Mercredi 4 décembre 2024
Le cabinet de curiosités par François Lafon
Dans La Nuit aussi est un soleil, le critique d’art Pierre Cabanne évoquait certains « hors-la-loi de la peinture », de Rembrandt à Nicolas de Staël, en passant par Goya, Gauguin, Van Gogh, Toulouse-Lautrec ou Soutine. En invitant une nouvelle fois la compositrice Éliane Radigue, les Soirées Nomades de la Fondation Cartier pour l’art contemporain s’inscrivent  sans conteste dans cette démarche célébrant cette « hors-la-loi » de la musique. Qui se souvient des Chants de Milarépa, premier album de cette pionnière du minimalisme et de l’électroacoustique (passée par le Studio d’essai de la RTF et les premiers synthétiseurs modulaires au studio de Morton Subotnick à San Francisco), longue pièce méditative avec la voix de son confrère new-yorkais Robert Ashley (Lovely Music) ? Près d’un demi-siècle plus tard, elle applique ce principe à des compositions destinées exclusivement à des instrumentistes, des « phantasmes sonores » constitués de solos, duos, trios pour harpe, trompette, violoncelle, clarinette basse, où la musique s’exhale comme un souffle aux résonances infinies, une vague gigantesque ou encore une sculpture aux mouvements aériens à l’image d’un mobile de Calder. Une série fascinante aux combinaisons instrumentales multiples déclinées en quatre soirées : « pour rêver très grand, affirme-t-elle, car dans la réalisation, on est toujours obligé d’abandonner quelque chose. Si le rêve est grand, il en reste beaucoup, et si le rêve est petit, il n’en reste que très peu ».                                                                                                                                                                                            Franck Mallet

Fondation Cartier boulevard Raspail Paris – « Éliane Radigue, OCCAM OCEAN, rétrospective » les lundis 18 et 25 septembre, et 9 et 16 octobre (19h30)

Photo © Olivier Ouadah
Hauts lieux de divertissement pour l’impératrice Joséphine et Napoléon Bonaparte sous le Premier empire, le Château de Malmaison, ainsi que celui de Bois-Préau, racheté sous le Second Empire par la famille Rodrigues-Enriques, retrouvaient une partie de leur lustre musical d’antan grâce aux efforts conjoints d’Elisabeth Claude, leur Conservatrice, associée à Sylvie Brély, Présidente de La Nouvelle Athènes – Centre des pianos romantiques, à l’occasion de la première édition du Festival de Pentecôte dédié à l’esthétique du premier romantisme français. Si l’Histoire a retenu avec raison la figure de Beethoven, il s’agissait de redécouvrir, et même plus simplement de s’ouvrir, à celles, oubliées, de Devienne, Hortense de Beauharnais, Duport, Hérold, Garat, Wély, Jadin, Dussek, Grétry ou Adam, frottées au chant italien de Paisiello et Spontini.
La 3e journée débutait l’après-midi sur quatre quatuors à cordes de la fin du XVIIIe siècle par les excellents instrumentistes de l’Ensemble Infermi d’Amore, tous formés récemment par Amandine Beyer à la Schola Cantorum Basiliensis de Bâle. Certes, le soleil dardait à travers les baies vitrées de l’Orangerie et il n’était pas facile de garder l’accord sur des instruments aux cordes si sensibles aux températures, mais le style délicat et chantant du Quatuor op. 1 n° 3 de Jadin trouvait là des interprètes totalement passionnés. Avec Boccherini (Quatuor à cordes op. 2 n° 6), le jeu s’intensifie et se colore, avant le Quatuor op. 34 n° 1 de Pierre Baillot (1771-1842), vraie découverte aux accents plus dramatiques, avec les ritournelles « À l’Espagnole » de son « Menuetto ». Le Quatuor en sol mineur de Viotti offrait une conclusion brillante à ce récital.
Le second concert de 18h30 proposait un panorama éloquent des concerts donnés une fois par semaine dans son salon par Joséphine, concocté par Coline Dutilleul (mezzo-soprano), Aline Zylberajch sur piano Erard (celui de 1806 restauré par Christopher Clarke pour La Nouvelle Athènes) et Pernelle Marzotti (harpe Erard). Entre pièces solistes de Mehul, Paisiello, Pleyel et Nadermann (Sonate en do mineur pour harpe) et mélodies de Hortense, la fille de Joséphine (extraites des « 12 Romances »), airs d’opéras de Paisiello (Zingari in Fiera et Nina), Méhul (Ariodante transcrit par Jadin) auxquels s’ajoutaient des romances de Pierre-Jean Garat (Il était là) et Jadin (La mort de Werther), un air du Huron, opéra-comique de Grétry et la langueur sublime d’O nume tutelar, air tiré de La Vestale de Spontini (bien vu, Coline Dutilleul !), les interprètes révélaient tout le charme et l’attrait de ces œuvres à la fois joyeuses, tendres et ardentes. La Bibliothèque de Malmaison recèle encore bien des secrets – plusieurs opéras y furent créés avant Paris – et des partitions d’Hortense de Beauharnais y dorment encore.         
Franck Mallet

