Enième reprise de Rigoletto à l’Opéra Bastille, dans la non-mise en scène de Jérôme Savary. Point fort de la soirée : le ténor polonais Piotr Beczala, que les grandes scènes s’arrachent dans un répertoire allant de Mozart à Wagner. Un Duc de Mantoue à la Nicolaï Gedda, élégant et un peu froid, plus Don Juan que Casanova. Un chant à l’avenant, tiré au cordeau, impeccablement stylé, sans coups de glotte ni trémolos. Seul bémol : son aigu est limité, il évite les notes (bien souvent rajoutées) qui font crouler la salle. Autour de lui, le meilleur (Nino Machaidze en Gilda, Dimitry Ivaschenko en Sparafucile) et l’acceptable (Zeljko Lucic en Rigoletto), sous une baguette véloce (Daniele Callegari). Propos glanés à la sortie : « Il s’économisait, le Duc ». On ne vient pas pour le contre-ut, mais c’est lui qu’on attend.
François Lafon
Opéra National de Paris Bastille, les 1, 4, 7, 11, 14, 18, 20, 23 février Photo © Opéra de Paris
"Tableaux d’une exposition, un film d’animation sur une idée de Mikhaïl Rudy". Eternelle question : quel film se passait Moussorgski en composant sa géniale promenade pianistique au milieu des tableaux – beaucoup moins inspirés – de son ami Victor Hartmann ? En 2010, Leif Ove Andsnes a demandé au plasticien sud-africain Robin Rhode un habillage visuel. Une expérience, sans plus. Rudy, lui, part de ce que l’on sait du concert animé imaginé par Kandinsky au théâtre de Dessau en 1928 - décors impressionnants, éclairages sophistiqués, présence de mimes-danseurs – et fait avec ce qu’il a : les superbes aquarelles exposées à Beaubourg, un texte de Kandinsky lui-même décrivant assez précisément son spectacle, et une partition annotée par son assistant Felix Klee (fils de Paul) . Son film, sur la musique de Moussorgski jouée, bien-sûr, par lui-même, est une sorte de Fantasia revu par un peintre de génie et rythmé par un fin musicien. Tout un monde en une demi-heure.
François Lafon
Un DVD Centre Pompidou. www.centrepompidou.fr
« Vous pouvez répondre, je ne vous dérangerai pas » (Kiri Te Kanawa) ; « Si c’est ma mère, dites-lui que je suis en train de travailler » (Lorin Maazel) ; « Vous, oui vous : sortez ! » (William Christie). La semaine dernière à New York, un téléphone mobile sonne pendant le finale recueilli de la 9ème Symphonie de Mahler. Alan Gilbert, directeur du Philharmonique, interrompt le concert. « Avez-vous bien éteint votre portable ? », demande-t-il au fautif, qui se contente de hocher la tête. A la synagogue de Peskov en Slovaquie, le violoniste Lukas Kmit est dérangé par la petite valse Nokia. Il réagit lui aussi…
François Lafon
A l’Auditorium du Louvre, Classique en images célèbre l’opéra du XXème siècle. Vingt-cinq projections, cartes blanches à Pascal Dusapin, Peter Eötvös, Philippe Manoury, Kaija Saariaho et quelques autres, coups de projecteur sur la création américaine et sur les rapports conflictuels du genre lyrique avec la télévision. Après les grandes productions de l’Opéra de Paris (jusqu’au 22 janvier), la proposition est austère : pour beaucoup d’opératophiles, Pelléas et Mélisande représente encore le comble de la modernité. C’est justement Pelléas que Philippe Boesmans a choisi comme ouvrage de référence, alors que Dusapin a préféré Moïse et Aaron de Schoenberg, Aperghis Le Nez de Chostakovitch, et Manoury … Le Chevalier à la rose de Strauss. Il y en a d’ailleurs pour tous les goûts dans ce brain storming en images, du Medium néo-vériste de Gian Carlo Menotti au swinguant Candide de Leonard Bernstein. Les œuvres de compositeurs invités, auxquelles mènent toutes ces références, n’en sont que plus différentes et inattendues. Allez, après cela, parler au singulier de l’opéra contemporain ! Christian Labrande, animateur de Classique en images, et Pierre Flinois, conseiller musical de l’opération, sont intarissables sur les difficultés que les musiciens eux-mêmes rencontrent pour obtenir l’autorisation de diffuser les versions filmées de leurs propres œuvres. Drôle de manière de faire sortir le genre du placard.
