsche Oper Berlin a été reportée au 21. Et alors ? Alors le 20 avril est le 123ème anniversaire de la naissance d’Adolf Hitler, lequel idolâtrait cet ouvrage narrant l’épopée d’un tribun providentiel terminant sa carrière dans les ruines, et dont il aurait emporté la partition jusque dans le Bunker fatal. De plus le Deutsche Oper, inauguré en 1961 pour servir d’opéra à Berlin-Ouest (le Staatsoper Unter den Linden étant de l’autre côté du Mur) est construit sur l’emplacement du Deutsches Opernhaus, fleuron de la propagande goebbelsienne détruit en 1943. Oups ! C’est ce même Deutsche Oper qui a été menacé en 2006 d’une fatwa pour avoir programmé un Idoménée de Mozart mis en scène par Hans Neunfels, où l’on voyait les têtes coupées de Jésus, Bouddha, Neptune et Mahomet trôner sur des chaises.
François Lafon
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Le Débarquement, De Gaulle sur les Champs-Elysées, De Gaulle avec Adenauer, l’hommage de Malraux à Jean Moulin, Jacques Anquetil gagnant le Tour de France, la manifestation gaulliste du 30 mai 1968, la construction de la Tour Montparnasse, des paysans au travail, Mitterrand et Helmut Kohl main dans la main, Giscard et Chirac en coup de vent, Sarkozy aux Invalides : « Vous n’êtes pas morts pour rien », Simone Veil plaidant pour l’IVG, une petite gymnaste en équilibre sur une barre. Commentaire : « C’est le courage qui donne la force d’agir » (voix de Nicolas Sarkozy). Musique : le Prélude de la 1ère Suite pour violoncelle BWV 1007 en sol Majeur (1720) de Jean-Sébastien Bach. Mstislav Rostropovitch avait joué la Sarabande de la 2ème Suite le 11 novembre 1989 devant le Mur de Berlin en cours de démantèlement. Mémoire collective pour ce clip de l’UMP. La musique aussi est politique.
François Lafon
« Joie ! Belle étincelle des dieux /Fille de l'Élysée,/Nous entrons l'âme enivrée/Dans ton temple glorieux. » Extrait de l’Ode à la joie de Schiller (1785), mis en musique par Beethoven (9ème Symphonie, 1824), devenu l’Hymne européen (1986). Rien à voir avec la campagne présidentielle, les paroles ayant d’ailleurs été supprimées par le Conseil européen, dans le but d’éviter les problèmes linguistiques et les récupérations nationalistes. A moins qu’on ne confie l’affaire à Rowan Atkinson, alias Mr Bean…
François Lafon
Vernissage, à la Cité de la Musique, de l’exposition Paul Klee, Polyphonies. Le sujet est en or, mais truffé de pièges. Fils d’une chanteuse et d’un professeur de piano, époux d’une pianiste, violoniste lui-même, fou de poésie et de théâtre, Klee aurait pu devenir compositeur ou virtuose professionnel, s’il n’avait été un génie du dessin et de la peinture. Avec le mélange d’intellectualisme et de simplicité qui le caractérise, il a, jusqu’à sa mort, rêvé, représenté, idéalisé, caricaturé des musiciens, du Pianiste en détresse (1909) à l’ultime Timbalier (1940). Mais il aussi et surtout recherché les polyphonies secrètes qui structurent la musique et la peinture. Ce sont ces fines correspondances que, sans mise en scène ostentatoire, suivant une sage chronologie, l’exposition rend sensibles. Pas de fléchage pédagogique ni de balises stylistiques, mais une immersion visuelle et sonore dans le monde du Bauhaus, dans le Paris de Robert Delaunay et Tristan Tzara, dans cette modernité dont Klee a été un des acteurs, lui qui, en musique, fréquentait Stravinsky et Bartok tout en ne jurant que par Bach et Mozart, détestait le XIXème siècle tout en idolâtrant Wagner, et s’extasiait sur Pelléas et Mélisande. Dans l’espace pédagogique du Musée des instruments : Klee en mains, - avec ardoises magiques, memories sonores et visuels, puzzles et projections -, où l’on se met à soupçonner Paul Klee de parler plus naturellement aux enfants qu’aux parents.
François Lafon
Paul Klee (1879 – 1940), Polyphonies, Musée de la Musique, du 18 octobre au 15 janvier 2012. Catalogue (superbe) Actes Sud/Cité de la Musique, 45€. Cycle de concerts à la Cité de la musique du 19 au 27 octobre.
