Jeudi 1 juin 2023
Concerts & dépendances
Quatrième et ultime journée du Festival de Pentecôte dédié à l’esthétique du premier romantisme français à l’Orangerie du Château de Bois-Préau, avec un invité surprise au sein des formations de chambre, le hautbois, dont la facture instrumentale se développe à la fin du XVIIIe siècle. Autour du Quatuor en fa majeur K. 370 de Mozart, dédié justement à son ami le hautboiste Friedrich Ram, Neven Lesage, fidèle musicien des Arts Florissants et de Gli Incogniti, s’est associé au violoniste Louis Créac’h, à l’altiste Camille Rancière et au violoncelliste Gauthier Broutin, pour le « Projet Inefabula » centré sur ce répertoire méconnu avec hautbois soliste – qui fut très en vogue auprès d’un public friand de sa ligne plus spécifiquement vocale inspirée de l’opéra et de la romance. Familier de Malmaison – ses œuvres font partie de la Bibliothèque de Joséphine de Beauharnais –, le hautboiste, compositeur et éditeur Charles Bochsa « père » (1750-1821), originaire de Bohème, doit sa redécouverte à Neven Lesage qui a réalisé une première édition grâce à la BNF. Un style vif et alerte, perceptible dans le 3ème Quatuor Concertant en do majeur comme dans le Thème et variations « Les plus jolis mots » d’après une romance de Henri-Noël Gilles, aux tonalités pastorales. Quant au Trio à cordes op. 2 n° 3 de Jadin, dédié au violoniste Rodolphe Kreutzer en 1797, sa gravité, d’une lenteur apollinienne, offrait un contraste bienvenu au reste du programme, d’autant plus dans l’interprétation profonde de Projet Inefabula.
À 18h30, le concert de clôture retrouvait l’instrument fétiche du festival, le piano carré Erard de 1806, joyau de la collection de La Nouvelle Athènes, sous les doigts d’Olga Pashchenko. L’ancienne étudiante du pianoforte et moderne d’Alexei Lubimov (Conservatoire de Moscou) avait imaginé un récital dévolu à son instrument, entre les partitions de Dussek, favori de Marie-Antoinette pour qui le facteur Sébastien Erard conçut son piano carré en 1787, Louis Adam (1758-1848) et Beethoven, dont les innovations techniques d’un piano à queue de concert Erard de 1803 lui inspirèrent la Sonate Walstein op. 53. L’interprète n’a pas sa pareille pour détailler les notes tout en propulsant le rythme dans Dussek (Sonate op. 35 n° 2 et Mort de Marie-Antoinette op. 23) ou pour faire sonner l’instrument grâce aux quatre pédales exploitées par Adam dans la Pastorale en do mineur, extraite de sa Méthode de piano du Conservatoire de 1804. Une richesse sonore magnifiée par Beethoven dans sa Sonate n° 21 Waldstein, et vivifiée par Olga Pashchenko qui fait respirer et chanter l’Erard dans un éblouissement total. Rendez-vous l’an prochain, à coup sûr !
Franck Mallet     
 
Orangerie du Château de Bois-Préau, Parc de Malmaison, lundi 29 mai 2023 (Photo : Olga Pashchenko (piano)© DR)
 
