Dimanche 3 novembre 2024
Le cabinet de curiosités par François Lafon
samedi 20 novembre 2021 à 00h40
Reprise, en « présentiel », des activités du Centre de Musique de Chambre de Paris, salle Cortot : en attendant le come-back du Carnaval des animaux (... préhistoriques – voir ici) en décembre, voici Proust en Chausson(s), prévu la saison dernière, filmé et diffusé en streaming le 14 janvier en plein confinement, mais trouvant en public sa vraie dimension. Chausson avec ou sans « s » puisqu’il ne s’agit pas (seulement) ici des pantoufles de l’auteur d’A la Recherche du temps perdu, mais d’Ernest Chausson et de son capiteux Concert pour violon, piano et quatuor à cordes, donné par le concepteur et directeur du Centre Jérôme Pernoo non comme un énième modèle de la "Sonate de Vinteuil", mais comme propice à la réflexion sur la musique entraînée chez Proust par la « petite phrase » de ladite Sonate. Et cela fonctionne ! Comment une mélodie s’empare-t-elle de vous ? Découverte d’abord, mêlée d’incompréhension face à l’inconnu, puis oubli, enfin redécouverte, ouvrant la porte d’un monde inespéré où s’opère « la communication des âmes ». Tandis que, chaussé de charentaises (quand même) et installé sous sa lampe, l’élégant acteur Léo Doumène nous guide dans les méandres des pensées et sensations de Charles Swann, les jeunes instrumentistes dessinent tout en jouant (fort bien, prouesse habituelle des concerts du Centre) une chorégraphie où les groupes se font et se défont, éclairant le chemin menant au cœur de l’œuvre comme la phrase proustienne nous entraîne dans son labyrinthe intérieur. En Single (19h30), le Trio Sora (Amanda Favier, Angèle Legasa, Pauline Chenais) donne les Trios pour violon, violoncelle et piano de Beethoven (un par soir, certains deux soirs), qu’il a enregistré pour Naïve : un bain d’enthousiasme, là aussi. 
François Lafon 
Salle Cortot, Paris : Proust en Chausson(s), précédé du Single du Trio Sora, les jeudi, vendredi et samedi jusqu’au 18 décembre - Captation (14/01/2021) de Proust en Chausson(s) sur www.recithall.com (Photo © V.O.)

samedi 23 novembre 2019 à 00h32
Rentrée, à la salle Cortot, du Centre de Musique de Chambre de Paris animé (dans tous les sens du terme) par Jérôme Pernoo : Le Carnaval des animaux (préhistoriques), mélange du Carnaval des animaux de Camille Saint-Saëns (1886) et de Jurassic Trip de Guillaume Connesson (1998), démarque spielbergienne du chef-d’œuvre pour le même instrument(err)arium. Comme d’habitude (voir ici), les (très jeunes) instrumentistes jouent par cœur, mais en plus courent, virevoltent, miment et bondissent, groupés ou opposés, en solo ou en tutti, sur fond de projections savoureusement décalées (ah, ce T.Rex se dandinant en mesure !) et dans des lumières étudiées. Avec un tel sujet, ils ont du grain à moudre, Saint-Saëns déboulonnant les statues des grands ancêtres dans sa « fantaisie zoologique » de Mardi gras destinée (de son vivant) à l’usage privé, et Connesson en faisant de même avec ses confrères (Thierry Escaich, Jean-Louis Florentz, Pascal Zavaro, il est vrai moins reconnaissables à l’oreille que les Rameau, Berlioz et Offenbach de son aîné), tous deux multipliant suggestions et imitations, lesquelles se répondent et s’entrechoquent avec un parfait à-propos. Une heure de bonheur potache et érudit, ponctué par les commentaires cultes de Francis Blanche (Saint-Saëns) et ceux non moins second degré d’Ivan A. Alexandre (Connesson), artistement distillés en voix off par Elsa Rooke. Et toujours coup de chapeau à ces jeunes virtuoses qui prennent tous les risques, parmi lesquels on a scrupule à isoler tel ou tel, même si le « Cygne » royal du violoncelliste Léo Guiguen symbolise la qualité de l’ensemble. Sept représentations encore jusqu’au 7 décembre, précédées - en happy hour - de courts concerts de chambre par les Quatuors à cordes Hanson et Mona. Pas de raison de s’en priver. 
François Lafon 

Salle Cortot (Ecole Normale de Musique), Paris, jusqu’au 7 décembre

mercredi 2 octobre 2019 à 00h12
Création de l’année à l’Opéra Comique : L’Inondation de Francesco Filidei (musique) et Joël Pommerat (texte et mise en scène) d’après la nouvelle d’Evgeni Zamiatine (scénariste des Bas-fonds de Jean Renoir d’après Gorki). Du pur Pommerat, puisqu’à la différence de ses précédents livrets d’opéras, celui-ci n’est pas l’adaptation d’une de ses pièces, mais qu’il l’a élaboré sur le vif, au cours d’ateliers réunissant chanteurs, musiciens, comédiens et… compositeur, Filidei se prêtant au jeu de l’« écriture de plateau » chère au dramaturge-régisseur. « J’ai voulu me couler dans le moule classique de l’opéra afin de le briser de l’intérieur », déclare le musicien. Plutôt que d’anti-opéra (terme galvaudé), on pourrait parler d’opéra à rebrousse-poil : dans un pays et une époque indéterminées (ni la Russie de 1929 ni la France de 2019), l’histoire banale (un homme attiré par une adolescente, l’épouse craque) de gens banaux (et taiseux, difficulté supplémentaire à l’opéra) dans un cadre banal (un immeuble modeste, solitude et promiscuité mêlées). Une inondation (nous sommes au bord d’un fleuve) fera sauter les digues du refoulement et celles de la banalité. Chant debussyste (Pelléas et Mélisande a été créé sur la même scène) mais orchestre très filideien, c’est à dire -  fidèle à la nouvelle originelle - faisant entendre, sentir, imaginer les sons de la nature, de la rue, de l’immeuble que l’on voit en coupe, un peu comme dans Playtime de Jacques Tati : un double crescendo aboutissant à deux climax, avant et après ladite inondation, lorsque la tête de l’épouse déborde elle aussi. Résultat millimétré (on s’y croirait, dans cet immeuble) et « dérapages de réalité » alla Pommerat, tel ce voisin contre-ténor, narrateur omniscient habitant les combles, ou le dédoublement de l’adolescente, comédienne et chanteuse créant une atmosphère fantastique évoquant plutôt… Boulgakov. Tout cela distillant un mélange de fascination et d’ennui que l’on imagine savamment calculé. Superbe travail du Philharmonique de Radio France sous la baguette de l’excellent Emilio Pomarico, lequel dirige un plateau sans faille de chanteurs-acteurs où il retrouve Boris Grappe (le mari), son non moins excellent Wozzeck de l’Opéra de Dijon (voir ici).  
François Lafon 

Opéra Comique, Paris, jusqu’au 3 octobre. Représentation ultérieures à Angers, Nantes, Rennes, Luxembourg, Limoges, Caen (Photo © Stefan Brion)

samedi 13 avril 2019 à 00h37
A la Cité de la musique, Salle de concerts : In Between, « soirée inédite de rencontre entre les arts ». Autour de Matthias Pintscher et de l’Ensemble Intercontemporain, Alexander Fahima (mise en scène) et Nandor Angstenberger (scénographie) convoquent « l’entre-deux, moment du jour où la lumière change, où l’on ne saurait dire si l’on est encore la nuit ou déjà le matin ». Premier coup d’œil (si l’on peut dire, étant donnée la pénombre ambiante) plein de promesses : parterre vidé de ses sièges, aires de jeu disposées « telles des îles », cocon de laine géant reliant les diverses parties du tout, « filet conceptuel qui fait tout tenir ensemble ». Public sédentaire au balcon, errant en bas, invité à intervertir les rôles à l’entracte. Projet évident de renouveler les codes du concert qui va se révéler pertinent mais discret, sans commune mesure avec les fêtes visuelles dont le Palais de Tokyo s’est fait une spécialité, et laissant la musique mener le bal. Et quel bal ! Après Anahit, poème lyrique dédié à Vénus du grand aîné Giacinto Scelsi (mélodies de timbre, musique en suspension), choc de Art of Metal II de Yann Robin (approche métaphorique de ce que peut inspirer le métal) suivi de l’étonnant Guero pour piano d’Helmut Lachenmann (comment faire chanter l’instrument sans enfoncer une seule touche) et de son contraire Corda pour piano et électronique d’Aureliano Cattaneo (comment faire dire encore plus à l’instrument qui dit déjà tout). Cattaneo reviendra avec Deserti pour ensemble (sons à mi-chemin entre hauteur et bruit) et Lachenmann fermera le banc avec le magnifique Mouvement pour ensemble (ultimes réflexes du corps avant la mort), reliés par le très fin Study III for Treatise on the Veil pour violon seul de Pintscher lui-même (voilage-dévoilage chuchoté), auquel la violoniste Jeanne-Marie Conquer, comme ses camarades de l’Intercontemporain tout au long du programme, apporte un surcroit de féérie.
François Lafon 

Cité de la Musique, Salle de concerts, Paris, 12 avril (Photo : Jeanne-Marie © Franck Ferville)

lundi 18 février 2019 à 17h27
Exposition au Centre Pompidou : La Fabrique du vivant, troisième volet du triptyque Mutations/Créations. Après Imprimer le monde (voir ici) et Coder le monde (et ), il s’agit cette fois de « nouveaux états intermédiaires d’artificialité, faisant évoluer, entre l’inerte et l’animé, la notion de vivant ». Accueilli par un miscellum de champignons formant arche et cimenté par la matière organique en constante évolution, le visiteur croise des lampes alimentées par une batterie de bactéries (Teresa van Dongen, designer), des constructions bio-architecturales (Alison Kudla : Capacity for Urban Eden, Human Error), textures, aspects et même odeurs en constante évolution, recherche de solutions nouvelles pour appréhender différemment  une planète pas si épuisée qu’on le croit, œuvres d’art en même temps qu’objets de laboratoire, présentées par leurs créateurs/expérimentateurs dans un état par essence transitoire. « Parce que le vivant, c’est l’instable », le compositeur Jean-Luc Hervé, dépêché par l’IRCAM coproducteur du cycle, investit l’espace d’un dispositif craintif, c’est à dire réagissant à la présence humaine à la manière des organismes vivants : une symphonie en mineur de cavalcades, frôlements, pépiements, caquètements et battements d’ailes titrée Biotope, se faisant discrète dès que l'intrusion devient menaçante (nombreux capteurs dissimulés dans les salles) et éclatant en « grand envol » quand le danger se précise. Toute une nature plus vraie que nature et pourtant sans aucun son naturel selon Jean-Luc Hervé, lequel revendique un travail d’orchestrateur recherchant des alliages instrumentaux inédits. Plus qu’un contrepoint auditif aux étranges objets présentés, un décollement de la réalité évoquant les inquiétants univers parallèles de Lovecraft. 
François Lafon 

Centre Georges Pompidou, Paris, Galerie 4, niveau 1, du 20 février au 15 avril. Concerts IRCAM liés à l’exposition les 20 février et 28 mars

lundi 5 novembre 2018 à 22h18
Fils héritier de Mario, le petit bonhomme qui gambade depuis des années sur les consoles de jeu vidéo, Line Rider, né en 2007, est un gamin lugeur, avec bonnet sur la tête et écharpe au vent. On le trouve sur le jeu en ligne qui porte son nom, où l’internaute est invité à lui tracer un circuit sur lequel il va glisser. Le talent du joueur est alors de dessiner un circuit véritablement spectaculaire.
Rien à voir avec la musique, direz-vous.
Sauf qu’un internaute particulièrement ingénieux (et patient) fait glisser Line Rider en musique, transformant les lignes en portées d’un genre nouveau, avec un résultat à la fois poétique, stupéfiant, voire hallucinant, et addictif.
« DoodleChaos », l’internaute au pseudo intrigant, a le rythme dans la peau, et ce rythme, il le traduit en images. Cette mise en lumière d’une œuvre musicale vaut tous les discours savants, avec des effets emphatiques inattendus : comment mieux faire entrer l’auditeur dans une œuvre telle que 5ème symphonie de Beethoven (voir ici) ? Ou Dans l'Antre du Roi de la Montagne (Peer Gynt - Edvard Grieg - voir ) ou encore La Danse de la Fée Dragée (Casse-Noisette – Tchaïkovski - par ) ?
La musique ainsi revisitée de façon ludique par les joueurs en ligne pourrait être matière à réflexion pour une industrie musicale toujours à la recherche de nouvelles ficelles pour élargir son auditoire : et si cette ficelle était une ligne ?
Albéric Lagier

vendredi 31 août 2018 à 01h27
Festival Berlioz à La Côte Saint André : Sacré Berlioz, 150ème anniversaire, acte 1. Le titre dit tout : festivités à venir et thème de l’année, ce « je t’aime moi non plus » du compositeur vis-à-vis de la religion, ou tout au moins du sentiment religieux dans l’art. Deux concerts aujourd’hui, pelote de fils rouges à suivre. A l’église d’abord, les Vingt Regards sur l’Enfant-Jésus d’Olivier Messiaen par Roger Muraro : partage de passions pour Bruno Messina, désormais directeur des festival Berlioz et Messiaen (le second professant son admiration pour le premier). Filiation artistique directe pour Muraro, élève d’Yvonne Loriod-Messiaen, dédicataire et créatrice de ce monument pianistique en vingt stations aux titres évocateurs ("Regard du Fils sur le Fils", « Regard de l’Onction terrible », « Je dors, mais mon cœur veille »), « langage d’amour mystique » où l’Etoile et la Croix sont reliées par un unique motif. Aucun dogmatisme chez Muraro, qui nous raconte une merveilleuse histoire en couleurs (Messiaen était synesthète), technicien sans ostentation (mais quels doigts !) et poète sans effets de manche, ralliant les croyants et les autres, donnant corps et âme à une musique pas si intimidante. Retour à Berlioz au Château Louis XI, où François-Xavier Roth et Les Siècles célèbrent Le Temple universel, projet à l’époque contrarié d’une cantate pour double chœur anglo-français, chacun chantant dans sa langue : « Embrassons-nous par-dessus les frontières ! L’Europe un jour n’aura qu’un étendard ». A l’orchestration de Robert Siohan, créée en 1948 par Roger Désormière au Théâtre des Champs-Elysées et à la fête de l’Humanité, succède une nouvelle version due à Yves Chauris. Une utopie musicale brève et éclatante, galvanisée par Roth mais compromise par un chœur apparemment pas assez préparé, le même qui, en grande formation (Spirito, Jeune Chœur Symphonique, Chœur d’oratorio de Lyon), est beaucoup plus assuré dans le final d’une 9ème de Beethoven (l’Europe, là aussi) décapée de toute langueur néoromantique, emportant la mise après un premier mouvement à parfaire. 
François Lafon 

Festival Berlioz, La Côte Saint-André, 30 août (Photo : Roger Muraro © DR)

Deuxième édition de Mutations/Créations au Centre Georges Pompidou (voir ici), en liaison avec Manifeste, le festival annuel de l’IRCAM. L’exposition Coder le monde renvoie à Raymond Lulle (l’Ars Magna, machine à roue organisant la réflexion théorique – 12ème siècle) et Blaise Pascal (première machine à calculer - 1642) pour mieux nous faire entrer dans le monde de la logique binaire et des algorithmes dont le dernier demi-siècle a vu l’exponentiel développement. Les littératures numériques, la conception digitale des formes en architecture et en design, le corps et le code, la musique et le code y sont largement illustrés. Large corner pour cette dernière, depuis l’invention de la combinatoire par Marin Mersenne (Harmonicorum Libri XII - XVIIème siècle), jusqu’aux récentes expériences de conception musicale à partir des techniques d’intelligence artificielle. Pour le néophyte avide de travaux pratiques spectaculaires comme pour l’initié blasé, Continuum de Ryoji Ikeda offre au même étage des sensations fortes. Le musicien et plasticien japonais installé à Paris y accompagne ses habituels « bruits blancs et ondes sinusoïdales » d’images vertigineuses dans un univers savamment déstabilisant : salle noire et écran géant pour code-verse, « méta-composition » impliquant l’œil autant que l’oreille ; salle blanche peuplée de haut-parleurs grand format pour A (Continuum), exploration des différentes fréquences qui ont défini la note « la » (« A » en allemand et anglais) depuis Bach jusqu’aux années 1970. Les personnes épileptiques sont priées de rester à la porte, ou de s’attarder dans les salles de Coder le monde, moins perturbantes (quoique…).
François Lafon

Mutations/Créations 2 : Coder le monde – Ryoji Ikeda : Continuum, Centre Georges Pompidou, Paris, jusqu’au 27 août. Forum Vertigo Coder-décoder le monde (rencontres et débats IRCAM), jusqu’au 16 juin. Festival Manifeste 2018, jusqu’au 30 juin. (Photo © Ryoji Ikeda Studio)

Sensation aux Etats-Unis : dans la liste des Prix Pulitzer, la catégorie Musique récompense cette année Kendrick Lamar pour son album DAMN. Une vraie révolution car un rappeur se trouve ainsi en compagnie des compositeurs classiques américains Elliott Carter, Steve Reich, John Adams, Aaron Copland, Roger Sessions et autres George Perle, jusqu’ici considérés presque comme les seuls éligibles à cette distinction plutôt modeste en termes monétaires (15000 dollars) mais auréolée d’un énorme prestige. Même le jazz, patrimoine américaine s’il en est, n’avait été reconnu que deux fois depuis que le Prix Pulitzer existe (1943) à travers la musique de Wynton Marsalis et Ornette Coleman. La fin d’un paradigme ? Plutôt la reconnaissance enfin d’un phénomène. Le seul rapproche que l’on puisse faire à cette distinction c’est qu’elle arrive en réalité tard : le rap est depuis au moins trente ans le style le plus novateur dans la musique américaine (toutes catégories confondues) dont même certains compositeurs « classiques » essayent de s’inspirer pour trouver cette puissante alchimie entre mots, rythmes et harmonies.
Pablo Galonce
 
jeudi 8 mars 2018 à 21h26
2% de partitions signées par des femmes : pas assez de compositrices dans les programmes des concerts, se désole la Ministre de la Culture et de la Communication, à l’occasion de la Journée de la Femme. Pour y remédier, le HCE (Haut Conseil à l’Egalité femmes-hommes) préconise un système de bonus-malus. Objectif : parité absolue. Réponses habituelles du milieu, recevables (le déséquilibre résulte d’un héritage essentiellement masculin) ou non (on connait peu de chefs-d’œuvre composés par des femmes). Selon Le Parisien, Claire Bodin, directrice du festival Présences féminines (Toulon) dit devoir envoyer quatre-vingt-un e-mails contre deux en général (?) pour trouver une partition signée d’une femme. Et chacun de citer Hildegard von Bingen (Moyen-Age) et Elisabeth Jacquet de la Guerre (XVIIème-XVIIIème siècle), Fanny Mendelssohn et Clara Schumann (XIXème siècle), Lili Boulanger et Germaine Tailleferre (XXème siècle). Impossible, pourtant, de refaire l’histoire : pour que la parité soit juste et effective, il faut en créer les conditions, et l’on sait que talent artistique et égalité des chances ne vont pas toujours de pair. Notre époque est en progrès, de Kaija Saariaho à Violeta Cruz (voir ici), mais ces compositrices composent de la musique … contemporaine, réputée peu accessible au grand nombre. Encore un tabou, que quotas, commandes officielles et bonnes intentions auront du mal à abattre. 
François Lafon
(Photo © DR)

mercredi 31 janvier 2018 à 10h01
À Deauville, pas question de se reposer sur ses lauriers. Pourtant, il y aurait de quoi : parrainé à ses débuts (1997) par rien de moins que Maria Joao Pires, Emmanuel Krivine et Augustin Dumay – « vieux » complices du directeur artistique Yves Petit de Voize –, cette académie célébrant quatre siècles de musique de chambre partait à la découverte de jeunes talents. Deux décennies plus tard, l’idée a fleuri un peu partout en France, mais c’est encore et toujours à Deauville qu’elle s’y exprime avec le plus de liberté. Au fil des saisons, sont nés et s’y sont confirmés de nombreux talents, de Jérémie Rhorer et Julien Chauvin et leur orchestre Le Cercle de l’Harmonie, aux pianistes Guillaume Bellom et Ismaïl Margain, des Quatuors Arod et Hermès à l’altiste Adrien La Marca et au claveciniste Justin Taylor… Chef-d’œuvre ou partition à découvrir, classique, romantique ou moderne : un équilibre subtil à retrouver cette année lors de cette 22ème édition, avec d’entrée de jeu (14 et 15 avril) deux superbes programmes, « russe » – Schnittke (Concerto grosso n° 1 pour 2 violons, clavecin, piano préparé et cordes) et Chostakovitch (Concerto n° 1 pour piano, trompette et cordes) – et « américain » – Ives (Concord-Sonata), Copland (Sept poèmes d’Emily Dickinson et El Salon Mexico), Barber (Dover Beach) et Adams (Hallelujah Junction). Entre quatuors, quintettes et sextuor de Schumann, Brahms, Bax, Schubert, Dvorak, Franck, Beethoven, Korngold, Mahler ou Fauré, il ne faut rater ni L’Histoire du soldat de Stravinsky, avec Didier Sandre en lecteur, le 28, ni la commande du festival à David Chalmin, né en 1980, de Sept particules d'obédience minimaliste insérées dans des concertos baroques de Vivaldi, Haendel et Telemann, sous la houlette de Justin Taylor et du compositeur, à la guitare et l’électro (21 avril). Un concert diffusé en direct sur Facebook, une première dans le cadre du Festival de Pâques, et qui connaîtra une suite, capté par B Records, pour sa désormais fameuse Collection Deauville Live.       
Franck Mallet