Décès de Jean Roy, dans sa quatre-vingt-seizième année. Pour les mélomanes : l’une des quatre grandes voix (le quatuor Panigel-Goléa-Bourgeois-Roy) de La Tribune des critiques de disques, sur France Musique. La plus discrète, mais aussi la plus pondérée, celle dont on retenait chaque mot. L’homme était discret en effet, jusqu’au mystère. Une sacrée personnalité cependant : dans un sourire, il tranchait, et le verdict était définitif. Il avait été haut fonctionnaire, tout en militant pour la musique, essentiellement la musique française, dans de nombreuses publications : La Revue Musicale, Le Journal musical français, Télérama, Diapason, et enfin Le Monde de la Musique où il a passé plus de vingt ans. Il a aussi et surtout écrit des livres : Berlioz, Bizet, Le Groupe des Six. Il était très lié à Darius Milhaud, à Henri Sauguet, à Charles Koechlin, à Henri Dutilleux. En toute discrétion, toujours, sans jamais jouer les conseillers occultes : « Nous parlions de choses et d’autres, de musique surtout ». Longtemps, il a dirigé le Dépôt légal : « Tout ce qui concernait l’art et la littérature passait par moi : le bonheur ». « Tu ne feras jamais carrière au Dépôt légal », lui disait François Mitterrand, son ami de toujours. Réponse de l’intéressé : « Je ne vis pas pour faire carrière, je vis pour les belles choses qui m’intéressent ». Il y a deux ans encore, il participait chaque semaine sur Radio Classique à l’émission Le Goût des autres, une version relookée de La Tribune des critiques de disques. Courrier d’une auditrice : « Jean Roy a un jugement extrêmement moderne sur les oeuvres et les interprétations. A propos, quel âge a-t-il ? »
François Lafon
L’Opera North, basé à Leeds (Yorkshire), vient d’annuler la création de Beached (Echoué), musique de Harvey Brough, livret de Lee Hall (photo). C’est ce dernier, célèbre en Angleterre pour avoir signé le scénario du film Billy Elliott, qui est en cause. Alors qu’il était censé travailler en collaboration avec trois cents élèves d’une école de la région, il a refusé de couper le coming out d’un des personnages : « Bien sûr que je suis gay/ Si vous insinuez que je préfère les garçons aux filles/ et qu’en plus je suis issu de la classe ouvrière/ je ne peux qu’être d’accord ». « C’est de la censure homophobe », affirme Mr Hall. « Pas du tout, réplique Mr Mantle, directeur de l’école en question. Il n’y a d’ailleurs pas que cela : on n’a pas le droit de soumettre à des enfants de quatre à onze ans des répliques parlant de drogue et de sexe, le tout dans un langage cru ». Le critique Norman Lebrecht, dans son blog Slipped Discs, s’amuse de l’aventure. « Si l’homophobie entre à l’opéra, celui-ci va perdre une bonne partie de son public. C’est un risque qu’aucun théâtre ne peut prendre », dit-il en substance. En 1853, à La Fenice de Venise, La Traviata était créé en costumes Louis XV, pour éviter que le spectacle d’une courtisane contemporaine ne choque le public. Peut-être pourrait-on transposer Beached à l’époque du Satiricon.
François Lafon
Paris à la pointe de la culture ? Le 104 n’en finit pas de se chercher, la Cité de la mode est désespérément vide, le Louxor n’arrive pas à redevenir un cinéma, La Gaîté Lyrique-nouvelles-technologies essuie les plâtres, le projet de Maison de l’Histoire de France suscite un tollé. Et la Philharmonie dans tout ça ? Il y a un mois, la presse entonnait le péan : nouveau départ pour le chantier laissé en plan au bord du périphérique. Bouygues est sur l’affaire et Jean Nouvel piaffe. Ouverture prévue en 2014, et non plus en 2012. Coût estimé de l’opération : 350 millions d’euros. On est loin des 110 millions prévus en 2002. Que ne ferait-on pas pour offrir à la musique un palais digne d’elle ! Les mélomanes respirent. Et à ceux qui s’obstinent à demander pourquoi on construit cette merveille si loin du centre (lire : des beaux quartiers), on n’ose expliquer que ce n’est pas tant la musique - surtout la grande - qui intéresse nos édiles, que le symbole. La Philharmonie sera une des portes du Grand Paris. Quel Grand Paris ? On verra plus tard. En attendant, quoi de plus rassembleur qu’un palais de la musique ? Et si vous trouvez qu'un bastion – même relooké – de la culture bourgeoise est un symbole un peu orienté, libre à vous de l’interpréter comme vous le voudrez.
François Lafon
Photo : Philharmonie de Paris
Culture : ensemble des connaissances acquises qui permettent de développer le sens critique, le goût, le jugement (Petit Robert). « La culture, c’est ce qui demeure dans l’homme lorsqu’il a tout oublié » (Edouard Herriot). Ministère de la Culture : créé en France en 1959 sous la dénomination ministère des Affaires culturelles, devenu ministère de la Culture et de l’environnement en 1976, ministère de la Culture et de la communication en 1978, ministère de l’Education nationale et de la culture en 1992, ministère de la Culture et de la francophonie en 1993, ministère de la Culture et de la communication en 1997. Le 19 janvier dernier, à l’occasion de ses vœux à la presse, Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture et de la communication depuis le 23 juin 2009, déclare : « Cinquante ans durant, l’exigence constante de la démocratisation culturelle a bâti un socle à partir duquel il est possible aujourd’hui d’inventer de nouveaux horizons. Ce nouvel horizon, mon idéal, mon rêve pour la culture de demain, c’est ce que j’appelle, je vous l’ai dit : « la culture pour chacun ». Je dis « la culture pour chacun », et non pas seulement « la culture pour tous ». Car la culture doit toucher chacun dans sa particularité, sa personnalité, sa différence, que ce soit d’origine, de milieu, de territoire, de sensibilité, ou encore de génération. » Tollé général. « Le terme est d’André Malraux, lors de son intervention historique à l’Assemblée nationale du 27 octobre 1966 », se défend le ministre. « Oui, mais sorti de son contexte ». Du coup, le Forum présidé par Frédéric Mitterrand le 4 février 2011 dans la Grande halle de La Villette devient Culture 2011, culture pour tous, culture pour chacun, culture partagée. Il ne manque plus que l’ « élitaire pour tous » programmé par Antoine Vitez quand son ami Jack Lang l’a nommé directeur du théâtre de Chaillot en 1981. Mais l’effet papillon, apparemment, ne porte pas aussi loin.