Orangerie du Château de Bois-Préau, Parc de Malmaison, 15h & 18h30, dimanche 28 mai 2023
(Photo : Coline Dutilleul © DR)
 
jeudi 29 septembre 2022 à 23h36
Création mondiale à l’Athénée Louis-Jouvet : Dafne de Wolfgang Mitterer (né en 1958), acte de naissance de l’opéra allemand.  Vous avez bien lu : tiré en 1627 (vingt ans après l’Orfeo de Monteverdi) des Métamorphoses d’Ovide, le livret de cette Dafne a été mis en musique par Heinrich Schütz (souvent surnommé "le Monteverdi allemand"). Mais la bibliothèque de Dresde, où la partition était conservée, est partie en fumée quelques années plus tard : fin (temporaire) de l’opéra allemand. Du sujet (à nos yeux) féministe avant la lettre qu’est l’histoire de la nymphe se métamorphosant en laurier pour échapper aux ardeurs d’Apollon, l’éclectique Mitterer a tiré ce « madrigal-opéra » mis en scène par Aurélien Bory et dirigé par Geoffroy Jourdain à la tête de ses Cris de Paris. Le résultat est étonnant :  sur un plateau tournant (invention de Tommaso Francini en… 1617), un groupe mixte multitâche et en permanente… métamorphose réinvente le mythe en une symphonie chorale de haute précision, sorte de  manège du temps où – électronique aidant – Schütz surgit du passé pour rencontrer la musique de notre époque, au rythme de superbes images où pluies de flèches et soleils multiples surgissent d’un espace noir. Après Paris, le spectacle part en tournée. S’il passe près de chez vous, ne le manquez pas.
François Lafon 

Athénée Théâtre Louis-Jouvet, Paris, jusqu’au 5 octobre. Tournée : Opéra de Reims (20, 21 janvier) ; Atelier Lyrique de Tourcoing (27 janvier) ; Opéra de Dijon (1er février) ; Théâtre Garonne, Toulouse (5, 16, 17 février) (Photo © Aglaé Bory)

Workshop de mise en scène à l’Amphithéâtre de l’Opéra-Bastille : Après la fatigue du jour, par la promotion 2022 de l’Académie-maison. Victoria Sitja, la metteure en scène en question venue du théâtre (Luc Bondy, Jean Bellorini, Deborah Warner), plante le décor : « Pour mes débuts à l’Opéra, j’ai voulu parler d’une fin ». Une fin mutli-évoquée par le lied allemand, avec les Quatre derniers Lieder de Richard Strauss comme trame narrative, incarnée par « un corps qui raconte le labeur sur scène, la fatigue d’après le jour », celui de Pina Bausch. En plateau, dix chanteurs, trois pianistes, un quatuor à cordes évoluant sur un sol de sable blanc, « terre fertile » évoquant Le Sacre du printemps selon Pina, entré au répertoire du Ballet de l’Opéra. Un « spectacle sur mesure » pour les académiciens, « une ode à leur dévouement sans faille pour leur art ». Un exercice de très haute école surtout, ajoutant aux pièges du lied, genre sans pitié pour la voix comme l’est le quatuor pour les cordes, l’univers inimitable d’une visionnaire qui a marqué son temps. La réussite n’en est que plus remarquable. Aucune faiblesse vocale chez les jeunes chanteurs qu’il faudrait tous citer, aucune approximation dans leur performance physique (l’âme, certes, plutôt que la danse, aurait dit Paul Valéry) qui leur est demandée. Belle intervention aussi des résidents instrumentistes dans le Lento assai de l’ultime Quatuor de Beethoven ( " Muß es sein? Es muß sein! » : Le Faut-il? Il le faut"), préludant à un Bei Schlafengehen (En allant dormir, 3ème des Quatre derniers Lieder), où Hermann Hesse parle opportunément de "Vivre mille fois plus intensément“. 
François Lafon 

