Hommage unanime mais un peu contraint à l’annonce de la mort du compositeur Hans Werner Henze. Les avant-gardistes obédience dure lui reprochaient d’avoir trop vite renié la religion dodécaphoniste, les repentis des lendemains qui chantent d’être resté fidèle à Mao, Castro et Che Guevara, les veilleurs de la culpabilité allemande de s’être installé en Italie avant tout pour vivre plus librement son homosexualité. Sa prolixité d’un autre siècle était suspecte, comme sa propension à se commettre dans des genres mineurs, comme la musique de cinéma (avec Volker Schlöndorff ou Alain Resnais, quand même). Ultime provocation, il a composé des opéras à fort contenu politique, mais n’a pas versé dans la déstructuration critique du genre, collaborant entre autres avec Auden et Kallman, qui furent, ensemble ou séparément, les librettistes de Stravinsky et Benjamin Britten. « Si ses dix symphonies, dont on a pu entendre l'intégrale à Paris en 2003 dans le cadre du Festival Présences, sont touffues jusqu'à l'indigeste, ses opéras lui survivront, témoignant d'un sens du théâtre et d'une versatilité stylistique qui le prédestinaient au théâtre », prédit Christian Merlin dans Le Figaro. Un optimisme qu’on aimerait partager.
François Lafon
Plan-séquence : Théâtre des Champs-Elysées, le public attend le début d’un récital. Les lumières baissent, applaudissements, le silence se fait dans la salle, puis on entend les premières notes d’un Impromptu de Schubert. La caméra reste sur le public à l’écoute, laissant le soliste hors-champ. On verra dans le plan suivant que le pianiste est Alexandre Tharaud, qui dans sa loge reçoit la visite de son ancien professeur de piano. Dans Amour, le film de Michael Haneke, Palme d’Or au dernier Festival de Cannes, cette séquence musicale fait figure de divertissement, une escapade avant l’enfer. Le reste est un huis clos dans l’appartement de Georges et Anne, où le mari va assister au délabrement physique et moral de sa femme, victime d’une attaque cérébrale. Alexandre Tharaud, dans son propre rôle, y vient pour rende visite à son professeur et la découvre, très diminuée, sur une chaise roulante. Le pianiste devenu acteur pour un jour n’est pas ridicule face à ses partenaires (Emmanuelle Riva et Jean-Louis Trintignant), tout comme le chanteur William Shimmel qui fait aussi une très courte apparition comme le mari d’Eve (Isabelle Huppert), la fille du couple. Le talent musical de Tharaud est d’ailleurs peu sollicité. De musique, on en parle plus qu’on n’en entend dans ce film à la mise en scène tirée au cordeau où le silence prend de plus en plus de place. Haneke, qui ne rajoute pas de pathos, se refuse la facilité de souligner une scène avec un morceau de musique. Ecouter Beethoven ou Schubert semble même incongru pour ce couple d’octogénaires qui voit venir la mort. Quelle consolation peut-on trouver dans la musique quand la vie nous échappe ?
Pablo Galonce
« A la fin de Dialogues des Carmélites, toutes les Carmélites doivent mourir ». C’est le cri du cœur que poussent par voie de justice les héritiers de Georges Bernanos et Francis Poulenc à l’occasion de la reprise de l’ouvrage au Staatsoper de Munich dans la mise en scène de Dmitri Tcherniakov. Tardive réaction : le spectacle existe depuis 2010, il est même paru en DVD l’année dernière, et les représentations auront lieu, accompagnées d’une mise au point distribuée au public. Tcherniakov, connu pour ses relectures radicales mais talentueuses du répertoire (son Don Giovanni façon complot de famille a alimenté la chronique au festival d’Aix) n’y est, il est vrai, pas allé de main morte : plus de Carmélites, plus de Révolution française, mais des femmes, quelque part dans un pays totalitaire, qui finissent par faire sauter à coups de bouteilles de gaz le local vitré dans lequel elles vivaient à la fois recluses et exposées au regard des passants. Argument du metteur en scène : l’angoisse générée par une telle situation parle davantage à notre époque. Peut-être, mais ce qui a choqué les ayants-droit, c’est que ces dames (sauf une) finissent par sauver leur peau, alors que l’œuvre ne prend son sens que si elles accomplissent leur vœu de martyre. Un radicalisme, en effet, qui devrait continuer à parler à notre époque.
