Mardi 8 octobre 2024
Le cabinet de curiosités par François Lafon
De la zarzuela baroque, traitée par Pierre-René Serna dans son précédent ouvrage (voir ici), un exemple probant a été donné avec la récente résurrection en France du Coronis de Sebastian Duron (voir ). Restait (si l’on peut dire) à (dé)couvrir la zarzuela romantique, à la fois mieux connue et paradoxalement moins exportable, car privée des standards de l’actuelle « internationale baroqueuse ». Le mouvement s’emballe entre 1830 et 1856, lorsque Madrid se dote d’un Teatro de la zarzuela, toujours en activité (il a même remplacé le Teatro Real fermé pour restauration dans les années 1990), fleuron d’une capitale qui a compté une quarantaine de salles. Le terme « romantique » correspond à l’époque plus qu’au style des milliers d’ouvrages représentés : « zarzuela bourgeoise » ou même « populaire » serait moins… romantique mais plus juste, les livrets mettant volontiers en scène le petit peuple madrilène et son folklore. Comme pour la zarzuela baroque, Serna montre son talent à être précis et autant que possible exhaustif, sans trop noyer le lecteur dans des énumérations sitôt lues sitôt oubliées d’ouvrages et de compositeurs. De ce foisonnant univers, il extrait le dessus du panier (Tomas Breton, Federico Chueca, plus tard Amadeo Vives), marque bien le fossé qui sépare la zarzuela grande et la zazuela chica et propose en fin de volume une discographie où l’on retrouve – preuve qu’il ne s’agit pas d’un sous-genre lyrique - des stars telles Teresa Berganza, Alfredo Kraus et Placido Domingo, ainsi que des chefs de la trempe d’Ataulfo Argenta. 
François Lafon

La zarzuela romantique, de Pierre-René Serna, Bleu Nuit éditeur, 176 p., 20 euros

lundi 21 février 2022 à 10h54
Cet « Autre XXe siècle musical » signé de Karol Beffa, compositeur et improvisateur au piano du cinéma muet, se veut une réponse à un livre publié il y a presque trente ans intitulé « La Musique du XXe siècle », où l’auteur (Jean-Noël von der Weid) ignore Ravel et Prokofiev autant que Mahler, Strauss, Reger, Pfitzner et Satie au nom de préjugés esthétiques. Si cette « Musique du XXe siècle » a hélas mal vieilli malgré la densité de ses 450 pages, elle est néanmoins régulièrement rééditée avec sa documentation fournie, ses anathèmes et ses exclusions. Beffa s’inscrit dans un « Autre XXe  siècle » qui réévalue à juste titre : « Janacek, Puccini, Koechlin, Kodaly, Szymanowski, Sibelius, Prokofiev, Poulenc, Britten, Chostakovitch, Lutoslawski, Dutilleux, Gorecki, Arvo Pärt, Steve Reich et John Adams », à l’appui de cours donnés dix ans auparavant au Collège de France. On suit l’auteur dans ses pérégrinations musicales, qui vont d’un article sur « Proust et la musique » à une défense et illustration du compositeur Vladimir Cosma, qu’il découvre à l’âge de 10 ans en regardant à la télévision Le Grand blond avec une chaussure noire. Entre les deux, l’auteur dresse le portrait de Reynaldo Hahn, évoque à la fois la France musicale de l’entre-deux-guerres, Ravel, Nadia et Lilli Boulanger, Poulenc, ainsi que « l’âme magyare » de Kodaly, tout en survolant le « minimalisme américain » – Reich, essentiellement – avant d’analyser dans le détail El Dorado, page d’orchestre de John Adams de 1991. À la suite de ces réflexions dans l’air du temps, on reste sur sa faim. Cet « Autre XXe siècle » se limite-t-il à cette liste quelque peu restreinte ? Quid de Ligeti auquel l’auteur a pourtant consacré une monographie en 2016 ? Rien sur Bernstein ? Et Xenakis ? Et Boulez, ignoré sciemment parce que rattaché à l’avant garde ? Et Pierre Henry, Philippe Hersant, Édith Canat de Chizy ou Bernard Cavanna ? Et le courant spectral français qui a vu s’épanouir Grisey, Hugues Dufourt, Michael Levinas et Tristan Murail ? Et la génération suivante : Gérard Pesson, Thierry Pécou, Oscar Strasnoy, Francesco Filidei ou Aurélien Dumont ? Dissemblables, ces textes ne nous guident guère vers cet « Autre XXe siècle » annoncé (*). Dommage…                          
Franck Mallet

