Mardi 19 mars 2024
Le cabinet de curiosités par François Lafon
lundi 28 octobre 2013 à 17h41

Aux Editions Philippe Rey, Piano intime, conversations d’Alexandre Tharaud avec Nicolas Southon. Pas encore des mémoires (Tharaud va avoir quarante-cinq ans), mais l’évocation d’une carrière fondée sur le disque. « Chaque disque est un journal intime », affirme l’artiste. Découverte de Chopin, Beethoven et Vivaldi dans la collection Le Petit Ménestrel sur le tourne-disque familial, passion pour Brel, Brassens, Cora Vaucaire mais aussi et surtout Barbara. Nouvelle vie avec le récital Rameau, précédé, comme un adieu aux années de formation, d’un disque Schubert bien-aimé (« Qui l’a écouté ? Personne, je crois »), liberté et pression du succès avec Ravel et Satie, Couperin et Scarlatti, jusqu’au Bœuf sur le toit et à la bande originale du film de Michael Haneke Amour. Cela pourrait être un livre pour les fans, ce public que l’on voit aux concerts de Tharaud, qui contribue à l’atmosphère très particulière qui y règne, entre cénacle élargi et affirmation d’une façon nostalgique et postmoderne à la fois de concevoir la musique. C’est plus et mieux : une réflexion très fine sur l’art et l’artiste, sur les limites que l’on transcende et le rapport aux autres, avec l’évidence souriante contrebalançant une angoisse insondable qui est la marque du personnage. On oublie presque que le disque est un support en sursis, et que de ce point de vue, une telle carrière appartient déjà à l’histoire. C’est peut-être, d’ailleurs, la vraie raison d’être de ce livre.

François Lafon

Alexandre Tharaud : Piano intime, conversations avec Nicolas Southon. Editions Philippe Rey, 192 p., 17€. Autograph, nouveau CD chez Erato/Warner - Alexandre Tharaud, le temps dérobé, documentaire de R. Aellig Régnier, en salles le 30 octobre. Alexandre Tharaud, domaine privé, Cité dela Musique (Paris), du 15 au 22 novembre

En même temps que "Natalie Dessay/Michel Legrand - entre elle et lui" (Erato), parution d’"Anne-Sofie von Otter : Douce France" (Naïve). Deux façons d’échapper au chant classique sans renier ses origines. Pour chanter variétés, supprimez le vibrato, explique Dessay (voir ici). Difficile en effet de d’imaginer le contre fa de la colorature dans la voix parlée-chantée qui détaille la Recette pour un cake d’amour (Peau d’Ane) et la Chanson de Delphine à Lancien (Les Demoiselles de Rochefort). Von Otter, mezzo suédoise à l’aise dans la langue de Verlaine et Ferré, descend de moins haut, et enchaîne mélodies (de Reynaldo Hahn à Ravel) et chansons (Lemarque, Kosma, Trénet, Moustaki) sans solution de continuité : tout juste remet-elle le vibrato dans Parlez-moi d’amour. Un cross over plus difficile à manier en français qu’en anglais, où Eileen Farrell jadis, Kiri Te Kanawa naguère et Renée Fleming récemment ont donné l’exemple : Dessay a curieusement l’air d’une débutante en duo avec Legrand (Les Moulins de mon cœur) et Von Otter vit une timide Vie en rose en regard de Piaf et Marlène. On rêve au contraire d’entendre chanter Fauré comme l’ont fait Barbara (Au Cimetière) ou Montand (Les Berceaux), ne serait-ce que pour débarrasser la mélodie française de son tenace parfum de vieux rideaux. Mais ce n’est probablement pas à des cantatrices qu’il faut demander cela.

François Lafon

Natalie Dessay/Michel Legrand - entre elle et lui : 1 CD Erato/Warner – Anne-Sophie von Otter : Douce France, 2 CD Naïve.