Hauts lieux de divertissement pour l’impératrice Joséphine et Napoléon Bonaparte sous le Premier empire, le Château de Malmaison, ainsi que celui de Bois-Préau, racheté sous le Second Empire par la famille Rodrigues-Enriques, retrouvaient une partie de leur lustre musical d’antan grâce aux efforts conjoints d’Elisabeth Claude, leur Conservatrice, associée à Sylvie Brély, Présidente de La Nouvelle Athènes – Centre des pianos romantiques, à l’occasion de la première édition du Festival de Pentecôte dédié à l’esthétique du premier romantisme français. Si l’Histoire a retenu avec raison la figure de Beethoven, il s’agissait de redécouvrir, et même plus simplement de s’ouvrir, à celles, oubliées, de Devienne, Hortense de Beauharnais, Duport, Hérold, Garat, Wély, Jadin, Dussek, Grétry ou Adam, frottées au chant italien de Paisiello et Spontini.
La 3e journée débutait l’après-midi sur quatre quatuors à cordes de la fin du XVIIIe siècle par les excellents instrumentistes de l’Ensemble Infermi d’Amore, tous formés récemment par Amandine Beyer à la Schola Cantorum Basiliensis de Bâle. Certes, le soleil dardait à travers les baies vitrées de l’Orangerie et il n’était pas facile de garder l’accord sur des instruments aux cordes si sensibles aux températures, mais le style délicat et chantant du Quatuor op. 1 n° 3 de Jadin trouvait là des interprètes totalement passionnés. Avec Boccherini (Quatuor à cordes op. 2 n° 6), le jeu s’intensifie et se colore, avant le Quatuor op. 34 n° 1 de Pierre Baillot (1771-1842), vraie découverte aux accents plus dramatiques, avec les ritournelles « À l’Espagnole » de son « Menuetto ». Le Quatuor en sol mineur de Viotti offrait une conclusion brillante à ce récital.
Le second concert de 18h30 proposait un panorama éloquent des concerts donnés une fois par semaine dans son salon par Joséphine, concocté par Coline Dutilleul (mezzo-soprano), Aline Zylberajch sur piano Erard (celui de 1806 restauré par Christopher Clarke pour La Nouvelle Athènes) et Pernelle Marzotti (harpe Erard). Entre pièces solistes de Mehul, Paisiello, Pleyel et Nadermann (Sonate en do mineur pour harpe) et mélodies de Hortense, la fille de Joséphine (extraites des « 12 Romances »), airs d’opéras de Paisiello (Zingari in Fiera et Nina), Méhul (Ariodante transcrit par Jadin) auxquels s’ajoutaient des romances de Pierre-Jean Garat (Il était là) et Jadin (La mort de Werther), un air du Huron, opéra-comique de Grétry et la langueur sublime d’O nume tutelar, air tiré de La Vestale de Spontini (bien vu, Coline Dutilleul !), les interprètes révélaient tout le charme et l’attrait de ces œuvres à la fois joyeuses, tendres et ardentes. La Bibliothèque de Malmaison recèle encore bien des secrets – plusieurs opéras y furent créés avant Paris – et des partitions d’Hortense de Beauharnais y dorment encore.         
Franck Mallet

Orangerie du Château de Bois-Préau, Parc de Malmaison, 15h & 18h30, dimanche 28 mai 2023
(Photo : Coline Dutilleul © DR)
 
A l’Opéra de Paris-Garnier : Ariodante de Handel mis en scène par Robert Carsen. Jeu de piste maison : En 1999, Carsen monte in loco le très connu Alcina, deuxième création de Handel au tout nouveau Covent Garden de Londres (1735) après… Ariodante. Gros succès largement discuté (l’île enchantée devenue salon après orgie), spectacle plusieurs fois repris. En 2001, Ariodante fait son entrée à Garnier porté par le tandem Anne Sofie von Otter – Marc Minkowski, sur la foi de leur enregistrement très réussi de l’ouvrage (Archiv). Mais Von Otter en méforme ne passe pas la rampe et Jorge Lavelli rate sa mise en scène. Vingt-deux ans après, la revanche… perturbée pour les premières représentations par la grève du personnel maison ! Du longtemps oublié et tard redécouvert des deux opéras, drame psychologique tiré de l’Orlando Furioso de L’Arioste, sans féérie et à l’intrigue moins alambiquée que la plupart des livrets d’opera seria, Carsen accentue le contexte politique voire psychanalytique et le transpose dans un aujourd’hui où chaînes d’actualité et réseaux sociaux ne laissent rien ignorer des faits, gestes et même pensées des grands de ce monde. De l’aventure du noble Ariodante auquel le méchant Polinesso va tenter de voler sa fiancée - annonçant l’opéra romantique avec faux suicide et vraie folie -, il fait une plongée dans les coulisses d’une cour d’Ecosse (on ne saurait être plus d’actualité) où les smartphones remplacent les poignards, sombre histoire sur laquelle la succession des arias handeliens est censée agir à la fois comme un baume et un révélateur. Or les voix et les personnalités restent assez discrètes - la belle et bien-chantante Emily d’Angelo (Ariodante) en tête -, la scène ne s’embrasant vraiment que lorsque le formidable contre-ténor Christophe Dumeaux (Polinesso) vient jeter du vitriol sur ce monde de faux-semblants. Le spécialiste Harry Bicket à la tête d’un English Concert pas toujours très melliflue mise davantage, il est vrai, sur la sécurité que sur le panache dans cette suite ininterrompue de sauts de l’ange vocaux. 
François Lafon
Opéra National de Paris - Palais Garnier, jusqu’au 20 mai - En direct le 11 mai  sur la plateforme de l’Opéra national de Paris : Paris Opera Play - En différé le 27 mai sur France Musique à 20h (Photo © Agathe Poupeney / OnP)