Karol Beffa, L’Autre XXe siècle musical, Buchet Chastel, 236 p., 22 €

* Sur le sujet, on lira entre autres avec intérêt les ouvrages d'André Schaeffner (« Essais de musicologie et autres fantaisies », Le Sycomore, 1980), de François Porcile (« Les conflits de la musique française », Fayard, 2001), de Myriam Chimères et Yannick Simon (« La musique à Paris sous l’occupation », Fayard, 2003) et de Guillaume Kosmicki (Musiques savantes, Le mot et le reste, 2012-2017).

jeudi 17 février 2022 à 23h19
Invitation au rêve dans la grande salle fonctionnelle au sous-sol du Centre Pompidou : Arca ostinata de Nino Laisné et Daniel Zapico, tous deux guitaristes de formation, le premier metteur en scène, scénographe et concepteur musical, le second théorbiste, les deux se retrouvant dans leur goût pour l’hybridation musicale et temporelle. Sur scène un castelet baroque, à la fois retable, grand oiseau, instrument de musique et écran éclaté, reliquaire animé de visions fugitives où Daniel Zapico va convoquer Etienne Moulinié et Atahualpa Yupanqui, Jean-Philippe Rameau et un chant traditionnel mexicain, Michelangolo Galilei (frère de …) et Ennemond Gaultier, culminant alors que l’instrumentiste se sera élevé sous une coupole-théorbe tel un saint dans sa châsse, avec une improvisation sur I want you de John Lennon et Paul McCartney, les discrets effets de sonorisation du début devenant symphonie pour théorbe se répondant à lui-même au-delà des petit jeu et grand jeu qui font de lui bien plus que l’habituel instrument de continuo. Voilà donc le but ultime de cet étonnant déploiement de puissance : rendre à ce grand luth la place qui lui revient. Avec cet étonnant concert pour les yeux et les oreilles, c’est chose faite. Créé à Annecy en décembre 2021, Arca ostinata va passer par Orléans le 5 mars et en mai par Metz, Quimper et Rezé (les 4, 15 et 17). Espérons que bien d’autres étapes s’ajouteront à celle-ci. 
François Lafon 
Centre Georges Pompidou, Grande Salle, Paris, les 17 et 18 février (Photo © DR)


mercredi 16 février 2022 à 21h01
Fille unique de Françoise et Iannis Xenakis, Mâkhi a plus d’une corde à son arc. Après des études d’architecture avec Paul Virilio, elle conçoit des décors pour le théâtre (Claude Regy), son premier métier, avant de rencontrer à New York Louise Bourgeois – qui la pousse à développer son talent dans les domaines du dessin, de la sculpture et de l’écriture. En parallèle à ses propres expositions, elle en consacre une, la première, à son père, au MUba de Tourcoing, en 2012. Héritière de l’œuvre architecturale de Iannis, elle prend en outre en charge la diffusion et la numérisation de son œuvre et lui consacre même une biographie, Iannis Xenakis, un père bouleversant en 2015. Réédité à l’occasion de l’exposition « Révolutions Xenakis » qui vient d’ouvrir à la Cité de la musique de Paris et dont elle est co-commissaire (voir ici), cet ouvrage passionnant, agrémenté de très nombreuses reproductions, rassemble ses souvenirs ainsi que ceux de son père : carnets intimes, réflexions, lettres et archives. « J’explore juste la genèse de son œuvre, puis différents domaines, différentes époques avec mon propre regard », précise-t-elle en exergue, sans se prétendre mathématicienne ou musicologue. Et pourtant, voici certainement l’une des meilleures approches pour qui ne connaîtrait pas encore Iannis Xenakis, maître des rythmes liés au nombre d’or que l’architecte proposa pour le couvent de la Tourette dès 1954 et que le musicien combinait à l’époque à une transcription musicale de rythmes hindous sur tabla – analysés quelques années plus tôt par Messiaen et Daniélou. Cette conjonction des deux écritures formalise déjà à l’orée des années 1950 le langage graphique personnel et novateur de Xenakis, comme elle l’explique dans la postface. De Metastasis, pour orchestre en 1953, à l’ultime Omega pour percussion solo et 13 musiciens (1997), en passant par l’extraordinaire Diatope, « architecture volumétrique en musique et en lumière » – commande du Centre Pompidou installée sur son parvis qui accueillait tous les public à partir de 1978 –, Mâkhi Xenakis revient sur ce créateur unique qui a su réconcilier le son avec l’espace.
Franck Mallet
Mâkhi Xenakis, Iannis Xenakis, un père bouleversant, Actes Sud, 248 p., 32 €

