Mardi 19 mars 2024
Le cabinet de curiosités par François Lafon
mercredi 21 février 2018 à 11h38
L’installation sonore a déjà près de vingt ans, elle a voyagé à Ottawa, à Fontevraud, à Berlin, à New-York, à Tokyo, à Strasbourg… Jusqu’au 5 mars, elle est audible à Paris, à la Fondation Louis Vuitton, dans le cadre de l’exposition Etre moderne : le Moma à Paris, et elle vaut le déplacement (comme toute l’expo, d’ailleurs). 40 haut-parleurs placés à hauteur des oreilles sont disposés par groupes de 5 suivant une ellipse tout autour d’une grande salle. Chacun d’eux restitue l’une des voix du fameux Spem in alium, le motet de Thomas Tallis pour huit chœurs de cinq pupitres, composé au milieu du XVIème siècle, enregistré ici avec le chœur anglais de Salisbury et retravaillé par la Canadienne Janet Cardiff, une artiste en randonnées sonores. Ecouter le motet dans son ensemble au centre de la salle est superbe, mais déambuler d’une voix à l’autre, se laisser porter par les sopranos (voix d’enfants) avant de frissonner grâce aux basses profondes est une expérience encore plus fascinante qui mène au cœur même de la musique : le motet n’est jamais tout à fait le même, sa « vocation spatiale » apparaît comme jamais, on a même le sentiment de faire soi-même partie des chanteurs. Qui plus est, les pauses de trois minutes entre chaque diffusion laissent entendre les coulisses, les choristes qui chuchotent, qui rient, en un mot qui vivent. Le classique est encore et toujours une musique en effervescence.
Gérard Pangon
 
Janet Cardiff : The Forty Part Motet. Fondation Louis Vuitton jusqu’au 5 mars, et visible aussi ici. (Photo © DR)
 
dimanche 11 février 2018 à 18h19
Finale, à l’Opéra Comique, du concours Voix Nouvelles (voir ici). Douze concurrents – sept filles, cinq garçons -, présentés par Natalie Dessay (première lauréate du concours en 1988 et marraine de l’événement) et accompagnés par Laurent Petitgirard avec l’Orchestre Colonne. Niveau général élevé, premier prix et prix de la Meilleure interprète du répertoire français décernés par un jury de décideurs (beaucoup de directeurs de théâtres) à la prometteuse soprano Hélène Carpentier, trois prix – dont celui du public – à la soprano Angélique Boudeville, membre de l’Académie de l’Opéra de Paris (voir ), voix somptueuse et présence chaleureuse (mais attention à la diction !). XIXème siècle à l’honneur dans le choix des airs (deux pour chacun, dont un obligatoirement en français) : Gounod et Massenet en tête, un seul Mozart (Papageno par le baryton Kamil Ben Hsaïn Lachiri), un Ravel (L’Heure espagnole par la mezzo Eléonore Pancrazi). Absence donc de toute musique postérieure à la Grande Guerre et antérieure à la Révolution. Il faut, certes, plaire (et pas seulement au jury) et faire ses preuves dans le « grand répertoire ». Quid, tout de même, du répertoire dit baroque, largement représenté sur les scènes et auquel l’école de chant française - dont on ne donnait pas cher il y a encore vingt-cinq ans - doit une partie de sa résurrection ? Parmi les six-cent-sept candidats initiaux, un seul contre-ténor. L’union nationale, dans ce domaine aussi, relève-t-elle du vœu pieux ? 
François Lafon 

Opéra Comique, Paris, 10 février (Photo : Hélène Carpentier©DR)