lundi 1 mai 2023 à 15h21
Le décor tout d’abord (Barbara Hanicka) : un immeuble populaire dont la partie gauche est sans façade, laissant vue sur une chambre minimaliste, une salle de bain et des W.C, proches du délabrement, bien sûr. La scénographe (Barbara Wysocka) nous réserve quelques hardiesses, nommons-les ainsi, comme jeter la clé du jardin interdit dans les toilettes (qui ne sont donc là que pour cela) plutôt que dans la Volga, ou faire pleuvoir quand Katia s’écrie tak krásné ! (« que c’est beau ! »). La crainte d’excéder dans la poésie pourtant prégnante de l’œuvre de Janacek habite aussi Benedict Zehm pour les lumières (ce sera plein néons la plupart du temps) et Elena Schwarz pour la direction d’orchestre. Sa consigne est de jouer fort, ce dont, grâce à son talent, l’Orchestre de l’Opéra de Lyon se déjoue avec élégance. Ces bémols importent peu, finalement, car l’exceptionnel est du côté du casting, exceptionnel en effet par sa qualité et par sa cohérence. Le jeu de Corinne Winters (Katia) entraine toute la troupe : pas un interprète qui ne dénote à ce niveau d’excellence ; et les spectateurs aussi, conquis par un tel abattage, une telle sensibilité à fleur de peau, qui justifient leurs applaudissements particulièrement nourris. 
Albéric Lagier
 
Opéra National de Lyon les 28 avril, 2, 4, 7, 9, 11 et 13 mai
(Photo © DR Opéra National de Lyon)

Une rareté à l’Athénée Louis-Jouvet, pour le spectacle annuel de l’Académie de l’Opéra de Paris : La Scala di seta (L’Echelle de soie) de Rossini. De cette farce en un acte, l’une des cinq composées par le jeune Rossini pour le théâtre San Moisé de Venise, on ne connait guère que l’ouverture, en bonne place dans la plupart des anthologies. On découvre une comédie en musique bien troussée, dont l’action caracole au rythme des crescendos (déjà) irrésistibles qui feront la fortune du compositeur, reprenant le thème à la mode du Mariage secret de Cimarosa, mais en plus concentré, en plus cru, voire en plus concret. Pour les académiciens, c’est une gageure : chanter Rossini est une question d’abattage et de virtuosité, avec dans la voix ce que la rossinienne émérite Marilyn Horne appelle « l’indispensable petit marteau-piqueur ». Ce soir, la première des deux distributions (trois représentations chacune) s’en sort haut la main, musique et théâtre, car il faut jouer aussi, et le metteur en scène Pascal Neyron (un ancien de l’Académie) n’épargne personne sur ce point. « Un jeu de transformation des corps, perruques, costumes, pour s’extirper de soi et s’occuper de l’autre », annonce-t-il, secondé en cela par Dominique Mercy, collaborateur historique de Pina Bausch. Dans un décor à chausse-trapes et à tiroirs, les portes claquent, les murs ont des oreilles, le lit apparait quand besoin est (c’est-à-dire souvent). On frôle la vulgarité sans y tomber, ce qui en l’occurrence est un record. On n’oubliera pas Marine Chagnon - qui l’année dernière était in loco une Poppée de Monteverdi feu et glace, dans sa grande scène de séduction sauvage - et l’on excusera le ténor Laurence Kilsby de ne pas avoir les aigus de Juan Diego Florez tant il est drôle en mari non déclaré d’une belle très convoitée (la pulpeuse, voix comprise, Margarita Polonskaia). Dans la fosse, de valeureux membres de l’Orchestre-Atelier Ostinato entretiennent la flamme sous la baguette précise (et il faut l’être dans un tel maelström) d’Elisabeth Askren.
François Lafon
Athénée Théâtre Louis-Jouvet, jusqu’au 6 mai
Photo©C Vincent Lappartient-Studio j'adore ce que vous faites !/OnP

