Mardi 19 mars 2024
Le cabinet de curiosités par François Lafon
jeudi 31 janvier 2013 à 10h17

Retour sur L’Anti-Wagner sans peine, paru en septembre dernier aux Presses Universitaires de France. L’auteur, Pierre-René Serna, sait ce qu’idolâtrer veut dire : il est lui-même un chantre de la cause berliozienne, et fait partie de ceux qui regrettent amèrement que le compositeur des Troyens ne suscite pas – en France tout au moins – la même dévotion que celui de Tannhäuser. Son Anti-Wagner est d’ailleurs une sorte de Pro-Berlioz inversé : si l’oeuvre et la personnalité du Français étaient aussi polémiques que celles de l’Allemand, celui-là aurait peut-être entraîné autant d’amour, autant de haine, bref, autant de buzz. Avec une candeur calculée et un esprit de contradiction éprouvé, Serna repasse donc tous les plats, même les plus faisandés, cuisinés depuis un siècle et demi par les ennemis ontologiques et les amoureux déçus de la musique de l’avenir : antisémitisme, boursouflure, fatras, nazisme, longueur, pangermanisme, végétarisme, etc. Ce faisant, il court au casse-pipe, et le sachant, ouvre quelques parachutes, rappelant qu’un peu de mauvaise foi est nécessaire dans la composition d’un antidote efficace à un poison aussi puissant. Dans sa postface, il évoque son peu de goût pour Verdi, l’autre bicentenarisé de l’année. Mais un Anti-Verdi sans peine aurait été moins  alléchant.

François Lafon

L’Anti-Wagner sans peine, de Pierre-René Serna. PUF, 88 p., 9,50 €

dimanche 27 janvier 2013 à 11h31

Au théâtre de la Colline, Le Cabaret discrépant, d’Olivia Grandville d’après Isidore Isou. Du latin discrepantia, discrépant désigne « une simultanéité d’éléments, de sons, de sensations, d’opinions qui produisent un effet de dissonance ». Une assez bonne définition du lettrisme, mouvement « d’avant-garde de l’avant-garde » lancé par Isou au sortir de la guerre, et qui compte encore des adeptes. Le spectacle de la chorégraphe Olivia Grandville est jouissif : conférences lettristes simultanées dans le foyer (« Il ne s’agit pas de détruire des mots pour d’autres mots, il s’agit de ressusciter le confus dans un ordre plus dense »), évocation sur scène du Ballet ciselant, créé, non sans remous, au début des années 1960 (phase ciselante, deuxième des quatre périodes de la philosophie lettriste : émiettement des formes, période de l’art pour l’art). Une conférence-démonstration hilarante, où cinq danseurs-comédiens illustrent « l’amorphe, l’a-r-ythmie, le rampement, notions par lesquelles la danse va se dépouiller jusqu’à atteindre l’immobilité complète » (Roland Sabatier, lettriste de la deuxième génération). En 1947, Isou publie Introduction à une nouvelle poésie et à une nouvelle musique, ouvrage fondateur contenant le Manifeste de la poésie lettriste. Il compose en même temps une symphonie, La Guerre, dotée d’une notation originale où les lettres remplacent les notes (disques Al Dante). « A force de chercher la forme, on touche le fond », remarquait-il non sans clairvoyance. Il aura au moins tenté de résoudre l’éternel dilemme parole-musique.

François Lafon

Théâtre National de la Colline, Paris, Petite salle, jusqu’au 16 février Photo © Elisabeth Carrechio

jeudi 24 janvier 2013 à 23h32

Dans le sillage de L’Enfant et les sortilèges au Palais Garnier, l’Atelier lyrique de l’Opéra explore « le monde de Ravel » à l’Amphithéâtre Bastille. Mélodies isolées, petits et grands cycles par huit voix et trois pianistes, avec, pour les Chansons madécasses, deux super-solistes de l’Orchestre, le flûtiste Frédéric Chatoux et le violoncelliste Aurélien Sabouret. Comme il n’y a pas de petit Ravel, les chanteurs sont sans cesse sur la corde raide. Voix ou diction ? Les deux, et ce n’est pas toujours évident. Pas possible non plus de se laisser aller à la musique ni de faire confiance au texte. Que le poème soit de Paul Morand, Mallarmé ou Tristan Klingsor, Ravel pratique la balle coupée, le contre-coup. Curieusement, ce sont les étrangers qui s’en tirent le mieux, tel le ténor portugais Joao Pedro Cabral, excellent diseur des pourtant redoutables Histoires naturelles de Jules Renard. Comme si les Français tombaient sans s’en apercevoir dans les pièges de l’art si français de Ravel.