Né en 1921, 1922, 1924 ? Mâkhi, la fille de Iannis Xenakis s’amuse des divers passeports de son père. Toujours est-il que c’est son centenaire que commémore l’exposition Révolutions (au pluriel) Xenakis qui ouvre à la Cité de la Musique de la Villette, dont Mâkhi est la commissaire avec Thierry Maniguet, et l’architecte Jean-Michel Wilmotte le scénographe. « J’avais dix ans, mes parents m’avaient emmené à l’Expo Universelle de Bruxelles. Rien ne m’y fascina davantage que le pavillon Philips, œuvre commune de Le Corbusier et Iannis Xenakis », se souvient ce dernier. Dans la pénombre de la grande salle oblongue où Thierry Maniguet explique que le piège aurait été de séparer Xenakis musicien de Xenakis architecte, Xenakis mathématicien de Xenakis informaticien, c’est en effet tout un monde qui vit et revit au rythme des « court-circuits », des « espaces-temps » où le plafond devient périodiquement pluie d’étoiles et où les « masses sonores » qu’aimait l’artiste envahissent l’univers visuel dont elles sont indissociables. « Je suis né vingt-cinq siècles trop tard », plaisantait ce Grec exilé, enfant de la guerre devenu icône de son temps. Il était aussi largement prémonitoire, mais c’est aux esprits universels de la Renaissance que l’on pense en rapprochant des photos où on le retrouve travaillant avec ses deux « pères » (explique Mâkhi), Le Corbusier et Olivier Messiaen. Dans ce déluge de sons et d’images, on se raccroche, tel Jean-Michel Wilmotte, à ces souvenirs collectifs dont l’exposition ne peut qu’évoquer les effets émotionnels et qui ont fondé la légende : Paolo Bortoluzzi dansant Nomos Alpha sur une chorégraphie de Maurice Béjart (1969), les foules du samedi envahissant les ruines des Thermes de Cluny (Paris 5ème) pour s’immerger dans le Polytope (« Pluralité d’un lieu » - 1972), les mêmes, en plus  vieux (1979), au Diatope de Beaubourg… Et ne pas oublier, une fois passée cette galerie des tempêtes mémorielles, d’aller repérer dans les salles du Musée de la Musique les « Echos » disséminés - souvenirs pérennes des expositions temporaires -, où les œuvres de Vasarely ou Carlos Cruz-Diez  (Physichromie -2013) évoquent un monde où Xenakis personnifiait la devise « rien n’est impossible ». 
François Lafon 
Exposition Révolutions Xenakis. Cité de la Musique, Paris, jusqu'au 26 juin (Photo : Lithographie de Iannis Xenakis d'après le Diatope de Beaubourg © Collection Famille Iannis Xenakis)

mercredi 9 février 2022 à 00h18
Séismes répétés au Studio 104 de la Maison de la Radio, pour l’ouverture du festival Présences 2022 dédié à Tristan Murail, après une édition Pascal Dusapin - 2021 donnée à huis-clos. Quatre pièces au programme, avec des œuvres de Hugues Dufourt et Liza Lim entre deux Murail. Aucun jeu de mots lacanien ici, si ce n’est que la compagnie des deux grands manitous de la musique dite spectrale (transformation du matériau sonore dans le temps) n’a pas servi la compositrice Liza Lim, dont le Speak, be silent pour violon et orchestre est sans cesse intriguant à défaut de prêter au rêve, en dépit de la performance de la soliste Diana Tishchenko remplaçant brillamment au pied levé Patricia Kopatchinskaja. La Horde de Dufourt d’après une série de compositions picturales de Max Ernst vient après cela réveiller les sens : spectrale certes (Dufourt est l’inventeur du terme) mais tellurique et rugueuse, avec ses instruments frottés, frappés, détournés, donnant à sentir les textures d’une musique d’autant plus libre qu’elle est supérieurement structurée. Un apparent paradoxe qui frappe d’autant plus à l’écoute de Near Death Experience de Murail qui ouvre le concert, vaste poème méditatif accompagné de très adéquates variations en vidéo signées Hervé Bailly-Basin sur L’Ile des morts d’Arnold Böcklin. On retrouve le compositeur et son vidéaste en fin de soirée pour Liber Fulguralis, foudroyante (c’est le cas de le dire) décharge d’adrénaline avec tonnerre et éclairs complétant une trilogie commencée avec Le Partage des eaux (la mer) et Le Lac (la pluie). Excellent Lemanic Modern Ensemble dirigé par Pierre Bleuse, l’année prochaine directeur de l’Ensemble Intercontemporain. 
A ne pas manquer à l’Agora, grande veine menant au cœur de la Maison de la Radio, l’exposition par Arnaud Merlin Les sept Vies de Claude Samuel, bel hommage au créateur de Présences, homme de plume, de studio et de radio disparu en 2020 (voir ici), esprit encyclopédique qui ne se sera pas beaucoup trompé dans ses choix, accompagnant activement les grandes batailles de la musique de l’après-guerre à nos jours. 
François Lafon 
32ème Festival Présences 2022, du 5 au 13 février : Tristan Murail, un portrait - Exposition Les sept Vies de Claude Samuel, jusqu’au 13 mars - Maison de la Radio (Photo © DR)

 

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