A l’Athénée Louis-Jouvet : Ô mon bel inconnu ! de Sacha Guitry (texte) et Reynaldo Hahn (musique), spectacle labellisé Palazzetto Bru Zane rôdé à Tours en décembre dernier. Une belle inconnue que cette comédie avec musique créé en 1933 aux Bouffes Parisiens, dans la foulée de la reprise triomphale au théâtre de la Madeleine du Mozart des deux compères. Paru en 2021, un enregistrement des seuls numéros musicaux (une heure mis bout à bout - voir ici) donnait une idée de l’atmosphère douce-amère que Reynaldo Hahn avait imprimé aux aventures du chapelier Prosper passant une petite annonce coquine et recevant des réponses… inattendues. Mais quid de la rencontre avec le texte boulevard-décomplexé de Guitry ? C’est ce que révèle ce spectacle mis en scène par l’actrice-chanteuse Emeline Bayart, laquelle s’amuse visiblement à jouer le rôle de la bonne (…du chapelier – rôle créé par Arletty), entourée d’une troupe de chanteurs-acteurs de haut niveau, dont ne subsiste de la distribution du disque que l'excellent Carl Ghazarossian dans un rôle essentiellement… muet. Ni actualisation ni même dépoussiérage, si ce n’est un jeu de… chapeaux assez malin : chacun y va franc-jeu, et si la partie parlée paraît longue (elle l’est : 2h30 de spectacle sans compter l’entracte), ce n’est la faute ni de l’impeccable Clémence Tilquin en épouse (du chapelier) aux faux airs de Julie Andrews, ni de  Marc Labonnette (le chapelier), lequel porte le spectacle sur des épaules taillées à la mesure du créateur Aquistapace, alter ego sachant chanter de Guitry lui-même. A la tête des toujours pimpantes Folies parisiennes, Samuel Jean fait mousser le champagne.
François Lafon

Athénée Théâtre Louis-Jouvet, Paris, 8 représentations jusqu’au 16 avril 
Tournée à Dijon, Rouen, Avignon (décembre 2023), Massy (mars 2024) (Photo © Marie Pétry)
 
A l’Opéra de Paris-Bastille : Hamlet d’Ambroise Thomas d’après Shakespeare ou plutôt d’après l’adaptation à la scène romantique qu’en a faite Alexandre Dumas, avec happy end en lieu et place de la mort du héros. A l’Opéra-Comique il y a quatre ans (reprise la saison dernière), le metteur en scène fan de vidéo Cyril Teste avait déromantisé l’ouvrage en adoptant la technique du « jeu transparent » (voir ici). Avec Krzysztof Warlikowski cette fois, c’est toute la structure du chef-d’œuvre qui bascule. Puisque Hamlet ne meurt pas, on le découvre vieilli dans un hôpital psychiatrique aux grilles en abyme, poussant sa mère encore plus diminuée que lui dans une petite voiture à roulettes, portant sempiternellement le poids de son malheur. Même décor pour le grand flash back qui suit : « L’hôpital psychiatrique ne signifie pas que Hamlet est fou. On y enfermait aussi ceux dont on voulait se débarrasser », précise le metteur en scène, qui recycle ainsi ses obsessions (cf. l’Iphigénie de Gluck à l’EHPAD) et ses accessoires (baignoire comprise) : trop fin donc pour décréter que Hamlet est vraiment fou, ce que Shakespeare et même Dumas s’étaient bien gardés de faire. Une façon en fin de compte de re-romantiser l’opéra à la mode d’aujourd’hui, avec ce spectre du père idéal en clown blanc auquel succédera le fils moins idéal en clown noir au visage blanc. Et puis au-delà des warlikowskismes avérés, de grands moments de théâtre creusant encore l’inépuisable mythe, et une direction d’acteurs superlative, culminant dans un affrontement mère (la Reine) – fils dont Lacan se serait délecté. Pour animer cette grande machine iconoclaste, un plateau sans faiblesse autour de Ludovic Tézier, Hamlet de luxe ovationné au rideau final, et comptant quelques-uns des meilleurs représentants du désormais riche vivier vocal francophone. Mention spéciale pour l’Américaine Lisette Oropesa en Ophélie (récemment médaillée des Arts et Lettres) et surtout pour la Suissesse Eve-Maud Hubeau, stealing the show en Reine coupable. Consécration enfin du jeune chef Pierre Dumoussaud dirigeant ce grand-opéra-à-la française contemporain du Don Carlos de Verdi d’un geste large, préférant le panache à la fascinante mise en valeur des trouvailles d’Ambroise Thomas (ah, ce saxophone !) opéré par Louis Langrée à l’Opéra–Comique. 
François Lafon 