François Lafon

Photo © DR

samedi 19 janvier 2013 à 19h12

Trois séances publiques, à l’Amphithéâtre de la Cité de la Musique, de l’Académie Maria Joao Pires. Le travail, commencé à huis clos à l’abbaye de Royaumont le 12 janvier, se termine le 22 par un concert « scénarisé » dans la grande salle de la Cité. But de l’opération : casser le rituel, non seulement du concert, mais de la perception même de la musique. Autour de la pianiste : le dramaturge (au sens allemand : chercheur de sens) Frédéric Sounac et le « musicopsychiste » Dominique Bertrand. Le premier commente un des ouvrages à méditer par les académiciens : Alexis ou le Traité du vain combat de Marguerite Yourcenar, l’histoire d’un pianiste « empêché de musique » par un secret personnel. Le second, dans la tradition des séminaires de Michael Lonsdale et du compositeur Michel Puig à la Chartreuse de Villeneuve-Lès-Avignon (années 1970), fait participer la salle à une série exercices d’éveil, expliquant que le monde a débuté par un son, qu’au commencement était le Verbe, et que c’est l’oreille interne qui assure l’équilibre du corps, lequel ne doit pas seulement aller de l’avant, mais s’ouvrir à 360° à la résonnance universelle. Puis Pires reprend la main en jouant Mozart façon chaises musicales avec son élève Lilit Grigoryan. « Tu es plus forte que moi : tu peux t’arrêter quand tu veux, remarque-t-elle dans un sourire à la Jane Birkin. Moi, quand la machine est lancée... ». Mélange de modestie et d’autorité : « Il ne faut pas faire quelque chose de la musique, mais se laisser aller à elle ». Après un ultime exercice sensoriel (se laisser guider au son, les yeux bandés), fin abrupte de la séance. « L’énergie n’est plus là. A demain ». Pas facile de casser le rituel.

François Lafon

20 janvier : Académie à 9h30 et 14h30. 22 janvier : Concert à 20h. Cité de la Musique, Paris Photo © DR

dimanche 13 janvier 2013 à 19h44

5 spectacles, 75 représentations, 160 000 spectateurs (l’équivalent d’une ville comme Dijon), un taux de remplissage de 95%, 26 salles UGC et 50 cinémas indépendants bondés pour Carmen et le ballet Don Quichotte diffusés en direct : l’Opéra de Paris publie triomphalement le bilan de la période des fêtes. « Notre institution, grâce au savoir-faire de ses équipes, a rempli les missions qui lui incombent avec un succès de fréquentation incontestable et un public renouvelé, » commente le directeur Nicolas Joël. Réponse du berger à la bergère, à savoir la presse, dans l’ensemble très critique quant à ses choix artistiques, ouvertement destinés à renouer avec un public rebuté par les audaces de son prédécesseur Gerard Mortier. 27 000 spectateurs se sont précipités à Carmen, pourtant unanimement éreinté. La Tétralogie, Faust, Manon, mal reçus eux aussi, ont fait salle pleine. Günter Krämer, metteur en scène de La Tétralogie, a été prié de revoir sa copie en vue de la reprise des quatre journées. Les huit cycles prévus, de janvier à juin, sont de toute façon sold out.

François Lafon

mardi 8 janvier 2013 à 10h38

Scandale dimanche 6 janvier à l’Avery Fisher Hall de New York, où Roberto Alagna chante l’Andrea Chénier de Giordano en version de concert. Quelques mesures avant d’attaquer son air « Un di all’azzurro spazio », le ténor s’arrête de chanter, tend sa partition au chef Alberto Veronesi (lequel dirige par cœur) et entame une discussion à laquelle se joint le premier violon. Le différend réglé, le chef reprend. La presse new-yorkaise se déchaîne : Alagna a le nez dans la partition, zappe les notes qui le dérangent, écourte ses fins de phrases, négocie en voix de tête les grands aigus destinés à faire crouler la salle et n’a de toute façon pas la voix de « lyrico spinto » (littéralement « lyrique poussé ») requise par ce rôle où Beniamino Gigli et Franco Corelli se sont illustrés. Circonstance aggravante : il sort de scène dès qu’il ne chante plus, au lieu d’attendre sur sa chaise. Sa partenaire Kristin Lewis, originaire de l’Arkansas, est en revanche portée aux nues, si ce n’est par quelques internautes, qui notent qu’elle ne perd pas une occasion, le sentant en difficulté, de l’écraser sous les décibels. Conclusion du New York Times : « On va aux concerts de l’Opera Orchestra de New York pour entendre de grands artistes faire des expériences, pas pour assister à des lectures à vue ». A noter que c’est à Milan (Aida en 2006) et à New-York, villes à haut risque pour les ténors, qu’Alagna tente le saut de l’ange. Dans son pays natal, il est en général plus prudent.

