Mardi 8 octobre 2024
Concerts & dépendances
mardi 16 avril 2024 à 12h25
La création française du Lac d’argent avait été assurée par Opéra Éclaté (Olivier Desbordes/Joël Suhubiette) en décembre 1999. Vingt ans plus tard, le Berlinois Ersan Mondtag signe un nouveau spectacle pour les Opéras de Gand et d’Anvers (où, un an plus tôt, il s’était fait remarquer avec Le Forgeron de Gand de Schreker) coproduit avec Nancy… qui a eu du flair ! On ne sait que louer dans ce spectacle – d’abord la partition, bien sûr, dopée aux mélodies entraînantes et capiteuses, entre veine populaire, ballade et oratorio, dévolues aussi bien à l’orchestre seul qu’à une série de chansons magnifiquement ciselées. Le texte de Georg Kaiser, ensuite, issu de l’expressionnisme certes, mais tourné vers un théâtre épique, à la fois satirique et féerique. Une ambiguïté et une drôlerie d’esprit surréaliste – l’ouvrage fut chahuté puis interrompu à sa création en 1933, l’année de l’accession de Hitler au pouvoir –, que le metteur en scène magnifie avec un spectacle plein d’imagination… quitte à en augmenter la durée de près d’une heure (!) en raison de séquences insérées en français, jamais redondantes ou déplacées, qui se marient judicieusement avec le propos de la pièce. Olim, officier prussien, tire sur Severin, qui a volé un ananas. Grâce à une grosse somme gagnée à la loterie, Olim rachète le château de Silbersee à un noble de Weimar. Bourrelé de remords, il y accueille Severin et prend soin de lui jusqu’à vouloir devenir son ami. Severin déprime et n’a qu’un but : se venger du policier… La gouvernante, Madame von Luber, qui appartient à la noblesse locale, exploite leur naïveté et réussit à les chasser du château : ils s’en échappent avec la volonté de se noyer dans le lac d’argent, sans y parvenir, car il est gelé. Le couple disparaît dans une lumière aveuglante sur cette ultime parole du chœur : « Tout n’est que commencement qui  se perd à l’orée du temps, comme finit la nuit en clarté dans une aube d’éternité ». Prenant à partie le public, celui de la salle et même celui de la célèbre place Stanislas où se situe l’Opéra, plusieurs séquences opèrent une distanciation brechtienne du meilleur effet, d’autant que le rôle d’Olim – formidable comédien Benny Claessens ! – se dédouble avec celui d’un metteur en scène qui hésite sur le bien-fondé de son spectacle…  Son « acolyte » Séverin, le jeune baryton Joël Terrin – grand dégingandé de deux mètres de haut, au moins ! – lui offre la réplique idéale, délirant et touchant comme le couple de la série Little Britain – Olim pourrait revendiquer la formule : « I’m the only gay in the village ». De la première scène avec ces êtres fantastiques et mutants à la Max Ernst – bras, jambes et yeux par trois – qui organisent « les funérailles de la faim », à ces pitoyables manifestants cagoulés et robots-médecins, en passant par le décor néo-égyptien futuriste où officie une Cléopatre / Madame von Luber dominatrice (Nicola Belier Carbone) ; des costumes toujours plus somptueux – hauts dignitaires chinois, pharaons, saints martyrs, cabaret (latex noir pour Olim, rose fuschia pour Séverin –, au plateau tournant final avec ses trois décors, ce Lac d’argent impressionne et tourbillonne, mené avec fougue par le chef d’orchestre Gaetano Lo Coco. Applaudissements à tout rompre… Sans hésiter l’Ananas d’argent du meilleur spectacle !                            
 Franck Mallet

• Der Silbersee (Le Lac d’argent) de Weill sur un livret de Georg Kaiser 
• Nouvelles représentations les mardi 16/04, jeudi 18/04 et samedi 20 à 20h.  

