Concerts, vendredi et samedi, de l’Orchestre des jeunes Demos à la salle Pleyel. Des Orchestres plutôt : 450 franciliens de sept à quatorze ans, répartis en quatre formations et dirigés par deux chefs. C’est le Sistema à la française, « dispositif d’éducation musicale à vocation sociale » initié en 2010 sur le modèle vénézuélien dont Gustavo Dudamel est le héraut. Logistique bien huilée : cinq minutes, pas plus, pour que Demos 92 (Hauts-de-Seine, en orange) laisse la place à Demos 94-95 (Val-de-Marne - Val-d’Oise, en bleu), etc. Présentation succincte, explications éclairantes. La complexité rythmique des Danses roumaines de Bartok ? Trois coups sur la poitrine, trois sur la cuisse, deux avec les pieds. Encadrés par les enseignants, parmi lesquels des membres de l’Orchestre de Paris et de l’orchestre Divertimento, les têtes blondes et brunes s’exécutent comme des pros. Chaque formation joue trois morceaux, classique (Beethoven, Dvorak) ou non (Piazzolla, John Williams), avec soliste ou non (un concerto, ça ne demande pas les mêmes réflexes qu’une symphonie). Dans la salle, familles et amis : « On est là ! », crie une mère à l’entrée de Demos 93 (en blanc). « Même pas trois ans, et ce qu’ils font ressemble à quelque chose, » commente, ému, un directeur de Conservatoire, partie prenante de l’opération. Atmosphère festive, sans démagogie ni com agressive : une rareté par les temps qui courent. Pas même besoin d’un Dudamel pour faire flamber l’affaire. A partir d’octobre, nouvelle phase de trois ans : mille Franciliens plus trois autres régions.
François Lafon
Salle Pleyel, Paris, 29, 30 juin Photo © Laure Vasconi
Réactions en foule à la disparition de Brigitte Engerer. La pianiste était appréciée, mais n’avait jamais déchaîné de passions proprement musicales : elle jouait beaucoup, bien, sans chercher à se mettre en avant ni révolutionner l’art de l’interprétation. Elle était une sorte d’anti-Hélène Grimaud, une artiste de terrain, travaillant avec les grands orchestres comme avec les moins grands, passant avec la même conscience professionnelle de la salle Pleyel aux MJC les moins médiatisées. Cela lui venait peut-être de ses années russes, de son apprentissage à Moscou avec Stanislas Neuhaus : comme Richter, comme Gilels, tout Richter et Gilels qu’ils étaient, elle « faisait le travail ». Dans le milieu musical, on la savait malade depuis longtemps : « Encore un que l’adversité n’aura pas », se disait-on (se disait-elle ?) à chacun de ses nombreux concerts. Elle était une bonne cliente aussi pour les journalistes : du vécu, du contenu, jamais de langue de bois ni d’autopromotion. Quand on dit qu’elle laisse un vide, ce n’est pas une formule toute faite.
François Lafon
Après les dessins au pochoir de Miss Tic sur les murs et les fausses plaques de rue Impasse Sarkozy Ancien président de la République 2007-2012 en mars dernier, ce sont maintenant les pianos qui envahissent la capitale : ils sont quarante dans Paris pour une version transposée de la célèbre injonction du Bossu « Si tu ne vas pas au piano, le piano ira à toi. » Sao Paulo, Los Angeles, Londres, Genève, Sydney, Barcelone… depuis 2008, ce « street » événement fait un tabac. Chez nous, jusqu’au 8 juillet, au Forum des Halles, à la gare Montparnasse ou place de la Nation, à chacun de s’installer au clavier de ces instruments au look bariolé pour séduire les passants. L’autre jour au Carrousel du Louvre, un touriste s’est arrêté pour jouer la sonate Appassionata et tout le monde en est resté bouche bée. Comme devant La Joconde.
Gérard Pangon
http://streetpianos.com/paris2012/
Lever de boucliers à la suite des déclarations d’Aurélie Fillipetti à propos du futur Centre National de la musique et des variétés, lequel devrait, selon elle, avoir vocation de défendre les labels discographiques indépendants plutôt que les majors. Dans Le Monde du 11 juin, David El Sayegh, directeur du Syndicat national de l'Edition Phonographique (SNEP), explique qu’ « en 2011, les majors ont versé plus de 60 millions d'euros à leurs partenaires producteurs indépendants », que « les indépendants font donc quasiment jeu égal avec les majors », et que « voir dans les relations majors/indépendants un rapport par nature antagoniste relève d'une approche populiste ». Dans Le Point du 24 mai, il précisait que « contrairement à une idée reçue, les majors sont des actrices de la diversité musicale. Elles sont, par exemple, les seules à éditer de la musique classique ». Réfutation de ce dernier argument par Jérôme Roger, directeur de l’Union des Producteurs Phonographiques Français Indépendants (UPFI) : « Loin d'avoir "déserté le classique" comme le prétend le SNEP, sur 461 albums classiques, principalement européens et français, édités en 2011 (source : Aide-mémoire des victoires classiques), les indépendants en ont produit 72,5 %. Des labels aussi prestigieux que Harmonia Mundi, Naïve, Outhere et tant d'autres continuent à se battre pour défendre les couleurs du classique en France et dans le monde. » Toujours selon Le Point du 24 mai : « Aurélie Filippetti a notamment marqué son intérêt particulier pour la musique classique, qui, selon ses mots, doit être particulièrement soutenue et encouragée ». Or dans Les Inrocks du 31 mai, on peut lire : « Le CNM n’interviendra pas dans certains domaines, comme la musique classique ». On peut y lire aussi qu’ « au CNM, on veut croire que pour les employés concernés, ce sera plus valorisant et motivant d’être dans une structure qui rassemble ». Nous voilà rassurés.
