Partenariat entre l’Opéra de Paris et l’Institut culturel Google pour révéler « Les trésors cachés du Palais Garnier ». En fait de trésors : 83 portraits d’étoiles du ballet à travers les âges (à quand les chanteurs, chefs, metteurs en scène et décorateurs ? ), des galeries en HD - avec possibilité de zoomer sur les détails - des peintures et sculptures plus ou moins inaccessibles, à commencer par le plafond de Chagall (une prouesse, paraît-il), des vues à 360° - selon le principe Street View - de la salle, de la scène, de la Bibliothèque-Musée, des toits et de la retenue d’eau souterraine, ces deux derniers étant les plus « cachés » puisqu’interdites au public, révélant pour l’un un panorama unique sur la capitale et confirmant pour l’autre que sans être un vulgaire collecteur, le lac sous l’Opéra cher à Gaston Leroux n’a rien du royaume gothique au sein duquel le Fantôme ourdit ses sombres machinations. « L'Institut culturel a pour but de rendre accessible aux internautes des éléments importants de notre patrimoine culturel et de les conserver sur support numérique afin d'éduquer et d'inspirer les générations futures », lit-on sur le site du Google Cultural Institute. Une flatteuse formulation qui n’a pas empêché nombre d’acteurs culturels de grincer des dents devant cette mainmise du géant américain de l’Internet sur les trésors du monde entier. Comme celle des nombreux autres musées et lieux historiques ainsi « conservés », cette visite du Palais Garnier souffre de la raideur de la mise en pages : arborescence limitée, défilé horizontal des chapitres, manque d’interactivité. On rêve de pouvoir un jour se perdre dans le labyrinthe des couloirs, loges et ateliers, ou même suivre un spectacle depuis le pupitre du chef d’orchestre. En attendant, le documentaire de Laurence Thiriat Le plafond Chagall, il y a 50 ans le scandale(en septembre sur Arte) nous fera voler à travers le Palais Garnier à bord d’un drone (technique Freeway) capable de filmer en contre-plongée.
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François Lafon – Olivier Debien
http://www.google.com/culturalinstitute/collection/opéra-national-deparis
Livres de printemps : Le Baroque nomade de Jean-Christophe Frisch et les Mémoires de Riccardo Muti. Soit deux ouvrages où la musique a sa place, mais pas la même musique, ni la même place. Dans le premier, le fondateur de l’ensemble XVIII-21 raconte comment il a retrouvé tout un répertoire et en a approché l’interprétation adéquate en parcourant le monde, de Pékin à Chandernagor, en se penchant sur les travaux du moine voyageur Teodorico Pedrini (1671-1746) et en faisant concert commun avec des instrumentistes dépositaires de traditions millénaires. Dans le second, le directeur musical de l’Orchestre de Chicago et ancien patron de la Scala de Milan confie à un magnétophone des bribes de vie mises ensemble par le musicographe Marco Grondona. Le livre de Frisch est personnel, précis, pointilleux. Il ne se lit pas comme un roman mais on a envie de le conserver. Celui de Muti-Grondona, qui commence bien (enfance napolitaine et formation milanaise auprès du chef Antonino Votto), se poursuit de manière plus elliptique et convenue (impasse systématique sur les sujets litigieux) et se lit comme un entretien promotionnel. Mis ensemble, les deux ouvrages résument les deux discours dominants sur la musique : le happy few et le mainstream. Un grand écart qui ne date pas d’hier, mais qui ne contribue pas à renouveler le sujet.
François Lafon
Le Baroque nomade, de Jean-Christophe Frisch, Actes Sud, 240 p. , 20 € - Prima la musica !, de Riccardo Muti avec Marco Grondona, traduit de l’italien par Sergio Filippini, L’Archipel – France Musique 240 p., 21 €
Escale à la salle Pleyel du Tokyo Philharmonic en tournée à l’occasion du son centenaire (un peu plus : il a été créé en 1911). Deux musiques de ballets : Bugaku de Toshiro Mayzumi et Le Sacre du printemps de Stravinsky, séparés, - comme pour laisser une (faible) chance au premier -, par le Concerto pour violon de Tchaikovski. Au pupitre, le très professionnel Eiji Oue, en soliste la violoniste Kyoko Takezawa, vedette RCA des années 1990. Moins à son affaire que dans son brillant enregistrement du 2ème Concerto de Bartok, celle-ci détaille un Tchaikovski sentimental à l’excès, encouragée par les tempos lents du chef. Impression par ailleurs d’entendre un orchestre américain, machine à jouer conjuguant technique et discipline pour produire un maximum d’effet(s). Démonstration plus spectaculaire encore dans Le Sacre du printemps, mais même impression d’ « à côté ». En bis, déchaînement général : salle debout, chef possédé, orchestre survolté. La violence de Stravinsky et la démesure tchaikovskienne enfin là, mais dans la Rhapsodie de Yozo Toyama, morceau très connu, et pas seulement du public japonais. « Les mots (ou les notes) ne sont que les sous-titres d’un état intérieur », disait la grande comédienne et pédagogue Tania Balachova.