François Lafon
Auditorium du Louvre, Paris, du 2 février au 1er avril. www.louvre.fr
Photo : Kaija Saariaho
A la fin des années 1960, le cinéma La Clef, à Paris (ne le cherchez pas, il n’existe plus), passait, à la séance de 14 h, La Chronique d’Anna-Magdalena Bach de Jean-Marie Straub et Danièle Huillet. Dans le rôle de Bach : Gustav Leonhardt. Un Bach émacié, parlant peu et ne souriant jamais, un Bach représentatif de la révolution baroque venue des Pays-Bas. Le 12 décembre dernier, aux Bouffes du Nord, le même Leonhardt donne son dernier récital. Silence religieux, larmes rentrées. Dans Le Nouvel Observateur, le critique et gardien du dogme Jacques Drillon se fait lyrique : « Il a seulement laissé sonner le dernier sol grave une fraction de seconde de plus qu’il n’aurait fait habituellement. Et puis, d’un pas incertain, il a quitté le splendide clavecin d’Antony Sidey, instrument à la fois aristocratique et fraternel, qui ne sonnerait plus jamais sous ses doigts. Pour lui laisser le temps de quitter plus rapidement le théâtre par la façade avant, et sans être importuné par le public, la direction avait condamné les portes de la salle quelques minutes. Confiné à l’intérieur, l’auditoire a envahi la scène. En l’absence d’annonce officielle, nul n’était censé savoir qu’il n’y aurait plus jamais de concert de Gustav Leonhardt, mais les commentaires allaient, comme on dit, bon train. » Gustav Leonhardt, qui vient de disparaître à quatre-vingt trois ans, a beaucoup enregistré : plus de deux cents disques (Cantates de Bach – 60 CD en collaboration avec Nikolaus Harnoncourt -, compris), chez Vanguard, Das alte Werk, Deutsche Harmonia Mundi, Seon, Philips, Alpha. Il était à la musique ce que Laurent Terzieff était au théâtre : intouchable.
François Lafon
Chronique d'Anna Magdalena Bach, de J.M. Straub et D. Huillet, 1967. 1 DVD Montparnasse (2009 - distribution Harmonia Mundi)
Simultanément dans la collection Actes Sud/Classica, biographies de Tchaïkovski et Prokofiev. Jérôme Bastianelli, en charge du premier, dramatise le propos. De quoi est mort Tchaïkovski ? Choléra (thèse officielle) ? Suicide (thèse officieuse) ? Le non dit, les femmes (et les hommes), le poids du destin structurent un récit en forme de thriller psychologique. Cela se lit en une heure et n’a jamais l’air d’un résumé de la somme définitive (pour l’instant) signée André Lischké chez Fayard. Avec Prokofiev, Laetitia Le Guay aurait pu en faire autant. Nœud du mystère : pourquoi le beau Serge est-il revenu en URSS se jeter dans les bras de Staline ? Elle adopte au contraire la forme classique : récit chronologique, refus de la dramatisation. La toile de fond, il est vrai, est suffisamment animée (exil, révolution), le personnage assez complexe et son oeuvre assez variée. Le format court (150 à 200 pages) surexpose les partis pris. A la fin de son brillant exercice, Jérôme Bastianelli se demande d’ailleurs, fort honnêtement, si la mort de Tchaikovski éclaire en quoi que ce soit sa vie et son œuvre.
François Lafon
Jérôme Bastianelli : Tchaïkovski - Laetitia Le Guay : Prokofiev. 2 volumes Actes Sud/Classica, 18 et 19 €.
« Joie ! Belle étincelle des dieux /Fille de l'Élysée,/Nous entrons l'âme enivrée/Dans ton temple glorieux. » Extrait de l’Ode à la joie de Schiller (1785), mis en musique par Beethoven (9ème Symphonie, 1824), devenu l’Hymne européen (1986). Rien à voir avec la campagne présidentielle, les paroles ayant d’ailleurs été supprimées par le Conseil européen, dans le but d’éviter les problèmes linguistiques et les récupérations nationalistes. A moins qu’on ne confie l’affaire à Rowan Atkinson, alias Mr Bean…
François Lafon
Jacques Chancel, Grand Echiquier, prime time, années 1970 : « Et nous allons écouter Alexis Weissenberg dans la (?) Sonate de Beethoven » ; « Et maintenant, Alexis Weissenberg accompagne Placido Domingo » ; « Voici Alexis Weissenberg, qui va nous interpréter Charles Trénet au piano. » Alexis Weissenberg avait un physique et un nom à faire rêver les jeunes filles devant la télévision. En contrepartie, il était détesté des « vrais » amateurs, lesquels trouvaient son toucher dur et sa virtuosité mécanique, et ne lui pardonnaient pas son intégrale, jugée superficielle, des Concertos pour piano de Beethoven sous la direction de Karajan (relégué lui aussi au rayon des stars photogéniques). Les collectionneurs, cependant, citaient avec admiration certaines de ses interprétations anciennes, parmi lesquelles un époustouflant Petrouchka de Stravinsky. Depuis longtemps retiré des scènes et des studios, le pianiste-que-connaissaient-ceux-qui-ne-connaissaient-rien-au-piano (un Hélène Grimaud de l’époque), vient de disparaître à quatre-vingt-deux ans. Un DVD « Alexis Weissenberg joue Stravinski, Prokofiev, Scriabine, Rachmaninov, Chopin, Bach et Brahms » a été édité par Medici Arts en 2008. Il y interprète (et commente) … Petrouchka, mais aussi un étonnant 2ème Concerto de Brahms sous la direction de Georges Prêtre. Pour les jeunes filles, mais pas seulement.