François Lafon
Photo : DR d'après une peinture népalaise du XVIIème siècle (http://www.sscnet.ucla.edu/southasia/Culture/culture.html)
Ce n’est pas Clochemerle, mais ce n’en est pas loin. Partie d’Alsace en juillet dernier, la grogne s’est généralisée : les salons de coiffure font la grève de la musique d’ambiance. Tant mieux, diront certaines clientes, qui n’en peuvent plus d’entendre bêler Lady Gaga par-dessus le ronron du casque. Mais les professionnels prennent la situation au sérieux, et le mouvement risque de s’étendre aux boutiques d’alimentation, aux supermarchés, aux bars et aux restaurants. Tout cela est la faute à la Spre (Société pour la perception de la rémunération équitable), dont la redevance est déjà passée de 18,5% à 37,5% des droits d'auteurs en 2010,et qui va en plus demander en 2011 un supplément de 47 euros par employé pour une boutique de plus de deux employés. TVA, plus Sacem, plus Spre, cela commence à chiffrer ! « Ce nouveau barème, qui date du 5 janvier 2010, n'aura pas beaucoup d'impact, puisque 87% des salons de coiffure en France ont moins de deux employés. L'augmentation, de 24 à 90 euros, est certes forte, mais elle part d'une base qui est très faible et qui n'avait pas augmenté depuis 1987 ! Les artistes ont le droit d'être rémunérés », se défend Pierre Jabouley, directeur de la Spre. Mais la révolte est d’autant mieux attisée que son instigateur, le vice-président de l’Union nationale des salons de coiffure Bernard Stalter, est par ailleurs président de la Chambre de Métiers et du Conseil économique et social d'Alsace. De son côté la Sacem, mise en cause par certains frondeurs relayés par la presse (France Soir y est même allé de sa couverture du 7 décembre), précise dans un communiqué officiel que « La récente revalorisation significative des barèmes de la rémunération équitable résulte d'une décision règlementaire du 5 janvier 2010 votée par la Commission de l'article L 214-4 du Code de la Propriété Intellectuelle et publiée au Journal Officiel du 23 janvier 2010. Aucun représentant de la Sacem ne siège au sein de cette Commission, présidée par un représentant de l'Etat, Monsieur Gilles Andréani, et composée à part égale de représentants des bénéficiaires du droit à rémunération (artistes et producteurs phonographiques) et de représentants des organisations d'utilisateurs de phonogrammes dont la liste a été déterminée par voie ministérielle. ». « Qu’à tout cela ne tienne, répondent quelques petits malins, il suffira aux commerçants de ne passer que des morceaux diffusés par Jamendo ou Dogmazic, deux sites proposant des albums en téléchargement gratuit. Et tant pis si Jamendo soutire aux artistes 50% des recettes publicitaires générées par leurs disques. » Une autre solution serait de changer de répertoire et de s’en tenir à des enregistrements tombés dans le domaine public : Fréhel ou André Claveau pour les variétés, Furtwängler et Artur Schnabel pour le classique. Le classique ? Mais vous voulez donc la mort de tous les salons de coiffure, d’Alsace et d’ailleurs ?
François Lafon
Rentrée politique, rentrée des théâtres. Pas de grande maison d’opéra sans Tétralogie wagnérienne. La Scala, Los Angeles, la Bastille et quelques autres s’y sont mis. C’est le tour de l’Elyséum. Tout doit être bouclé pour mai 2012. Voici, en avant première, la distribution pressentie. Le nom du chef et du metteur en scène seront communiqués ultérieurement.
Siegfried (Héros kamikaze) : Dominique de Villepin
Wotan (Dieu en chef, contesté) : Dominique Strauss-Kahn
Fricka (Gardienne des lois) : Eva Joly
Erda (La Terre-mère, omnisciente) : Simone Veil
Alberich (Le Nibelung, ambitieux) : Nicolas Sarkozy
Mime (Son frère, looser rusé) : Eric Besson
Freia (Déesse de l’Amour) : Carla Bruni
Fafner (Géant revendicateur) : Bernard Thibault
Fasolt (Idem) : Olivier Besancenot
Loge (Génie du Feu, incontrôlable) : Daniel Cohn-Bendit
Froh (Dieu de la Fécondité, sans pouvoir) : François Baroin
Donner (Dieu du Tonnerre, idem) : François Bayrou
Brünnhilde (La Walkyrie, guerrière bernée) : Ségolène Royal
Siegmund (Fils de famille foudroyé) : Eric Woerth
Sieglinde (Sa sœur, dépassée par les événements) : Martine Aubry
Hunding (Chef de horde) : Jean-Marie Le Pen
L’Oiseau de la forêt : Cécile Duflot
Gunther (Héritier velléitaire) : Frédéric Mitterrand
Gutrune (Sa soeur, en quête de reconnaissance) : Rachida Dati
Hagen ( Fils du Nibelung, retors) : Charles Pasqua
Waltraute (Walkyrie, vaticinatrice) : Michèle Alliot-Marie
Les Walkyries : Roselyne Bachelot, Nathalie Kosciusko-Morizet, Rama Yade, Fadela Amara, Nadine Morano, Christine Lagarde, Marine Le Pen, Dominique Voynet
Les Nornes ( Les trois Parques) : Bernadette Chirac ; Anne Sinclair ; Christine Boutin
Les Filles du Rhin (Naïades) : Béatrice Schönberg ; Audrey Pulvar ; Christine Ockrent
Distribution sujette à modifications. En aucun cas, les billets ne seront remboursés ni échangés.