François Lafon
Salle Pleyel, Paris, 16 mars Photo © DR
Disparition, à soixante-dix ans, de Gerard Mortier. Hommages répétés à son refus de l’opéra-musée, à sa conviction que l’art lyrique a beaucoup plus qu’on ne le croit à nous apprendre sur nous, ici et maintenant. Liste glorieuse de « ses » metteurs en scène : Luc Bondy, Patrice Chéreau, Karl-Ernst et Ursel Herrmann, Gilbert Deflo, Peter Sellars, Klaus-Michael Grüber, Christoph Marthaler, Krzysztof Warlikowski, Michael Haneke. Opéra, théâtre, cinéma, même combat : « Mon rôle est d’essayer de semer le doute dans les esprits ». Vu d’ailleurs, hors de la bulle opéra, son avant-gardisme impressionnait moins : tel Rameau, trop en avance pour les lullistes, déjà dépassé pour les gluckistes, il aura pris le risque – comme le dit Pierre Boulez d’un confrère non identifié – d’être démodé avant d’être modé. « La tâche des hommes politiques devrait être de rapprocher le peuple des artistes », disait-il. Avant même d’être un idéologue, il était un idéaliste.
François Lafon
Signature, au foyer Pierre Dux de la Comédie-Française, de la cession des éléments démontables composant le Théâtre éphémère au Grand Théâtre de Genève. Soulagement perceptible de Muriel Mayette-Holtz, actuel successeur de Molière à la tête de la Maison, sous l’œil impassible de Lorella Bertani et Tobias Richter, respectivement présidente de la Fondation et directeur du Grand Théâtre. Un temps préemptée par la Libye, la structure de bois qui a servi de repli pendant les travaux de la salle Richelieu va disparaître de l’espace – ô combien symbolique – séparant le Théâtre Français du ministère de la Culture. Recomposée telle un Lego ®, elle passera de 750 à 1150 places et sera augmentée d’une fosse d’orchestre, de loges et d’espaces publics, pour remplacer là aussi le vieux théâtre pendant sa rénovation, de 2015 à 2017. Coût de l’opération : 6,8 millions d’euros. Problème pas encore résolu, la localisation du bâtiment : sept lieux envisagés, choix final entre la Caserne des Vernets et la place des Nations. Théâtre des Nations sera d’ailleurs le nom de la structure, davantage en hommage à sa vocation voyageuse (où ira-t-elle après ?) qu’en souvenir du festival annuel - apparemment oublié des intervenants - qui a fait venir en France pendant les années 1950-1960 le Berliner Ensemble, le Living Theater et les spectacles légendaires de Peter Brook et Luchino Visconti.
François Lafon
Disparition d’Alain Resnais, le 1er mars. Ses scénaristes abondamment cités : Marguerite Duras, Alain Robbe-Grillet, Jean Cayrol, Jorge Semprun. Ses musiciens, moins, voire pas du tout. Et pourtant : Hanns Eisler (Nuit et brouillard), Georges Delerue (Hiroshima mon amour), Hans-Werner Henze (Muriel ou le temps d’un retour ; L’Amour à mort), Krzysztof Penderecki (Je t’aime, je t’aime), Stephen Sondheim (Stavisky), Miklos Rozsa (Providence), Michel Fano, Georges Aperghis (Loin du Vietnam). Et aussi Brahms et Bach (Mélo), Maurice Yvain (Pas sur la bouche), George Gershwin (Gershwin), un demi-siècle de chanson française (On connait la chanson). Dialectique son-image : Boulogne-sur-Mer reconstruit – sérialisme lyrique de Henze (Muriel) ; Belmondo escroc de charme – Sondheim roi mal aimé de Broadway (Stavisky), Rosza, oscarisé pour le mastodonte Ben-Hur, césarisé pour le très raffiné Providence… Son dernier film, d’après la pièce d’Alan Ayckbourn Life of Riley, est intitulé Aimer, boire et chanter (sortie le 26 mars). Johann Strauss comme testament, c’est tout dire.
François Lafon