(Photo : Didier Sandre © DR)

mercredi 10 janvier 2018 à 10h35
Six-cents-sept candidats, quarante-sept demi-finalistes venus de France, de Belgique, du Canada et de Suisse pour le quatrième Concours Voix Nouvelles, dont la finale, le 10 février à l'Opéra Comique, sera présentée par Natalie Dessay, gagnante de la première édition en 1988 et marraine de l’opération. Initié et toujours animé par le Centre  Français de Promotion Lyrique (président : Raymond Duffaut, longtemps directeur de l’Opéra d’Avignon et des Chorégies d’Orange) et la Fondation France Télécom (aujourd’hui Orange), rejoints par la Caisse des Dépôts, l’ADAMI et France 3, le concours, en trois sessions étonnemment espacées (1988, 1998, 2002), a révélé plusieurs générations de voix francophones - Karine Deshayes, Stéphane Degout, Hélène Guilmette, Nicolas Testé, Anne-Catherine Gillet, la soprano météore Alexia Cousin -, tandis que le CFPL faisait tourner à travers le pays des productions du Voyage à Reims de Rossini, des vintages Caprices de Marianne de Henri Sauguet et d’une création : L’Ombre de Venceslao, de Martin Matalon d’après la pièce de Copi. Détail significatif : diffusées sur la page Facebook des Voix Nouvelles, les finales régionales et étrangères ont totalisé un million cent cinquante mille vues, dont 60% d’hommes et de femmes (presque à égalité, alors que le genre attire plutôt la gent féminine) âgés de moins de quarante-cinq ans, c’est-à-dire sensiblement plus jeunes que le public que l’on rencontre dans les salles d’opéra. France 3 a mis ses forces dans l’opération Facebook et diffusera la finale en direct sur Culturebox (plateforme de France Télévisions), avant de la programmer sur ses antennes. Comme quoi ce n’est décidément plus la télévision de papa qui fait le buzz. 
François Lafon

Voix Nouvelles en public : Opéra de Massy, 25 et 26 janvier : demi-finales au piano ; Opéra Comique, Paris, 10 février : finale avec orchestre (Orchestre Colonne, direction Laurent Petitgirard) – Théâtre des Champs-Elysées, 24 septembre : Concert des lauréats – fin septembre 2018 - juin 2019 : tournée des lauréats (Photo : Anne-Catherine Gillet © DR)

Onde de choc à l’opéra de l’effet Harvey Weinstein : faut-il, comme en conclut Olivier Py sur France Culture, réécrire les livrets suspects d’entretenir la violence faite aux femmes, faut-il, ainsi que le suggère la journaliste américaine Anne Midgette, interdire aux sopranos non-asiatiques de chanter Madame Butterfly, ouvrage impérialiste, faut-il s’offusquer qu’à Florence dans la mise en scène de Leo Muscato, ce soit Carmen qui assassine Don José, dont la réplique « C’est moi qui l’ai tuée » prend un sens inattendu ? Méli-mélo brassant les sujets sensibles de l’époque, miel pour les bien-pensants de tous bords - des plus angéliques aux moins fréquentables -, rappelant trop souvent que l’enfer est pavé de bonnes intentions et que qui veut faire l’ange fait la bête. Rien de si neuf du reste : en 2016 à l’Opéra de Lyon, Wajdi Mouawad transformait L’Enlèvement au sérail en manifeste féministe (voir ici), tandis qu’au festival d’Aix Christophe Honoré transportait Cosi fan tutte dans une Erythrée mussolinienne aux relents sexistes et racistes, tout cela – en plus politique et musicalement plus scrupuleux - dans la lointaine lignée « acclimatante » de La Flûte enchantée devenue à Paris Les Mystères d’Isis. Des mises au goût du jour rappelant le mot de Pierre Boulez « Ce qui est modé est voué à être démodé », mais esquivant, ce qui est plus inquiétant, la salutaire mise en perspective de l’évolution des mœurs que nous offrent les classiques. Et gêne surtout à l’idée que ce qu’on refoule produit des effets secondaires indésirables, et que le révisionnisme annonce en général des lendemains qui ne chantent pas. Ce qui, à l’opéra, est particulièrement problématique. 
François Lafon

vendredi 17 novembre 2017 à 20h10
Avec T@lenschool, la magie se joue en numérique. Derrière la formule, Christophe Rousset et Les Talens Lyriques, lesquels évoquent davantage les lueurs des chandelles que la lumière bleue des tablettes. Depuis 2014 pourtant, au collège Balzac (Paris 17ème) d’abord, puis dans divers établissements (de préférence prioritaires) de Paris et d’Ile-de-France, les trois applications (jouer ensemble – composer – interpréter) imaginés par le médiateur culturel Clément Lebrun et mis en œuvre par les développeurs Julien Bloit et Matthias Demoucron (passés par l’Ircam) forment de petits Horowitz de la tablette, capables d’intégrer un orchestre (chaque partie enregistrée par un membre des Talens Lyriques), de composer sa propre pièce (façon puzzle), d’en déterminer le tempo (Jeux de mains, jeux de clavecin). Trois cents élèves entre huit et seize ans sont donc à même de comparer Rameau et Couperin, de veiller à ce que le son du théorbe se marie harmonieusement avec celui des violes. Résultat : deux prix au concours New Tank Culture, un prix d’excellence de la fondation Audiens Générations. Pour fêter à sa manière les vingt-cinq ans des Talens Lyriques et les dix ans du programme d’action « Les Talens au collège », l’équipe travaille actuellement à une version anglaise et à un portage vers Android des applications, désormais gratuites pour les enseignants et institutions musicales. Limites du système : la musique plus récente, précisément mesurée, et d’où l’improvisation est bannie.  A la question « Avez-vous maintenant envie d’étudier un instrument pour de vrai ? », trois des jeunes virtuoses réunis lors de la présentation de l’opération répondent : la batterie, le piano et … rien. Après la sensibilisation, l’apprentissage. Du pain sur la tablette, ne serait-ce que pour damer le pion à un système éducatif qui s’éclaire encore à la chandelle. 
François Lafon

(Photo © Thomas Salva / Lumento)

jeudi 31 août 2017 à 02h16
" En suivant Berlioz à Londres au temps des expositions universelles " à La Côte-Saint-André, seconde journée. Exposition au musée-maison natale du compositeur : pèlerinage au pays de Byron et de Walter Scott, mais surtout vénération pour Shakespeare, dans lequel l’auteur de Béatrice et Bénédict voit le grand ancêtre, sans lequel lui-même ne serait pas ce qu’il est. Nombreuses lettres, affiches, objets personnels judicieusement présentés. Retour à l’église où le London Haydn Quartet poursuit son intégrale des Quatuors londoniens de Haydn. Jeu plus incisif que la veille (premier violon jusqu’à la stridence) pour les grandioses Quatuors op. 71 n° 2 et 3, entre lesquels s’intercale le séducteur op. 64 n°4, volonté ironique de plaire à un nouveau public. Le soir au Château Louis XI, coeur du sujet et foule des grands soirs : La Damnation de Faust dirigé par John Eliot Gardiner, auréolé des mémorables Symphonie Fantastique et Roméo et Juliette des deux précédents festivals. Monteverdi Choir et Orchestre Révolutionnaire et Romantique impeccables, tout dévoués à un théâtre sonore rendant caduque la question de savoir si la « légende dramatique en quatre parties » est ou n’est pas un opéra. « Ça manque d’unité ? Moi je réponds : Merde ! », disait Emmanuel Chabrier. C’est bien ainsi que le montre Gardiner, moins dans la cohérence dramaturgique que dans la décidément moderne (et shakespearienne plus que goethéenne) étincelle résultant de la confrontation des fragments, principe déjà des Huit scènes de Faust originelles. Un fabuleux patchwork où le théâtre est dans l’orchestre, au point que les chanteurs - si ce n’est Laurent Naouri conférant à Méphisto une inhabituelle complexité (l’esprit qui nie et qui rit) - passent au second plan, impression corroborée par la pâleur expressive de Faust-Michael Spyres (quels aigus, quelle diction pourtant, Nicolai Gedda n’est pas loin !) et d’Ann Hallenberg en Marguerite, largement dépassée en émotion par le cor anglais accompagnant son « D’amour l’ardente flamme ».
François Lafon

Festival jusqu’au 3 septembre, exposition au Musée Hector Berlioz jusqu’au 30 septembre (Photo : John Eliot Gardiner©FestivalBerlioz)

mercredi 30 août 2017 à 01h20
Cette année au Festival Berlioz de la Côte-Saint-André : « Berlioz à Londres au temps des expositions universelles ». Deux manifestations ce 29 août, deux façons inventives de traiter le sujet. En matinée à l’église : début de l’intégrale en cinq concerts des Quatuors « Londoniens » de Haydn, par l’excellent London Haydn Quartet. « Un clin d’œil aux souvenirs de Berlioz dont l’appartement londonien était voisin d’un salon de musique ». Habile rapprochement : les Quatuors op. 71 et 74 de Haydn et le Quatuor op. 74 de Beethoven. Contraste évident entre le génie haydnien d’étonner sans cesse sans sortir du cadre classique, et celui, beethovénien, de faire exploser ledit cadre tout en lui rendant hommage. Galvanisés par l’énergique premier violon Catherine Manson, les Anglais jouent sur instruments d’époque, mais sans baroquiser : classiques toujours, façon pertinente de réconcilier Berlioz avec Haydn. En soirée dans la vaste chapelle des Apprentis d’Auteuil (ex-Orphelins d’Auteuil, délocalisés dans vingt-cinq départements) : La Tempête (d’après Shakespeare) par la Compagnie La Tempête. « Créer un univers fantastique, échapper à la paraphrase, stimuler l’imaginaire et provoquer un éveil constant et inconscient de l’auditeur » : ainsi Simon-Pierre Bestion - auteur, metteur en scène, chef d’orchestre et de chœur – définit-t-il son projet à la tête de ladite Compagnie. Impressionnant travail musical, convoquant Locke et Purcell, Hart et Draghi, Pécou et Philippe, Franck Martin et Berlioz pour retrouver, en musique, chant, danse et expression corporelle, les « paysages imaginaires » d’une des pièces les plus mystérieuses de Shakespeare - comédie féérique, fable politique, métaphore du théâtre, peut-être son testament d’artiste. Troupe nombreuse et polyvalente, parfum de happening post-68, exaltation des forces naturelles davantage que drame personnel du magicien Prospero (qu’on ne voit pas, jusqu'à ce qu'on découvre qu'il s'agit de Bestion, omniprésent maestro), mais surtout atmosphère de recueillement, voire de religiosité étrangère au propos shakespearien. Une manière berliozienne peut-être de prendre ses distances avec le sujet.
François Lafon

Festival Berlioz, La-Côte-Saint-André, jusqu’au 3 septembre (Photo : La Tempête©FestivalBerlioz)
 
On n’entend pas à La Chaise Dieu que des grandes fresques chorales, mais aussi des concerts symphoniques. Fondé en 1998, l’Orchestre de l’Opéra de Rouen-Normandie était dirigé par le chef américain Jonathon Hayward, âgé de 23 ans,  premier prix au concours de Besançon en 2015. La Symphonie classique de Prokofiev démarre en trombe, mais les accents manquent de « pointu ». Le concerto pour harpe de François-Adrien Boïeldieu (1775-1834), agréable  ouvrage de jeunesse d’un compositeur natif de Rouen, date de 1796 : l’instrument de Marie Antoinette est alors sur le point d’acquérir sa facture moderne. Succès mérité pour Agnès Clément, lauréate en 2010, à 20 ans, du concours de harpe de Bloomington, et en 2016, à Munich, du concours d’interprétation d’une œuvre contemporains. Plus qu’avec subtilité, la Symphonie n°8 de Beethoven est rendue avec puissance, et dans les accords finaux une très appréciable discipline. Créé en 1960, seule formation symphonique professionnelle de Belgique, l’Orchestre philharmonique royal de Liège a depuis 2011 comme directeur musical Christian Ambling, né à Vienne en 1971 mais formé à Hambourg. Programme centré sur le « Nouveau Monde », avec avant l’entracte un Adagio pour cordes de Samuel Barber d’une belle  intériorité et une Rhapsody in Blue de Gershwin modérément « jazzy » : au piano Simon Ghraichy, d’origine libano-mexicaine, formé au C.N.S.M. de Paris et à l'Académie Sibelius d'Helsinki. En seconde partie, une magnifique  symphonie du Nouveau Monde (n°9) de Dvorak : un deuxième mouvement finement nuancé et d’une infinie nostalgie, des traits d’orchestre incisifs à souhait et mille autre détails rendaient l’architecture de l’ouvrage perceptible comme jamais.
Marc Vignal

Abbatiale Saint-Robert, 24 et 25 août (Photo : Agnès Clément © DR)
 
mardi 25 juillet 2017 à 16h34
20 juillet, Saintes, Abbaye aux Dames. L’Ensemble Vox Luminis termine par l’Ode à sainte Cécile de Haendel un concert enthousiasmant. Lionel Meunier s’avance avec l’air intimidé d‘un lycéen qui vient de recevoir un prix d’excellence : « C’est la première fois que nous donnons cette œuvre, je suis très ému… Nous pouvons faire un bis… Comme j’ai la chance de vivre depuis onze ans avec la soprano soliste, c’est un de ses airs que j’ai choisi, celui que je préfère. Je vais vous dire ce qu’elle chante – enfin, si j’y arrive : " Quelle voix humaine peut atteindre la sonorité sacrée de l’orgue ? Des notes qui inspirent l’amour divin, des notes qui volent sur leurs chemins célestes pour rejoindre le chœur des anges". » Et Zsuzsi Toth de chanter une nouvelle fois cette aria sublime, avant que les applaudissements redoublent et que certains spectateurs crient « Merci ». La scène serait anecdotique si elle ne reflétait pas à la fois le Festival de Saintes et l’Ensemble Vox Luminis. A Saintes, ce qui prime, c’est la relation avec le public, cet appétit de rencontres, d’échanges, d’émerveillement qui fait aussi le bonheur des interprètes, parce que la musique, c’est bien, mais avec de l’humain, c’est encore mieux. Vox Luminis et Lionel Meunier – qui dirige de l’intérieur même de l’Ensemble, ce n’est pas anodin – l’ont montré dans leur manière d’aborder le Dixit Dominus de Haendel qui précédait l’Ode à sainte Cécile : pour convaincre de la toute puissance de Dieu, le texte de ce Psaume 110 joue sur les effets dramatiques, et Haendel, qui ne ménage pas les contrastes, a tendance à en surajouter. Sans en trahir l’esprit et fort de sa petite formation (chanteurs comme instrumentistes), Lionel Meunier, qui sait bien qu’Haendel cherchait là à flatter ses bienfaiteurs italiens, va chercher un peu plus profond pour étayer son interprétation : l’Ensemble évite les tonitruances appuyées et s’attache aux sinuosités de la partition qui traduisent le doute, les interrogations, les tâtonnements de l’homme ordinaire. Ce qui n’empêche pas la majesté et l’allégresse de la fugue finale à la gloire de Dieu, comme si après les incertitudes apparaissait la lumière. Pour donner une telle version, il faut des musiciens hors pair. Ceux de Vox Luminis le sont, on ne le découvre pas ici, ils l’ont confirmé de manière éclatante.
Gérard Pangon
 
(Photo © Sébastien Laval)

mercredi 19 juillet 2017 à 23h26
Déjà bien amorcée alors qu’il présidait aux destinées des Académies Musicales de Saintes (jusqu’en 2002), la carrière de chef d’orchestre de Philippe Herreweghe avait pris une certaine ampleur au tournant des années quatre-vingt-dix avec le répertoire romantique, entre autres Beethoven, à la tête de « son » Orchestre des Champs-Élysées. Son retour en Charente s’effectuait cette fois à la tête du Jeune Orchestre de l’Abbaye (JOA), jouant sur des copies d’instruments d’époque : encore une formation dont il est à l’origine, constitué de jeunes musiciens d’Europe et d’ailleurs, tout juste issus du conservatoire – donc professionnels –, mais sans véritable expérience de la scène ou du contact avec d’autres musiciens et le public. Néanmoins un « bel orchestre » – dixit Herreweghe – avec lequel il avait pu monter en très peu de temps – juste trois quatre jours de répétition - un passionnant programme… Tchaïkovski : sauf erreur, un compositeur que le chef dirigeait pour la première fois en France. De la Suite de Casse-Noisette, Herreweghe n’hésitait pas à dire d’emblée qu’elle : « valait largement les Suites de Bach » sur le plan de l’imagination, et qu’il appréciait énormément la qualité de l’orchestration. Le résultat était bien là avec une interprétation à la fois enthousiaste, légère et pleine de grâce. Et on comprenait mieux la fascination des Français au début du XXème siècle (Debussy, Ravel !) pour ce travail d’orfèvre du musicien slave, à l’image du jeu si raffiné du JOA dans Décoration de l’arbre de Noël ou de la célèbre Valse des fleurs, que la formation bissa. Plus rare au concert, la 2ème Symphonie « Petite-Russie » est la moins aimée des six, mais son orchestration foisonnante traversées de nombreux thèmes, dont plusieurs dérivés de chants populaires, prenaient une tournure inédite avec un orchestre à l’unisson : aussi souple, nerveux et passionné que son auteur, alors âgé d’une trentaine d’années.      
   
Franck Mallet
 
 Festival de Saintes 2017, jusqu’au 22 juillet (Photo : JOA-Philippe Herreweghe©Michel Garnier)
 
lundi 17 juillet 2017 à 17h01
Depuis la création du Festival, au tournant des années soixante-dix, par le journaliste et visionnaire Alain Pacquier dans une Abbaye-aux-Dames alors en ruines, Saintes a acquis ses lettres de noblesse dans la défense et l’illustration de la musique ancienne sous la houlette de pionniers comme Jean-Claude Malgoire et Jordi Savall. À la suite du chef de chœur (et aujourd’hui chef d’orchestre) Philippe Herreweghe (1981-1996), Stephan Maciejewski, son directeur artistique depuis 2002 – un ancien chanteur des Arts Flo’ puis de la Chapelle Royale d’Herreweghe – a cherché à étendre la programmation à la musique contemporaine et aux musiques du monde, afin de capter d’autres publics tout en renouvelant celui de la musique ancienne. Cette volonté était parfaitement illustrée par la journée d’ouverture, qui mettait en avant la jeune génération avec le ténor Reinoud van Mechelen, suivi le soir-même de l’ensemble Doulce Mémoire, créé il y a plus de vingt-cinq ans. Surprises et clins d’œil, tout d’abord, avec le jeune ténor Bruxellois, repéré par William Christie pour son « Jardin des voix », en 2011, avec une spirituelle « sérénade burlesque », associant musiciens d’envergure (Marais et Rameau) et petits maîtres français particulièrement bien choisis : Nicolas Racot de Granval (1675-1753) et Laurent Gervais (1670-1740). Du premier, on goûtait la dérision plaisante de sa cantate Rien du tout, du second, L’hiver et surtout sa Sérénade burlesque Ragotin, narrant les mésaventures d’un nain bouffon. Aussi éclectique que dans son premier album solo « Erbarme dich », qui enchaînait plusieurs fragments d’œuvres de Bach dont des airs de cantates (voir ici), le chanteur et son ensemble A Nocte Temporis allie clarté vocale et sens du théâtre, indispensables dans un tel répertoire – seul bémol, l’acoustique délicate de l’Abbaye ne restituait que partiellement le jeu instrumental… Le soir, en revanche, aucun problème d’écoute avec les fastes du « Camp du drap d’or, Messe pour la Paix (1520) » réinventés par Denis Raisin Dadre et la quinzaine d’interprètes de Doulce Mémoire. Le chef, également à la bombarde, doulçaine et flûte, n’a décidément pas son pareil – hormis Jordi Savall, bien sûr ! –, pour recréer des événements du passé. Issus de la tribune puis répartis sur scène, Doulce Mémoire et son récitant Philippe Vallepin invitent un public captivé à la légendaire rencontre diplomatique qui eut lieu en 1520 entre Henri VIII et François 1er. De Jean Mouton à Nicholas Ludford, de Claudin de Sermisy à Claude Gervaise : Maîtres de chapelle et musiciens anglais et français accompagnèrent leurs suzerains lors d’une grande messe célébrée dans une chapelle en bois couverte de tapisseries et édifiées pour l’occasion. Voix exceptionnelles – Anne Delafosse, Clara Coutouly, Paulin Bündgen, Hugues Primard, Vincent Bouchot et Martial Pauliat –, dirigées par la basse Marc Busnel et sonneries enthousiastes du cornet à bouquin, des bombardes et  des sacqueboutes : somptueuse Abbaye-aux-Dames sous l’étendard de Doulce Mémoire… qui aura éclipsé le feu d’artifice du 14 juillet.            
Franck Mallet
 
Festival de Saintes 2017, jusqu’au 22 juillet (Photo : Doulce Mémoire©Michel Garnier)

