Exposition à la Philharmonie de Paris : Ludwig Van, le mythe Beethoven. Dès le titre, allusion à Orange mécanique, à Léo Ferré (mais oui), à Mauricio Kagel, ainsi qu’aux divers produits dérivés du compositeur (involontaire) de l’Hymne européen. Mise en exergue aussi du symbole à tout faire qu’est devenu Beethoven deux siècles et demi plus tard. « Et si l’immortel Beethoven courait un danger de mort, s’il était à l’agonie à force d’être sans cesse ressuscité ? » s’inquiétait Pierre Boulez. Une idée qui sous-tend le travail titanesque de Colin Lemoine et Marie-Pauline Martin, les commissaires de l’exposition : « Dans deux siècles, Beethoven sera-t-il toujours la figure de proue de notre modernité ? » En attendant, ils épuisent – autant que faire se peut – le sujet. « Omniprésence d’une icône » (salle 1, ballet d’écrans, d’Abel Gance aux Deschiens), « Du trépas à l’immortalité » (salle 2, naissance du mythe), « Le cinéma à l’écoute » (salle 4, musique et images, biopics mis à part) installent le propos, « Têtes tragiques et mondes intérieurs » (salle 5), « Destinées politiques » (salle 6, où l’on fait le rapport entre le « V » de la victoire et les premières mesures de la 5ème Symphonie), « Monuments : Le Corps immortel de Beethoven » (salle 7, kitch et sublime réunis) le creusent : documents (lettres, masque mortuaire), reliques (le cornet acoustique), bustes (Bourdelle bien-sûr), mais aussi films, vidéos, publicités, etc. Analyse du phénomène donc, loin de l’hagiographie, plus loin encore, au-delà de l’originalité du pari et de la richesse du parcours (250 pièces visuelles et sonores exposées), du jeu de déconstruction post-moderne : « Atomisé, démembré et dépossédé du Beethoven historique, Ludwig Van n’en reste pas moins un matériau puissant » (salle 8, « Réinvestir Beethoven »). Et la musique dans tout cela ? Omniprésente bien sûr, mais elle aussi mise en perspective : expérience sensorielle avec la Symphonie « Pastorale », diffusion en fin de parcours de la 10ème Symphonie de Beethoven ... de Pierre Henry, le clou étant un dispositif d’écoute par conduction osseuse dû à Samuel Aden, permettant – oreilles bouchées – d’entendre (si l’on peut dire) ce que le compositeur entendait (idem) intérieurement. Concerts, colloques et projection accompagnent l’événement à la Philharmonie et à la Cité de la musique, et même un livret-jeu plutôt malin destiné aux beethovéniens d’après-demain.
François Lafon
Philharmonie de Paris, du 14 octobre au 29 janvier Photo © DR
Disparition, à quatre-vingt-douze ans, du chef et violoniste britannique Neville Marriner. Pour les cinéphiles, l’artisan de la bande originale du film de Milos Forman Amadeus (1984) : 6 500 000 disques vendus, un record mondial jamais battu. Mais pour ce stakhanoviste de l’enregistrement, le baobab qui cache la forêt : que reste-t-il de ses nombreux disques (Argo, L’Oiseau-Lyre, Philips, EMI) avec l’Academy of St Martin in-the-Fields, l’orchestre de chambre qu’il a créé en 1958 et qui, au temps du 33 tours triomphant et du CD naissant, rivalisait avec ceux de l’English Chamber Orchestra dans les bacs des disquaires ? Sur la déferlante baroqueuse qui a laissé sur la rive ces vénérables institutions a surnagé un temps les Quatre Saisons de Vivaldi qui l’ont rendu célèbre et que certains de ses successeurs historiquement (mieux ?) informés avouent avoir écouté et médité (Decca). Peu de traces, par ailleurs, des pourtant presque aussi nombreux témoignages de sa période symphonique (années 1980) avec le Minnesota Orchestra et l’Orchestre de la Radio de Stuttgart, comme si l’on continuait à lui reprocher dans Schumann et Bartok l’objectivité un peu guindée de ses Bach, de ses Haendel, de ses Corelli. Pas sûr pourtant que tel son maître Pierre Monteux, ce boulimique au répertoire éclectique ne réserve pas, avec le temps, quelques bonnes surprises aux collectionneurs de (déjà) vieilles cires.
François Lafon
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