P.S. En vue d’une éventuelle reprise, une distribution B doit être prévue. N’hésitez pas à nous faire part de vos suggestions.
« Bien que la musique soit halal, la promouvoir et l’enseigner est incompatible avec les valeurs sacrées de la République islamique. Il vaut mieux que notre belle jeunesse s’occupe à étudier les sciences et à pratiquer des activités saines, comme le sport », a répondu l’ayatollah Ali Khamenei, Guide suprême de l’Iran, à un jeune homme qui s’inquiétait de savoir s’il était ou non convenable de céder aux charmes d’Euterpe. On savait que Khamenei, dont les moindres déclarations sont considérées comme paroles d’Evangile (si l’on ose dire) par les autorités politiques et religieuses iraniennes, n’était pas un mélomane convaincu. Cité par le quotidien anglais The Guardian, Houshang Asadi, un de ses compagnons de cellule avant la révolution de 1979, rappelle que celui-ci n’a jamais toléré que les hymnes patriotiques et les chants religieux. Une fois au pouvoir, il n’a eu de cesse de chasser les musiciens, qu’ils soient classiques ou de variétés. Pour preuve que les pouvoirs incontrôlables de la musique sont considérés comme hautement symboliques par les politiques iraniens, le réformiste Mohammad Khatami en a ouvertement favorisé le développement, alors que son successeur Mahmoud Ahmadinejad l’a remise à l’index, craignant par ailleurs que les concerts ne soient prétextes à des manifestations antigouvernementales, spontanées ou orchestrées par l’opposition. L’expérience malheureuse de la tournée de l’Orchestre Symphonique de Théhéran, venu jouer, en janvier dernier dans plusieurs villes d’Europe de l’ouest (dont Strasbourg) une Symphonie de la Paix et de l’Amitié aux ambitions plus propagandistes que musicales, n’a pas dû contribuer à améliorer la situation.
François Lafon
Philharmonie de Paris ou Maison de l’histoire de France ? Frédéric Mitterrand penche pour la première, Nicolas Sarkozy pour la seconde. L’enthousiasme présidentiel pour la salle de la Villette n’a pas résisté à la politique du rabot à finances : tant qu’à faire des efforts, autant que ce soit pour un projet électoralement utile. En attendant, porte de Pantin, le chantier prend l’eau et les équipes de l’architecte Jean Nouvel se tournent les pouces. « Je souhaite profondément que l’on puisse construire cette Philharmonie, » a martelé le ministre en présentant le budget de la Culture pour 2011. Comme l’état traîne les pieds, un emprunt est envisagé. Ouverture retardée à 2013, si elle a jamais lieu. Pour comble de malchance, les salles parisiennes ont du mal à faire le plein, en cette rentrée « sociale ». Alors pourquoi en ajouter une ? Argument pro-Philharmonie : la Cité de la musique a toujours autant de succès. Mais comme l’expliquait Nathalie Sarraute : quand une phrase tient debout, il est risqué de chercher à l’étoffer, même s’il faut pour cela renoncer à une belle idée.
François Lafon
Photo : maquette de la future (?) Philharmonie de Paris
Drôles de chaises musicales à l’Opéra de Nice. Il y a deux ans, la mairie décide de donner une nouvelle chance à la maison, qui ronronnait depuis trop longtemps. Elle engage pour cela Jacques Hédouin, ex-directeur administratif du Châtelet, et, en qualité de conseiller artistique, le niçois Alain Lanceron, déjà directeur de EMI France et de Virgin Classics. L’effet escompté ne se fait pas attendre et Nice affiche des stars EMI-Virgin (mais pas seulement) nommées Natalie Dessay, June Anderson, Roberto Alagna, Marie-Nicole Lemieux, Philippe Jaroussky, Robert Carsen, Guennadi Rojdestvenski ou Michel Plasson. Or voilà que Lanceron, qui ne s’était prudemment engagé que pour un an, apprend par la presse que son contrat n’est pas renouvelé. Résultat, les stars annulent à tour de rôle leur participation aux productions futures. Parallèlement, l’Orchestre Philharmonique de Nice s’est donné pour chef un autre enfant du pays, Philippe Auguin, lequel se sent apparemment les épaules d’un directeur artistique de l’Opéra. La toute récente nomination d’Auguin comme directeur de l’Opéra de Washington a-t-elle pesé dans la balance ? En attendant, le téléphone de la mairie sonne dans le vide et Lanceron attend toujours des explications.