Cello 2017 : quatre CD, seize violoncellistes nés entre 1987 et 1994, captés sur le vif lors des récentes sessions (13 - 20 mai) du Concours Reine Elisabeth de Belgique, premier dédié à l’instrument quatre-vingt ans après sa première édition. Un cocorico national aussi, quatre des lauréats - à commencer par le premier prix Victor Julien-Laferrière - étant français, sans compter le Biélorusse Ivan Karizna, élève de Jérôme Pernoo au Conservatoire de Paris. Un coffret destiné aux happy few donc, voire aux professionnels. Non que les impétrants soient indignes de leurs illustres aînés (certains présents dans le jury : Gautier Capuçon, Truls Mork, Henri Demarquette, Natalia Gutman, Pieter Wispelwey, Mischa Maisky), mais comment écouter ces quatre heures trente-sept minutes et dix secondes d’œuvres variées - dont deux créations composées pour l’occasion ? En happy few, avec la prétention de cerner, à l’aveugle, les personnalités ? En professionnel, sans en posséder les codes de sélection, aussi complexes que ceux des Jeux Olympiques ? On peut contester le jury : si Julien-Laferrière s’impose dans le 1er Concerto de Chostakovitch comme le leader de sa génération, rattrapant le plus médiatisé Edgar Moreau, le Colombien Santiago Canon-Valencia (3ème prix) aurait pu permuter avec le Japonais Yuka Okamoto (2ème prix), compte non tenu du fait que celui-ci joue Dvorak et celui-là Haydn. Question de sonorité, de virtuosité, de précision ? Aussi, quoique à ce niveau… D’accompagnement ? Stéphane Denève avec le Brussel Philharmonic, Frank Braley avec l’Orchestre de Chambre de Wallonie font des prouesses, le second s’accordant particulièrement bien dans Haydn avec Canon-Valencia, d’où peut-être la préférence exprimée ci-dessus. On en alors vient à recycler les arguments-bateau – la présence, la fougue, la musicalité, le timbre – comme si le violoncelle était (et il l’est à sa manière) une voix d’opéra. On criera donc cocorico en écoutant Aurélien Pascal (4ème prix) jouer Poulenc entre chair et cuir, Yann Levionnois faire virevolter le Papillon de Fauré ou Bruno Philippe se mesurer à Bach, tous deux « lauréats », c’est-à-dire placés mais non gagnants. Et l'on réécoutera, sans chercher midi à quatorze heures, Ivan Karizna (5ème prix) sauter de Boccherini à Ysaÿe, casse-cou mais tellement vivant.
François Lafon

Cello 2017, Queen Elisabeth Competition. 1 coffret de 4 CD, distribution Harmonia Mundi

vendredi 9 juin 2017 à 00h05
ManiFeste 2017- suite - au Centquatre (voir ici) : Campo Santo, impure histoire de fantômes, installation/concert pour 5 musiciens, électronique et dispositif sonore et vidéo de Jérôme Combier (conception et composition) et Pierre Nouvel (scénographie et vidéo). Une drôle d’histoire, au titre emprunté à W. G. Sebald - romancier et essayiste allemand engagé -, mais inspiré, hanté même par Pyramiden, site minier de l’archipel norvégien du Spitzberg, pas loin du pôle nord, exploité par la Russie de 1926 à 1998 et depuis abandonné, synonyme de faillite économique autant que culturelle, allégorie en dur de la vanité humaine et de la mort des empires. Une « expérience sensorielle », prétexte à réflexion et à citations nombreuses lues en voix off (Sebald, mais aussi Diderot, Nietzsche, Blanqui, Derrida), à musique bien sûr et à spectacle surtout, les photos fixes et les lents travellings de la cité désertée et décatie donnant puissamment à rêver ou à cauchemarder, projetées sur un écran à géométrie variable - surface plane, angle mort, dôme au milieu duquel le sable s’écoule, frappant des plaques de métal amplifié.  « Et qui se souviendra d’eux, d’ailleurs est-ce qu’on se souvient ? », demande Sebald. C’est de cet univers minéral voué à l’abandon que se nourrit – probablement plus qu’elle ne le nourrit – la musique de Combier, méditation hypnotique traversée en live de riffs de guitare électrique, d’effluves d’accordéon, de percussions aussi variées qu’inventives (formidable ensemble Cairn). Salle bondée – le spectacle, créé à Orléans en 2016, aurait pu être doublé – mais applaudissements mesurés. Peut-être parce qu’un certain ennui est une des composantes inévitables d’un tel voyage au pays des illusions perdues. 
François Lafon

Centquatre, Paris, 8 juin (Photo © Pierre Nouvel)

vendredi 2 juin 2017 à 23h20
Danse au Centquatre (Paris) pour l’ouverture du festival ManiFeste de l’IRCAM sous-titré cette année « Le Regard musicien » : Mockumentary of a contemporary saviour (Documentaire parodique sur un sauveur contemporain) du chorégraphe, metteur en scène et cinéaste belge Wim Vanderkeybus.  Sujet inspiré par le film de Scorsese La Dernière tentation du Christ, portrait ironique d’un sauveur, idée que « c’est en temps de crise que certains jouent sur le désarroi et se dressent en détenteurs de toutes les réponses ». A entendre autant qu’à voir en effet, stade (momentanément) ultime des noces fructueuses et tourmentées des arts visuels et sonores, dont au Centre Pompidou l’exposition L’œil écoute (voir ici) raconte l’histoire, et dont l’Ircam, qui fête son quarantième anniversaire, s’est toujours revendiqué. Tandis que, dans le plus pur style Vanderkeybus bien connu des habitués du Théâtre de la Ville, les danseurs chutent et reptent, se frappent et s’enlacent, parlent beaucoup surtout, principalement en anglais, le son IRCAM les enveloppe et les porte, les caresse et les écrase, tente de faire d’eux des « corps musiciens ». Une création signée Charo Calvo - compositrice attitré du chorégraphe -, et Manuel Poletti pour la technique, faisant musique de tous sons, assez présente pour achever de structurer le maelström vanderkeybusien, parvenant surtout, mieux que le texte, à insuffler une dose suffisante de fantastique à un spectacle qui évoque moins souvent Andreï Tarkovski (Solaris) que le feuilleton télé La 4ème Dimension
François Lafon

Centquatre, Paris, jusqu’au 4 juin (Photo © Danny Willems)

A l’Opéra Comique, concert de chant choral – Fondation Bettencourt (prix annuel depuis 1989). Premier attrait : le bâtiment lui-même, après deux ans de travaux et un mois avant sa réouverture officielle avec l’Alcione de Marin Marais. Hall blanc liseré d’or, colonnes de marbre étincelantes, salle rendue à ses fastes d’antan, pente légère du parterre (espoir de voir un peu mieux la scène), fresque du foyer ravivées, tentures rouge Favart, plus sombre, plus profond que le rouge Garnier. Second attrait : la qualité et la diversité des ensemble soutenus par la Fondation. Sérieuse double ouverture avec les Ensembles De Caelis (Chant des Sibylles de Philippe Hersant) et Aedes (Poulenc et Jacques Brel), grande montée d’adrénaline avec Les Cris de Paris en forme optimale dans … Les Cris de Paris de Clément Jannequin, mais plus encore dans Spem in alium, motet à quarante voix distinctes de Thomas Tallis, point de non-retour de la musique polyphonique, fabuleuse stéréo naturelle autour du chef Geoffroy Jourdain. Détente avec le Créa d’Aulnay-sous-Bois - enfants et adultes plus pros que des pros - d’Offenbach à Coralie Fayolle (Lady Godiva, les Damnés du flipper), et la prometteuse Maîtrise populaire de l’Opéra-Comique (créée en septembre 2016) en anglais dans le musical Oliver, tous se retrouvant au final pour une Barcarolle des Contes d’Hoffmann telle qu’Offenbach ne l’aurait pas imaginée, avec public chantant selon l’ancienne tradition maison. Retour aux fondamentaux en même temps que photo assez fidèle de l’Opéra Comique nouvelle donne. 
François Lafon

Opéra Comique, Paris, 28 mars (Photo : La Maîtrise en répétition © DR)

mardi 14 mars 2017 à 17h22
Au Centre Pompidou dans le cadre de Mutations/Créations - manifestation art, innovation et science : exposition Imprimer le monde et forum au titre hitchcockien de Vertigo, initié par l’Ircam. Technologies numériques, réalités fantomatiques pour la première, prodiges de l’impression 3D matérialisant des objets impossibles, techniques futuristes au service de l’art d’aujourd’hui - rêve et cauchemar mêlés tels ces visages humains recomposés à partir d’un simple cheveu. Une semaine de rencontres, performances et spectacles (Le Sec et l’humide de Jonathan Littell/Guy Cassiers – 15 et 16 mars ; Ircam Live – 18 mars) pour Vertigo, soutenu par le programme SARTS (Innovation at the Nexus of Science, Technology and the Arts) de la Commission européenne, et parcourant « l’espace simulé et les formes du digital ». En clair : la simulation numérique concernant désormais tous les domaines – sons, images de synthèse et objets matériels –, la place même du créateur est remise en question et le spectateur-auditeur ne sait plus où donner de la tête ni des oreilles. Troublante expérience en effet que la Disenchanted Island de la compositrice autrichienne Olga Neuwirth et du vidéaste israélien Tal Rosner, installation interactive où, par un procédé de convolution 3D, l’acoustique de l’église San Lorenzo de Venise (dans laquelle Claudio Abbado a créé en 1984 le légendaire Prometeo, « tragédie de l’écoute »  de Luigi Nono) est transférée dans les salles de Beaubourg, permettant au « spectacteur » d’agir en direct sur un espace sonore à la fois réaliste et subtilement musicalisé.  A la sortie : excellents chocolats en impression 3D à l’effigie de Beaubourg de la maison Les 3 Dandies (.com), comme pour se prouver qu’on n’a pas rêvé. 
François Lafon

Centre Pompidou, Paris. Exposition Imprimer le monde, jusqu’au 19 juin. Vertigo, Forum art-innovation, du 15 au 18 mars. Catalogue sous la direction de Marie-Ange Brayer, introduction à un nouveau monde en 3D (Editions HYX, 24 €) (Photo : Greg Lynn Form ©DR)

Nouvelle Carmen mise en scène par le sulfureux Calixto Bieito à l’Opéra de Paris-Bastille, la quatrième depuis l’ouverture de la salle. Nouvelle in loco seulement, puisque le spectacle date de 1999 et a beaucoup tourné : une mode décidément que les revivals de productions vingtenaires, ainsi qu’en témoigne le festival « Mémoires » à Lyon. L’assurance aussi pour l’Opéra d’avoir à son répertoire une Carmen viable, le plus emblématique des ouvrages nationaux n’en finissant plus de justifier sa réputation de porter la guigne : depuis la légendaire mise en scène de Raymond Rouleau (1959) et compte non-tenu de l’importation de la production d’Edimbourg avec Teresa Berganza à la salle Favart (1980), aucun essai n’a été vraiment transformé, le dernier en date pourtant signé du talentueux Yves Beaunesne (2012) étant peut-être le plus raté. Déjà vintage cela dit, almodovarienne première manière, cette Carmen transposée dans l’Espagne de la Movida, avec bohémiennes au bord de la crise de nerf et soldats soumis à la loi du désir, bien que revendiquée par le metteur en scène comme intemporelle, sinon prémonitoire dans sa dénonciation de « l’intolérance affectant les sphères sociales » et la définition de l’héroïne comme « une frontière, au sens littéral et métaphorique ». Résidu de la guigne précitée : cette première représentation (gala AROP de surcroît) d’une série de vingt-quatre courant jusqu’en juillet et mobilisant quatre Carmen, trois Micaela, deux Don José et deux Escamillo n’a rien de mémorable : Clémentine Margaine - titulaire internationale du rôle-titre comme le fut Béatrice Uria-Monzon - est bien ordinaire face à un Roberto Alagna toujours unique en Don José mais annoncé comme souffrant et vocalement à la peine, les seconds rôles, fort bien tenus, et les chœurs, impeccables, n’arrachant pas plus l’ensemble à la routine que la direction efficace mais impersonnelle de Bertrand de Billy, remplaçant le jeune Lionel Bringuier, chef prodige comme le fut Roberto Benzi en son temps.
François Lafon

Opéra National de Paris – Bastille, jusqu’au 16 juillet. Dernière représentation (Elina Garanca, Roberto Alagna, Maria Agresta, Ildar Abdrazakov) en léger différé sur Culture Box et France 3, en direct sur Radio Classique (Photo © Vincent Pontet/Opéra de Paris)

mercredi 1 mars 2017 à 00h10
« Pour fêter la sortie de son nouveau CD Lettres intimes (label Alpha), le Quatuor Voce s’installe au Cabaret Sauvage ». Explication :  les Voce, treize ans d’âge et un répertoire éclectique, ont leur part dans le coup de jeune qu’a connu le quatuor à cordes – français en particulier – ces dernières décennies. Le Cabaret Sauvage, chapiteau rouge et boiseries modern style planté dans le parc de la Villette entre la Cité des sciences et la Philharmonie de Paris, est en effet un lieu où l’on s’installe, où l’on boit, parle et se promène, où l’on écoute surtout toutes sortes de musiques. Plus qu’à un showcase (événement publicitaire destiné, quelques tubes aidant, à lancer un album), c’est à un véritable concert - d’ailleurs payant - qu’est convié le vrai public. Une formule décidément à la mode (Harmonia Mundi en a lancé une série à l’automne dernier), visant – marketing mis à part - à désenclaver la « grande » musique. Grands mais peu habitués à un tel cadre les quatuors de Janacek (n° 2 « Lettres intimes ») et Bartok (le 1er), agrémentés (si l’on peut dire) de pièces courtes d’Erwin Schulhoff, compositeur pragois mort en déportation. Cela marche pourtant : sur scène (Janacek) ou sur la piste (Bartok), avec lumières savamment modulées et lettres enflammées de Janacek projetées sur écran, les Voce jouent la rudesse et la dépression, mettant sans excès l’accent sur l’essentiel parfum de terroir(s) propre aux deux compositeurs, enchaînant en bis sur des Piazzolla chaloupés (un autre terroir) avec danseurs de tango et le formidable accordéoniste-bandonéoniste Pierre Cussac. Salle comble, public un peu plus que Zénith mais pas tout à fait Philharmonie et encore moins salle Gaveau. Objectif atteint, donc. 
François Lafon
Lettres intimes, Quatuor Voce, un CD Alpha. Chronique à venir sur Musikzen

dimanche 29 janvier 2017 à 12h27
Berlioz, Berg et Ligeti, vedettes de la 21ème édition du Festival de Pâques de Deauville, mais aussi l’Harmonie de Lisieux-Pays d’Auge (plus vieil orchestre d’harmonie de Normandie) – cette dernière participant au concert d’ouverture du 15 avril avec la recréation néo-pop(u’) de la Symphonie fantastique de Berlioz signée Arthur Lavandier et Le Balcon, sous la direction de Maxime Pascal. Un spectacle haut en couleurs, dont François Lafon a déjà dit le plus grand bien (ici). Ce premier concert, en coproduction avec la Fondation Singer-Polignac, associe au Balcon la soprano Julie Fuchs, dans Debussy, Haendel et Mahler – Rückert Lieder. Le lendemain, Karol Beffa, biographe et récent auteur d’un Ligeti (voir ) présente des œuvres de jeunesse (années 50) de son musicien préféré, ainsi que des partitions de la maturité (Quatuor à cordes n° 1, Trio pour cor, violon et piano et quatre Études pour piano) par, entre autres, Jonas Vitaud (piano) et le Quatuor Hermès. La musique de chambre tient toujours le haut du pavé avec Fauré, Schubert (Trio op. 100), Brahms, Chostakovitch (Quintette) et Strauss (Métamorphoses), sans oublier un final en beauté avec le Concerto de chambre de Berg (30 avril) - avec le concours, parmi les solistes, de deux cofondateurs du Festival, Renaud Capuçon (violon) et Nicholas Angelich (piano). Enfin, un partenariat original et une passion hippique commune avec la ville et l’université de Lexington (Kentucky) sera l’occasion d’un programme américain (Ives, Gershwin, Terry Riley…), avec les Quatuors Verdi et Niles. On y court.  

Franck Mallet
 
21e Festival de Pâques de Deauville, du 15 au 30 avril. www.musiqueadeauville.com (photo Maxime Pascal© DR)

mardi 24 janvier 2017 à 00h00
A l’Athénée, premier des trois Lundis musicaux de la saison patronnés par l’ensemble en résidence Le Balcon, clin d’œil aux récitals hebdomadaires donnés de 1977 à 1989 par le gotha du lyrique devant des salles combles. Plus une place non plus pour ce programme « Histoires naturelles » du baryton Stéphane Degout avec Cédric Tiberghien en accompagnateur de luxe. Un programme à tiroirs, assez éloigné du récital classique. En première partie : Apollinaire mis en musique par Poulenc, grand écart toujours difficile entre le grand style (« Chanter Le Bestiaire avec ironie est un contre-sens complet ») et ses dérapages canailles, embardées que le pianiste, très en forme, assume plus aisément que le chanteur, tous deux laissant la place à la voix enregistrée d’Apollinaire (« Sous le pont Mirabeau… »), dont Poulenc disait le timbre « mélancolique et joyeux ». Autre ton après l’entracte, où le flûtiste Matteo Cesari et le violoncelliste Alexis Descharmes se joignent au duo pour les Chansons madécasses de Ravel, elles-mêmes introduites par Cendres, une pièce … incandescente de Kaija Saariaho destinée selon Decharmes à « sortir de la zone de confort et à écouter Ravel autrement ». Magistrales en effet ces Madécasses où Stéphane Degout retrouve tout son charisme, pince sans rire comme il se doit les Histoires naturelles qui suivent (le texte est de Jules Renard) où chanteur et pianiste en parfaite osmose répondent par l’affirmative à la question perfide de Debussy : « Entre nous, est-ce que vous croyez sincèrement à la musique humoristique ? ». La soirée, comme chaque Lundi musical, fera l’objet d’un CD « Théâtre de l’Athénée live » (B Records). Un réflexe que l’on n’avait pas, à l’époque des Lundis historiques… 
François Lafon

Théâtre de l’Athénée, Paris, 23 janvier (Photo : Stéphane Degout © DR)

jeudi 14 juillet 2016 à 14h42

Internet, télévision, direct, différé et même prime time : du 7 au 13 juillet, le mélomane en chambre a pu suivre les productions phares des festivals – ersatz solitaires mais aussi archives pour demain. Parmi les créations d’Aix-en-Provence, Cosi fan tutte (Mozart, mise en scène Christophe Honoré) est diffusé par Arte (le 8, 22h30), Pelléas et Mélisande (Debussy, mise en scène Katie Mitchell) et Kalila Wa Dimna (Moneim Adwan, mise en scène Olivier Letellier) par Arte Live, Il Trionfo del Tempo e del Disinganno (Haendel, mise en scène Krzysztof Warlikowski) étant hébergé par Mezzo. Un choix de bon gestionnaire, compte non tenu du fait (prévisible ?) que le Pelléas est plus réussi que le Cosi, que Kalila Wa Dimna - conte arabe bilingue - a été la découverte du festival, l’oratorio de Haendel théâtralisé par Warlikowski étant, lui, réservé d’office aux happy few. A l’autre extrémité du panel lyrique, la très classique Madame Butterfly retransmise du théâtre antique Orange non par France 2 ou 3 mais par la 5 (et présentée par Claire Chazal parlant de la statue d’Auguste 1er – sic – ornant le mur bimillénaire) est quant à elle passée en prime time le 13 juillet, touchant 396 000 téléspectateurs. Un score que peut envier la Comédie Française, dont les surmédiatisés Damnés (Ivo van Hove d’après le film de Visconti) dans la cour d’honneur d’Avignon ont été relégués le 10 juillet sur France 2 après la finale de l’Euro. Des classements et hiérarchies d’ailleurs bien arbitraires, infirmés par l’utilisation grandissante du replay.

François Lafon

Photo : Cosi van tutte à AIx-en-Provence © DR

lundi 14 septembre 2015 à 11h45

Palais Garnier à l’ouest, Opéra Bastille à l’est : mais où est la 3ème Scène de l’Opéra de Paris, annoncée la saison dernière par Stéphane Lissner (voir ici) et inaugurée demain 15 septembre ? Nulle part et partout, puisqu’il s’agit d’une plateforme digitale de création. On n’y verra pas de captations de spectacles, mais des œuvres originales censées ouvrir sur le futur une institution par nature tournée vers le passé. Aux commandes : Dimitri Chamblas, producteur, publicitaire, styliste, chorégraphe, ex-danseur, ex-petit rat de l’Opéra, collaborateur de la compagnie L.A. Dance Project … de Benjamin Millepied, le nouveau directeur-maison de la danse. Au programme de cette « saison d’ouverture », seize pièces de deux à quinze minutes dues à des réalisateurs (Mathieu Amalric), des plasticiens (Xavier Veilhan), des photographes (Denis Darzacq), des chorégraphes (Millepied lui-même), des dessinateurs (Glenn Keane, vedette des studios Disney). Travaux d’esthètes plus que de pédagogues, beaucoup de sujets inspirés par la danse (chassez le naturel…), pas (encore ?) d’opéra numérique ni de réflexion sur la création lyrique de demain. Au moins, en ces temps de crise et de baisse des subventions, cette 3ème salle ne risque pas de commencer la saison par une grève des techniciens (à propos du doublement d’une prime de modulation et de variabilité horaire), comme les deux premières ! Parallèlement, ouverture de l’Académie de l’Opéra, sœur cadette de l’Académie du festival d’Aix-en-Provence créée par le même Lissner en 1998, voulue, elle, comme un centre d’éducation artistique (« Opéra et université », spectacles jeune public) et de formation aux métiers de l’Opéra, un « espace d’expérimentation des formes en interrogeant les liens entre scène / performance / arts urbains / musiques au pluriel » selon sa directrice Myriam Mazouzi. Un projet pharaonique dans lequel l’Atelier Lyrique, qui a fait ses preuves, n’est presque plus détectable.