Photo : Le Lac d'argent © Jean-Louis Fernandez
vendredi 9 février 2024 à 14h39
Avec son spectacle « Birds », en un peu plus d’une heure, le jeune ensemble Maja (lauréat 2023 du tremplin Jean Claude Malgloire de l’Atelier lyrique de Tourcoing) revigore l’esprit du théâtre musical, genre célébré à l’orée des années 1960 où s’engouffrèrent nombre de musiciens, en particulier le Français Georges Aperghis – qui lui donna ses lettres de noblesse. Presque vingt ans avant son opéra Le Grand Macabre, Ligeti tournait en dérision la comédie humaine dans l’« action scénique » Aventures et Nouvelles aventures (1962/65) dévolue à trois chanteurs et sept instrumentistes. À partir d’une langue artificielle en écriture phonétique, les protagonistes s’affrontent joyeusement dans une gestique entremêlant parties vocales et instrumentales. Coiffés de plumes,  gesticulant, Anne-Laure Hulin, Romie Estèves et Pierre Barret-Mémy (soprano, mezzo et baryton)  sont les héros volubiles de cette pièce sans queue ni tête dont on saisit pourtant la moindre expression et le sens le plus intime grâce à la direction idoine de Bianca Chillemi – qui fait son miel de cette fantaisie langagière.
D’une folie à l’autre, « Birds » enchaîne ensuite sans entracte les Eight Songs for a Mad King composées en 1969 par le Britannique Peter Maxwell Davies : un soliloque pour baryton et six musiciens, dont le livret s’inspire des paroles de George III, roi dépressif puis reconnu dément à la fin de sa vie (il meurt en 1820) … et qui fut grand amateur d’oiseaux. Dans un style plus traditionnel que Ligeti, la partition bénéficie néanmoins des sonorités inusitées de percussions légères et d’appeaux. Le baryton Vincent Bouchot, à qui échoit le redoutable rôle du roi fou – la technique vocale requise s’étend sur plus de cinq octaves ! –, nous tient en haleine : un « one man show » sensible et grandiose, mis en scène par Cécila Galli, et que symbolisent les bras tentaculaires d’une couronne cage… Un spectacle haut en couleur.           
Franck Mallet

• « Birds »  d’après Aventures et Nouvelles aventures de Ligeti et Eight songs for a Mad King de Peter Maxwell Davies par l’Ensemble Maja, dir., conception et piano Bianca Chillemi les 9 et 10 février (20 h)  à l’Athénée Théâtre Louis Jouvet (Paris)

Photo : Crédit @Animata Beye
dimanche 24 septembre 2023 à 09h35
Nouveau Lohengrin à l’Opéra de Paris-Bastille, cinq ans après la sombre relecture du metteur en scène Claus Guth avec Jonas Kaufmann dans le rôle-titre (voir ici). Cette fois c’est le polyvalent et dissident russe Kirill Serebrennikov qui s’y colle, parant de tonalités non moins menaçantes l’ouvrage dans lequel l’austère Wieland Wagner lui-même avait vu un « conte en bleu ». La légende du Chevalier au cygne s’y prête il est vrai, métaphore de l’Artiste descendant parmi les humains imparfaits pour rétablir une impossible justice. C’est à une réflexion sur la guerre, le mensonge, la manipulation des esprits, la peur de l’inconnu véhiculée par ce sauveur qui ne peut révéler son nom que nous convie Serebrennikov. Sans renier les us et techniques du regietheater dont il est l’héritier (scènes et écrans multiples, filmage en temps réel), il parvient à en contourner les tics et conventions pour imposer une esthétique personnelle, sans toujours échapper à la surcharge visuelle et sémantique à laquelle se prête l’exercice. Quatre étapes : le délire (le monde de l’héroïne Elsa), la clinique psychiatrique et l’hôpital (incontournables du genre), la guerre.  Des images s’imposent (les hommes cygnes, les doubles d’Elsa), et l’on voudrait que le spectacle entier ait la force du film intriguant projeté pendant le prélude du premier acte (le prince héritier poussé à la noyade par un bras anonyme). Beau plateau, dirigé par le chef Alexander Soddy, remplaçant Gustavo Dudamel démissionnaire de son poste à l’Opéra avec beaucoup d’enthousiasme mais un résultat aléatoire. Face à l’émouvante Johanni van Oostrum (Elsa), Piotr Beczala (Lohengrin) prolonge avantageusement la tradition des habitués du répertoire latin s’essayant à Wagner via le plus « belcantiste » de ses héros, tandis que  Wolfgang Koch (Telramund) et Nina Stemme (Ortrud) interviennent en spécialistes, cette dernière s’appuyant sur sa voix toujours phénoménale pour camper la méchante sorcière devenue ici infirmière prête à tout. Solidement préparé, le chœur vient vaillamment à bout d’une tâche encore alourdie par les mouvements compliqués imposés par la mise en scène.
François Lafon
Opéra de Paris – Bastille, jusqu’au 27 octobre - En direct le 24 octobre sur la plateforme de l’Opéra et en différé sur Medici TV à partir u 1er novembre - En différé sur France Musique le 11 novembre