François Lafon
Bayerische Staatsoper, Munich, les 28 octobre, 1, 4 novembre.
Sortie en salles de Traviata et nous, un film de Philippe Béziat d’après l’opéra de Verdi, staring Natalie Dessay, Jean-François Sivadier et Louis Langrée. Il s’agit du making of du spectacle donné au festival d’Aix-en-Provence en 2011, diffusé en direct par Arte et récemment sorti en DVD chez Virgin. Un making of, en salle ? Ce n’est pas un making of comme les autres : pas d’interviews, pas de voix off, seulement (?!?) un montage de deux heures (sur quatre-vingt-dix enregistrées) relatant les répétitions de cette Traviata elle-même conçue, sur scène, comme une répétition. Une Traviata au troisième degré, donc. Au centre : Natalie Dessay - personnalité hors du comun, locomotive de l’entreprise - ou comment se fait l’alchimie entre l’actrice et la chanteuse qui coexistent en elle. La voir travailler avec Sivadier le grand monologue du 1er acte est passionnant, comme la voir à la fin chercher comment mourir, en tombant brusquement, sans que cela fasse « mort de théâtre ». Il y a des gros plans superbes, où l’on sent que le personnage prend vie, tandis que le piano qui accompagne la répétition laisse la place à l’orchestre. Mais il y a aussi des passages à vide, où le metteur en scène patauge, où les chanteurs sont fatigués, où les chœurs décrochent, qui font partie du jeu, mais plombent le film. Préalables conseillés : avoir vu le spectacle, avoir révisé sa Traviata, aimer la poussière des coulisses autant que les feux de la rampe. Ne serait-ce que pour éviter de se sentir bien seul dans la salle obscure.
François Lafon
Sortie en salles le 24 octobre Photo : Natalie Dessay et Jean-François Sivadier
Curieuse discrétion : le 9 juillet 2011 à Matamoros (Mexique), dix-huit personnes sont enlevés par un cartel de la drogue. Parmi elles, un homme de trente-cinq ans, Rodolfo Casares, et son épouse Ludivine Barbier Casares, habitant Saint-Sauveur (Isère). Le 11 juillet, les femmes et les enfants sont relâchés. Le 17, une rançon de 100 000 dollars est versée, mais aucune libération ne s’ensuit. Les raisons de l’enlèvement sont floues : Rodolfo Casares pourrait avoir un homonyme lié aux milieux de la drogue, à moins que le responsable ne soit son grand-père, dont la maîtresse aurait eu des enfants qui feraient partie d’un cartel rival (!). Ludivine Casares dépose plainte. Au Quai d’Orsay, on lui répond que l’affaire est compliquée, car son mari n’était qu’en voie de naturalisation lors de son enlèvement. La presse se mobilise partout, sauf en France, où le torchon brûle avec le Mexique, suite à l’affaire Florence Cassez. Ludivine Casares profite aujourd’hui de la réception à l’Elysée du futur président mexicain Enrique Pena Nieto pour remuer ciel et terre. « C'est l'otage oublié. Je veux que la France entière le sache » déclare-t-elle au Figaro. Précision : Rodolfo Casares n’est ni journaliste, ni humanitaire, il est chef d’orchestre, directeur musical du théâtre de Bremerhaven (land de Brême) en Allemagne. Pas assez médiatique, peut-être.