François Lafon

operadeparis.fr/3e-scene

samedi 1 novembre 2014 à 20h13

Spécialiste du biopic intelligent (The Queen, Mrs Henderson presents…, bientôt le coureur Lance Armstrong), le cinéaste Stephen Frears prépare un Florence Foster Jenkins avec Meryl Streep (rôle-titre) et Hugh Grant (St Clair Bayfield, compagnon et manager de la diva). Curieuse gloire tardive pour « la plus mauvaise cantatrice de l’Histoire », passée à la postérité grâce à "The Glory (????) of Human Voice" (RCA), un enregistrement culte comprenant huit arias à risques (la Reine de la nuit, Lakmé, La Chauve-souris, etc), augmenté lors de sa réédition chez Naxos d’une immortelle Valse caressante due à son pianiste-accompagnateur Cosmé McMoon. Depuis 2001, au moins quatre spectacles en Angleterre, à Broadway et au Québec, ainsi qu’une pièce française (Colorature – Festival d’Avignon, Théâtre du Ranelagh à Paris) ont chanté (si l’on peut dire) la geste de l’artiste dont on ne sut jamais si elle se moquait du monde ou si elle croyait vraiment à son génie, sans oublier en 2008, l’hommage musical à elle rendu par la chanteuse Juliette ("Casseroles et faussets", in Bijoux et babioles - Polydor). Last but not least, le film de Frears, intitulé Florence, rivalisera avec Marguerite de Xavier Giannoli (en cours de tournage), où Catherine Frot incarne un mix de Foster Jenkins et de la Castafiore. Notre époque manque-t-elle à ce point de folles divas à l’ancienne ?

François Lafon

Récitals, en CD chez Harmonia Mundi USA, des trois lauréats du 14ème Concours Van Cliburn (mai-juin 2013). Compétition à l’américaine, moyens américains, concurrents venus de treize pays, atmosphère particulière, Van Cliburn étant décédé quatre mois auparavant. Palmarès flattant les clichés nationaux : puissance de l’Ukrainien Vadym Kholodenko (Médaille d’or) dans Liszt et Stravinsky, finesse de l’Italienne Beatrice Rana (Médaille d’argent) dans Schumann, Ravel et Bartok, sens du spectacle de l’Américain Sean Chen (Médaille de bronze) dans Brahms et Beethoven. Les héritiers désignés de Van Cliburn, natif de Louisiane, premier prix en pleine guerre froide (1958) du Concours Tchaikovski de Moscou, dont la carrière sera un feu de paille mais dont l’aura perdurera, notamment grâce à ce concours, créé en 1962 pour commémorer l’événement ? Plus difficile de se faire une aura dans un monde où, contrairement au credo de Van Cliburn, la musique n’a plus le pouvoir de tout transformer.

François Lafon

3 CD Harmonia Mundi USA (vendus séparément)

vendredi 30 août 2013 à 20h14

Propos en vrac de Simon Rattle, à Paris pour deux concerts avec le Philharmonique de Berlin (Mozart, Berg, Schoenberg, Stravinsky) et pour le lancement de son nouveau CD Rachmaninov (Les Cloches, Danses symphoniques). « Précision et perfection, conditions complémentaires et antinomiques, disait le grand chef Rafael Kubelik à propos des dernières Symphonies de Mozart. » « Le Sacre du Printemps, complètement français et complètement russe. Quand je le dirige, je pense aux dinosaures de Fantasia de Walt Disney : puissance de la terre. » « Faire parler un musicien de musique ? Demandez donc à un aveugle de décrire la couleur jaune, disait Stravinsky. » « Diriger Boris Godounov de Moussorgski quand on ne parle pas russe ? Essayez de jouer La Walkyrie avec le texte en cyrillique. » « Le pouvoir pour un chef : on y pense à vingt ans. » « Le pouvoir de la musique : on n’y croit pas, on l’espère. Si vous vous croyez au-dessus de la musique, changez de job. » « Dieu : question trop personnelle. Je crois au pouvoir de la métaphore. » « Le football : la voilà la religion, et pas seulement parce que je soutiens Liverpool, ma ville ! » « Une vie après Berlin, en 2018 ? Pas de réponse immédiate. Le monde musical est closed. Quelques rêves de concerts pas communs. » « EMI, ma maison de disques, a été rachetée par Warner ? Je l’ai appris en lisant le journal. Cela veut peut-être dire qu’il y aura encore des disques, et des journaux. » Verbatim. Le Karajan de l’an 2000 ne s’est pas karajanisé.

François Lafon

Salle Pleyel, les 31 août (20h) et 1er septembre (16h) – Rachmaninov : Les Cloches, Danses symphoniques. Orchestre Philharmonique de Berlin. 1 CD Warner Classics. Photo © DR

« Je peux peindre une pomme sans avoir jamais mangé de pomme. Je peux faire le salut hitlérien sans avoir rien à en faire ». C’est ainsi que le peintre, dessinateur, sculpteur, vidéaste et metteur en scène berlinois Jonathan Meese, l’« enfant terrible de la peinture allemande » selon Le Figaro, se défend d’avoir enfreint la loi (12 000 € d’amende) au cours d’un forum organisé par l’hebdomadaire Der Spiegel à l’Université de Kassel, et intitulé La Mégalomanie dans le monde de l’art. « Mon utilisation du salut nazi et du symbole du swastika est satirique et vise non pas à les promouvoir, mais à en amoindrir la portée », ajoute-t-il. Non lieu prononcé par le tribunal. Réaction de l’intéressé : « L’art a triomphé, je suis libre ». L’accusation fait appel. Rendez-vous au festival de Bayreuth 2016, où Meese doit monter Parsifal, une œuvre où les occasions ne manquent pas de pratiquer la politique du bras levé.

François Lafon

lundi 5 août 2013 à 10h59

A la question « Savez-vous qui est Robert Lepage? » l’honorable Sheely Glover, nouvelle ministre du Patrimoine canadien et des Langues officielles, répond dans le quotidien québécois Le Soleil (libéral) : « J'ai entendu parler de lui, mais je ne le connais pas vraiment. [...] Comme Céline Dion, oui, tout le monde la connaît, mais lui, non ». Madame le ministre est plus prolixe à propos du chanteur Daniel Lavoie, qu’elle reconnaît « adorer », et cite parmi ses films québécois favoris Incendies de Denis Villeneuve, Starbucks de Ken Scott et Bon cop, bad cop d’Eric Canuel. Son prédécesseur James Moore avait lui aussi reconnu, lors d’un quizz culturel auquel il s’était soumis à la télévision, ne connaître que de nom le metteur en scène et réalisateur. Innocente sincérité ou démagogie frôlant le populisme? Imaginons les homologues français de Sheely Glover et James Moore avouant ne connaître « que de nom » Patrice Chéreau ou Olivier Py. « Le ministère du Patrimoine canadien formule des politiques et réalise des programmes visant à favoriser la participation de tous les Canadiens à la vie culturelle et civique commune. Il appuie les initiatives qui sollicitent la participation des Canadiens et qui les rendent fiers de notre patrimoine riche et diversifié », peut-on lire sur le site officiel du Ministère. « La ministre du Patrimoine canadien et des Langues officielles est appuyée dans ses fonctions par le ministre d'État (Sports), qui s'efforce d'accroître les occasions pour les Canadiens de participer à des sports et d'y exceller », peut-on y lire aussi, preuve supplémentaire qu’il serait hasardeux d’établir quelque parallèle que ce soit entre la perception de la culture dans chacun des deux pays.

François Lafon

Photo : Robert Lepage (à gauche) pendant la mise en place de la Tétralogie au MET extrait de Wagner's Dream, film de Susan Froemke

mardi 23 juillet 2013 à 11h48

Remue-ménage autour du concert "For Russia with love", programmé le 7 octobre à Berlin par Gidon Kremer avec la Kamerata Baltica. Une manifestation de soutien aux artistes et personnalités persécutés par le régime de Vladimir Poutine, à laquelle participeront Martha Argerich, Daniel Barenboim, la pianiste Khatia Buniatishvili et le violoncelliste Nicolas Altstaedt. « En tant qu'artiste, je n'ai pas seulement le droit mais aussi le devoir d'attirer l'attention du public sur ces problèmes. Dans le passé, des gens comme Pablo Casals, Yehudi Menuhin et Mstislav Rostropovitch ont eux aussi combattu pour certaines libertés, » explique Kremer dans une interview donnée au quotidien allemand Die Welt. Au programme, des clins d’œil aux Pussy Riots, mais aussi L’Ange de deuil, une pièce dédiée par le compositeur géorgien Guia Kantcheli à l’homme d’affaires Mikhaïl Khodorkovski, emprisonné depuis 2004 pour escroquerie à grande échelle et évasion fiscale. « Je ne sais pas si celui-ci a commis des crimes économiques, mais le fait qu’il passe les meilleures années de sa vie dans un pénitencier loin de sa famille est ridicule, » se défend Kremer. Et d’en appeler à son maître David Oistrakh (« Il a été un représentant du régime soviétique en même temps un grand artiste. Qui sait si que ce conflit ne lui a pas coûté de nombreuses années de vie ? ») pour relativiser tout manichéisme politique. Une façon de dire que le soutien à un sulfureux oligarque n’est un scandale qu’aux yeux des occidentaux ?

François Lafon

mercredi 26 juin 2013 à 09h34

Au Musée de la musique (Paris – Cité de la musique), parcours "Touchez la musique" : tableaux, photos, films, explications des instruments et de la production du son (résonance, vibrations), expériences ludiques (appréhension tactile des matériaux, extraits sonores à reconnaître). Cinq instruments à la disposition du public : une viole de gambe, un orgue, une trompette, un thérémine (prototype des instruments électroniques) et une sanza (instrument de percussion africain, appelé aussi « piano à pouces »). Dispositifs particuliers pour les déficients visuels et auditifs (documents en braille, comédien s’exprimant en langage des signes) : « Le Musée de la musique accueille de nombreux publics handicapés car nous avons au fil du temps instauré une relation étroite avec d’importants organismes spécialisés pour qui la musique est une source d’épanouissement extraordinaire. Pour eux, faire jouer et toucher nos instruments était une demande fondamentale » explique Eric de Visscher, directeur du Musée. Au Musée Océanographique de Monaco : exposition « Le requin, au-delà du malentendu », destinée à réhabiliter le héros des Dents de la mer. Clou de la visite : le bassin tactile, où l’on peut sans danger (?) caresser des requins Pijamas et autres émissoles tachetées. But de l’opération : « Toucher du doigt ses peurs, évacuer ses phobies ». On préfère a priori apprivoiser une viole de gambe. Mais la sensation est-elle tellement moins déstabilisante ?

François Lafon

« Touchez la musique », Musée de la musique, Paris, à partir du 26 juin
« Le requin, au-delà du malentendu », Musée Océanographique de Monaco, depuis le 8 juin et pour deux ans
 

Scandale à l’Opéra de Düsseldorf, où le Tannhäuser de Wagner est présenté par le metteur en scène Burkhard C. Kosminski sous les traits d’un officier SS. Campagne de presse, crises cardiaques dans le public (avec certificats médicaux), annulation du spectacle, les dernières représentations étant données en version de concert. Dans le magazine politico-culturel Cicero, le journaliste et essayiste Alexander Kissler va jusqu’à demander l’interdiction des références au nazisme dans les spectacles ne traitant pas directement du troisième Reich. « Un tournant dans le régime du Regietheater », affirme Norman Lebrecht sur son blog Slipped Disc. Les internautes résument la question : « Où cela s’arrêtera-t-il ? Plus de Mao, plus de Staline, plus de Saddam-Hussein ? Où serions-nous sans Méphistophélès ? », « Tannhäuser chez les nazis est une idée stupide. Springtime for Hitler était génial. Si l’état commence à prendre des décisions artistiques, malheur à la prochaine génération ». Dans le film de Mel Brooks Les Producteurs (1968), un impresario véreux monte une joyeuse comédie musicale intitulée Printemps pour Hitler dans le but de faire faillite et d’en tirer les dividendes. C’est un triomphe… qui le ruine pour de bon. Comme disait Pierre Desproges : « On peut rire de tout, mais pas avec n’importe qui ».

François Lafon

Photo © DR

mardi 8 janvier 2013 à 10h38

Scandale dimanche 6 janvier à l’Avery Fisher Hall de New York, où Roberto Alagna chante l’Andrea Chénier de Giordano en version de concert. Quelques mesures avant d’attaquer son air « Un di all’azzurro spazio », le ténor s’arrête de chanter, tend sa partition au chef Alberto Veronesi (lequel dirige par cœur) et entame une discussion à laquelle se joint le premier violon. Le différend réglé, le chef reprend. La presse new-yorkaise se déchaîne : Alagna a le nez dans la partition, zappe les notes qui le dérangent, écourte ses fins de phrases, négocie en voix de tête les grands aigus destinés à faire crouler la salle et n’a de toute façon pas la voix de « lyrico spinto » (littéralement « lyrique poussé ») requise par ce rôle où Beniamino Gigli et Franco Corelli se sont illustrés. Circonstance aggravante : il sort de scène dès qu’il ne chante plus, au lieu d’attendre sur sa chaise. Sa partenaire Kristin Lewis, originaire de l’Arkansas, est en revanche portée aux nues, si ce n’est par quelques internautes, qui notent qu’elle ne perd pas une occasion, le sentant en difficulté, de l’écraser sous les décibels. Conclusion du New York Times : « On va aux concerts de l’Opera Orchestra de New York pour entendre de grands artistes faire des expériences, pas pour assister à des lectures à vue ». A noter que c’est à Milan (Aida en 2006) et à New-York, villes à haut risque pour les ténors, qu’Alagna tente le saut de l’ange. Dans son pays natal, il est en général plus prudent.

François Lafon

lundi 19 novembre 2012 à 18h54

Aux éditions Beauchesne : Les avatars du piano de Ziad Kreidy, récemment auteur d’un récital Grieg « dans son jus ». Le propos de ce musicologue-interprète est justement de tenter de replacer les œuvres dans leur époque – ce que font tous les pianistes ou presque –, mais en s’appuyant sur la facture du piano à travers les âges et sur ce que ce piano en constante mutation a inspiré aux compositeurs. Question préalable : « Chopin, entre un piano romantique et un piano moderne, qu’aurait-il choisi ? » « Personne ne le saura jamais », répond prudemment Ziad Kreidy, tout en remettant quelques pendules à l’heure : Non, le piano moderne n’est pas l’ultime rejeton d’une évolution continue, d’ailleurs chaque avatar (incarnation, métamorphose) du pianoforte inventé par Bartolomeo Cristofori au tournant du XVIIIème siècle a été une perfection en soi. Un nouveau chapitre de la querelle des anciens et des modernes, les anciens étant les plus modernes en ce qu’ils nient la notion d’évolution en art, ou tout au moins l’idée que ce qui se fait maintenant doit forcément être plus abouti que ce qui se faisait au temps de la marine à voile. Une pierre de plus dans le jardin d’Alfred Brendel (« Mozart ne composait pas pour un instrument donné ») ou de Pierre Boulez (« Nous n’avons plus les oreilles de Bach ni de Beethoven »). C’est quand il parle technique, quand il décrit avec précision les avatars de cet instrument « introuvable » qu’est le piano que Kreidy est le plus original et le plus évocateur, ou quand il pointe, exemples musicaux à l’appui, la difficulté à concrétiser sur un piano moderne certaines indications de Beethoven ou de Chopin. « J’ai remarqué que les personnes vénérant le piano moderne s’accordent sur sa suprématie, et qu’en revanche, chez les passionnés de pianos anciens, les avis divergent, voire s’opposent », remarque-t-il à la fin de son livre. Non contents de ne pas être vraiment modernes, les modernes seraient-ils de dangereux idéalistes ? Alfred Brendel et Pierre Boulez apprécieront.

François Lafon

Les Avatars du piano, de Ziad Kreidy. Beauchesne, collection L’Education musicale, 75 p., 14,50 €

Quoi de neuf ? Presque rien. Les festivals se terminent (guettez les derniers : solistes des Serres d’Auteuil, Chaise-Dieu, Sinfonia en Périgord), la saison va commencer : quinze jours d’entre-deux, aussi vacants que la Trêve des confiseurs (Noël – Jour de l’an). A première vue tout est normal : retour de vacances, rentrée des classes, tiers provisionnel, rentrée littéraire, chômage en hausse. La musique est plus que jamais dans son cocon : concerts nombreux, saison lyriques riches. La Maison de l’histoire de France est annulée ? Pas la Philharmonie de Paris. Le disque marque le pas ? On s’est plaint, si longtemps, qu’il en paraissait trop. Les mécènes se font tirer l’oreille ? Ils consacrent pourtant 26% de leur budget à la culture, contre 19% en 2010 (source : Admical, Carrefour du Mécénat d’entreprise). Le statut des intermittents est toujours en suspens ? Les subventions sont en berne ? Le budget du ministère de la Culture continue à fondre ? Une loi est en préparation, portant, selon les termes du Président de la république, sur « le développement et la démocratisation de la culture ». A la mi-septembre, la vie reprend, le grand corps malade de la musique se remet en marche. De quoi continuer à croire au développement et à la démocratisation de la culture.

François Lafon

Indice de satisfaction au festival des Vieilles Charrues : Bob Dylan 8/20, Jean-Christophe Spinosi 18/20. Basé à Brest avec l’Ensemble Matheus, Breton d’adoption, le baroqueux a mis le feu au podium, en compagnie de la mezzo suédoise Malena Ernman. Propos recueillis par Ouest-France : « Vivaldi interprété par le chef d'orchestre, Jean-Christophe Spinosi, c'est de la bombe », « D'habitude on ne pleure pas aux Vieilles Charrues mais là, c'est trop beau ». Le maestro lui-même : « On a une idée fixe à Matheus : dépoussiérer le genre. Aujourd'hui, on a franchi une étape. Notre obsession : partager la conviction des musiciens. Sur scène, on était in vivo avec le public. C'était énorme ! » La vidéo parle d’elle-même. Et si vous trouvez que les violons sont acides, que la chanteuse s’emmêle dans ses vocalises et que le chef a un look furieusement sixties, c’est que vous ne comprenez rien au désenclavement du classique. « Ca déchire », commente un fan du rappeur Orelsan. Dans tous les sens du terme.

François Lafon

vendredi 13 juillet 2012 à 00h27

Sur Arte, avant Les Noces de Figaro en direct du festival d’Aix-en-Provence, Mozart Superstar, un « 52 minutes » de Mathias Goudeau. Montage assez virtuose d’extraits de films et de concerts : Amadeus de Milos Forman et Michael Jackson pratiquant le moonwalk, Natalie Dessay en Reine de la nuit et Madonna en guêpière, Maria Joao Pires dirigée par Pierre Boulez et Mozart l’opéra rock au Palais des Sports. But de l’opération : montrer que Mozart était une rock-star avant l’heure. Pour accréditer la thèse, défilé de spécialistes (le directeur du Mozarteum), de penseurs XVIIIème (Philippe Sollers), de journalistes show-biz (Bertrand Dicale), de psychologues et d’interprètes (Patricia Petibon). Dérapages, amalgames, raccourcis hasardeux : pas facile d’imaginer ce que serait devenu le divin Wolfgang s’il était né deux siècles plus tard. La mise en scène actualisée, sagement tendance des Noces de Figaro par Richard Brunel n’apporte pas davantage de réponse. Alors, on écoute la musique, finement dirigée par Jérémie Rohrer : le propre des classiques, c’est justement de parler à toutes les époques.

François Lafon

vendredi 6 juillet 2012 à 11h42

Dans le magazine Classica : Musique classique et télévision : et si le jour se levait enfin ? Le constat contredit le titre. Le jour se lève sur Mezzo et Mezzo HD, chaînes jumelles pratiquant la musique haut de gamme, mais payantes. Il entretient une lueur persistante sur Arte, où la musique (influence de l’Allemagne ?) n’est pas traitée en parent pauvre de la culture. Nuit presque noire, en revanche, sur les chaînes généralistes : Victoires de la musique annuelles et poussiéreuses, diffusion en pleine nuit de programmes sous-traités, accords avec les Opéras de Lyon et de Paris (mais là aussi, programmes annoncés comment, et diffusés à quelle heure ?). Le temps où Musiques au cœur passait tous les dimanches à 22h fait figure d’âge d’or. Seule planche de salut, nous dit-on : le mélange des genres. Le classique est amer ? Ajoutez-y un peu de variétés. Audience correcte pour Musiques en fêtes au Théâtre antique d’Orange, avec pointures classiques (Ruggero Raimondi) et stars modernes tous publics (Adamo ou Nolwenn Leroy, pas Sexion d’Assaut), chiffres encourageants pour la Grande Battle (airs classiques adaptés en pop) présenté par Naguy et Jean-François Zygel, survie durable de La Boîte à musique du même Zygel, avec peoples expliquant que le classique, ils en ont toujours rêvé, espoirs pour Berlingot, classique soft estival présenté par Patricia Petibon le vendredi sur la 2. Les audiences, toujours elles, jusque sur les chaînes dispensées de publicité en soirée. Même avec Roberto Alagna, Turandot de Puccini en direct d’Orange (France 3, 31 juillet) sera battu par un match de football ou une rediffusion de Cold cases. La grande musique, culture de classe ? La réponse risque de ne pas être politiquement correcte.