Chez Erato/Warner (ex-EMI/Virgin) : Entre elle et lui, Natalie Dessay sings Michel Legrand. Rencontre avec le duo, avant les concerts à l’Olympia les 27 et 28 octobre. Legrand : « Ma première diva : Kiri Te Kanawa, trop paresseuse ; ma deuxième : Jessye Norman, trop classique. Dessay : une voix très étendue, comme la mienne, mais ça ne fait pas le même effet. Parfois, en concert, je change de tonalité : elle suit ». Dessay : « Différence avec l’opéra : l’intimité et le vibrato. Donner leur place aux mots et chanter comme on parle. Plaisir, en scène, d’avoir le micro pour partenaire. Là aussi, l’antithèse de l’opéra ». Legrand : « Réunion de mes quatre (enfin, cinq) paroliers : Jacques Demy, Eddy Marnay, Claude Nougaro, Alan et Marilyn Bergman. Un de mes plaisirs : écrire la plus jolie mélodie possible pour dire « Passe-moi le sel » ou « Rendez-vous ce soir à 20h », faire de la musique un personnage. Plus drôle que de mettre des percussions sur une course-poursuite ». Dessay : « En 2014 au Châtelet, Les Parapluies de Cherbourg mis en espace : cela évite de faire du sous-Demy. Mais aussi, en projet, La Vie et la mort d’une femme, une grande pièce émaillée de treize chansons que Barbara Streisand, par superstition, n’a pas chantée ». Legrand : « Natalie dit que je suis l’homme sans rêves, car je fais en sorte que mes rêves se réalisent, aujourd’hui ou demain, ainsi ou autrement : puisque pas Streisand, Dessay, par exemple ». Dessay : « On dit et lit que Manon à Toulouse a été mon dernier opéra. C’est probablement faux. Chanter Michel Legrand n’est pas une transition, même si, à terme, c’est le théâtre parlé qui m’intéresse : aller vers le moins, et trouver un plus". En attendant, elle termine le disque avec Mon dernier concert, paroles de Nougaro.

François Lafon

1 CD Erato Warner. Du 27 octobre au 6 décembre : tournée en France, 11 villes Photo © DR

mercredi 16 octobre 2013 à 10h23

Enfin ! Il y a deux ans encore, Universal et Deezer, le site légal d’écoute à la demande, se livraient une bataille sans merci. Aujourd’hui, les voici associés : au lieu de se contenter de maudire Internet, comme nombre d’éditeurs de musique, Deutsche Grammophon propose sur Deezer une application des plus réjouissantes. L’astuce, c’est d’inviter à la découverte avant même de chercher à vendre.

Vous aimez la clarinette ? Allez donc cliquer de ce côté-là, vous apprendrez peut-être deux ou trois choses que vous ne savez pas d’elle, et vous pourrez écouter. Vous préférez l’accordéon ? Bach, sur le « piano du pauvre », possède un charme indéniable, faites-vous une idée. Vous êtes d’humeur chagrine, entrez dans Mood pour vous revigorer avec une Danse hongroise de Brahms ou l’ouverture des Noces, à la rubrique Joyeux. Et si vous cherchez à comprendre ce qu’est la musique de chambre, l’entrée par genre est là pour ça, avec un petit texte de présentation, des exemples à écouter et une sélection pour aller plus loin.

Avantage : tout un monde dans votre poche car Deutsche Grammophon met à portée de clic son catalogue centenaire ; inconvénient : plus d’internet, plus de discothèque. Pas encore l’intégralité des archives en ligne, mais déjà un bon choix : tapez Rafael Kubelik, vous trouverez ses grands enregistrements, Rigoletto compris.