François Lafon
Un sujet pour Binet, dont on espère qu’il ne tardera pas trop à livrer la suite de son album Haut de Gamme (Dargaud). Nous sommes le dimanche 12 septembre devant la cathédrale d’Angoulême, à la sortie de la grand-messe. « Un monsieur que je ne connaissais pas m’attendait, rapporte l’organiste Frédéric Ledroit dans les colonnes de La Charente libre. Il a commencé par un véritable interrogatoire en me demandant si j’étais croyant. Il m’a dit que je jouais trop fort, que je l’avais empêché de prier, que ma musique était cauchemardesque. Je rentre d’un concert en Italie, j’ai fait de nombreux disques, je suis reconnu. On peut ne pas aimer ce que je fais, mais là, j’ai senti de la haine ». L’organiste reçoit un second coup sur la tête quand son agresseur verbal se présente : « Jacques Millon, préfet de Charente ». « Je lui ai simplement dit que les orgues étaient trop puissantes compte tenu de la taille de la cathédrale, se défend ce dernier, qui n’est autre que le frère de Charles Millon. Je me suis exprimé en tant que paroissien. Si je lui ai dit que j’étais le préfet, c’est uniquement par honnêteté ». Conclusion de Frédéric Ledroit : « Quand un Etat se met à vouloir bâillonner les artistes, cela fait très peur ». Là, l’artiste extrapole peut-être un peu. Il est vrai que par les temps qui courent, l’Etat est dans un si drôle d’état…
François Lafon
Quand Kim Jong-il est venu en visite officielle à Pékin au mois de mai, il a apporté dans ses bagages un opéra chinois chanté en coréen. Prévue pour trente jours, la tournée a duré deux mois et demi. Explication du succès par les responsables de la compagnie Mer de Sang (en référence, non à l’idéal militaire de la Corée du Nord, mais à un opéra anti-japonais créé en 1971) : « Nous avons recueilli les conseils et écouté les suggestions de notre Dirigeant bien-aimé ». Explication à l’usage des sceptiques occidentaux : il s’agit d’une adaptation du Rêve dans le pavillon rouge, un classique chinois datant du XVIIIème siècle, une sorte de Roméo et Juliette d’autant plus connu qu’il a récemment été réactivé sous forme de série télé en quatre-vingt-trois épisodes. Précision des spécialistes : l’opéra nord-coréen est populaire en Chine depuis la Révolution culturelle. A l’époque, l’amour romantique et la magie - denrées de base du genre - étaient interdits à Pékin mais tolérés à Pyongyang. Bémol diplomatique : Kim Jong-il est reparti pour la Corée avant la première du Rêve dans le pavillon rouge, à laquelle il devait assister en compagnie de son homologue chinois Hu Jintao. Interprétation des médias étrangers : le Dirigeant bien-aimé n’était pas satisfait de son voyage. Rectification du journal officiel Le Quotidien du peuple : il est parti plus tôt que prévu parce que sa visite avait atteint tous ses objectifs. Complément d’information troublant : dans le but d’amener son peuple à « une meilleure compréhension de la culture mondiale » et pour « célébrer le dixième anniversaire de l’amitié et de la coopération bilatérale entre la Corée du Nord et la Russie », Kim Jong-il a supervisé l’année dernière la production d’un autre opéra : Eugène Onéguine de Tchaikovski. Névrose individualiste dans une société de classes : le Dirigeant bien-aimé fait décidément confiance à la culture pour faire passer ses messages.
François Lafon
Puisque la force n’arrive pas à bout des narcotrafiquants, pourquoi ne pas prendre ceux-ci par les sentiments ? C’est l’idée que défend le célèbre chanteur flamenco espagnol Diego el Cigala (Diego la Langoustine, pourrait-on traduire). Constatant les dégâts occasionnés par les guerres intestines entre cartels de la drogue au Mexique (23 000 morts entre 2006 et aujourd’hui), il explique dans une interview donné au quotidien mexicain de gauche La Jornada que « Les narcotrafiquants et criminels mexicains devraient écouter beaucoup de musique classique, comme le Requiem de Mozart, toute l'oeuvre de Beethoven et de Mahler, tout comme les pièces de Camarón de la Isla, Paco de Lucía et tout ce qui peut les rendre un peu plus sensibles et faire qu'ils ne commettent pas autant d'atrocités. » Au lieu de se vanter, comme il l’a encore fait sur RTL le 27 mai, d’avoir « sur les premiers mois de l'année, doublé les saisies de drogue », et dedéclarer que « quand il y a des caillassages, c'est sans doute le signe, peut-être le passage obligé, que nous sommes en train de rétablir l'ordre et l'autorité dans les quartiers », Brice Hortefeux, ministre français de l’Intérieur, devrait demander à Johnny Halliday, de retour au bercail, d’exhorter les acteurs du bisness banlieusard à remplacer NTM par Philippe Herreweghe dans leurs iPods. Un bus qui brûle avec les Kindertotenlieder en bande son, ça ferait sens, non ?