Opéra National de Paris-Bastille, jusqu’au 9 avril - En direct le 30 mars  sur Arte concert, et avec le concours de FRA cinéma, dans les cinémas UGC, dans le cadre de leur saison « Viva l’Opéra ! » et dans des cinémas indépendants en France et en Europe, et ultérieurement dans le monde entier. Diffusion le 2 mai dans les cinémas CGR. Diffusion ultérieure sur Arte. En différé le 22 avril sur France Musique
(Photo © DR)

Au Théâtre de l’Athénée-Louis-Jouvet : Orphée et Eurydice d’après Gluck « dans une adaptation libre d’Othman Louati ». Une version chambriste et décalée d’un classique donc, dans la tradition de l’Athénée. On pourrait ajouter « élaguée » pour donner une idée de ce théâtre de l’entre-deux savamment minimaliste : entre deux mondes, entre cœur et raison, entre rêve et réalité, entre vie et mort, entre présence et absence. Visuellement, on oscille entre théâtre et oratorio, tant les mouvements sont rares et les tableaux irréels (mise en scène de Thomas Bouvet). Ce n’est que peu à peu que l’on entre dans cet univers de corps et de voix : quatre choristes en plus des trois solistes, tous voix de l’au-delà (ou de l’en-deçà), l’Amour qui assure le happy end de cette version du mythe qui finit bien n’étant qu’une grande silhouette longiligne au timbre électroniquement retravaillé. Car c’est là que prend place la magie, dans un autre entre-deux qui est le mélange ou l’opposition du son d’époque (huit musiciens de l’ensemble Miroirs Etendus dirigés par Fiona Monbet) et ceux du synthétiseur, auquel viennent s’ajouter les interventions musclées d’une guitare électrique. Cela pourrait être facile et systématique, mais Othman Louati a de l’imagination à revendre. On pourrait aussi trouver les voix un peu vertes, mais Claire Péron est si émouvante en Orphée non binaire (une mezzo chantant en français : hommage à la version Berlioz et à Pauline Viardot ?) et Mariamielle  Lamagat si naturelle en Eurydice. On reproche parfois son statisme à l’Orphée  de Gluck : cette fois, qui s’en plaindra ?
François Lafon

Théâtre de l’Athénéee-Louis-Jouvet, jusqu’au 18 février (Photo©Martin Noda)