François Lafon
Photo © DR
Plan de carrière bouclé pour Stéphane Lissner, nommé à l’Opéra de Paris après avoir dirigé le Châtelet, le festival d’Aix-en-Provence et la Scala de Milan. Continuité naturelle pour l’Opéra, après les règnes antagonistes de Gerard Mortier et Nicolas Joël. Choix prévisible de la part du ministère de la Culture, assurant une programmation classieuse en dépit des économies dictées par la crise. Bonheur non dissimulé de la presse conservatrice italienne, qui espère voir « sa » Scala revenir à ses fondamentaux, après neuf années de dévoiements nordiques. Le site people dagospia.com (200 000 clics quotidiens) donne le « la » : « Milan, réjouis-toi : le surintendant Lissner s’enfuit à l’Opéra de Paris ». Et de lister les griefs, privés et publics, financiers et artistiques accumulés à l’encontre dudit surintendant, annonçant la création d’un club d’abonnés excédés, et terminant par le péché suprême : c’est avec Wagner (Lohengrin) et non avec Verdi que La Scala ouvre la saison anniversaire des deux compositeurs. Ce n’est pas à Paris que le successeur de Nicolas Joël se verra ainsi reprocher ses fastes personnels ni ses options artistiques.
François Lafon
Photo © DR
Nouveautés Peugeot du Mondial de l’automobile 2012 : le concept car Onyx et un piano demi-queue, commandé par la maison Pleyel et conçu par le Peugeot Design Lab. « Depuis deux siècles, le piano c'est cinq mètres cubes de noir, explique dans Le Figaro Arnaud Marion, directeur de la création chez Pleyel, une sorte de monolithe à l'heure où les espaces de vie sont hyperscénarisés et où l'on n'hésite plus à changer des détails aussi infimes qu'un bouton de porte. ». L’instrument, succédant dans la gamme Pleyel aux relookages signés Andrée Putman, Hilton McConnico et Michele de Lucci, est en bois et en fibre de carbone, monté sur un seul pied et paré d’un mécanisme abaissé, ce qui met le couvercle au niveau du clavier et permet ainsi à tout le public, même s’il n’est pas « côté mains », d’apprécier le jeu de l’interprète. L’objet va chercher dans les 165 000 € (avec le tabouret) et intéresse beaucoup les industriels chinois. On se demande ce qu’en ont pensé les licenciés du groupe PSA, venus manifester lors de l’inauguration du salon.
François Lafon
Mondial de l’automobile, Porte de Versailles jusqu’au 14 octobre.
« L’époque est dangereuse, mais j’ai le courage de me battre pour la culture » a déclaré Gerard Mortier, directeur du Teatro Real de Madrid. Un budget amputé de 33%, un Boris Godounov moins cher que prévu pour ouvrir la saison : comme le Liceo de Barcelone, le musée du Prado ou l’Institut de la cinématographie, le Real subit la crise, dans une Espagne où le secteur culturel, qui représente 4% du PIB et 600 000 emplois, a subi, en quatre ans, un déficit budgétaire de 70%. Interviewé par le site espagnol Lainformacion.com, Gerard Mortier explique que « la crise coïncide avec la fin de la civilisation, et que l’avenir est à la culture et non à l’économie », en donnant pour preuve que « si nous connaissons encore les civilisations grecque et romaine, c’est pour leur culture ». Un raccourci typique du brillant ex-directeur de la Monnaie de Bruxelles, du festival de Salzbourg et de l’Opéra de Paris, dont la politique de spectacles chocs et la volonté de faire participer l’opéra à une réflexion globale sur le monde dans lequel nous vivons ont fait le succès. Dans cette optique, il ajoute que « la marque Espagne ne concerne pas seulement les sports, mais aussi les institutions culturelles, les grands chanteurs de flamenco, les guitaristes et les compositeurs ». Il précise aussi que s’il parle d’une époque « dangereuse » et non « triste », c’est parce que le footballeur Ronaldo, avec ses deux millions d’euro nets par mois, est triste lui aussi. Une pierre dans le jardin de ceux qui lui reprochent sa propension à sacrifier l’équilibre des budgets à la beauté de l’art ?
François Lafon