François Lafon
Il aime les Quatre Derniers Lieder de Richard Strauss, Le Roi des Aulnes de Schubert par Dietrich Fischer-Dieskau et la Valse en la mineur op. posthume de Chopin. Il a joué, quand il était étudiant, dans Cyrano de Bergerac mis en scène par Sam Mendes, et a été intéressé par le film de Laurent Cantet Entre les murs (palme d’or à Cannes en 2008). Il est Britannique, d’origine russe par son père et néerlandaise par sa mère, marié à une espagnole, député européen depuis 2005 et candidat au poste de premier ministre de sa Gracieuse Majesté. Qui est-il ? Gordon Brown ? Vous avez tout faux (mais alors vraiment tout !). David Cameron ? Pas plus. C’est donc de Nick Clegg qu’il s’agit, le troisième larron libéral-démocrate, qui a séduit les Anglais pendant la campagne, mais n’a aucune chance d’être élu. Ne soyez pas trop tristes : si leur candidat a la fibre artistique, les Libéraux-Démocrates prévoient, dans leur programme, de restreindre les dépenses publiques sur les arts.
Tout pour plaire, Barbara Rosenkranz, alias « la Mère du Reich », candidate du Parti de la liberté (FPÖ) aux élections présidentielles autrichiennes du 25 avril ! En fait de liberté, le parti en question appelle à la chasse aux Turcs, aux Tchétchènes, aux Asiatiques, aux Tziganes et aux nègres, c'est-à-dire à peu près à tout le monde sauf aux bons Autrichiens 100% aryens, et réclame un assouplissement de la loi de 1947 interdisant l’apologie du nazisme. Forte des 27% de suffrages remportés en compagnie du BZÖ (le parti du défunt Jörg Haider) aux élections législatives de 2008, la dame a cette fois subi un échec en ne remportant que 15,62% des voix, loin derrière le sortant social-démocrate Heinz Fischer (78,94%). Avec son époux Horst Jakob, co-fondateur du parti NPD (aujourd’hui interdit) et directeur de la revue négationniste Fakten, Barbara Rosenkranz - dont la parenté avec Christian Rosenkreutz (1378 ? -1484 ?), fondateur de l’ordre de la Rose-Croix, n’est pas avérée - a eu dix enfants, six filles et quatre fils, portant les noms de Hedda, Horst, Arne, Mechthild, Hildrun, Volker, Sonnhild, Alwine, Ute et Wolf. On ne l’imaginait pas prénommant ses rejetons Rachel ou Mohamed, mais on peut s’étonner qu’aucun d’entre eux ne soit voué à Wagner, si ce n’est, peut-être, Hedda - diminutif d’Edwige, mère d’Elisabeth de Hongrie, héroïne de Tannhäuser, - et Wolf, autre dénomination de Wotan avant d’être le surnom d’Adolf Hitler. Mais il est vrai que certains soupçonnent l’auteur de Siegfried d’avoir des origines juives.
On n’y pense pas toujours, mais la musique, c’est polluant. Une étude, entreprise par l’Université d’Oxford (Environmental Change Institute by Julie's Bicycle), révèle que l’industrie musicale britannique a dégagé, en 2007, 540 000 tonnes de gaz à effet de serre, et que l’empreinte carbone de la dernière tournée mondiale du groupe de rock U2 équivaut à un aller et retour sur Mars. Cela concerne davantage les concerts « tout électrique », avec éclairages stratosphériques, instrumentarium branché sur le secteur et baffles crachant la mort, qu’une soirée de lieder, où la Castafiore et Monsieur Wagner n’ont besoin que d’une estrade, d’un piano et de quelques projecteurs. N’empêche qu’en termes d’enregistrement, d’édition et de packaging, un CD classique n’est pas moins salissant qu’un autre. En gros, 43% des 540 000 tonnes en question sont dus aux tournées de musique populaire, 23% aux concerts en salle, et 26% à l’enregistrement et à ses filières. « Il existe des nuances entre les différents marchés de la musique, qui affectent la pertinence des réponses », déclarent les auteurs de l’étude, lesquels entreprennent maintenant de s’attaquer au théâtre et aux arts plastiques. L’Allemagne et les Etats-Unis s’adapteraient au même schéma, compte tenu des spécificités locales. Et la France ? Peut-on espérer qu’une tournée d’Olivia Ruiz soit moins dangereuse que celle de U2, et que l’Opéra Bastille pollue moins que Covent Garden ? En Angleterre, Sting et Peter Gabriel ont promis de faire attention. Mais attention à quoi ? Via Tchnernobyl, la pollution a succédé à la bombe dans la fonction de grande peur de ce début de siècle. Ne dites plus d’un artiste qu’il brûle les planches, il serait assujetti à la taxe carbone (enfin, si elle existe un jour) !