A l’Athénée : Moscou Paradis, « comédie musicale d’après Dimitri Chostakovitch » par la compagnie Opéra Louise de Fribourg. Une opérette même (Moscou, Tcheriomouski ou Quartier des cerises) créée en 1959, dernier ouvrage lyrique de l’auteur du Nez et de Lady Macbeth de Mtsensk. Une œuvre de commande et un exercice de style : il s’agissait de fêter en musique le lancement d’une cité idéale au sud-ouest de Moscou appelée à être reproduite dans de nombreuses villes d’URSS, où les heureux camarades travailleurs avaient enfin leur appartement à eux, et au milieu des cerisiers en fleurs encore. Mais comme on était en plein dégel khrouchtchévien, Chostakovitch et ses deux librettistes-humoristes Vladimir Mass et Michail Chervinsky en ont profité pour saupoudrer les roses de quelques pincées de poivre, épinglant les fonctionnaires-profiteurs dans la lignée de Gogol et convoquant Boulgakov (Le Maître et Marguerite) pour résoudre par un tour de magie les tracasseries kafkaïennes auxquelles le citoyen soviétique était en butte. Soixante ans après et pour un public occidental qui connaît d'autres problèmes de logement, le metteur en scène Julien Chavaz remuscle le propos en jouant la carte du cartoon peuplé de pantins formatés, sur lequel plane une étrange menace personnifiée par le concierge muet de l’immeuble, devant lequel se fige périodiquement le ballet frénétique des gentils locataires et des méchants bailleurs. Même douche écossaise pour la musique - habilement transcrite pour deux pianos et percussions et finement dirigée par Jérôme Kuhn -, mais dont on saisit moins bien les nombreux clins d’œil et citations (de Tchaïkovski au « Chant des jeunes travailleurs ») dont le public moscovite devait se délecter, tout en admirant le génie du Beethoven du XXème siècle à se transformer à volonté en Gershwin du Soviet suprême. Excellente troupe, chantant (fort bien) en russe et jouant (aussi bien) en français, tous portant à bout de voix cette curiosité créée en France (Opéra de Lyon) en 2005 seulement et dont c’est la première à Paris.
François Lafon

Théâtre de l’Athénée, Paris, jusqu’au 16 février (Photo©Magali Dougados)

Centenaire Debussy chez Warner Classics : « The complete works », coffret de 33 CD. A première vue, une compilation classique : piano seul (6 CD), piano à quatre mains (2 CD), musique de chambre (2 CD), orchestre (5 CD), mélodies (5 CD), etc. Versions récentes ou anciennes (jusqu’à Debussy par lui-même sur rouleaux ou en acoustique) principalement issues des copieux catalogues Erato et EMI, dont certaines inattendues (La Mer par Carlo Maria Giulini et le Philharmonia Orchestra, les Préludes pour piano par le trop oublié Yuri Egorov), auxquelles s’ajoutent des pièces inédites au disque et enregistrées pour l’occasion, telle La Chanson des brises, dont le manuscrit complet a été récemment retrouvé. Principal écueil, le labyrinthe des œuvres, dans la complexité duquel le « Père de la modernité » bat tous ses confrères passés et à venir : passages du piano à l’orchestre (et vice-versa) par lui-même ou par ses amis (Caplet, Ravel, etc.), pièces inachevées terminées à titre posthume (l’Opéra Rodrigue et Chimène par Edison Denisov) ou présentées dans leurs divers états d’inachèvement (La Chute de la maison Usher tel qu’abandonné en 1916), transcriptions de Wagner, Schumann ou Saint-Saëns… Seule lacune : la version orchestrale (inaccessible) d’un Intermezzo de 1882, présent tout de même dans sa réduction pour piano à quatre mains. Chef-d’œuvre éditorial donc, mais casse-tête pour l’heureux acquéreur du coffret, si ce n’est - Sésame, ouvre-toi final - que le texte de pochette de Denis Herlin, chercheur au CNRS, rédacteur en chef des œuvres complètes de Debussy (Editions Durand) et maître d’œuvre de l’entreprise, replace les pièces du puzzle (avec renvois aux plages concernées) dans le parcours du compositeur en trente pages passionnantes autant qu’éclairantes. 
François Lafon

Claude Debussy, the complete works. A coffret de 33 CD Warner Classics

 

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