Photo : Lohengrin 23-24 © Charles Duprat - OnP
 
dimanche 17 septembre 2023 à 00h07
Ouverture de la saison à l’Opéra de Paris – Bastille avec Don Giovanni de Mozart. Reléguées les relectures iconoclastes signées Dominique Pitoiset (schématique), Michael Haneke (brillant) et Ivo Van Hove (plus terne) : c’est la « production devenue un classique » (explique le programme) de Claus Guth (Salzbourg 2008) qui est cette fois convoquée au chevet de l’« opéra des opéras » (selon Hoffmann). Soit deux junkies dont l’un semble au service de l’autre. Altercation dans un sous-bois avec un homme qui blesse mortellement le maître. C’est à cette agonie que nous assistons, croisant des fragments de vie du mourant (dont une noce, une maîtresse, une épouse, des fêtards chics). Véritable vedette du spectacle : la forêt elle-même (signée Christian Schmitt), subtilement éclairée, se déplaçant sur une tournette. En 2008, cet ingénieux palimpseste relevait de façon originale le défi à la fois essentiel et pratique de l’ouvrage, à savoir donner une logique à cette fuite immobile d’un homme poursuivi. Quinze ans de regietheater et d’électrochocs warlikowskiens plus tard, l’effet s’est un peu émoussé, surexposant l’arbitraire de la proposition. C’est peut-être aussi que dans la fosse, le chef Giancarlo Rizzi se dépense sans compter mais peine à organiser cette course à l’abîme. Dominée par le baryton-basse américain Kyle Ketelsen - œil de loup et voix mordante -, la distribution à la manœuvre ce soir (deux casts, chefs compris, se mélangent au gré des représentations) est inégale, faisant la part belle aux messieurs : ovation pour Cyrille Dubois (Ottavio) dans un « Dalla sua pace » d’anthologie, beau succès pour la basse roumaine Bogdan Talos (Leporello) et le jeune baryton français Guilhem Worms (Masetto). 
François Lafon
Opéra National de Paris – Bastille, jusqu’au 12 octobre 
Photo : Don Giovanni 23-24 Cast © Bernd Uhlig - OnP
mercredi 28 juin 2023 à 23h47
Workshop de l’Académie de l’Opéra de Paris à l’Amphithéâtre – Bastille : Looking for Bernstein. Deux années durant, Victoria Sitjà (photo), metteure en scène, a observé ses camarades chanteurs et instrumentistes. En juin 2022, elle a imaginé avec eux un spectacle très réussi sur le lied « revu par les yeux » de Pina Bausch (voir ici). Cette fois, elle les engage dans une réflexion sur la transition en art à travers un groupe qui attend  Leonard Bernstein et ne le verra pas, mais aura été marqué par cette recherche. Comment entrer en communion avec le maestro ? En ralentissant certains tempos ?  Oui mais pas seulement. En chantant Bach en anglais ? Pas vraiment. En se révoltant ( « Je déteste Bernstein », affirme l’impressionnante  basse Adrien Mathonat) ? Peut-être aussi. Bien abstrait tout cela ? Rien de démonstratif pourtant, ni d’explicatif, et c’est à travers us et coutumes, sympathies et déceptions de cette troupe de jeunes très doués qu’on peut, si on le veut, lire l’indicible.
On peut aussi prendre un plaisir plus simple à entendre les grands tubes bernsteiniens, de West Side Story à Mahler, en passant par les opéras célèbres revisités par le maestro, de Carmen grisée par les volutes de fumée au Chevalier à la rose comme une grande déclaration d’amour à Vienne, le tout ponctué d’extraits de répétitions filmées, où Lenny himself révèle son art bien connu de « passeur de musique ».
Salle pleine (entrée gratuite sur réservation) réservant un triomphe au chef Ramon Theobald et à l’arrangeur Benjamin Laurent, aux huit chanteurs et aux huit instrumentistes et pianistes. Citation, dans le programme, de Samuel Beckett : « Enlacés, la tête dans les épaules, se détournant de la menace, ils attendent ». Godot/Bernstein ne viendra pas, mais l’attente aura été active, et fructueuse. Le spectacle se donne encore vendredi 30. Ne le manquez pas.  
François Lafon 
Opéra National de Paris – Bastille, Amphithéâtre Olivier Messiaen, 28 et 30 juin