François Lafon

mercredi 4 avril 2012 à 10h28

La Scène lyrique autour de 1900, en parallèle avec la reconstitution, à l’Amphithéâtre Bastille, d’un tableau des Maîtres-Chanteurs de Nuremberg version 1893. Un gros ouvrage abondamment illustré et complétée par des documents sonores éclairants, pour tout savoir sur l’éthique et l’esthétique des spectacles avant la montée des avant-gardes liée, selon les auteurs Rémy Campos et Aurélien Poidevin, à l’apparition des metteurs en scène et à la relecture critique des œuvres. A travers images, traités et témoignages : les arts et techniques scéniques, la tenue et l’éloquence héritées des classiques, la boite à outils complète de l’acteur lyrique, jusqu’aux jeux de mains, à la façon de se grimer ou de chanter à deux sans tourner le dos au public. Plus qu’un traité d’érudition, une plongée dans un monde pas si révolu que cela, puisque certaines traditions en sont encore enseignées dans les conservatoires et qu’on les retrouve jusque dans des spectacles peu soupçonnables de passéisme. Un excellent point de départ, en tout cas, pour une réflexion sur le « on a tout essayé mais on va encore brouiller les pistes » qui prévaut actuellement dans la représentation des oeuvres du passé et même du présent.

François Lafon

La Scène lyrique autour de 1900, de Rémy Campos et Aurélien Poidevin. 1 livre + 2 CD L’œil d’or, 458 p., 50 €

mercredi 14 mars 2012 à 10h51

Concert ce soir à Pleyel réunissant le Philharmonique de Radio France et l'Orchestre Unhasu de Corée du Nord. Au programme : pièces du répertoire traditionnel coréen et 1ère Symphonie de Brahms dirigée par le Sud-Coréen Myung-Whun Chung. Un beau coup politique, aussi fort que le concert du New York Philharmonic dirigé par Lorin Maazel en 2008 à Pyongyang. La presse relaie l’événement : photos des Coréens devant la Joconde, congratulations réciproques (« musicalement, ils sont très forts »), coup de projecteur sur le Stradivarius de 1716 joué par un musicien coréen, distribution de badges à l’effigie de Kim Jong-Un, recadrage du projet (« leur esprit est très concentré sur le concert ») par le chef de la délégation, seul habilité à communiquer au nom des artistes. Un ton qui rappelle l’époque soviétique. Blague des années 60 : Qu’est-ce qu’un quatuor à cordes russe ? Un orchestre symphonique revenant d’une tournée à l’Ouest. Un demi-siècle plus tard, et trois mois après l’avènement d’un nouveau Dirigeant bien-aimé au Pays du matin frais, ce genre de plaisanterie serait plus que déplacé.

François Lafon

Paris, salle Pleyel, 14 mars à 20h

jeudi 23 février 2012 à 11h16

Dimanche 11 mars à 17h, l’Orchestre de jeunes Demos, dispositif d’éducation musicale et orchestrale à vocation sociale, donne un concert à la Courneuve. Descriptif du dispositif : « 450 débutants de 7 à 12 ans ; 4h d’ateliers par semaine, hors temps scolaire, entre janvier 2010 et juillet 2012 ; pédagogie collective par groupes de 15, temps personnalisés par groupe de deux ou trois ; 38 structures sociales situées prioritairement dans les territoires « Politique de la Ville » ; 73 musiciens d’orchestre et pédagogues travaillant en binôme ; présentations musicales sur les territoires, concerts à la Salle Pleyel. » L’Orchestre de Paris, l’Orchestre Divertimento, la Cité de la Musique, l’Association de Prévention du Site de la Villette (APSV), le Mécénat Musical Société Générale sont dans l’affaire. Un peu plus loin dans le descriptif : « Lever les freins sociaux et culturels liés à la pratique musicale ; faire évoluer les représentations liées aux musiques classiques des jeunes et de leur entourage. » Lundi 20 février, sur France 3, les Victoires de la Musique classique ont encore perdu des points : 1,2 millions de spectateurs, 5% de parts de marché, pompon rouge des audiences de la TNT. Faire évoluer les représentations liées aux musiques classiques : vaste programme.

François Lafon

Orchestre de jeunes Demos : La Courneuve, Centre culturel Jean-Houdremont, dimanche 11 mars à 17h00. Paris, salle Pleyel, 29 et 30 juin

mercredi 4 janvier 2012 à 18h06

Un Gluck inconnu (L’Ivrogne corrigé ou Le Mariage du Diable), un Donizetti en français (Rita ou Le Mari battu) doublé de brèves de comptoirs en musique (Elle est pas belle la vie ?), un « opéra fumiste » autour d’Alphonse Allais (Café Allais), du baroque pimenté avec Dominique Visse et l’Ensemble Clément Janequin (A corps et à cris) : fidèle à elle-même, la Péniche Opéra fête ses trente ans. Deux embarcations (la seconde s’appelle Adélaïde) amarrées de septembre à mai au bassin de la Villette, une résidence sur la terre ferme (Fontainebleau), et Fluctuat mec mergitur, en dépit de la dureté des temps et du rétrécissement des subventions. Nombre de jeunes artistes rebutés par l’académisme y ont fait leurs classes, suivis par un public attiré par le côté café-théâtre de l’institution. Avec le temps, La Péniche a cristallisé la querelle des pro- et des anti- : du lyrique décomplexé pour les uns, de l’opéra au rabais pour les autres ; une porte ouverte sur un monde intimidant, ou un tue l’amour minant un univers voué au sublime. De là à conclure que La Péniche est aussi dangereuse (ou aussi utile) que les Guignols vis-à-vis des politiques…

François Lafon

www.penicheopera.com (Photo : Rita ou le Mari Battu © Cédric Suzanne)

jeudi 29 décembre 2011 à 19h41

C’est une tendance pas encore lourde, mais tout de même un virage à 180° en ces temps de dématérialisation du disque, du livre, de la presse : le vinyle classique est de retour. Cela fait un moment que dans leur domaine, les DJ s’y sont mis : pour mixer, le 33 tours est de mise. Mais cette fois, ce sont des chefs comme Gustavo Dudamel et Paavo Järvi qui entonnent le péan du son analogique et du diamant labourant les sillons. Sur son blog Slipped Disc, Norman Lebrecht s’en fait l’ambassadeur. Premières parutions : la Symphonie « Ecossaise » de Mendelssohn avec le Philharmonique de Vienne par le premier (DG), l’intégrale des Symphonies de Beethoven (déjà sorties en CD) avec la Deutsche Kammerphilharmonie Bremen par le second (RCA), accompagnées des qualificatifs d’usage : couleur, chaleur, charme, harmoniques riches, dynamique englobante, brillance radieuse. Tout ce qui manque au son numérique, selon les nostalgiques du LP, lesquels ont commencé à batailler dès la sortie des premiers CD au début des années 1980. Cette fois, ce sont des artistes nés après la disgrâce dudit LP qui montent au créneau. Iront-ils jusqu’à prétendre, comme certains audiophiles, que le signal numérique étant discontinu, il est incapable de reproduire le legato d’un violon ? « Seul les meilleurs lecteurs SACD (s’il y en a) peuvent produire un son aussi coloré », s’enthousiasme Lebrecht. Allons-nous ressortir nos vieilles platines et nos chiffons antistatiques, retrouver les délices des « cloc » et des « scratch », racheter régulièrement nos disques gondolés ou/et usés jusqu’à la trame, remonter nos étagères au format 30cm ? Les Beethoven par Järvi n’ont été pressés qu’en édition limitée de 999 exemplaires, destinée aux vrais mélomanes. Ouf ! Pas encore morts, nos MP3.

François Lafon

vendredi 16 septembre 2011 à 09h16

Caminos, le retour des Caravelles : quel titre, bien digne d’Alain Pacquier, qui les a lancées, les caravelles ! C’était en 1987. Pacquier, un franc-tireur de la musique qui a, entre autres, inventé le Festival de Saintes, crée Les Chemins du baroque. Il s’agit d’aller à la découverte du Nouveau Monde à travers la musique des Conquistadors. Disques (K.617) et concerts jalonnent le parcours, avec, comme armateur, la Fondation BNP : quatorze pays sont visités, trois festivals créés, onze orgues restaurées, quatre-cents jeunes musiciens formés, cinquante-sept enregistrements publiés. Des vedettes sont lancées, comme le chef argentin Gabriel Garrido et son ensemble Elyma. Les disques ne sont pas toujours réussis, les ensembles pas toujours au point, les œuvres pas toujours essentielles, mais les caravelles avancent et découvrent d’étonnants paysages. Basés depuis 2003 au couvent de St Ulrich, à Sarrebourg, Pacquier et son équipe ont décidé de jeter l’ancre. Deux séries de concerts en guise de feux d’artifice : du 16 au 25 septembre à travers la Lorraine, du 22 septembre au 2 octobre à Paris, au musée du quai Branly. Etrange impression : vingt-cinq ans après, le baroque n’est plus une aventure, le terme baroqueux n’est plus péjoratif. A moins qu’un Pacquier ne trouve moyen de remettre le feu aux poudres.

François Lafon

www.lecouvent.org - www.arsenal-metz.fr – www.quaibranly.fr

Un livre : Le retour des Caravelles, voyage au cœur du baroque d’Amérique latine, par Alain Pacquier. Fayard.

dimanche 4 septembre 2011 à 09h30

Placido Domingo a un problème. Sur le site allemand News.at, il s’en prend aux festivals de Salzbourg et de Bayreuth : « Je ne comprends pas. En tant que directeur d’opéra, je ne me permets pas de telles choses. En Allemagne et en Autriche, c’est devenu une habitude de faire appel à des metteurs en scène à scandale. Mais attention, le responsable est toujours le directeur ! » Spectacle incriminés : le nouveau Tannhäuser de Bayreuth, que le « régisseur » Sebastian Baumgarten a transposé dans une usine de recyclage de déchets, et La Femme sans ombre de Richard Strauss à Salzbourg, transformé par Christof Loy en séance d’enregistrement de …La Femme sans ombre, à Vienne en 1955, sous la direction de Karl Böhm (disques Decca). Mais à qui en veut Domingo ? Au regietheater en général, ou aux metteurs en scène médiocres ? A l’époque où il était un jeune chanteur, Giorgio Strehler, Jean-Pierre Ponnelle, Jorge Lavelli donnaient le ton, suivis par une cohorte d’épigones. C’est au tour de Christoph Marthaler, Krzysztof Warlikowski ou Hans Neunfels d’engendrer des clones encombrants. En arrivant l’avant-veille des premières, le chanteur Domingo a depuis longtemps résolu le problème. A l’Opéra de Los Angeles, le General Director Domingo pratique le « classic LA opera style ». Son public lui en est reconnaissant.

François Lafon

samedi 20 août 2011 à 10h17

Communiqué, fin juillet, du festival de Verbier 2011 : « Gidon Kremer annule sa participation pour raisons de santé ». Réponse de l’intéressé, postée par le journaliste Norman Lebrecht sur son blog Slipped Disc : « Je vais très bien, et j'espère que cela va durer. Désolé si mon attitude est perçue comme un défi. Il ya beaucoup d’artistes qui respectent docilement la règle du jeu dans l’espoir que cela va les conduire à la réussite (…) Ils deviennent trop facilement victimes des politiques de promotion et de réussite. Il semble que le marché de la musique et certaines «règles» visant une promotion rapide négligent la notion de croissance créatrice. Beaucoup de merveilleux et talentueux jeunes artistes deviennent les victimes d'un succès bien orchestré, qui les empêche de se découvrir eux-mêmes (…) »
Au-delà de la manifestation « all stars » qu’est le festival de Verbier, c’est l’institution musicale tout entière, maisons de disques en tête, qu’attaque l’illustre violoniste. Toujours postée par Slipped disc, la réponse du pianiste et écrivain Valery Afanassiev, annonçant par la même occasion la parution de son livre Notes de pianiste, en juin 2012 chez José Corti. « Je me demande quel but Gidon s'est fixé en écrivant cette lettre. Cela relève-t-il d’une identique aspiration à la gloire? Sur le Forum Classica, où les internautes russes échangent points de vue et insultes, on peut lire : « Gidon réalise qu'il sombre lentement dans l'oubli. Il a à coeur de nous rafraîchir la mémoire ». L'auteur de cette pique n'a pas tout à fait tort. » Et d’ajouter : « Il aide beaucoup de jeunes pianistes, des jeunes filles (…) Consciemment ou inconsciemment, il oublie leur absence quasi totale de dons musicaux ». Question d’équilibre, pour lui aussi : laissez mûrir les artistes, mais n’attendez pas qu’ils (elles) ne soient plus présentables sur une pochette de disque.

François Lafon

samedi 12 mars 2011 à 12h58

Recensés par le critique anglais Norman Lebrecht sur son site Slipped Disc : les concerts à Tokyo au soir du tremblement de terre. Le Japan Philharmonic Symphony a joué Stravinsky et Prokofiev au Suntory Hall sous la direction du chef russe Alexandre Lazarev. Le New Japan Philharmonic, dirigé par le chef anglais Daniel Harding, a donné la 5ème Symphonie de Mahler au Sumida Triphony Hall devant cinquante spectateurs (sur mille huit cents attendus), parmi lesquels un mélomane de soixante-neuf ans qui a marché quatre heures pour y arriver. Les musiciens ont dû dormir sur place, par terre, pendant que le chef mettait deux heures à parcourir en voiture les cinq kilomètres qui le séparaient de son hôtel. Un second concert, avec le même programme, est maintenu ce soir. Enfin la troupe du Mai Musical Florentin (trois cents personnes), avec le chef Zubin Mehta et le metteur en scène Nicolas Joel, joue à Yokohama et Tokyo du 13 au 21 mars. Sur le site du Mai Musical, la surintendante Francesca Colombo déclare : "A ce jour, nous sommes la plus grande communauté italienne au Japon, investie par le président Giorgio Napolitano du rôle d'ambassadeurs de la culture italienne dans le monde pour célébrer le 150e anniversaire de l'unification. Nous sommes persuadés que la musique peut continuer. C'est précisément pour cette raison que je ressens le besoin de rejoindre dès que possible la communauté des théâtres à Tokyo." Au programme : Tosca et … La Force du destin.

François Lafon

samedi 26 février 2011 à 17h15

L’année dernière, Chopin et Schumann. Cette année, Liszt et Mahler. Les anniversaires vont par deux. Schumann n’a pas pu tenir tête à Chopin. Le roman de Robert et Clara ne se vendra jamais aussi bien que celui de Frédéric et George, et la Polonaise héroïque fait moins peur que les Scènes de la forêt. Avec Liszt, on est entre les deux. Drôle de musique, ou plutôt drôles de musiques : les Rhapsodies hongroises et les Harmonies poétiques et religieuses, Rêve d’amour et Saint François de Paule marchant sur les flots. Drôle de personnage aussi : star du clavier et abbé mystique, leader d’opinion de l’Europe musicale et idéaliste, méprisé par son gendre Wagner, mais qui mourra à Bayreuth. Mahler l’irascible, chef vedette accouchant d’une galaxie symphonique qui mettra un bon demi-siècle à s’imposer, n’est pas moins intimidant, et il n’est qu’en apparence plus facile à cerner. Aucun des deux n’est aussi people que Chopin (aucun musicien, à vrai dire, si ce n’est Mozart), mais les pianistes sont (presque) tous là pour jouer Liszt, et tous les orchestres veulent avoir leur intégrale Mahler. Signe que, sans faire autant rêver les jeunes filles, Liszt talonne Chopin dans l’imaginaire collectif : la littérature qu’il a générée, et qu’il génère encore. Les nouveautés (rien qu’en français) du bicentenaire sont signées Laurence Le Diagon-Jacquin (Hermann), Bruno Moysan (Symétrie), Isabelle Werck (Bleu Nuit), Alain Galliari (Fayard), Jean-Yves Patte (Eponyme), Frédéric Martinez (Folio Biographies), Jean-Yves Clément (Actes-Sud). Cadeau dépassé (1925) mais toujours apprécié : La vie de Franz Liszt de Guy de Pourtalès (Livre de poche). Sur Mahler, en revanche, rien de nouveau, si ce n’est un ouvrage d'initiation signé Christian Wasselin (Découvertes/Gallimard) et un recueil de nouvelles de Michel Redon intitulé Nuit de Mahler (L’Harmattan). On ne saurait mieux dire.

François Lafon

vendredi 18 février 2011 à 14h31

Le Metropolitan Opera de New York a innové il y a quelques années avec la diffusion de ses spectacles sur les écrans de cinéma et en haute définition. L’énorme succès commercial de ces séances a inspiré d’autres maisons d’opéra partout dans le monde. Mais le Met veut continuer à être à l’avant-garde de la technologie. La saison 2011-2012 sera ainsi marquée par une nouvelle production de Siegfried de Richard Wagner en 3D. Derrière ce projet se trouve Robert Lepage, véritable maître de l’illusion : sa mise en scène de Renard et le Chant du Rossignol de Stravinsky au Festival d’Aix-en-Provence et l’Opéra de Lyon s’inspirait déjà pour beaucoup des ombres chinoises et autres trompe-l’œil. Pour le Metropolitan Opera, le metteur en scène se propose maintenant d’ajouter un degré supplémentaire de sophistication. Grâce à une technologie développée par une société canadienne, les chanteurs évolueront dans un décor complètement virtuel calculé en temps réel par des ordinateurs. Mais aucun besoin de caler des lunettes pour voir en 3D le dragon Fafner ou le rocher en flammes de Brünnhilde : contrairement à la technologie utilisée dans des films comme Avatar, les images en 3D de ce Siegfried high-tech seront visibles à l’œil nu. Reste à savoir si musicalement le spectacle sera à la hauteur mais on peut parier qu’avec Deborah Voigt dans le rôle de Brünnhilde, Bryn Terfel comme Wanderer et la direction de James Levine la partition de Wagner prendra tout son relief.  


Pablo Galonce

jeudi 13 janvier 2011 à 09h59

A ma droite (rien de politique) : La Musique classique pour les Nuls. Un coffret au format livre, un livret de cent pages, six CD d’extraits issus des catalogues EMI et Virgin. A ma gauche, Les Clés du classique, un album de quarante-cinq pages au format CD, deux CD d’extraits tirés du catalogue Universal. Pour les fêtes, le premier a cartonné, le second beaucoup moins. La collection Les Nuls est un best seller toutes catégories, alors que le seul titre Les Clés du classique sent son interrogation écrite, et n’est porté par aucun succès éditorial, en dépit de l’étiquette jaune Deutsche Grammophon qui figure sur la couverture. Les deux produits sont sérieux : texte anglais largement revu par l’excellente Claire Delamarche pour le premier (elle avait déjà « amélioré » L’Opéra pour les Nuls), explications claires mais moins ludiques pour le second. Handicap pour Les Nuls : le répertoire va du grégorien à Phil Glass, mais les extraits sont très courts, et il est rare qu’on ait un droit à un mouvement entier. L’album DG commence à Vivaldi et s’arrête à Chostakovitch, les extraits sont nettement moins nombreux (trente-cinq contre cent-quarante-sept) mais ils sont plus longs, et plus rarement shuntés. Léger avantage à DG pour les interprétations (Karajan, Abbado, Giulini, Boulez), alors que celles des Nuls sont en général dignes de la qualité EMI, mais parfois stylistiquement dépassées (Rameau par Cziffra). Alors, qu’offrir aux têtes blondes (ou même aux bruns mûrs) pour les faire entrer dans le monde enchanté de la « grande » musique ? Pour l’exhaustivité, l’étendue du répertoire et l’attrait du texte, Les Nuls bien sûr. En espérant que les impétrants auront envie d’aller plus loin que les mini-extraits : une des grandes différences entre le classique et la chanson, c’est que le classique, c’est plus long.


François Lafon

La Musique classique pour les Nuls : un coffret de 6 CD EMI/Virgin, 147 titres, un livret de 100 pages – Les Clés du classique : 2 CD, 35 titres, un livret de 45 pages Deutsche Grammophon/Universal.

« Je hais la musique classique : pas la chose mais le nom. » C’est avec cette entrée en matière qu’Alex Ross démarre son nouveau livre. On retrouve le sens de la formule de l’auteur qui a réussi avec The Rest is noise à raconter la musique contemporaine comme un roman. Comme son livre a fait un carton, le critique du New Yorker (le très branché magazine américain où Ross travaille depuis dès années) a donc eu l’idée de ramasser quelques articles et essais dans ce Listen to this (Ecoutez ceci*) qui vient de paraître en anglais et dont attend déjà la traduction française. Cette anthologie a les mêmes qualités que son opus précédent : esprit didactique sans renoncer à la complexité, choix de l’anecdote révélatrice. On peut seulement lui reprocher de trop utiliser la première personne (mais c’est devenu presque un cliché dans la presse américaine) et de s’appuyer uniquement sur des auteurs anglo-saxons. Mais comme dans The Rest is noise, c’est surtout le point de vue original qui fait le prix de ce livre : qu’on le veuille ou pas, le « classique » doit aujourd’hui vivre avec le rock, le pop, le jazz et qui sait quoi encore à l’avenir. Pourquoi donc pas en profiter ? « La meilleure interprétation classique n’est pas un retour dans le passé mais une intensification du présent. L’erreur que les apôtres du classique ont toujours faite est d’avoir uni leur amour du passé à leur dégout du présent. La musique a d’autres idées : elle hait le passé et veut y échapper ».