Concert de midi au Wigmore Hall de Londres, lundi 29 mars. Enregistré live par BBC 3, le Quatuor de Jérusalem (fondé en 1993) joue le Quatuor K 575 de Mozart. Dix minutes après le début, une dame se lève, et d’une voix de soprano se lance dans un air vengeur d’où émergent les mots « Jérusalem occupé », « état ségrégationniste » et « attaque de Gaza ». Dix minutes plus tard, nouvelle interruption, venue d’un autre endroit de la salle. Les musiciens arrêtent de jouer et discutent avec les trublions : « Nous ne représentons pas davantage le gouvernement israélien que le Wigmore Hall ne représente le Royaume-Uni. » Ce n’est pas la première fois que cela leur arrive. En août 2008, à Edimbourg, ils avaient déjà été chahutés par des membres du Scottish Palestine Solidarity Campaign. On leur reproche le nom qu’ils se sont choisi, comme on reproche à l’Orchestre Philharmonique d’Israël d’être le porte drapeau de l’état hébreux. Pour preuve, on peut lire sur le site du Jerusalem Music Center que « les quatre membres du Quatuor ont rejoint les forces de la défense d’Israël en mars 1997 et ont servi en tant que musiciens distingués. » Réplique des musiciens : « Tous les citoyens israéliens sont tenus de faire leur service militaire. » Et de préciser qu’un seul d’entre eux est né sur le sol israélien, et que parmi eux, il y en a un qui vit à Berlin et un autre au Portugal, avant d’asséner l’argument choc : « Deux d’entre nous sont membres réguliers du West-Eastern Divan Orchestra, dirigé par Daniel Barenboim, où l’on trouve des musiciens israéliens et palestiniens. » Moralité : si le Quatuor de Jérusalem s’appelait Sine Qua non ou Sine Nomine, ce genre de mésaventure ne lui arriverait pas. Mais les deux noms sont déjà pris.
Pour écouter le Quatuor de Jérusalem : Chostakovitch : Quatuors n° 6, 8 et 11 de Chostakovitch – Schubert : Quatuor « La Jeune fille et la Mort » (Harmonia Mundi)
Crédit photo : Marco Borggreve/Harmonia Mundi
« Vergogna ! », comme on dit là-bas. Le 28 février, le Bach Consort, un ensemble venu de Russie, joue Vivaldi en matinée dans le cadre imposant du Panthéon de Rome. Entre deux mouvements, une gardienne du monument interrompt les musiciens et annonce que celui-ci ferme le dimanche à 18 heures et il va falloir l'évacuer. Consternation, remous divers. La musique reprend. Arrive alors un collègue de la dame, qui répète l'ordre sur un ton plus ferme. Scandale, insultes : l'affaire remonte jusqu'au ministre de la Culture, Sandro Bondi, lequel se fend d'une lettre d'excuse aux musiciens. Un communiqué officiel est publié, fustigeant « un acte irresponsable, qui porte atteinte à la réputation et à l'économie de la ville ». L'histoire ne dit pas si les employés zélés ont été renvoyés. Que celui, coincé au milieu d'un rang un jour où le concert était particulièrement ennuyeux, qui n'a pas prié pour qu'un incident de ce genre arrive, leur jette la première pierre.
Une journée au Covent Garden, suivie d'un spectacle présenté par Joanna Lumley (Patsy dans Absolutely Fabulous) : c'est le cadeau de l'association Tickets for the troops (Billets pour les troupes) aux boys britanniques enrôlés pour défendre les valeurs anglo-américaines en Irak et en Afghanistan ainsi qu'à leurs familles. Au programme : des extraits de La Bohème de Puccini et un ballet inspiré par les contes pour enfants de Beatrix Potter (1866-1943). Tony Hall, le directeur du Covent Garden (et président de la section culturelle des Jeux Olympiques de Londres en 2012), se déclare très fier de voir un établissement comme le sien associé à un effort auquel participent déjà la plupart des clubs de football, de rugby et de cricket. Les photos de Mrs Lumley portant le masque de Tiggy Winkle (Madame Piquedru la blanchisseuse) ou posant devant un mur de logos de l'association en compagnie de Squirrel Nutkin (Noisette l'écureuil) nous renvoient à l'époque où les manifestations de soutien aux vaillants soldats étaient photographiées en noir et blanc. Pourquoi changer de recette quand le plat se vend toujours ? La fête a lieu le 14 février, jour de la Saint Valentin. On n'imaginerait pas l'équivalent de ce côté-ci de la Manche, avec des personnages de la comtesse de Ségur. Ils sont bien trop cyniques pour cela.