Le prix ? Du gratuit pour commencer, puis, au plus, 9,99€ par mois pour écoute illimitée en streaming sur le web et sur mobile. Faire sa propre éducation musicale au gré de ses envies, voilà qui est caractéristique de ce « média individuel de masse » qu’est Internet, avec une autre façon d’écouter de la musique, sans livret, sans idées préconçues, juste au feeling pour commencer. La musique dite savante passera-t-elle ainsi au statut de musique populaire ? Est-ce le coup de grâce tant annoncé au support physique ? Un modèle économique viable en tout cas : logistique réduite, revenu publicitaire accru. Pour le mélomane : toute une discothèque pour le prix d’un CD éco. A quand l’étape ultime : un unique abonnement donnant accès à tous les labels ?

OD – FL – GP

http://www.deezer.com/fr/app/deutschegrammophon/home

mardi 15 octobre 2013 à 08h49

Au Musée d’Orsay, Allegro barbaro : Béla Bartok et la modernité hongroise – 1905 - 1920. Une exposition transdisciplinaire, agrémentée de conférences, ateliers, séminaires et bien sûr concerts. Le titre - celui d’une pièce de piano composée en 1911, archétype du style percussif cher à Bartok - va bien aux toiles exposées (une centaine venue de musées et collections du monde entier), colorées, violentes, lyriques, radicales - bartokiennes pourrait-on dire. On découvre, ainsi que l’appelait le peintre Odön Marffy, « L’âge des révolutionnaires de l’art hongrois » : le Groupe des huit (lesquels portraiturent écrivains, poètes et musiciens), les activistes de la revue Ma (Aujourd’hui), qui consacre en 1918 un numéro spécial à Bartok, nombre d’artistes trop peu connus bien que presque tous passés par Paris. Une fête pour les yeux, où documents et partitions (dont le manuscrit de l’Allegro barbaro), cabinets d’écoute et projections feraient presque figure de parents pauvres, eux qui pourtant sont là pour structurer l’ensemble. La musique prendra sa revanche de novembre à janvier avec la programmation de concerts, où se succéderont, entre autres, quelques quatuors de choix (les Takacs, Prazak, Keller, Voce, Heath, Psophos) pour culminer, le 17 décembre, avec l'intégrale du ballet Le Prince de bois dans la nef du musée.

François Lafon

Musée d’Orsay, Paris, du 15 octobre au 5 janvier. 13 concerts du 12 novembre au 21 janvier, dans le cadre de la saison musicale de l’Auditorium. www.musee-orsay.fr

mardi 8 octobre 2013 à 00h02

En 1980 au Châtelet, Pierre Boulez dirige L’Histoire du soldat de Stravinsky/Ramuz. Antoine Vitez est le Diable, Roger Planchon le Récitant, Patrice Chéreau le Soldat. Quand Vitez meurt en avril 1990, il fait répéter La Vie de Galilée de Brecht à la Comédie Française. Un spectacle classique, loin de tout expressionnisme vitézien. Quand Roger Planchon meurt, en mai 2009, il joue Amédée ou comment s’en débarrasser de Ionesco. Un spectacle tout simple, à mille lieux des grandes machines théâtrales qui ont fait son succès public. Le dernier spectacle de Chéreau, dont on vient d'apprendre la mort, aura été Elektra de Strauss au festival d’Aix-en-Provence (voir ici). Une plongée au cœur de l’œuvre, sans effets, entre des murs gris. Point commun du trio : s’être dépassé soi-même, avoir laissé aux suiveurs le soin de faire du Vitez, ou du Planchon, ou du Chéreau, avoir atteint le stade où un trait sur la toile en dit plus que toute une fresque. A l’opéra, Chéreau aura ré-hoffmannisé Les Contes d’Hoffmann d’Offenbach, ré-humanisé La Tétralogie de Wagner, révélé la version intégrale de Lulu de Berg, réévalué De la Maison des morts de Janacek. A propos de Lulu, il a écrit un petit livre intitulé « Si tant est que l’opéra soit du théâtre » (Petite Bibliothèque Ombres). Il a, entre autres, prouvé cela pouvait en être, et du plus grand.