Le lecteur déjà familier de ces compositeurs n’apprendra rien de nouveau sur Mozart ou Schubert (quoique ces chapitres soient fort bien écrits), mais en revanche il pourra suivre l’élaboration d’un album de Björk où la chanteuse islandaise brasse la musique populaire de son pays avec Stockhausen. Pas de révélations sur Brahms, mais un portrait passionnant de Bob Dylan où Alex Ross confesse ne rien comprendre souvent aux textes du chanteur. Si sur les opéras de Verdi tout semble avoir été dit, on découvre en revanche qu’il y a du Messiaen dans les chansons du groupe britannique Radiohead. On part aussi en voyage pour découvrir l’œuvre d’un compositeur qui veut mettre les paysages de l’Alaska en musique avant qu’ils ne soient emportés par l’urbanisation et le réchauffement de la planète, suivre un quatuor à cordes dans le Texas pour se rendre compte que la vie musicale aux Etats-Unis est plus riche qu’on ne le croit, et parcourir la Chine, le pays qui, malgré ses conservatoires remplis par des millions d’élèves, ne sera pas peut-être la Mecque du classique comme certains l’ont prophétisé trop rapidement. Alex Ross lui-même se garde bien de prédire quoi que ce soit sauf que « toute musique devient finalement de la musique classique. »

Pablo Galonce

Alex Ross, Listen to this. Farrar, Straus and Giroux, New York. 364 pages. www.fsgbooks.com

* Pour que la promesse du titre soit pleinement réalisée, Alex Ross a mis sur Internet un guide d’écoute pour chaque chapitre.

vendredi 29 octobre 2010 à 09h10

« En un lugar de la Mancha… » On ne saura jamais à quel endroit songeait Miguel de Cervantès en écrivant les premières lignes du Don Quichotte, mais son roman a désormais une adresse dans l’univers virtuel : un site fascinant, mis en ligne par  la Bibliothèque Nationale d’Espagne. On peut y feuilleter l’édition originale (ou, pour ceux qui ne sont pas familiers avec l’orthographe du XVIIè siècle, la transcription en espagnol moderne) des aventures du Chevalier de la Triste Figure et de son écuyer Sancho Pança. Le chargement complet du site est un peu lent et pour cause : ce n’est pas uniquement le texte qui est mis à la disposition de l’internaute mais toutes sortes d’enrichissements  propres à satisfaire le lecteur le plus curieux. Un commentaire musical censé nous plonger dans l’atmosphère cervantine se déclenche sitôt qu’on arrive sur le site, mais cette bande son est bientôt énervante, un peu comme la touche « couleur locale » des grandes productions hollywoodiennes. Coupez donc le son, mais ne négligez pas pour autant la section consacrée à la musique. On peut y écouter des  extraits de « la Musique dans le Quichotte », un CD de l’ensemble Orphénica Lyra dirigé par José Miguel Moreno, publié chez Glossa, label qui a justement  pour spécialité la musique espagnole de la Renaissance et du baroque. Quant à la vraie musique du Quichotte, pas besoin d’un CD pour l’entendre : il suffit de se laisser porter par la langue de Cervantès.

Pablo Galonce

C’est tellement tendance que c’est désormais indispensable : chaque maison d’opéra, chaque orchestre veut proposer sa propre application pour iPhone, le téléphone-appareil-photo-agenda-électronique-console-de-jeux, n° 1 d’Apple. L’enjeu pour des institutions comme l’Opéra de Los Angeles, l’English National Opera ou l’Opéra du Rhin, c’est de toucher un public urbain, a priori jeune et branché. Dernier arrivé, l’Opéra de Paris vient de présenter son application iPhone (elle fonctionne aussi sur l’iPad, la tablette numérique d’Apple) : calendrier, guide pratique, spectacles à l’affiche, rien d’essentiel n’y manque, le tout présenté avec élégance et sens pratique. Le petit plus, ce sont les vidéos des spectacles à l’affiche : qui aurait crû avoir un jour l’Opéra-Bastille dans sa poche ?

Pablo Galonce

jeudi 21 octobre 2010 à 07h31

Le Panthéon, le Mac-Mahon, le Balzac à Paris, quelques rares salles à travers la France : le contraire des multiplex, les villages gaulois des cinéphiles. Le Balzac est presque sur les Champs-Elysées. Tout est dans ce presque. Dans les années 1960, la salle ronde affichait Le Gendarme de Saint-Tropez aussi bien que Les Histoires extraordinaires de l’improbable trio Fellini-Malle-Vadim. Les moeurs cinématographiques évoluant, on a vu un public différent faire la queue sur la pente raide de la rue Balzac. Aujourd’hui, pour vivre au lieu de survivre, son directeur Jean-Jacques Schpoliansky joue la carte multifonction, avec une tendance marquée pour la musique. Affluence pour Carmen en direct du Liceo de Barcelone, avec Roberto Alagna ; délocalisation à l’église St Pierre de Chaillot pour la Jeanne d’Arc de Dreyer accompagnée en direct à l’orgue ; idem en version profane le 21 novembre avec Steamboat Bill Junior de Buster Keaton, illustré par un pianiste dans la salle ; même principe du 23 novembre au 8 février, Jean-François Zygel improvisant sur quatre films de Murnau : L’Aurore, Faust, Le dernier des hommes et Faust. Le 30 novembre, Tosca en  différé du Carlo Felice de Gênes, avec le couple Daniela Dessi - Fabio Armiliato. Il y a aussi, le samedi soir depuis bientôt dix ans, du jazz et des concerts de musique de chambre.  Voilà trente-six ans que Schpoliansky tient à bout de bras la salle (il y en a trois depuis les années 80) ouverte par son grand-père en 1935. Le cinéma - art de la nostalgie -, comme bastion d’un art de vivre, entre ciné-club et maison de la culture : bien vu !

François Lafon

Photo :  © Luc Pâris

Mini-tempête sur le Walhalla à propos de la participation d’un orchestre israélien au prochain festival de Bayreuth. Katharina Wagner, arrière-petite fille de Richard et co-directrice du festival avec sa demi-sœur Eva, rêvait de faire venir le Philharmonique d’Israël, mais c’est le plus modeste Orchestre de Chambre d’Israël, dirigé par son ami Roberto Paternostro, qui a répondu à l’invitation. Explication d’Erella Talmi, présidente de l’orchestre : "Il n'est pas convenable de jouer Wagner ici (en Israël) tant qu'il y aura parmi nous des gens réfractaires à sa musique, mais on peut en revanche faire entendre ses oeuvres à l'étranger". Entre temps, le quotidien israélien Haaretz a mis le feu aux poudres, en affirmant que le festival avait annulé le projet. « Le concert aura bien lieu, » rétorquent les organisateurs, tout en précisant qu’il serait donné parallèlement au festival, sous l’égide de la ville de Bayreuth, et qu’il ne comprendrait qu’une seule œuvre de Wagner (Siegfried Idyll), pièce que les musiciens ne répéteraient qu’une fois arrivés sur le sol allemand. En attendant, Katharina Wagner, qui est aussi metteur en scène, a affirmé sur le site israélien ynetnews.com qu’elle aimerait beaucoup monter un opéra de son arrière-grand-père en Israël et qu’elle attendait qu’on l’invite. Elle avait prévu - officiellement pour inviter l’Orchestre - un voyage à Tel Aviv, qui a été annulé « dans l’hilarité générale », précise le site operachic.com. Une allusion à sa mise en scène déjantée des Maîtres-chanteurs de Nuremberg, il y a trois ans au festival 

François Lafon

lundi 6 septembre 2010 à 11h00

Marché  classique, ton univers impitoyable… Le critique anglais Norman Lebrecht, sur son blog Slipped Disc, en tire un véritable feuilleton. En vrac : Gustavo Dudamel, qui avait suivi son agent en rupture de bail, se retrouve, à la suite d’un nouveau clash, seul client dudit agent. Dix-neuf artistes, parmi lesquels la mezzo soprano Joyce DiDonato,  suivent le leur et quittent le géant IMG pour le plus petit Intermusica. Le département « artist management » d’Universal, créé pour  renflouer la multinationale du disque en pleine crise, perd une à une ses têtes d’affiches. Les chanteurs Elina Garanca, Barbara Frittoli et Luca Pisaroni sont d’ores et déjà démissionnaires, et un autre gros poisson (un ténor ?) serait lui aussi sur le départ. Les pertes, à chaque fois, se chiffrent en moyenne à 550 000 dollars (430 000 euros) par tête, et l’amalgame agence/maison de disques met en jeu à la fois la carrière scénique et discographique des artistes. Cuisine interne, négligeable en regard des sommes annoncées lors des incessants transferts de pop stars ? Peut-être, mais à faire ainsi jouer les mini pop stars aux artistes classiques, on fait d’eux des « produits » à but  essentiellement lucratif. Les albums fast food qui en résultent n’en témoignent que trop.

François Lafon

Cela date du début du (XXIème) siècle avec la création de LSO (London Symphony Orchestra) live et SFS (San Francisco Symphony) live. Lâchés par les compagnies historiques (Deutsche Grammophon, EMI, Sony, RCA) pour cause de crise du disque, les orchestres ont créé leurs propres labels. Au choix : CD ou téléchargement. Le Philharmonique de New York propose cinquante heures de musique (trente œuvres) sur ITunes, à cinq euros l’heure. Bon point : des textes de présentation soignés. Mauvais point : l’impossibilité sur ITunes de classer les œuvres par titres ou compositeurs. Le Philharmonique de Berlin, lui, offre une « salle de concerts digitale » sur son site berliner-philharmoniker.de. Pour 149 euros, vous achetez l’accès illimité aux concerts de la saison, pour 29 euros à ceux du mois et pour 10 euros le dernier en date, en direct ou quarante-huit heures après leur mise en ligne. Le Concertgebouw d’Amsterdam, le Symphonique de Boston, l’Orchestre de Philadelphie ont créé eux aussi une formule de téléchargement, et publient leurs archives en CD. Le Philharmonique de Vienne ne va pas jusqu’à mettre ses concerts en ligne (on n’est pas moderne, sur les bords du Danube), mais propose sur son site une grande partie de son énorme discographie en CD. Et les orchestre français ? Naïve a distribué en CD quelques enregistrements live de l’Orchestre National en coproduction avec Radio-France, l’Orchestre de Paris a mis en ligne quelques-uns de ses concerts historiques (Le Requiem de Verdi dirigé par Giulini, Le 1erConcerto pour piano de Bartok par Pollini et Boulez) avec le soutien de la banque Natexis. Nous sommes loin de la création d’un label ou de la mise en ligne d’une saison. Difficultés financières, lourdeur administrative, déficit d’image sur le marché international ? Un peu de tout cela, sans doute.

François Lafon

Nom : Cosima Wagner. Domicile : Bayreuth. Biographie : fille illégitime, muse d'un génie, épouse et mère dévouée. Voici en quelques lignes la carte d'identité de la deuxième épouse de Richard Wagner sur Twitter, ce réseau social où vous déposez des messages très courts (140 caractères maximum, format SMS) que vos amis peuvent lire sur Internet ou sur leur téléphone portable. Bien sûr, Wahnfried, la maison des Wagner à Bayreuth, ne disposait pas d'une connexion à Internet à la fin du XIXè siècle. Mais sur Twitter, rien ne vous empêche de prendre l'identité d'un personnage historique (ou de fiction, pourvu qu'il ne soit pas protégé par des droits d'auteur) et de mettre en ligne son Journal. Celui de Cosima Wagner est l'un des plus passionnants qui soient. Une épouse peut après tout écrire des choses sur son génie de mari qu'aucun biographe ne devinerait, et dévoiler ses petites manies ou ses grandes qualités. « R » est un père attentif, qui aime jouer avec ses enfants et s'inquiète pour leur avenir, qui fait plaisir à sa femme en jouant des passages de Tristan au piano tandis qu'elle lit le livret, ou fait une simple promenade dans le bois. Mais la fille de Franz Liszt n'oublie jamais de noter les réflexions de R sur la musique et les arts : « Après-midi avec R, joué deux symphonies de Haydn, pendant lesquelles il note que, en matière de forme, Haydn est un maître plus grand que Mozart » ; « R a parlé encore de Berlioz, ''qui entendait visuellement d'une manière merveilleuse, et cela réveillait ses pouvoir d'invention. Sinon pitoyablement mince'' ». Et de discuter sur la « stupidité » de la musique de Mendelssohn et la beauté des mélodies de Bellini. Mais Beethoven est sa véritable obsession : « R demande à quoi a servi Beethoven : "Ils n'ont rien appris de lui, tout ce qu'ils font, c'est essayer de l'imiter'' » ; « Ma vie, s'écrie R, n'a pas atteint le final en Ut majeur de la Symphonie (n° 5 de Beethoven) en Ut mineur. Tout ce dont je me souviens est trivial ». Il y a aussi des nouvelles des contemporains : « R me lit une lettre étrangement intelligente que Herr Brahms lui a écrit pour lui remercier de lui avoir envoyé Das Rheingold ». Cosima nous dévoile un peu de l'inconscient du compositeur, victime d'un sommeil léger : une nuit il rêve « qu'il a ajouté un ballet dans la scène de Kundry (dans Parsifal), incluant un boléro », une autre qu'« un Pape qui ressemble à Bruckner lui rend visite, et quand R va pour baiser sa main, Sa Sainteté l'embrasse ». Mais la France et les Français, objet de amour et de haine pour Wagner, sont parfois le pire de ses cauchemars : « La nuit dernière R a rêvé en français ».

Pablo Galonce

L’opéra au cinéma, en HD et en direct, est une affaire qui marche : salles chauffées à blanc et premières loges pour tout le monde. Mais le concert ? Plan d’ensemble sur les violons en nage, close up sur le rictus du clarinettiste, contreplongée sur le chef gesticulant. A la télévision ou sur votre ordinateur, le spectacle n’est pas toujours glamour. Alors sur écran géant ! C’est pourtant ce que vont tenter deux orchestres, et non des moindres : le Philharmonique de Berlin et l’Orchestre de Philadelphie. Ce dernier voit grand : neuf programmes de la saison 2010 - 2011 diffusés dans cinquante-cinq cinémas de Pennsylvanie, de Floride, du Texas, de Californie, de l’Illinois et du Wisconsin. La démarche de Berlin n’est pas moins conquérante : dans soixante salles de onze pays d’Europe, les mélomanes vont, le 27 août à 18h45, voir en entendre en direct de la Philharmonie la 4ème Symphonie de Beethoven et la « Titan » de Mahler. En Allemagne, certaines salles affichent entrée libre. Au Royaume-Uni, la presse bat tambour : c’est Sir Simon Rattle qui est au pupitre, et apparemment, cela commence à bien faire que les Allemands aient le quasi-monopole du plus illustre (avec les Beatles) des natifs de Liverpool. Plus fort encore : Rising Alternative, le distributeur, annonce l’intégrale des Symphonies de Mahler que Sir Simon a programmée à Berlin pour commémorer à la fois le 150ème anniversaire de la naissance du compositeur (7 juillet 2010) et le centenaire de sa mort (18 mai 2011). Mais à quoi vont servir les valeureux orchestres régionaux, qui jouent Mahler comme tout un chacun (l’épidémie fait rage par les temps qui courent), si le Philharmonique de Berlin vient chasser sur leurs terres, relayé par la technique moderne ? En France, la question ne se pose pas : faute d’accords avec l’orchestre, le concert ne sera pas diffusé.

François Lafon

samedi 14 août 2010 à 20h32

Dans la famille des bébé-stars, voici Jackie Evancho, dix ans et quatre mois, qui a mis le Nouveau Monde à ses genoux, le 10 août, en chantant O mio Babbino caro (Puccini, Gianni Schicchi)  au cours de l’émission-jeu de la NBC America’s got talent. Sur YouTube, la vidéo de l’émission fait un carton. Sur Wikipedia, où elle est déjà répertoriée, la jeune Jackie est définie comme « une jeune soprano née à Pittsburgh, Pennsylvanie ». On apprend que sa vocation est née il y a deux ans, au cours d’une représentation du musical Le Fantôme de l’Opéra (Andrew Lloyd Webber), et qu’elle n’en est pas à son premier jeu télévisé. On découvre aussi qu’en 2009 elle a enregistré un disque, sur lequel elle chante la chanson Con te partiro, qui a lancé Andrea Boccelli, déjà O mio Babbino caro et l’Ave Maria de Schubert, ce dernier non en allemand, mais en latin. La presse la compare à Susan Boyle, eu égard aux circonstances et à la soudaineté de son succès. Renaud Machart, dans Le Monde, lui consacre un article élogieux, louant en particulier la joliesse de son timbre, et rappelle que Jackie Evancho a été précédée aux Etats-Unis  par Beverly Sills, qui maniait le contre-fa à l’âge de huit ans dans des radio-crochets, et en Angleterre par Charlotte Church,  promise à onze ans à une grande carrière lyrique après son passage au Big, Big Talent Show sur la BBC. La jeune Jackie deviendra-t-elle une Sills du XXIème siècle, une pop star doublée d’une animatrice-télé, telle Charlotte Church, ou … rien ? On ne peut même plus, de nos jours, rêver à des lendemains qui chantent en écoutant Un bel di vedremo (Puccini, Madame Butterfly), interprété le 7 avril 1935 à L’Heure des Amateurs du commandant Bowles par une adolescente dont la voix ressemble étrangement à celle de Maria Callas. Le document est, paraît-il, un faux. Mais c’était avant YouTube et la télévision.

François Lafon

mardi 3 août 2010 à 13h15

Elles sont jeunes, jolies et elles enregistrent des disques. De là à  remplacer « et » par « donc »… Dans un marché discographique englué dans la crise, le programme de la rentrée est en tout cas édifiant : Deutsche Grammophon annonce la mezzo lettone Elina Garanca (sur la photo) dans un programme de Habaneras (et dans … Carmen en DVD), Decca passe ses caprices à la violoniste Julia Fischer, à commencer par ceux de Paganini, EMI prolonge les vacances avec Solatino sous les doigts de  la pianiste Gabriela Montero, Jade réveille L’Eternel byzantin avec la diva Divna. Chez Sony, la pianiste Khatia Buniatishvili (23 ans) signe un contrat d’exclusivité inauguré par un album Liszt, et DG déroule le tapis jaune à la violoniste Lisa Batiashvili (à ne pas confondre avec la précédente). Côté messieurs, le look n’est pas moins décisif : le contre-ténor Philippe Jarrousky ressuscite Caldara dans la foulée de son JC Bach de la saison dernière (Virgin), le violoniste Kennedy retrouve sa casquette de rocker et son prénom Nigel pour un disque en quintette intitulé « Shhh ! » (en français : « Chut ! »), tandis que le photogénique pianiste Yundi perd définitivement son patronyme Li sur la couverture de son récital Chopin (EMI). Comme tous ces gens ont du talent, on ne connaîtra jamais la part du look dans l’éventuel succès de leurs disques.

François Lafon

mardi 27 juillet 2010 à 09h39

Foisonnant, le numéro de la revue Books (L’Actualité par les livres du monde) consacré à la musique. En couverture, une kyrielle de mots-clés : répression, rêve, sexe, subversion, transe, violence, joie, amour, beauté, cerveau, drogue, libération, obsession, religion. On y  apprend que la musique sert à canaliser la violence, selon la thèse de Jacques Attali dans son livre Bruits (1977, réédité en poche en 2009), qu’elle a joué un rôle primordial dans l’évolution de l’Homo Sapiens, qu’elle est capable d’anticiper les idées du futur, qu’elle peut entraîner des pathologies inquiétantes, mais aussi qu’en dépit de ce qu’en pensent moralistes et cartésiens, elle a peut-être pour seule fonction de procurer du plaisir.  On passe en revue ses aspects sociaux et politiques : le negro spiritual et ses dérivés (blues, jazz, rock, rap),  la sacralisation des compositeurs au XIXème siècle (Rossini, premier compositeur charismatique), l’engagement des musiciens pendant l’entre-deux guerres, la méfiance des religions vis-à-vis de phénomènes sonores où l’âme et le corps entretiennent de dangereuses accointances. Viennent enfin les phénomènes récents, du disco accompagnant la libération des homosexuels au « rap petit blanc » d’Eminem, pour finir par les diverses utilisations des sons à des fins totalitaires, depuis Staline récupérant Prokofiev jusqu’au hard rock diffusé à tue-tête dans les cellules de Guantanamo. Condition préalable : accepter que la plupart de ces articles véhiculent des références et des schémas de pensée typiquement américains. Les mêmes sujets, traités par des Européens, pourraient nous entraîner sur des chemins bien différents. Qui s’y colle ?

François Lafon

Le Pouvoir de la musique. Books, n° 14, juillet-août 2010. 5,90 euros.

mercredi 21 juillet 2010 à 10h08

Il n’y a pas que sur L’Elysée que souffle la tempête. Mardi 6 juillet, Stéphane Lissner, surintendant de la Scala de Milan, convoque la presse : « Si le secrétaire d’état à la culture Sandro Bondi ne fait rien, nous allons devoir fermer boutique. » L’illustre vaisseau n’est pas le seul à tanguer. Suite à un décret visant à  endiguer le déficit chronique dont ils sont atteints (voir L’Italie malade de ses opéras), tous les  théâtres italiens réduisent la voilure, entraînant grèves, annulation de spectacles, règlements de compte en cascade. Mais la Scala est un théâtre à part, et Monsieur Lissner (en français dans le texte), acclamé à son arrivée, n’a plus bonne presse.  Fidèle à lui-même, et probablement agacé par le renvoi du chef français Jean-Christophe Spinosi  - qui devait diriger Le  Barbier de Séville - pour « incapacité à instaurer des relations de travail sereines et constructives », l’ancien directeur du Châtelet et du festival d’Aix n’épargne personne, si ce n’est les syndicats, craignant probablement - selon le blog italo-américain Opera chic - que ceux-ci ne fassent capoter la tournée en Argentine de l’orchestre et du chœur, prévue cet été. Il est même parti en guerre contre ses confrères de Vienne et de Munich, lesquels programment, à son avis, des « spectacles de bas étage. » Ioan Holander, directeur  sortant du Staatsoper de Vienne, parle dans le Frankfurter Roundschau d’une « attaque sans précédent de la part d’un confrère », et ajoute qu’il est « très difficile d’engager une discussion avec quelqu’un qui ne sait même pas lire la musique. » « Je comprends, assène-t-il en guise de coup de grâce, que Monsieur Lissner ait besoin de détourner l’attention de la presse italienne  de ce qui se passe – ou plutôt ne se passe pas – à La Scala. En ce moment, nous avons à Vienne Christian Thielemann, Seiji Ozawa, Riccardo Muti et Zubin Mehta. Ils ne sont pas à la Scala, où il n’y a que Monsieur Lissner, ce qui n’est pas gai. » L’histoire ne dit pas ce qu’en pense un autre Français, Dominique Meier – jusqu’à cette année directeur du Théâtre des Champs-Elysées –, qui s’apprête à succéder à Ioan Holander à la tête de l’Opéra de Vienne. En attendant, la rumeur se répand que Lissner aurait convaincu Pierre Boulez de composer son premier opéra : une adaptation d’En attendant Godot de Samuel Beckett. Création prévue en 2015 … à la Scala.