C'est à la Cité de la Musique que Nicolas Sarkozy présente ses vœux au monde de la culture. Le symbole est fort. Le symbole seulement. Passés les préliminaires – « la culture c'est des lettres plus que des chiffres, des émotions et non des statistiques » - le président passe aux choses sérieuses : les sous. La presse retient surtout les résultats des travaux de la mission confiée à Patrick Zelnik, directeur du label Naïve, éditeur de Sandrine Piau, d'Anne Gastinel et de Carla Bruni. Il s'agit de créer une carte musique jeune - 200 euros de potentiel d'achat à moitié remboursé par l'Etat -, destinée à « réhabituer les jeunes à acheter de la musique ». D'après les enquêtes officielles, les jeunes téléchargent illégalement parce que le téléchargement légal est trop cher. Alors, légalité payante ou illégalité gratuite ? Les débuts d'année sont dévolus aux vœux pieux. Le président est moins angélique à propos de Google : « Fuite de matière fiscale ». Il annonce aussi que le projet du Musée de l'histoire de France, dans les limbes depuis un an, devrait aboutir en juin. Une façon comme une autre de prolonger le débat sur l'identité nationale. Pas de commentaire particulier, en revanche, sur le chantier tout proche de la Philharmonie de Paris, que présente son architecte Jean Nouvel. Comme disait Sacha Guitry à propos de Versailles : « On nous dit que nos rois dépensaient sans compter, qu'ils prenaient notre argent sans prendre nos conseils, mais lorsqu'ils construisaient de semblables merveilles, ne mettaient-ils pas notre argent de côté ? »
Ce qu'on n'a pas encore vu - ou de manière subliminale -, ce sont les stars en résidence. Puisque un compositeur de musique contemporaine, c'est chic, mais cela ne remplit pas la salle, les orchestres américains ont pris l'habitude de lui adjoindre un interprète qui, lui, la remplit. Cela donne Sofia Gubaidulina + Lang Lang, relayés par George Benjamin + Yo Yo Ma à San Francisco, ou Magnus Lindberg + Thomas Hampson à New York. Pour les stars, les résidences sont plus concentrées - une semaine une ou deux fois dans l'année -, mais aussi plus intensives : musique de chambre, master classes, showcases hors les murs, etc. Subventionnés comme ils le sont, nos grands orchestres ont-ils besoin de ce genre de produit d'appel ? Quant aux autres, par exemple les ensembles baroques, ont-ils les moyens de s'offrir Natalie Dessay en résidence, ne serait-ce que quelques jours par an ? Ce sont peut-être les sponsors, auxquels nos institutions font de plus en plus appel pour compléter les subsides publics, qui y penseront les premiers.
Photos : Karol Beffa, Marc-André Dalbavie
Un coup de scie dans la porte coupe-feu d'un entrepôt, et voilà les décors et costumes de l'Opéra de Lyon couverts d'une fine et redoutable poussière d'amiante. Ou l'on annule une partie des spectacles, ou l'on reconfectionne le tout à l'identique. C'est la tunique de Nessus façon Greenpeace ! Selon la même logique, prend-on le soin d'analyser les toiles et tissus qui nous viennent du passé ? Peut-être que des substances redoutables se cachent dans les robes mi-peintes mi-brodées de Sarah Bernhardt, ou, plus près de nous, dans les costumes du TNP de Jean Vilar, tels qu'ils ont été exposés il y a deux ans au Palais des Papes d'Avignon. Rien de plus fascinant qu'un costume, froissé, usé, imprégné du parfum de celui ou de celle qui en a été le locataire. La robe rouge que portant Maria Callas dans Anna Bolena mis en scène par Luchino Visconti en dit bien autant que toutes les photos du spectacle. Sans revenir à la malédiction des pharaons et aux substances mortelles censées imprégner les bandelettes des momies, on peut imaginer de bien réels dangers véhiculés par les décors et costumes qui nourrissent notre imaginaire. Jadis, lorsque le rideau de l'Opéra ou de la Comédie-Française se levait, une odeur particulière - mélange de poudre de riz et de désinfectant -, se répandait dans la salle, comme si on ouvrait une vieille malle, comme si on libérait des fantômes. On ne parlait pas en ce temps-là des méfaits de l'amiante, mais après tout, de quoi nous protégeaient ces substances au parfum si prégnant ?
Qui a dit que le Président de la République ne s'intéressait pas à la culture ? Il vient en tout cas d'accéder à la demande de Frédéric Mitterrand de consacrer, dans le cadre du grand emprunt, sept cent cinquante millions d'euros à la numérisation des biens culturels. Le Centre National du Cinéma, les grands musées, la Bibliothèque Nationale de France, l'Institut National de l'Audiovisuel, l'Opéra de Paris et la Cité de la Musique sont concernés. La BNF est bien sûr en première ligne, puisque cette manne répond à la volonté de Nicolas Sarkozy de ne pas laisser, via Google, « partir notre patrimoine à l'étranger ». On saura fin janvier comment sera découpé le gâteau. Quelles miettes vont rester aux institutions musicales une fois que les mastodontes auront été servis ? Pour se consoler, on se dira que parmi les milliers d'heures de programmes de télé et de radio (600 000 sont déjà numérisées) issus du fonds de l'INA, se cachent quelques rêves de mélomanes. Quant à la BNF, elle conserve la plus grosse collection mondiale d'enregistrements de chansons françaises. Callas versus Piaf, c'est bien dans le style (musical) du ministre de la Culture.
En vrai, les choristes ne sont pas tous des blondinets de cinéma. A Nantes, le mardi dans une salle prêtée par la Mairie, ce sont des SDF qui se réunissent pour chanter. L'idée est née de la rencontre d'un ingénieur à la retraite et d'un tatoué en galère surnommé le Gaulois, rapport à ses bacchantes façon Assurancetourix. Au début, ils étaient quelques-uns qui venaient chanter la Chanson de l'Auvergnat de Brassens autour du cercueil de leurs copains morts. Et puis ils se sont pris au jeu et ont élargi leur répertoire. Tout n'est pas rose pour autant : par exemple les répétitions ont lieu avant 15 heures, parce qu'après, c'est plus difficile de rester en mesure avec un verre dans le nez. Bon, ils n'ont pas encore de contrat pour la Folle Journée, mais quand même, à la prochaine Fête de la musique, ils vont donner leur premier récital dans un village de Vendée. Comme quoi les voies de la musique sont impénétrables.