Crédit photo : (c) Studio J'adore ce que vous faites / OnP
Fin de saison et retour aux sources à l’Opéra-Comique : Zémire et Azor d’André-Ernest-Modeste Grétry sur un livret de Jean-François Marmontel (1771). Non pas La Belle et le Clochard, mais La Belle et la Bête, thème éternel de l’amour au-delà des apparences. Pour mettre en scène cet archétype du genre, triomphe en son temps, Michel Fau n’a pas convoqué les mânes de Jean Cocteau, et sa Bête n’a pas les traits artistement velus de Jean Marais. Il n’a pas non plus convoqué Freud, qui aurait pourtant bien des choses à dire sur les troubles désirs de la Belle : la musique de Grétry, si simple en apparence mais admirée de ses grands contemporains, et le livret de Marmontel, élégamment versifié, laissent ouvertes bien des portes en prenant garde qu’elles le restent. Dans un décor-boîte surmonté d’un ciel nuageux, sur lequel règne une Bête évoquant l’insecte humain de Kafka (La Métamorphose) et dont les ongles immenses font penser à l’Edward aux mains d’argent de Tim Burton, on est au pays des contes - puisque l’histoire est transposée dans l’orient des Mille et une nuits, où une Fée perverse personnifiée par Michel Fau lui-même finit par rendre son apparence flatteuse au jeune prince qui, même laid, aura su se faire aimer. Trop de classicisme peut-être, là où l’on attendait plus de folie, même si dans maints détails l’humour à froid de Fau fait mouche, et si les costumes somptueux signés Hubert Barrère nous transportent dans un Orient subtilement versaillais (suberbe robe de Zémire, brodée par les soins de la maison Lesage). A la tête d’un ensemble Les Ambassadeurs – La Grande Ecurie très au point, Louis Langrée ose cette folie, anticipant un répertoire qui fera les beaux jours de la maison. Gros succès pour Julie Roset, Belle aux vocalises de rêve, pour Marc Mauillon, méconnaissable sous son turban de père de la Belle dépassé par les événements, pour Philippe Talbot, Bête aux accents déjà romantiques. Quel plateau ! 
François Lafon

Opéra-Comique, Paris, jusqu’au 1er juillet (Photo © Stefan Brion)

A l’Opéra de Paris – Bastille :  Roméo et Juliette de Gounod, absent du répertoire-maison depuis 1985. Sur scène : le grand escalier de l’Opéra… Garnier. Une idée choc due à Thomas Jolly, labellisé metteur en scène shakespearien depuis un Henry VI (dix-huit heures de spectacle) d’anthologie et revenant à l’opéra entre une triomphale reprise de Starmania et l’organisation de la cérémonie d’ouverture des J.O. de Paris. C’est dire que nous sommes loin de la presque intimiste version « Parrain 2 » de l’Opéra-Comique en décembre 2021 (voir ici), qui a vu le ténor Pene Pati promu divo express. Ici, la panoplie Jolly est de (et à) la fête. Mêlant chanteurs, danseurs et circassiens, costumes pailletés et éclairages de night club, ce ne serait que  carnaval et images flashy si le metteur en scène n’avait actionné son talisman : l’oxymore, « figure de style ayant la particularité de créer dans nos cerveaux une tension » (d’où le choc des « deux anciennes maisons égales en dignité » Capulets-Montaigus, ou de l’escalier de l’une sur le plateau de l’autre). Ainsi l’on danse, l’on se bat et l’on meurt « comme au théâtre », mais sur fond de grande peste (mentionnée par Shakespeare) et de haines recuites (chaud et froid bien compris par Gounod dans sa musique, remarque le metteur en scène). Le spectacle tient debout, et sera sans doute repris, avec des distributions différentes. La première (1) est un sans faute : standing ovation pour Elsa Dreisig et Benjamin Bernheim, fougue et élégance mêlés, entourés d’une Lea Desandre exceptionnelle en page travesti et de plusieurs générations de voix francophones exemplaires (Laurent Naouri, Sylvie Brunet, Jérôme Boutillier, Jean Teitgen), sous la baguette énergique de Carlo Rizzi. C’est avant tout leur fête (sans oxymore) que ce spectacle célèbre.
François Lafon
 
(1) Une seconde prend le relais à partir du 27 juin, pas moins luxueuse, avec Pretty Yende, Francesco Demuro et Marina Viotti

Opéra National de Paris – Bastille jusqu’au 15 juillet - En direct le 26 juin à 19h30 sur France.tv/Culturebox, dans les cinémas UGC, dans le cadre de « Viva l’Opéra ! », dans les cinémas CGR et des cinémas indépendants - Diffusion ultérieure sur une chaîne de France Télévisions et la plateforme de l’Opéra national de Paris – En différé le samedi 8 juillet sur France Musique à 20h
(Photo © Vincent Pontet / OnP)