François Lafon

Les Argentins peuvent être fiers. Après trois années de travaux (commentées dans un riche site en espagnol), le Teatro Colón de Buenos Aires  a rouvert ses portes ce 24 mai. Cela tombe à pic : l’Argentine fête ces jours-ci le bicentenaire de la révolution qui a conduit à son indépendance. Deux siècles après, le pays continue à se mesurer  au Vieux Continent, comme on le voit dans les commentaires de la presse : «  Un travail d’un niveau qui même en Europe serait impensable, » dit une architecte à propos de cette restauration. Il est vrai que  rendre son lustre à cette vieille dame (102 ans, tout de même) n’a pas été une mince affaire. A la fin des années 1980, on était allé jusqu’à supprimer le système anti-incendie, et la vétusté des équipements était manifeste. Il fallait que ce bâtiment de 60.000 mètres carrés retrouve son aspect délicieusement éclectique, tout en préservant une acoustique considérée comme l’une des meilleures du monde : ce dernier point est un motif (légitime) de fierté patriotique.

Pour des raisons politiques, la présidente de la République, Cristina Fernández de Kirchner a boycotté la fête. Les invités de marque de cette réouverture (ils étaient 2487, si toutes les places étaient occupées) ont assisté au troisième acte du Lac des cygnes puis au deuxième de la Bohème. La fête finie et l’exaltation nationale retombée, le plus difficile reste à faire. Le Colón est certes une merveille architecturale, mais il y a encore du travail avant qu’il ne retrouve le prestige et les distributions qui pendant quelques décennies ont fait de lui l’une des grandes scènes lyriques au monde.

Pablo Galonce

C’est un livre en forme de cahier avec des pages numérotées mais il est conseillé d’y entrer un peu au hasard. Pierre Boulez. Un certain parcours est édité par l’Orchestre de Paris alors que la formation offre cette semaine à la Salle Pleyel deux concerts en hommage au compositeur : le premier (27 mai) est consacré à des fragments d'œuvres des maîtres (Messiaen, Bartok, Webern, Stravinsky… ), le deuxième (le 28 mai) à la génération d’après-guerre (Berio, Stockhausen, Ligeti et… Boulez) et à celle qui est en train de prendre la relève (Dalvabie, Robin, Grime).


Le livre, plus qu’un super-programme de concert, est surtout un portrait musical éclaté en mille fragments et richement illustré. Boulez répond d’abord aux questions d’Eric Picard, violoncelliste de l’Orchestre de Paris et livre cette définition sur son métier : « le créateur est un prédateur qui transforme la moindre impulsion qu’il est en état de recevoir et en fait une trouvaille irrémédiablement personnelle. » Mais la partie la plus révélatrice est peut-être celle où les musiciens racontent leurs expériences avec le maître. Les musiciens de l’Orchestre de Paris (90 concerts avec Boulez depuis 1976) esquissent des mini-portraits (« épicurien à l’esprit vif et à l’humour corrosif », propose quelqu’un), tandis que les membres de l’Ensemble Intercontempoain offrent surtout des souvenirs sur la manière de travailler de Pierre Boulez le chef d’orchestre : « Je me souviens de la première répétition d’une pièce très complexe de Ferneyhough. Chacun devait jouer un maximum de notes, de nuances et de modes de jeu en très peu de temps. Vous [Pierre Boulez]dirigiez tout cela avec un calme absolu. A un moment donné, vous vous êtes arrêté, vous avec regardé l’un des musiciens qui devait jouer seul une sorte de cadence et vous lui avez dit ‘Tu as deux secondes pour raconter toute ta vie. »

Pablo Galonce

Pierre Boulez. Un certain parcours. 10 euros. Le livre sera à la vente à la Salle Pleyel les 27 et 28 mai, et dans certaines librairies parisiennes.

Concert : les 27 et 28 mai, 20 h, Paris, Salle Pleyel. Les deux concerts seront diffusés gratuitement et en direct sur Arte Live Web et orchestredeparis.com, puis disponibles en streaming pendant deux mois. Mezzo diffuse en direct le concert du 27 mai.  

dimanche 16 mai 2010 à 22h03

Mardi 18 mai, le Choeur de chambre les Eléments propose un concert entièrement consacré à Zad Moultaka. Le chef Joël Suhubiette donne quelques clés pour mieux comprendre la musique de ce compositeur.
 

 

Qui est Zad Moultaka ?
C’est un musicien franco-libanais qui, après une formation de pianiste (il a été élève d’Aldo Ciccolini), se consacre maintenant entièrement à la composition. Sa double culture, entre Orient et Occident, se retrouve dans sa musique. Il a aimé trouver chez certains des chanteurs des Eléments une expérience dans la musique ancienne ce qui veut dire des tempéraments différents, une manière de chanter avec ou sans vibrato, des couleurs nouvelles, et de notre côté, nous avons aimé travailler avec lui chaque année, depuis 2004.

Quel est son style ?
Depuis ses premières pièces, il y a eu une grande évolution : Zikr (2003) était un hommage à Monteverdi, très madrigalesque, tandis que Nepsis, créé en 2005, est très loin de cette esthétique. Mais on trouve toujours une dimension rituelle, mystique, dans sa musique, ainsi qu’une énergie en mouvement, une impulsion, presque comme dans certains instruments à percussions. S’il est un compositeur du XXè siècle duquel on peut rapprocher Zad Moultaka c’est Luciano Berio, même si les langages ne sont pas comparables : même amour du texte, même goût pour la voix.

I had a dream, la pièce qui donne le titre à ce concert, fait référence au fameux discours de Martin Luther King sur les marches du Lincoln Memorial à Washington en 1963. Comment Zad Moultaka y a-t-il trouvé une matière musicale ?
Zad Moultaka a mis la voix de Martin Luther King sur une bande magnétique, tandis que le choeur chante non pas pour l’imiter, mais à partir des sonorités et de couleurs de sa voix. Zad Moultaka a voulu télescoper l’histoire : les mots que le choeur chante sont ceux des victimes de l’ouragan Katrina qui balaya la Nouvelle-Orléans en 2004, avec un décalage entre le discours utopique de 1963 et la réalité déprimante de l’Amérique des années Bush. Une grosse caisse sonne le glas à la fin de l’oeuvre : le glas pour les morts ou le tocsin de la révolte ? Zad Moultaka a modifié aussi les applaudissements à la fin du discours pour qu’ils donnent l’impression de la pluie qui arrive pour inonder tout... Pour nous musiciens, c’est rare d’interpréter une oeuvre aux prises avec la réalité historique et sociale. Le plus difficile pour les chanteurs est justement de retrouver des couleurs et des accents qui soient ceux des noirs américains : il ne servirait à rien de chanter ça avec un anglais oxfordien.
 

Pablo Galonce


Zad Moultaka : I had a dream. Choeur de Chambre les éléments, Ensemble Pythagore, Joël Suhubitte (direction). Blagnac (31), Odyssud, le 18 mai, 21 h. www.odyssud.com - www.les-elements.com - www.zadmoultaka.com

Crédit photo : ©F.Passerini

 

Le titre de ce livre est tellement bien trouvé que l’éditeur français qui le publie aujourd'hui n’a pas hésité à le garder en VO. Et d'autant plus, d'ailleurs, qu'avant même la parution, le livre était célèbre : dans un blog devenu le site internet classique le plus lu au monde et le plus habile des moyens de promotion, Alex Ross, son auteur, critique au New Yorker, a raconté au fil du temps toute la gestation de ces 700 pages sur la musique du XXè siècle. Résultat : dès sa sortie, The Rest is Noise s'affiche comme best-seller, non seulement en anglais mais aussi dans les autres langues dans lequel il a été traduit, comme en Espagne, où il a été dans la liste des meilleures ventes du premier jour alors que ce type de littérature ne fait pas de scores très reluisants.
A la lecture, on se rend bien compte que tout ce bruit n’est pas pour rien. The Rest is Noise se lit comme un roman grâce à un style accrocheur et sans fioritures, un sens de l’anecdote révélatrice, une érudition qui ne tombe jamais dans la cuistrerie. Mais surtout, Alex Ross est un véritable hétérodoxe : loin de présenter la musique de XXè siècle comme un chemin qui mène tout droit vers la modernité, commençant par Schoenberg et Stravinsky et finissant avec Boulez et Stockhausen, il ose explorer les autres voies et rendre hommage à Sibelius (un chapitre pour lui seul), à Duke Ellington (les pages sur la musique américaine sont riches en détails), Steve Reich, Chostakovitch et Britten, ou encore Richard Strauss, tout aussi modernes qu'une avant-garde autoproclamée qui en prend pour son grade. Et tant pis pour les hiérarchies : Messiaen et Ligeti côtoient Lou Reed et le Velvet Underground, les Beatles sont traités avec le même sérieux que Luciano Berio. Le sous-titre de l’ouvrage (« A l’écoute du XXè siècle ») donne aussi une piste. Loin d’isoler la musique dans une tour d’ivoire, Alex Ross n’a de cesse de signaler l’influence de la politique et de la société sur l’évolution du langage musical : le chapitre sur l’Allemagne nazie est tout aussi passionnant que celui sur la manière dont la CIA s’est servie de l’avant-garde comme d’un instrument de propagande pendant la guerre froide ou sur l’influence du New Deal de Roosevelt sur les compositeurs américains des années 1930. « Mister Gershwin, music is music… » aurait dit Berg à l’auteur de la Rhapsody in blue : rien n’est moins évident quand on a fini de lire ce livre.

Pablo Galonce

Alex Ross : The rest is noise. A l’écoute de la musique du XXè siècle. Traduction de Laurent Slaars. Actes Sud, 767 pages, 32 euros. 

0-3 : le Bayern de Munich a donc éliminé l’Olympique Lyonnais en Ligue de Champions. Vu à la télé, le spectacle était superbe (du côté allemand au moins), surtout qu’il y avait de quoi attirer l’oreille. Non pas le flot de commentaires souvent superflus des chroniqueurs de TF1, mais plutôt le chant des supporteurs lyonnais (à moins que ce ne soit pas des munichois… ) qui encourageaient son équipe en reprenant à chœur le thème du dernier mouvement de la Symphonie du Nouveau Monde de Dvorak. Faut-il voir l’influence de l’Orchestre National de Lyon qui proposait encore cette saison d’acheter pour le même prix une place de concert et un billet pour un match de l’OL ? En tout cas, l’amour du foot n’est pas incompatible avec l’amour de la musique : Chostakovitch se passionnait par exemple pour le ballon rond. Les abonnés du Real Madrid, eux, peuvent se joindre avant chaque match au stade Santiago Bernabeu à la voix de Plácido Domingo, qui a enregistré l’hymne du club. Côté frisson musical, les champions du monde sont les supporteurs du Liverpool : impossible de ne pas frémir en les entendant chanter « You’ll never walk alone » au début de chaque match à Anfield. Et dire qu’il s’agit à l’origine d'un morceau d’une comédie musicale de Rodgers et Hammerstein…

Pablo Galonce

Ca bouge, du côte de l’Opéra du Rhin : pour la première fois en France, une maison lyrique a développé une application pour iPhone (une iPhone app pour les initiés). On pourra donc suivre depuis son téléphone toute l’actualité de cette institution avec un calendrier des représentations, des photos des spectacles et même, comble du raffinement, une billetterie en ligne. L’application, à télécharger ici via iTunes, est gratuite. Très hype ? Sans doute, mais pas autant peut-être que l’iPhone app de l’Opéra de Los Angeles dont la page d’accueil est enrichie avec la voix de Plácido Domingo, directeur de la maison. Ni aussi ludique que celle de l’English National Opera (ENO) qui pour faire la promotion de sa production du Grand Macabre, a créé un jeux à partir du prélude pour klaxons de voiture de cet opéra de Ligeti : vous pouvez vous amuser à jouer du klaxon et même envoyer votre composition à l’ENO.

Pablo Galonce

Ce ne sont plus les studios d’Abbey Road qui risquent d’être vendus par appartements, mais la société EMI elle-même. L’éditeur des Beatles et de Yehudi Menuhin doit 3,2 milliards de livres sterling au monstre financier américain Citigroup, qui lui demande de verser un acompte de 120 millions avant le mois de juin, sous peine d’en prendre le contrôle et de la revendre par lots. Pour éviter la catastrophe (et empocher 200 millions de livres), EMI, via son actuel propriétaire le fonds d’investissement anglais Terra Firma, a proposé à Sony et à Universal de prendre son catalogue en licence sur le marché américain. Les deux majors companies ont refusé, sans doute refroidies par la lutte à mort qui oppose Citigroup et Terra Firma, celle-ci accusant celle-là de l’avoir escroqué (alors que celle-là finançait celle-ci) lors du rachat d’EMI en 2007. En février, Abbey Road a été classé monument historique, ce qui a fait la joie des nostalgiques, mais n’a pas arrangé les affaires d’EMI, qui comptait se renflouer en revendant le site. Qui soutiendra, après cela, que le disque n’est pas voué à finir au musée ?

François Lafon
jeudi 8 avril 2010 à 09h03

C’est entendu, le CD vit ses dernières heures. Non seulement les ventes reculent mais surtout la tendance est à la dématérialisation. Grâce à l’iPod et autres baladeurs numériques, on achète (ou l’on pirate) de plus en plus de mp3 et de moins en moins de galettes. Demain, probablement, on paiera un abonnement façon Canal + pour écouter de la musique.
Pourtant, dans le classique, une autre tendance gagne du terrain : le retour du disque bel objet. Ce ne sont pas uniquement les nostalgiques des vinyles et de leurs magnifiques pochettes qui sont les cibles de ce nouveau marché, ce sont aussi ceux pour qui un disque est un objet culturel, et non un objet de consommation jetable. Jordi Savall l’a bien compris et chacun de ses enregistrements pour son propre label discographique, Alia Vox, est accompagné d’un épais livret richement illustré et commenté. Et si Harmonia Mundi résiste mieux à la crise que d’autres éditeurs, c’est non seulement par la qualité de ses interprètes mais aussi par le soin apporté au contenant.
Cela a donné des idées à Actes Sud. Dans son catalogue, on trouve un bon nombre de livres sur la musique. Mais il devient désormais éditeur discographique avec une nouvelle série, « Images en Musique » : un livre de photos plus un disque, sans oublier un texte de présentation. Les deux premiers volumes réussissent pleinement cette complémentarité entre son et images. On peut écouter les pièces pour piano de l’Ecole de Vienne jouées par Jean Louis Steuermann tout en suivant les fantasmagories du photographe Américain Michael Ackermann, maître du grain et du flou, ou bien, à l’opposé, s’éblouir avec l’Ibéria d’Albéniz dans l’interprétation lumineuse de Jean-François Heisser tout en se laissant ensorceler par les images éclatantes d’une Espagne de taureaux et de flamenco signées Isabel Muñoz. Qui a dit qu’il ne restait rien à inventer dans le disque classique ?

Pablo Galonce 
jeudi 28 janvier 2010 à 07h10
2010, année franco-russe. Il y a tellement de manifestations, dans tous les domaines, qu'on fera bien quelques découvertes. Là-bas, il va y avoir un train d'écrivains français sur les rails du Transsibérien, un festival de théâtre de rue parcourant la Volga en bateau, une tournée de la Comédie Française de la Sibérie au golfe de Finlande, et Paquita (musique d'Edouard Deldevez – 1846) à Novossibirsk par le ballet de l'Opéra de Paris. Ici, les manifestations sont plus sédentaires, mais personne n'y échappe : à Moulins, le Centre National des Costumes de Scène fête le centenaire des Ballets Russes en exposant velours et brocards ayant paré Boris Godounov ou Ivan le Terrible. En musique, cela commence sans surprise, avec Valery Gergiev et l'Orchestre du Mariinski de Saint Pétersbourg jouant Tchaïkovski, et se poursuit dans le style « nos cultures sont complémentaires » avec l'opéra sur des motifs de La Cerisaie de Tchékhov, conjointement commandé à Philippe Fénelon par le Bolchoï de Moscou et l'Opéra de Paris. Il y a aussi un ballet d'Angelin Preljocaj sur le thème de l'Apocalypse de Jean, créé (presque) simultanément à Paris et à Moscou, mais avec une musique du DJ Laurent Garnier. Les vrais enjeux sont ailleurs : énergie, gestion des réseaux urbains, bâtiment, transports, aéronautique, construction automobile, industries pharmaceutique et agroalimentaire, agriculture, coopération spatiale. La France est par ailleurs le premier pays invité d'honneur, en juin, au Forum économique international de Saint Pétersbourg. En juin 2008, Christine Albanel, alors ministre de la Culture, déclarait à son homologue russe Alexandre Avdeev : « Contrairement aux traditionnelles Saisons culturelles, les Années croisées France-Russie 2010 ne se limiteront pas aux seuls échanges artistiques, même s'ils y tiendront une place de choix ». « Les » années ? Calendrier julien contre calendrier grégorien ? En attendant, Tsar, le film de Pavel Lounguine, sort en salles. On y voit Ivan le Terrible mettre la Russie au pas. Imparfait, mais instructif.
mercredi 27 janvier 2010 à 10h29
Mercredi 27 janvier, William Christie devient immortel. Ou presque : c'est dans la section « membres libres » qu'il a été admis à l'Académie des Beaux-Arts. Libre de quoi ? Sur le site de l'Institut de France, on lit que cette Académie regroupant les Académies de peinture et de sculpture (1648), de musique (1669) et d'architecture (1671) est, lors de sa création en 1816 « ouverte aux femmes et a pour vocation de protéger le statut des artistes, de présenter régulièrement leurs œuvres au public (initiative qui est à l'origine du Salon), mais aussi d'enseigner la pratique des arts. Dès sa constitution, des hommes influents de la Cour ou des affaires, des historiens et des théoriciens de l'art sont appelés à siéger aux côtés des créateurs. Ils peuvent être considérés comme les ancêtres des actuels membres libres. »
Le champion de la musique française, né à Buffalo (état de New York), partage sa nouvelle liberté avec le banquier Michel David-Weill, le directeur du musée du Louvre Henri Loyrette, le médecin-écrivain François Bernard Michel, le chef d'entreprise Marc Ladreit de La Charrière, le couturier Pierre Cardin et l'ex-directeur de l'Opéra de Paris Hugues Gall. C'est ce dernier qui prononce le discours de réception. En revanche, ce n'est pas Cardin qui a dessiné l'habit vert de l'impétrant, mais Christian Lacroix. William Christie occupe le fauteuil laissé libre par Marcel Marceau. La musique après le silence. Il est vrai qu'en coulisses, le grand mime était un grand bavard.

Crédit photo : Michel Szabo
A la Folle journée de Nantes cette année : l'univers de Chopin. L'affiche est dans la veine de Schubert en baskets (2008) : Chopin, c'est mon copain. Un appartement bourgeois, avec parquet Versailles. Entre deux fenêtres, un radiateur 1950. Entre deux autres, punaisé au mur, le drapeau polonais, dans sa version avec armoiries. Nous sommes à Varsovie : par la fenêtre, on voit le Bâtiment de la Culture, offert par Staline au pays frère. Seuls meubles : un piano Pleyel et son tabouret. Deux partitions, une par terre, une sur le tabouret. Au premier plan, un jeune couple. Lui : jeans et polo rouge, avec les armoiries en lieu et place du crocodile Lacoste. Elle : jeans et t-shirt blanc barré, en rouge, du nom de « George ». Le jeune homme ressemble assez à Chopin, le nez surtout. La jeune fille, à y bien regarder, peut être George Sand, mais elle n'est pas habillé en homme (cela brouillerait le message ?), et elle ne fume pas le cigare (pour que l'affiche ne soit pas interdite dans le métro ?). Il n'était donc pas inutile de préciser son nom.
Sur le dépliant-guide des concerts fourni aux spectateurs, un autre dessin, de la même veine. Une pièce plus moderne que la précédente, avec parquet à l'anglaise sur lequel traînent des partitions. Chopin, vêtu d'un t-shirt violet frappé du nom de « George », est au piano. De la main droite, il effleure le clavier. De la gauche, il tient un mug orné des armoiries polonaises. Au mur : le portrait de George Sand par Delacroix. Derrière lui : une méridienne contemporaine devant une baie vitrée donnant, à gauche, sur le Palais de la Culture de Varsovie, à droite sur la Tour Eiffel.
Message officiel : à la Folle Journée, on vient comme on est, branché ou pas. Message subliminal : quand on connait, on comprend mieux. C'est ça, la recette du succès.
La Folle Journée, Nantes. L'univers de Chopin. Du 27 au 31 janvier. www.follejournee.fr
dimanche 10 janvier 2010 à 09h44
 

Il n'y a pas si longtemps, à l'époque où l'on enregistrait des opéras entiers en studio, les chanteurs étaient appréciés pour l'adéquation de leur voix à leurs rôles et la façon dont ils interprétaient leurs personnages. Quand ils publiaient des récitals, on les louait pour leur habileté à croquer un caractère en l'espace d'un seul air, c'est-à-dire, là aussi, à se mettre au service de leurs personnages. Puis sont venues les intégrales live, elles-mêmes relayées par les captations en vidéo. Dernier bastion de l'art du studio : l'album, c'est-à-dire le récital sur mesure inspiré des méthodes des variétés. Cecilia Bartoli a ouvert le ban avec son best seller Vivaldi. Habile double jeu : d'un côté la scène où l'on est censé servir une œuvre, de l'autre le disque, où l'on se sert soi-même à travers des extraits judicieusement choisis : Joyce Di Donato dans le répertoire de la Colbran (Madame Rossini), Vivica Génaux dans le Vivaldi guerrier et Magdalena Kozena dans le Vivaldi amoureux, Philippe Jaroussky dans des pages oubliées de Jean-Chrétien Bach, Juan Diego Florez sur les traces du ténor Rubini et Bartoli (encore elle) sur celles de la Malibran. Double bénéfice aussi : on se sert soi-même, mais en faisant œuvre de (re)découvreur. La recette plaît, et au fond, c'est tant mieux. On ne va pas demander aux divas de chanter des choses qui ne leur conviennent pas, ni d'abdiquer leur ego. « Si tant est que l'opéra soit du théâtre …», méditait Patrice Chéreau dans un petit ouvrage inspiré par son aventure bayreuthienne. Du théâtre et des divas. Il faut de tout pour faire un monde.

mercredi 23 décembre 2009 à 12h24
« Je ne savais pas que Tosca au Metropolitan Opera de New York, c'était la Bible », déclarait il y a deux mois le très branché Luc Bondy, après la levée de boucliers provoquée par sa première mise en scène (en haut) sur le sol américain. Il ne croyait pas si bien dire : sous la pression des ligues de vertu lyriques, Peter Gelb, le directeur de la maison, envisage de reprendre la vieille production de Franco Zeffirelli (photo en bas) en alternance avec la sienne. Une sacrée gifle pour Gelb, qui s'est fait fort de mettre aux normes du XXIème siècle la plus réactionnaire des grandes scènes internationales. Cela dit, la décision finale sera affaire de finances autant que d'esthétique : si la nouvelle présentation de ce pilier du répertoire fait moins d'entrées que l'ancienne, gare à elle ! A la première de Carmen mis en scène par la non moins branchée Emma Dante à la Scala de Milan, le même Zeffirelli n'a pas manqué de crier au scandale. Une chance pour La Scala : elle n'a pas de Carmen signée Zeffirelli à son répertoire. Pour faire taire le pape de l'opéra de papa, il faudrait que les relectures des classiques soient incontestables. Et là, tout devient encore plus compliqué.