A la Philharmonie de Paris, quatrième des dix concerts du 33ème festival Présences de Radio France. Compositrice d’honneur de l’édition : Unsuk Chin, grande dame née en Corée en 1961 et vivant à Berlin, dont la vie est un roman et l’art un palais aux cent portes, chacune ouvrant sur un monde surprenant. Ainsi le concert de ce soir s’articule autour de son 2ème Concerto pour violon « Scherben der Stille », joué par son créateur Leonidas Kavakos, et donné pour la première fois en France. « Un portrait subjectif du violoniste, explique Unsuk Chin, porté par sa musicalité qui est d’une brûlante intensité, et en même temps impeccable et complètement concentrée ». Une remarque qui pourrait aussi s’appliquer à elle : superbe partie de violon, s’inscrivant dans la grande tradition sans jamais en copier les chefs-d’œuvre. L’orchestre, ce soir le Philharmonique de Radio France impeccablement dirigé par Kent Nagano, suggère un voyage dans l’inconnu, entre rêve et réalité. En guise de préparation, rien moins que Bach avec le Ricercar à 6 de l’Offrande Musicale, non dans l’habituelle version Webern mais dans une nouvelle orchestration due à Thomas Lacôte, successeur d’Olivier Messiaen à l’orgue de l’église de la Trinité : une façon d’humaniser le chef-d’œuvre sans le vulgariser alla Leopold Stokowski. Après l’entracte, autre forme d’inconnu. Avec comme frontispice le motet Gerechte Kömmt UmLe Juste meurt et personne n’y prend garde ») revu et corrigé par Bach, Monumenta II ( Monumenta I date de 2013) de Yann Robin réunit chœur et soliste, orchestre, orgue et deux pianos, tous lancés dans la quête, « entre concerto et requiem », d’un « accès à la transcendance par l’art ». Un projet fou comme Berlioz les aimait, mêlant fureur et méditation, ferveur et ironie, idées hardies et procédés connus. Soutenus par un Nagano et un Philharmonique toujours impeccables, le Chœur de Radio France tient le cap, tandis que le duo de pianistes Jean-Frédéric Neuburger – Wilhem Latchoumia joue vaillamment des coudes et des doigts. Applaudissements nourris d’une salle où se pressent musiciens et compositeurs.  
François Lafon 
Philharmonie de Paris, Grande salle Pierre Boulez, 10 février. Festival Présences, jusqu'au 12 février (Photo : Unsuk Chin et Kent Nagano © Radio France - Christophe Abramowitz)

Pour sa première « Carte blanche », le pianiste David Fray en complicité schubertienne avec le baryton Peter Mattei dans Le Voyage d’hiver. « Je vous chanterai un cycle de lieder effroyables… », aurait confié le compositeur à un ami, à la fin de l’année 1827 (…). D’après vingt-quatre poèmes de Müller, ce cycle passé à la postérité est devenu le passage obligé de nombreux chanteurs, ténors, barytons et contraltos. De la tristesse, et même de la mélancolie et de la désolation envahissent chaque poème, mais avec Peter Mattei et David Fray, rien d’effrayant pourtant comme le suggérait Schubert ; nous sommes dans l’aventure du récit. Tout est dosé avec naturel, chaque mot, chaque phrase, portés comme une confession. La voix s’élève à peine, entre parole et chant, tandis que le piano s’efface, réapparaît, pose un accord dans le silence. Une méditation à deux que porte le baryton face au public, du haut de ses deux mètres. Pas de théâtre, juste le texte, ni plus ni moins. Et lorsque le visage s’élève ou se cache, la colère est là, jetée comme un cri ou rentrée, étouffée. On a rarement entendu une telle liberté dans l’expression : la voix pleine, jaillissante. Si le premier lied "Bonne nuit" invite au voyage, serein et apaisé, Peter Mattei le révèle avec une douceur presque chuchotée, mais on entend tout, la poésie coule de source. Et lorsque le piano achève le cycle avec "Le Joueur de vielle", le chanteur retrouve cette douceur infinie qui préludait au cycle ; la voix se fait plus grave sur le chemin des glaces, elle console et cajole à la fois. Schubert, si secret et intime avec Peter Mattei et David Fray. 

Franck Mallet

Paris, Théâtre des Champs-Élysées, 26 janvier, 20h « Carte blanche à David Fray, I » Schubert, Wintereise D. 911
Peter Mattei (baryton) et David Fray (piano) (Photo : © DR)

• Prochains rendez-vous : le 31 mars (20h) : Schubert et Liszt par David Fray avec la participation de Jacques Rouvier ; 26 juin (20h) : Schubert par David Fray (piano) et Renaud Capuçon (violon)
 

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