François Lafon

samedi 5 janvier 2013 à 11h45

Parmi les festivités marquant le bicentenaire de la naissance de Wagner : Wagner goes rap. « L’idée est simple, peut-on lire sur le site dédié à l’opération. Choisissez un texte ou une mélodie, faites-en un rap. Il est indispensable que le public comprenne ce que vous dites avec votre chanson. La référence à Wagner doit être visible ». Réalisez ensuite une vidéo de votre travail. Le vainqueur, qui devra être âgé de treize à dix-neuf ans, participera à un atelier avec le célèbre rappeur allemand Le Bo. L’édition d’un CD couronnera le tout et l’œuvre sera créée le 28 juillet 2013, lors d’un festival de courts métrages dédiés au compositeur et résultant lui aussi d’un concours. La fondation Fair Play, organisatrice de l’opération, s’est donné pour objectif d’ « embrasser les valeurs culturelles accessibles aux jeunes à travers la participation concrète de ceux-ci en tant que figures culturellement actives, avec la participation des institutions culturelles, des associations et des établissements d'enseignement, dans le but de promouvoir une coexistence équitable, responsable et harmonieuse au sein de la société ». On imagine les trésors de créativité que vont déployer les Eminem en herbe à partir de « Hoïotoho ! Heiaha ! » (La Walkyrie, II, 1) ou « Iohohoë ! Iohohohoë ! Iohohoë ! Iohoë ! " (Le Vaisseau fantôme, II, 1).

François Lafon

www.wagnerjahr2013.de/de/rap
 

Concert du Nouvel an à Vienne, suite. Selon le quotidien autrichien Kurier (social-démocrate), l’eurodéputé vert Harald Walser remet en cause l’institution, créée en 1939 et fer de lance de la propagande nazie jusqu’à la fin de la guerre. Reprenant les thèses des historiens Bernadette Mayrhofer et Fritz Trümpi, il rappelle que la moitié des membres du Philharmonique (à commencer par le chef Clemens Krauss) étaient à l’époque inscrits au parti, qu’une quinzaine de musiciens en avaient été exclus parce qu’ils étaient juifs et que sept d’entre eux étaient morts dans les camps. Il révèle que Goebbels avait préservé le label Strauss en arrachant la page du registre des mariages de la cathédrale St Etienne de Vienne où il était indiqué que Strauss grand-père (Michael) était un juif baptisé, et regrette que les archives de l’Orchestre ne soient pas encore accessibles au public, ce que conteste son directeur Clemens Hellberg. Il n’emboite cependant pas le pas à certains radicaux, qui vont jusqu’à demander l’abolition du Concert. Scoop du jour : c’est Daniel Barenboim qui sera au pupitre en 2014. Le chef qui a osé diriger Wagner en Israël aura certainement un avis sur la question.

François Lafon

Photo © DR

Retransmis en direct et en Mondiovision (soixante pays), le Concert du Nouvel an à Vienne, sous la baguette de Franz Welser-Möst, directeur (entre autres) de l’Opéra. Cérémonial immuable : valses et polkas célèbres, quelques raretés liés à l’actualité (hommages à Wagner et Verdi, les bicentenaires de l’année), gags tous publics (distribution de peluches, le chef se retrouvant coiffé d’une toque de cuisinier), ballets façon Châtelet 1950, le tout sponsorisé par Rolex. Signe de modernité : la caméra valse elle aussi (plongées-contre-plongées : on se croirait à Disneyland), et l’éclairage transforme le vieil or du Musikverein en papier de chocolat et les fleurs fraîches en bouquets artificiels. Froideur du chef (gestique calculée, masque figé), professionnalisme des musiciens. Quelques jours avant de claquer la porte du festival de Salzbourg pour cause de plannings surchargés, Franz Welser-Möst a fait le buzz en dénonçant la « tabloïdisation » de la musique : « L'art doit sonder les profondeurs, mais il est aussi l'expression de son époque. Or nous vivons à l’âge de la superficialité ». Son apparente obstination, en ce 1er janvier, à débarrasser la musique des Strauss de son contenu festif est peut-être une nouvelle forme de cette dénonciation. En attendant, Prosit Neujahr (bonne année) quand même.

François Lafon

Photo © DR

 

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