« Si j'enregistre des chansons tirées de vieilles musiques de films, c'est parce que les nouvelles sont moins bonnes », explique Monsieur Eddy (Mitchell) en pleine promo de son album « Grand écran ». De la soupe d'accompagnement et des bandes originales soignées, il y en a toujours eu, mais il est vrai qu'aujourd'hui, le fossé se creuse. D'un côté : les accords planants à tout faire (et rappelant immanquablement les films d'épouvante de notre adolescence), de l'autre des œuvres à part entière, ou presque. Prenez la BO d'Avatar de James Cameron. James Horner nous y ressert le thème à 100 millions de dollars de Titanic (mais sans Céline Dion), noyé dans un mélange de world music et de néo-symphonisme hollywoodien. L'opposition monde tribal - univers technologique qui est au coeur du film le lui permettait. Il a voulu « faire œuvre », mais n'allait tout de même pas renoncer à l'aspect (très, très) grand public de l'entreprise.En revanche pour Tetro, le nouveau film de Francis Ford Coppola, Osvaldo Golijov se la joue haut de gamme. Nourri de Piazzola (il est né en Argentine) et de George Crumb (son professeur aux Etats-Unis), joué par le Quatuor Kronos et chanté par la diva new age Dawn Upshaw, enregistré - comme Mozart et Beethoven - sous étiquette Deutsche Grammophon, ce pur représentant du courant « néo » n'allait pas se contenter d'accompagner des images. Résultat : sa partition, criblée de citations, veut trop en dire. Au fond, Monsieur Eddy a raison : au cinéma, « populaire » et « original » sont aujourd'hui deux adjectifs qui ont du mal à aller ensemble.

James Horner : Avatar. 1 CD Atlantic Records
Osvaldo Golijov : Tetro. Dawn Upshaw (soprano), St Lawrence String Quartett,. 1 CD Deutsche Grammophon (dist.Universal)

Robin Ticciati (26 ans), Andris Nelsons (31 ans), Lionel Bringuier (23 ans), Ilan Volkov (33 ans), Vasily Petrenko (33 ans), Kirill Karabits (33 ans), Vladimir Jurowski (37 ans), Daniel Harding (37 ans), Tugan Sokhiev (33 ans), Gustavo Dudamel (28 ans) : tous sont chefs d'orchestre, et déjà en pleine carrière. La plupart sont en charge d'orchestres importants, et quelques-uns, comme Gustavo Dudamel, d'ores et déjà des stars. Cela n'empêchera pas la sélection naturelle de faire son office. Les plus solides feront leur chemin et les autres tomberont simplement de plus haut. L'époque, en tout cas, est bien révolue où Wilhelm Furtwängler traitait le jeune Georg Solti de présomptueux parce qu'il avait osé diriger Tristan et Isolde à l'Opéra de Munich avant de s'y essayer dans un théâtre de province. Ce qu'on a moins remarqué, dans ce phénomène très médiatisé, c'est son côté génération spontanée. Il y a encore dix ans, Claudio Abbado, Riccardo Muti et leurs cadets Simon Rattle, Esa-Pekka Salonen et Valery Gergiev, lesquels avaient tant bien que mal succédé aux grands disparus (Karajan, Bernstein, Celibidache), étaient donnés comme les dernières grandes pointures d'une profession en voie d'extinction, menacée par la crise du disque et la marginalisation de la musique classique. Aux dernières nouvelles, la toute puissante agence IMG Artists annonce l'arrivée sur le marché d'un jeune Vénézuélien qui va faire prendre un coup de vieux à son compatriote Dudamel et à tous les autres. Il s'appelle Ilitch Rivas, et il a seize ans.

De haut en bas : Tugan Sokhiev, Andris Nelsons, Lionel Bringuier, Gustavo Dudamel. 
samedi 5 décembre 2009 à 20h11

Catégories 95 à 107 sur 109, après « Best Remixed Recording » et avant « best music video » : c'est la place de la musique classique dans la liste des nominés aux 52èmes Grammy Awards, les grands prix du disque aux Etats-Unis. A la cérémonie des nominations, le 2 décembre à Los Angeles (la proclamation du palmarès aura lieu le 31 janvier), les artistes classiques ne sont pas venus : ils passaient trop tard. On peut, après cela, trouver tous les défauts aux Victoires de la Musique Classique : elles, au moins, sont diffusées en prime time à la télévision. De même que les Victoires sont franco-françaises, les Grammy sont américano-américains : on y trouve le Concerto pour piano d'Esa-Pekka Salonen avec l'Orchestre de … Los Angeles, la 8ème Symphonie de Mahler par James Levine et le Symphonique de Boston, la Messe de Leonard Bernstein par Marin Alsop et l'Orchestre de Baltimore, L'Enfant et les Sortilèges de Ravel par Alastair Willis et l'Orchestre de Nashville, les chanteurs Renee Fleming, Susan Graham et Lorraine Hunt, et parmi les compositeurs, les « néos » George Crumb, Jennifer Higdon, Arvö Pärt, Roberto Sierra et Yehudi Wyner. La musique a beau être un langage universel, les goûts et les couleurs en matière d'interprétation sont décidément affaires de clochers.

jeudi 3 décembre 2009 à 13h09
En 2010, on va commémorer la naissance ou la mort de Leonard Bernstein, Aaron Copland, George Szell, Clara Haskil, Mili Balakirev, Hugo Wolf, Gustav Mahler, Frédéric Chopin, Robert Schumann, Luigi Cherubini, Giovanni Battista Pergolèse, Alessandro Scarlatti, Alfred de Musset, Albert Camus et quelques autres. Comme les restes de Camus resteront à Lourmarin, on pourrait souffler à Ceux qui nous gouvernent l'idée d'une éventuelle panthéonisation de Chopin. Il est vrai que si les cendres de l'auteur de la Marche funèbre sont au Père-Lachaise, son cœur est à Varsovie. D'ici que cela nous oblige à ouvrir le débat sur l'Identité internationale…
samedi 28 novembre 2009 à 10h12
Il y a longtemps que cela couvait : la Direction du Livre au ministère de la Culture disparaît, digérée par la Direction générale des Médias et des Industries culturelles. Les titres parlent d'eux-mêmes : dans le second, il y a « industrie ». La description officielle de ladite Direction situe d'ailleurs très bien le problème : « La direction générale des médias et des industries culturelles définit, met en œuvre et évalue la politique de l'Etat en faveur du développement et du pluralisme des médias, de l'industrie publicitaire, de l'ensemble des services de communication au public par voie électronique, de l'industrie phonographique, du livre et de la lecture et de l'économie culturelle. Elle suit les activités du Centre National de la cinématographie. » Parallèlement, Christine Albanel, ancienne locataire de la rue de Valois, se voit confier « une mission destinée à préparer les conditions de l'économie du livre dans l'ère numérique ». « Publicitaire », « communication », « économie culturelle » sont les maîtres-mots. La crise aidant, un boulevard s'est ouvert devant les réformateurs, et le ministre de la Culture, probablement touché au coeur par la dernière phrase concernant le Centre National de la Cinématographie, s'est empressé de signer. Les petits éditeurs, les concepteurs de livres d'art, tous ces gens que l'état aidait à produire de jolies choses peu rentables, ont du souci à se faire. On peut noter que l'industrie phonographique fait partie du lot. Dans ce domaine là aussi, le terrain est mouvant. La réunion sous une même casquette, en 1998 (cohabitation Chirac-Jospin), de la Direction de la Musique de la Danse et de celle du Théâtre et des Spectacles a montré - en dépit, en 2007, du pas en arrière consistant à recréer trois délégations distinctes - que la culture en France est une peau de chagrin irréversible. Y aura-t-il un Eric Raoult mélomane pour imposer un devoir de réserve aux musiciens en tournée à l'étranger ?
mercredi 25 novembre 2009 à 14h50
Il y avait un moment que cela nous pendait au nez, mais cela se confirme : le CD n'en a plus pour longtemps. C'est tout au moins ce qu'affirme le fabricant britannique Linn, qui a vu en deux ans ses ventes de lecteurs de CD chuter de 40%, et celles des Streaming Players atteindre 30% en un temps record. Il faut dire que les Streaming Players, qui sont des petites boites miracle permettant de stocker toute votre ex-collection de CD et plus encore, ont l'air performants : son non compressé, absence de pièces mobiles (laser et autres) qui rendent bruyants les lecteurs de CD, pérennité du capital enregistré grâce à un ingénieux système de sauvegarde. Et en plus, vous pouvez écouter vos musiques préférées dans toute la maison sans vous prendre les pieds dans des fils disgracieux. Tout cela, certes, existe déjà (le système Sonos, par exemple), mais en moins haut de gamme. Les temps sont loin, en tout cas, où l'on nous affirmait que la qualité sonore du CD n'était pas près d'être égalée.
Reste qu'une fois encore, et même plus que jamais, la culture est tributaire de la technique. « Chaque fois qu'une nouvelle technique apparaît, elle veut faire la démonstration qu'elle dérogera aux règles et contraintes qui ont présidé à la naissance de tout autre invention dans le passé. » explique Jean-Claude Carrière à Umberto Eco (N'espérez pas vous débarrasser des livres – Grasset, p. 47). N'empêche que depuis le rouleau acoustique, la musique enregistrée dépend des supports sur lesquels elle est stockée. Et bien malin celui qui inventera le support éternel et universel capable de mettre à l'abri toute la mémoire du monde !
samedi 21 novembre 2009 à 15h34

La loi Hadopi? Il va encore falloir la revoir. Une nouvelle étude publiée en Angleterre affirme que les internautes qui se livrent à des téléchargements illégaux sont aussi ceux qui dépensent le plus d'argent pour étancher leur soif de musique : 77 £ (85,59 euros) en moyenne par an contre 33 £ (36,68 euros) pour ceux qui affirment n'avoir jamais touché au téléchargement interdit. « Les politiciens comme les éditeurs vont devoir admettre que la nature de la consommation musicale a changé », commente l'institut de sondage, ajoutant que « pour une génération qui n'a pas été habitué à payer, le partage de fichiers est un outil de découverte ». Il y a même des stars qui assurent se porter très bien du téléchargement illégal, au motif que cela les rapproche de leur public. Des stars pour d'jeunes, bien sûr. Qu'en pensent nos divas, pianistes et maestros, qui comptent plutôt leurs fans parmi les parents, voire les grands-parents des d'jeunes en question ?

mercredi 11 novembre 2009 à 18h13

« Pendant que nous montions La Tempête, on m'a proposé à trois reprises de mettre en scène La Flûte enchantée. A chaque fois, j ai refusé. » raconte Peter Brook en 1991. Tant qu'à se pencher sur une féérie à double fond, autant donner la priorité à celle de Shakespeare, quand on est le-shakespearien-du-demi-siècle. Dix-neuf ans plus tard, pour ses fêter son départ des Bouffes du Nord (il y est depuis 1974), Brook ne dit plus non à Mozart. Ce sera (mais à quelles dates ?) une Flûte façon Tragédie de Carmen (1981), ou Impressions de Pelléas (1992), une quintessence d'opéra, une version de chambre à l'échelle cosmique. Il y a longtemps qu'à l'opéra, Brook voyage léger, même lorsqu'il monte Don Giovanni à Aix (1998). Il ne s'est jamais remis de l'aventure de Salomé à Londres … en 1949 : spectacle culte (avec Salvador Dali aux pinceaux), mais souvenir contrasté.
Comme avec Carmen, il va avoir une sacrée couche de convention à gratter. Cette fois, l'ennemi n'est plus le faux réalisme, mais le faux fantastique. S'il y arrive, cela nous consolera des Flûtes chargées, des Flûtes dépouillées, des Flûtes enfantines, des Flûtes exotiques, des Flûtes ésotériques, des Flûtes emplumées (on vient encore d'en voir une - deux même - au Châtelet). Mozart l'a bien cherché, en déposant la plus belle musique du monde sur un livret qui préfigure Disneyland autant que le Da Vinci Code. Mais que d'horreurs on aura commis en son nom !

mardi 10 novembre 2009 à 18h44
Sacrificium : voilà un titre aussi dangereux pour un disque que le serait « Relâche pour répétitions » ou « Four noir » pour une pièce de théâtre. C'est pourtant celui du nouvel album de Cecilia Bartoli, après un récital controversé, l'année dernière, consacré à au répertoire de Maria Malibran. Le sacrifice en question, c'est celui que l'on infligeait aux castrats, dans le but de préserver le cristal de leur voix. Comme il faut toujours frapper plus fort pour se faire entendre, on voit sur la pochette un corps d'homme pétrifié façon ruines de Pompéi, surmonté de la tête de notre diva. Goût douteux, mais effet garanti : comme elle ne peut pas s'identifier avec Farinelli comme elle l'avait fait avec la Malibran, la Bartoli donne dans le second degré. Cela ne l'empêche pas de chanter, selon son habitude, au premier degré, avec effets d'essoufflement pour indiquer qu'elle est émue, et vocalises gloussées pour nous rappeler qu'une portée de petites notes ne lui fait pas peur. Elle a – toujours selon son habitude – bien choisi les airs, escamotant habilement le fait que les castrats étaient plus souvent des sopranos que des altos.
Pour ceux qui préfèrent Cecilia à Cecilio, la diva annonce ses débuts dans Norma à Dortmund, fin juin 2010 en version de concert. Audaces Fortuna juvat, comme elle le dirait elle-même.
jeudi 5 novembre 2009 à 09h59
Et de cinq! Cinq enregistrements nouveaux du Concerto pour violon de Beethoven, par Vadim Repin, Patricia Kopatchinskaja, Arabella Steinbacher, Janine Jansen et Renaud Capuçon. Les trente-quarante ans perpétuent la tradition, on ne peut pas le leur reprocher. On croyait pourtant que le disque allait mal, que le grand répertoire n'en pouvait plus, et qu'avec Oistrakh, Menuhin et quelques autres, Beethoven avait tout avoué. Pour persuader le client qu'il n'aura qu'un demi-doublon, nos cinq archets new look cultivent le couplage sophistiqué : les Concertos de Korngold, Britten et Berg pour Capuçon, Jansen et Steinbacher (un par personne), tandis que Kopatchinskaja et Repin s'en tiennent à Beethoven, avec les Romances pour la première et la Sonate à Kreutzer pour le second. Mais comme aucun de ces merveilles n'est un best-seller, c'est bien sur le Concerto vedette qu'ont dû miser les éditeurs, où chacun fait valoir ses charmes particuliers. Repin cultive le style, Capuçon le naturel, Jansen la fougue calculée, Steinbacher le classicisme prudent. Personne ne se lâche, personne n'étonne. Il n'y a que Kopatchinskaja pour ruer dans les brancards, mais on n'a l'impression qu'elle ne le fait que pour détourner l'attention de ses dérapages. Pour preuve que le monument les impressionne, ils sont tous plus intéressants dans les compléments. Alors ? Faut-il empêcher les vedettes du moment de se mesurer aux chefs-d'œuvre, sous prétexte que leurs aînés l'ont fait avant eux ? La question sans réponse n'en finira jamais de se poser.


 
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Vadim Repin, Orchestre Philharmonique de Vienne, Riccardo Muti – 1 CD Deutsche Grammophon/Universal

Patricia Kopatchinskaja, Orchestre des Champs-Elysées, Philippe Herreweghe – 1 CD Naïve

Arabella Steinbacher, Orchestre Symphonique de la WDR, Andris Nelsons – 1 CD Orfeo/Harmonia Mundi

Janine Jansen, London Symphony Orchestra, Paavo Järvi – 1 CD Decca/Universal

Renaud Capuçon, Orchestre Philharmonique de Rotterdam, Yannick Nézet-Séguin – 1 CD Virgin/EMI
vendredi 30 octobre 2009 à 14h06

On croit rêver ! Imaginez une table ronde réunissant, dans le cadre très officiel de la New York Public Library, les metteurs en scène Luc Bondy, Patrice Chéreau et Bartlett Sher, en compagnie de Peter Gelb, le directeur du Metropolitan Opera. Sujet de l'entretien : la nouvelle mise en scène, au MET, de Tosca par Bondy, remplaçant celle, furieusement traditionnelle, de Franco Zeffirelli. Le public a hurlé sa rage, relayé par les critiques. Les objets du scandale ? Le baiser à la statue de la Vierge au premier acte ? Les prostituées avec lesquelles Scarpia s'amuse au deuxième ? Oui, mais surtout, l'absence du jeu de scène qui d'habitude clôt ce deuxième acte, où l'on voit Tosca décrocher un crucifix du mur et le poser sur le cadavre de Scarpia qu'elle vient de poignarder, après avoir disposé deux chandeliers de part et d'autre dudit cadavre, tout en chantant : « Et devant lui, tout Rome tremblait ». Bondy, pour l'occasion, est obligé de rappeler que ce final n'avait pas été prévu par Victorien Sardou, l'auteur du drame duquel Puccini a tiré son opéra, et qu'il avait été inventé par Sarah Bernhardt, la créatrice du rôle. Sait-il aussi que ce jeu de scène, devenu si célèbre qu'un dessin le représentant illustre la couverture de la partition de l'opéra, avait fait scandale lors de la création de la pièce à New York, et que Fanny Davenport, la Sarah Bernhardt américaine, avait dû le supprimer ? Certains critiques, tel Alex Ross du New Yorker, font remarquer que Puccini l'a indiqué dans sa musique : un accord pour le premier chandelier, un autre pour le second, un troisième pour le crucifix, le tout couronné par le thème (sinistre) de Scarpia. « Je ne savais pas que Tosca à New York, c'était comme la Bible », a ajouté Bondy. Les lyricomanes new yorkais feront moins d'histoires en voyant au MET De la Maison des morts dans la superbe mise en scène de Chéreau. Janacek, au Lincoln Center, cela ne sera jamais la Bible.

mercredi 30 septembre 2009 à 14h00
Attention, fragile ! Chaque fois que l'on mettait les pieds à l'Opéra Royal du château de Versailles, on nous rappelait que cette bonbonnière géante était tout en bois, et que la moindre surcharge faisait encourir le pire à une machinerie qui relevait de la pièce de musée. On s'en voulait presque, en assistant aux Grandes Journées annuelles de Centre de Musique Baroque, de contribuer à la dégradation d'un des plus précieux joyaux du patrimoine national. Eh bien, tout cela est terminé. Au terme de trois années de travaux, le chef-d'oeuvre de Gabriel (1770) est devenu un théâtre comme les autres. La programmation, vantée par Jean-Jacques Aillagon, directeur de l'Etablissement public de Versailles, en fait foi : on y verra la Trilogie de Mozart et Da Ponte, la chorégraphie imaginée par le danseur Joan Cruz de Garaio Esnaola sur Les Quatre Saisons de Vivaldi (déjà disponible en DVD chez Harmonia Mundi), Le Bourgeois Gentilhomme dans la version archéologique de Benjamin Lazar et Vincent Dumestre, Le Malade imaginaire avec Michel Bouquet, qui a fait les beaux soirs du Théâtre de la Porte Saint Martin la saison dernière, et même un récital de la chanteuse Camille. Une MJC en talons rouges, en somme, recyclant des spectacles déjà vus. Le bel endormi subit désormais la loi commune des théâtres : comme un violon, il s'abîmera si l'on ne s'en sert pas. La magie y survivra-t-elle ?
 

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