François Lafon

lundi 7 octobre 2013 à 09h25

Chez Actes Sud, un classique attendu en français depuis vingt-cinq ans : Les Voix d’un renouveau (The early music revival : a history - 1988) de Harry Haskel. Prenant comme acte fondateur la recréation de La Passion selon Saint Matthieu de Bach par Mendelssohn en 1829, Haskell (lui-même violoncelliste et chanteur) raconte la longue histoire qui conduira à la vague baroqueuse des années 1970, et à la transformation du paysage musical qui s’ensuivra. Avec son traducteur et – pourrait-on dire – co-rewriter Laurent Slaars (lui-même baryton), il a mis son étude à jour, élargissant en particulier son propos au phénomène vu de chez nous. Un essai on ne peut plus sérieux mais qui se lit comme un roman d’initiation et d’apprentissage, dont la grande force est d’exposer tous les points de vue sans prendre parti pour aucune chapelle, que l’on sait pourtant nombreuses et souvent sectaires. Grande question : qu’est-ce que l’authenticité en matière d’interprétation ? Eternel débat : en quoi un hypothétique (fantasmatique ?) retour à l’original peut-il éclairer l’auditeur moderne ? Leçon à méditer : il ne suffit pas de jouer sur instruments anciens, de chanter comme indiqué dans les traités ni de tout savoir sur le compositeur et son monde pour redonner leurs chances aux chefs-d’œuvre d’un autre temps : " Avant le concert, 95% de recherche et de technique ; pendant le concert, 95% de musique ", préconise William Christie. Maintenant que le mouvement (dit) baroque est entré dans sa période postmoderne, que les orchestres symphoniques ont revu leur Mozart à l’aune des récentes recherches et que l’on applique à Brahms et Debussy les principes archéologiques jusqu’ici réservés à Bach et Vivaldi, le Haskell (comme on dit la Bible) fait figure de chronique définitive de la dernière grande bataille musicale de notre temps. Encore que, comme le rappelle Gilles Cantagrel dans sa préface : « Le doute et l’esprit critique doivent en fin de compte nous exhorter à poursuivre la tâche ».

François Lafon

Les Voix d’un renouveau, la musique ancienne et son interprétation de Mendelssohn à nos jours, de Harry Haskell, traduit de l’américain par Laurent Slaars. Préface de Gilles Cantagrel. Actes Sud, 384 p., 30 €

jeudi 3 octobre 2013 à 11h20

Robert Ashley (compositeur), Gregory Markopoulos (cinéaste) et Terre Thaemlitz (créatrice multitâches) se penchant sur l’Oeuvre d’art de l’avenir, Loïe Fuller dansant sur la "Chevauchée des Walkyries" et Wagner muet dans le film non-autorisé de Carl Froelich et William Wauer (1913), Olivier Py imaginant Siegfried dans l’Allemagne dévastée de 1945, Jan Fabre confrontant Wagner l’artiste et Nietzsche le penseur, Jacques Lenot confronté au grand orchestre wagnérien : un aperçu du Wagner Geneva Festival, initié par le Cercle Romand Richard Wagner et piloté par Jean-Marie Blanchard, ex-directeur du Grand Théâtre de Genève. Clou de ce grand mois de festivités pluridisciplinaires : la recréation du Vaisseau fantôme première version (1841), en écho à la pièce d’Ibsen La Dame de la mer (un marin damné lié à une femme par un serment de fidélité). Probablement l’initiative la plus originale de cette année de bicentenaire, la plus à même d’évoquer le rêve wagnérien de changer le monde par la force de l’art. Une manière aussi - peut-être - de dépasser l’habituel phénomène d’attraction-répulsion suscité par le sorcier de Bayreuth. « Notre vie ne nous est pas donnée comme un opéra, dans lequel tout est écrit », a récemment rappelé le pape François, fan de Wagner, surtout dirigé par Furtwängler.

François Lafon

Wagner Geneva Festival, 26 septembre – 3 novembre. www.wagner-geneva-festival.ch

 

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