Mercredi 11 décembre 2024
Le cabinet de curiosités par François Lafon
lundi 26 avril 2021 à 11h13
Années 1990, à l’Opéra Comique, interview de Christa Ludwig pour Le Monde de la Musique. Evocation de sa maison de Saint-Nom-la-Bretèche, qu’avec son époux, le comédien Paul-Emile Deiber, elle a quittée, mais qui reste son « havre français ». Eclats de rire, état des lieux d’une lyricosphère qui « ne prend plus le temps », quelques cigarettes : « Une mezzo peut tout se permettre ». Retour au journal et là, catastrophe : le magnéto a tourné, mais rien enregistré. Poussée d’adrénaline, surchauffe de mémoire immédiate. Résultat : une quinzaine de feuillets.  Coup de fil contrit à Christa Ludwig : « Vous n’avez pas demandé à relire, mais dans ces circonstances… » Le lendemain, retour de fax avec quelques corrections et un commentaire : « Le souvenir embellit tout. Alors le vôtre plus le mien… ». Souvenir qui résume tout, alors que l’on apprend son décès près de Vienne, où elle était retournée vivre : « O Mensch ! Gib acht ! » (« O Homme, prends garde ! » - Nietzsche, Zarathoustra), 4ème mouvement de la 3ème Symphonie de Mahler, avec son cher Leonard Bernstein et le New York Philharmonic (1987, CD DG). Pour solde de tout compte d’une discographie phénoménale où (presque) rien n’est à oublier. 
François Lafon
(Photo © Warner)
Pas facile de cerner Brigitte Engerer, pianiste déroutante et tissu (apparent) de contradictions, à la fois exubérante et réservée, solitaire et altruiste, grand public et élitiste, inoubliable et déjà lointaine, dix ans à peine après sa disparition prématurée. La psychologue Nathalie Depadt-Renvoisé s’y est collée cinq ans après une unique rencontre, et ne s’en tire pas mal, se gardant bien de révéler en professionnelle les clés de cette peu commune personnalité. Elle raconte en enquêtrice scrupuleuse, ce qui suffit à tenir le lecteur en éveil, au risque d’aplanir le propos. Destin romanesque cependant que celui de la petite française de Tunis, montée à Paris étudier le piano avec la célèbre et redoutée Lucette Descaves, élève à Moscou du fascinant Stanislas Neuhaus qui mourra dans ses bras, un temps médiatisée comme épouse du romancier Yann Queffélec, remarquée pour ses tenues luxuriantes et son sens de la fête « à la russe », admirée pour sa culture (pas seulement musicale) et son humanité. En filigrane, une question sans réponse : que n’a-t-elle eu une carrière alla Martha Argerich, elle dont les dons étaient hors du commun et dont la vie a été un roman ? Eternelle limite de l’enthousiasme du biographe envers son sujet. 
François Lafon

Brigitte Engerer, La Musique creuse le ciel, par Nathalie Depadt-Renvoisé - Buchet-Chastel, 272 pages, 20€

 

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