François Lafon
Au Palais Garnier, exposition L’Etoffe de la modernité, costumes du XXème siècle à l’Opéra de Paris : costumes pré-hollywoodiens hérités du XIXème, spectacles de peintres dans le sillage des Ballets Russes (Benoit, Derain, Léger, Cocteau), sages innovations de l’après-guerre (Masson, Leonor Fini, Carzou, Chagall). Cela s’arrête à l’aube du XXIème siècle, ère de la mondialisation des styles et des esthétiques. Le ballet est mieux servi que l’opéra : tradition de modernité, long règne créatif de Serge Lifar (1930-1958), premiers costumes de couturiers (Yves Saint-Laurent pour Notre Dame de Paris de Roland Petit – 1965). Les touristes se font photographier devant les pourpoints de Noureev exposés dans les espaces publics, mais combien pousseront la porte (discrète) de la Bibliothèque Musée, où les costumes, dessins, croquis et accessoires racontent, dans un clair-obscur propice au rêve, l’apogée et le déclin des arts réunis ? Le catalogue met en vedette les ateliers-maison (cent-cinquante-trois salariés, trois sites, sept services) et permet de s’attarder sur les croquis zébrés d’indications techniques. On apprécie les détails de la croix de fer portée par le Capitaine de Wozzeck (André Masson – 1963) et l’on apprend comment, en Olympia des Contes d’Hoffmann (Michael Levine – 2000), Natalie Dessay se débarrassait de sa robe de poupée pour apparaître en robot violeur.
François Lafon
Bibliothèque Musée et espaces publics de l’Opéra de Paris – Garnier, du 19 juin au 30 septembre 2012. Catalogue Opéra National de Paris – Bibliothèque Nationale de France. 20 €.
Décès, à quatre-vingt-deux ans, de l’écrivain et critique Hector Bianciotti, un des rares privilégiés à avoir vraiment vu Maria Callas dans La Traviata mis en scène par Luchino Visconti à la Scala de Milan (vingt-et-une représentations en 1955-1956). « Le destin de Maria Callas fut de lutter contre le destin, pour devenir dans la réalité tangible une autre, l'autre. Peut-être la seule bonté du sort à son endroit fut-elle de lui permettre de mourir avant que n'affleurât, surgissant des profondeurs où elle la gardait, assoupie, la grecque primitive, la terrienne, la grosse fille boudeuse, mal attifée qui lui avait fait le don des mystères et des infinis qu'elle recelait, » écrit-il dans Le Pas si lent de l’amour (1995). Dans Le Traité des saisons (1977), roman autobiographique écrit à la troisième personne, il raconte sa découverte de la musique (« La musique fut ainsi pour lui le premier nom de l’extase – et peut-être sera-ce l’ultime ») et évoque déjà Callas, cette fois dans Norma, sous forme d’acrostiche : « Chrysalide mystérieuse entre les plis de son vêtement, Altière et royale sans raideur, La lune qui apparaît dans le ciel double sa présence, La salle comble retient son souffle, etc. » « Personne comme elle n’aura montré, dans son abandon calculé à l’emphase, la scène primordiale de la naissance de l’art : le désir corporel de transcendance », conclut-il. Argentin d’origine piémontaise, n’écrivant qu’en français à partir de 1982 (il a été élu à l’Académie française en 1996), Bianciotti avait un style fleuri, bien adaptée à sa nature de fan. Et qui davantage que les Français aime cette manière extasiée, voire hystérique, de parler de la musique et des artistes ?
François Lafon
Au Grand Palais, dans le cadre de Monumenta 2012 consacré à Daniel Buren, Libido sciendi (J’apprends par le sexe), pas de deux sans musique du dramaturge Pascal Rambert. Silence, longues plages d’immobilité, nudité des danseurs perdus dans l’immensité de la nef : la pièce, créée en 2008 à Montpellier-danse, est devenue un classique du « no charm so charming ». « Accouplement chorégraphique sans accompagnement musical autre que les respirations et le dialogue sonore des peaux, » annonce le programme. C’est plutôt la rumeur du lieu qui s’impose : craquements des cercles colorés buréniens, sonneries de portables portées par l’écho, voix venues de nulle part, grondement de la ville au loin. Tout cela forme une partition sauvage, pas moins suggestive que le « dialogue sonore des peaux ». Même lieu, la semaine dernière, Pierre Guyotat a lu des extraits du De Rerum Natura de Lucrèce : « Quand il m’a été offert de participer à l'une des soirées de Monumenta, j'étais en train de relire Lucrèce qu'on ne peut lire en latin qu'en le prononçant à voix ouverte tant le monde y est tassé comme un testament d'avant la catastrophe ». Métaphores de la superficialité, vraiment, les jeux colorés de Buren ?
François Lafon
Libido sciendi, Grand Palais, Paris, les 7, 8, 9 juin à 21h15. A voir jusqu’à dimanche 10 sur Arte Replay, le documentaire Daniel Buren auGrand Palais.
Un hit sur le net : David Beckham jouant l’Hymne à la Joie de Beethoven. Instrumentarium : des ballons de football et un mur de tambours accordés ad hoc. But de l’opération : promouvoir Galaxy Note, le nouveau smartphone de Samsung, Beckham étant milieu de terrain du Los Angeles Galaxy. C’est la presse sportive qui fait le plus la grimace : vilains sons, pas de rythme, déhanchements inutiles. Faire ça à Beethoven ! Pas grave, les smartphones Samsung cartonnent déjà : cinq millions vendus en cinq mois.
François Lafon