Deuxième jour du festival ManiFeste de l’Ircam recueillant cette année « la clameur du monde » et placée sous l’emblème de Janus, le dieu aux double visage tourné à la fois vers le passé et l’avenir : l’ « acoustique »  Edgard Varèse  et  l’ « électronique » Sasha J. Blondeau, Alain Altinoglu dirigeant l’Orchestre de Paris et le danseur, chorégraphe et chanteur François Chaignaud, réunis dans la grande salle Pierre Boulez de la Philharmonie de Paris pour « perturber les hiérarchies communes de la salle de concert ». En clair : confronter les styles et les disciplines, exposer l’individu à la foule avec Cortèges (2023, création mondiale), l’orchestre romantique aux sons bruts de cet autre Sacre du printemps qu’est Amériques (version « épurée » de 1929), le tout à l’aune du bref mais fulgurant Density 21.5 pour flûte solo, titre évoquant la densité du platine dont était fait l’instrument étrenné par le flûtiste Georges Barrière, créateur de ladite pièce en 1936. En plus clair encore : un happening bien ordonné à la gloire du mariage « alla Janus » de la technique de pointe signée Ircam et de la grande tradition, où l’intrusion de l’univers gestuel et vocal déroutant de François Chaignaud fait son effet en dépit d’une musique plus virtuose qu’inspirée et d’un texte difficilement audible d’Hélène Giannecchini, où Amériques en revanche ne perd rien de son inusable modernité sous la baguette (que n’aurait probablement pas désavouée Boulez) d’Alain Altinoglu à la tête d’un Orchestre de Paris en forme superlative, où  Vicens Prats, grand soliste de l’Orchestre, met somptueusement en valeur les ressources expressives de Density 21.5. 
François Lafon

Philharmonie de Paris, Grande Salle Pierre Boulez, 8 et 9 juin – Festival ManiFeste, jusqu’au 1er juillet : manifeste.Ircam.fr
(Photo : François Chaignaud et des musiciens de l'orchestre © Audouin Desforges)

Quatrième et ultime journée du Festival de Pentecôte dédié à l’esthétique du premier romantisme français à l’Orangerie du Château de Bois-Préau, avec un invité surprise au sein des formations de chambre, le hautbois, dont la facture instrumentale se développe à la fin du XVIIIe siècle. Autour du Quatuor en fa majeur K. 370 de Mozart, dédié justement à son ami le hautboiste Friedrich Ram, Neven Lesage, fidèle musicien des Arts Florissants et de Gli Incogniti, s’est associé au violoniste Louis Créac’h, à l’altiste Camille Rancière et au violoncelliste Gauthier Broutin, pour le « Projet Inefabula » centré sur ce répertoire méconnu avec hautbois soliste – qui fut très en vogue auprès d’un public friand de sa ligne plus spécifiquement vocale inspirée de l’opéra et de la romance. Familier de Malmaison – ses œuvres font partie de la Bibliothèque de Joséphine de Beauharnais –, le hautboiste, compositeur et éditeur Charles Bochsa « père » (1750-1821), originaire de Bohème, doit sa redécouverte à Neven Lesage qui a réalisé une première édition grâce à la BNF. Un style vif et alerte, perceptible dans le 3ème Quatuor Concertant en do majeur comme dans le Thème et variations « Les plus jolis mots » d’après une romance de Henri-Noël Gilles, aux tonalités pastorales. Quant au Trio à cordes op. 2 n° 3 de Jadin, dédié au violoniste Rodolphe Kreutzer en 1797, sa gravité, d’une lenteur apollinienne, offrait un contraste bienvenu au reste du programme, d’autant plus dans l’interprétation profonde de Projet Inefabula.
À 18h30, le concert de clôture retrouvait l’instrument fétiche du festival, le piano carré Erard de 1806, joyau de la collection de La Nouvelle Athènes, sous les doigts d’Olga Pashchenko. L’ancienne étudiante du pianoforte et moderne d’Alexei Lubimov (Conservatoire de Moscou) avait imaginé un récital dévolu à son instrument, entre les partitions de Dussek, favori de Marie-Antoinette pour qui le facteur Sébastien Erard conçut son piano carré en 1787, Louis Adam (1758-1848) et Beethoven, dont les innovations techniques d’un piano à queue de concert Erard de 1803 lui inspirèrent la Sonate Walstein op. 53. L’interprète n’a pas sa pareille pour détailler les notes tout en propulsant le rythme dans Dussek (Sonate op. 35 n° 2 et Mort de Marie-Antoinette op. 23) ou pour faire sonner l’instrument grâce aux quatre pédales exploitées par Adam dans la Pastorale en do mineur, extraite de sa Méthode de piano du Conservatoire de 1804. Une richesse sonore magnifiée par Beethoven dans sa Sonate n° 21 Waldstein, et vivifiée par Olga Pashchenko qui fait respirer et chanter l’Erard dans un éblouissement total. Rendez-vous l’an prochain, à coup sûr !
Franck Mallet     
 