François Lafon
Vidéo : en 1976 avec Nana Mouskouri
Exposition Massenet au Palais Garnier. Plus précisément La Belle époque de Massenet, à l’occasion du centenaire de la mort du compositeur de Manon et Werther. De photos en affiches, de manuscrits reliés pleine peau en bijoux et costumes, on suit ce roi de la série B honoré comme un grand pro, on admire son talent à faire entrer l’antiquité (Thaïs), le Moyen-âge (Le Jongleur de Notre-Dame), le siècle des Lumières (Chérubin), la mythologie (Ariane), l’exotisme (Le Roi de Lahore), le romantisme (Werther), le wagnérisme (Esclarmonde), le vérisme (La Navarraise) dans le moule érotico-bien-pensant de son temps. Impression en sortant : une drôle de Belle époque. Ce n’est pas tant le Jules de ces dames (il détestait d’ailleurs ce prénom qui lui allait si bien), l’idole du Paris petit-bourgeois que l’on quitte, qu’un angoissé entouré de ses non moins souffrantes créatures. En cela, l’exposition prélude à la Manon torturée de Natalie Dessay, la semaine prochaine à l’Opéra Bastille.
François Lafon
Bibliothèque-Musée de l’Opéra de Paris, Palais Garnier, jusqu’au 13 mai.
Catalogue : La Belle époque de Massenet, sous la direction de Mathias Auclair et Christophe Ghristi. Editions Gourcuff- Gradenigo, 39 €
Un Gluck inconnu (L’Ivrogne corrigé ou Le Mariage du Diable), un Donizetti en français (Rita ou Le Mari battu) doublé de brèves de comptoirs en musique (Elle est pas belle la vie ?), un « opéra fumiste » autour d’Alphonse Allais (Café Allais), du baroque pimenté avec Dominique Visse et l’Ensemble Clément Janequin (A corps et à cris) : fidèle à elle-même, la Péniche Opéra fête ses trente ans. Deux embarcations (la seconde s’appelle Adélaïde) amarrées de septembre à mai au bassin de la Villette, une résidence sur la terre ferme (Fontainebleau), et Fluctuat mec mergitur, en dépit de la dureté des temps et du rétrécissement des subventions. Nombre de jeunes artistes rebutés par l’académisme y ont fait leurs classes, suivis par un public attiré par le côté café-théâtre de l’institution. Avec le temps, La Péniche a cristallisé la querelle des pro- et des anti- : du lyrique décomplexé pour les uns, de l’opéra au rabais pour les autres ; une porte ouverte sur un monde intimidant, ou un tue l’amour minant un univers voué au sublime. De là à conclure que La Péniche est aussi dangereuse (ou aussi utile) que les Guignols vis-à-vis des politiques…
François Lafon
www.penicheopera.com (Photo : Rita ou le Mari Battu © Cédric Suzanne)
Un corniste, un percussionniste nouvelle génération, un flûtiste photogénique (pour faire de la concurrence à Emmanuel Pahud, son homologue au Philharmonique de Berlin ?) : le Philharmonique de Vienne rajeunit ses cadres. « Mais où sont les femmes ? » se sont demandé, devant leur télévision, les accros du Concert du nouvel an à Vienne, cette fois dirigé par le souriant Mariss Jansons ? Question récurrente : les phalanges internationales se féminisent, mais pas celle-là. Sur les six en poste, deux étaient de service. « Cachées derrière les fleurs », remarque l’animateur du blog viennois Von Heute auf Morgen, lequel évoque un rapport accablant du compositeur William Osborne – grand défenseur de la cause des musiciennes d’orchestre –, ainsi qu’un rapport du Conseil National de la république d’Autriche consécutif à une enquête diligentée par les Verts, pointant, entre autres, les notions ambiguës d’« égalité hommes-femmes » dans les orchestres et d’« égalité des chances » en vue d’y être admis. Comme le remarquait Benoît Duteurtre, présentateur du concert sur France 2 : « Dans un monde en pleine mutation, le Concert du Nouvel an ne bouge pas d’un iota. »
François Lafon