Orangerie du Château de Bois-Préau, Parc de Malmaison, lundi 29 mai 2023 (Photo : Olga Pashchenko (piano)© DR)
 
Hauts lieux de divertissement pour l’impératrice Joséphine et Napoléon Bonaparte sous le Premier empire, le Château de Malmaison, ainsi que celui de Bois-Préau, racheté sous le Second Empire par la famille Rodrigues-Enriques, retrouvaient une partie de leur lustre musical d’antan grâce aux efforts conjoints d’Elisabeth Claude, leur Conservatrice, associée à Sylvie Brély, Présidente de La Nouvelle Athènes – Centre des pianos romantiques, à l’occasion de la première édition du Festival de Pentecôte dédié à l’esthétique du premier romantisme français. Si l’Histoire a retenu avec raison la figure de Beethoven, il s’agissait de redécouvrir, et même plus simplement de s’ouvrir, à celles, oubliées, de Devienne, Hortense de Beauharnais, Duport, Hérold, Garat, Wély, Jadin, Dussek, Grétry ou Adam, frottées au chant italien de Paisiello et Spontini.
La 3e journée débutait l’après-midi sur quatre quatuors à cordes de la fin du XVIIIe siècle par les excellents instrumentistes de l’Ensemble Infermi d’Amore, tous formés récemment par Amandine Beyer à la Schola Cantorum Basiliensis de Bâle. Certes, le soleil dardait à travers les baies vitrées de l’Orangerie et il n’était pas facile de garder l’accord sur des instruments aux cordes si sensibles aux températures, mais le style délicat et chantant du Quatuor op. 1 n° 3 de Jadin trouvait là des interprètes totalement passionnés. Avec Boccherini (Quatuor à cordes op. 2 n° 6), le jeu s’intensifie et se colore, avant le Quatuor op. 34 n° 1 de Pierre Baillot (1771-1842), vraie découverte aux accents plus dramatiques, avec les ritournelles « À l’Espagnole » de son « Menuetto ». Le Quatuor en sol mineur de Viotti offrait une conclusion brillante à ce récital.
Le second concert de 18h30 proposait un panorama éloquent des concerts donnés une fois par semaine dans son salon par Joséphine, concocté par Coline Dutilleul (mezzo-soprano), Aline Zylberajch sur piano Erard (celui de 1806 restauré par Christopher Clarke pour La Nouvelle Athènes) et Pernelle Marzotti (harpe Erard). Entre pièces solistes de Mehul, Paisiello, Pleyel et Nadermann (Sonate en do mineur pour harpe) et mélodies de Hortense, la fille de Joséphine (extraites des « 12 Romances »), airs d’opéras de Paisiello (Zingari in Fiera et Nina), Méhul (Ariodante transcrit par Jadin) auxquels s’ajoutaient des romances de Pierre-Jean Garat (Il était là) et Jadin (La mort de Werther), un air du Huron, opéra-comique de Grétry et la langueur sublime d’O nume tutelar, air tiré de La Vestale de Spontini (bien vu, Coline Dutilleul !), les interprètes révélaient tout le charme et l’attrait de ces œuvres à la fois joyeuses, tendres et ardentes. La Bibliothèque de Malmaison recèle encore bien des secrets – plusieurs opéras y furent créés avant Paris – et des partitions d’Hortense de Beauharnais y dorment encore.         
Franck Mallet

Orangerie du Château de Bois-Préau, Parc de Malmaison, 15h & 18h30, dimanche 28 mai 2023
(Photo : Coline Dutilleul © DR)
 
 

Concerts & dépendances
 
Anciens sujets par thème
 

Anciens sujets par date
2024
2023
2022
2021
2020
2019
2018
2017
2016
2015
2014
2013
2012
2011
2010
2009