Opéra National de Paris-Bastille – Amphithéâtre – 30 juin (Photo © Studio j'adore ce que vous faites ! / OnP)
 
A l’Athénée Louis-Jouvet : Rigoletto ou Le Roi s’amuse par le collectif belge Deschonecompanie, dirigé par le metteur Tom Goossens et spécialisé dans la relecture tous publics des classiques du répertoire lyrique. Après une Dedapontetrilogie mozartienne… qu’on ne verra jamais à Salzbourg, ils mettent en parallèle le drame de Victor Hugo et l’opéra que Verdi en a tiré… tels qu’on ne les verra jamais à la Comédie-Française ni à la Scala de Milan. Trois comédiens-chanteurs (dont Goossens lui-même) et deux chanteur-comédiens néerlandophones s’exprimant en français, un pianiste-transcripteur (Wouter Deltour, chantant et jouant lui aussi) devant un piano droit posé sur une tournette déchaînent sans se prendre au sérieux les orages verdo-hugoliens, mettant en valeur les glissements dramatico-revendicateurs communs aux deux géants et persillant le tout de textes (chantés et parlés) d’un ton crûment contemporain. Le résultat se suit avec d’autant plus de plaisir que l’on connait mieux son Verdi et son Hugo, ce qui ne répond peut-être pas tout à fait à la vocation pédagogique de l’affaire. On sort en tout cas avec l’envie de (re)découvrir Le Roi s’amuse, en butte en son temps à la censure (un roi libertin ? François 1er qui plus est !) et occulté par l’opéra lui aussi victime des censeurs (le roi y devient un duc) mais qui fait partie des titre les plus joués depuis plus d’un siècle et demi. 
François Lafon

Athénée Théâtre Louis-Jouvet, jusqu’au 12 juin (Photo © Olympe Tits)

Entrée au répertoire de l’Opéra de Paris de Cendrillon de Massenet sur un livret de Henri Cain d’après le conte de Perrault. Créé à l’Opéra Comique en 1899, ressuscité par le disque dans les années 1970 (avec Frederica von Stade - Sony), champion des Massenet-qui-ont-survécu face à Manon et Werther, l’ouvrage tient de l’hommage détourné voire ironique, le conte bien connu se prêtant à nombre d’allusions, clins d’œil, « à la manière de » Lully, Rameau, Rossini, Verdi et quelques autres, sans oublier Massenet lui-même (Manon n’est pas loin) dans les passages sentimentaux. Sur la vaste scène de l’Opéra Bastille, la metteur en scène Mariame Clément prend moins de risques qu’avec un autre conte mis en musique, Hänsel et Gretel de Humperdinck, qu’elle avait psychanalysé au Palais Garnier en 2013 (voir ici). Enfin, relativement moins, car la « machine à fabriquer des princesses » (M. Clément) qui occupe l’espace et tient lieu de générateur de la Fée… électricité que Cendrillon a pour marraine est là pour nous rappeler que nous sommes au temps de l’industrie toute puissante et que le surnaturel a transmigré dans le progrès technique. Jolie idée : faire de Cendrillon et du Prince Charmant (une dame « en pantalon », comme le Chérubin de Mozart) deux gamins facétieux, indifférents au rituel racorni de la cour et échappant à la fatalité épinglée par… Molière (L’Ecole des femmes) reprise par le père de Lucette (une Cendrillon décidément de son temps) : « Du côté de la barbe est la toute-puissance ». Plateau équilibré et international (bonne prononciation française en général) sous la baguette vitaminée du polyvalent Carlo Rizzi : Tara Erraught-Anna Stephany (Cendrillon et le Prince), couple… charmant et vocalement bien apparié, abattage de l’imposante Daniela Barcellona en marâtre, bonhomie naturelle de Lionel Lhote en père pas si dépassé par les événements, aigus scintillants de Kathleen Kim en bonne Fée. Gros succès et mot de la fin dans la bouche d’une petite fille sagement installée entre ses parents : « On retrouve quand même bien l’histoire ». 
François Lafon
Opéra National de Paris-Bastille, jusqu’au 28 avril – En direct sur Culturebox le 7 avril et au cinéma, dont le réseau UGC dans le cadre de la saison « Viva l’Opéra ! » - En différé sur France Musique le 7 mai (Photo © Monika Rittershaus / OnP)

Ouverture à Paris, 8ème arrondissement, de la Bibliothèque musicale La Grange-Fleuret, anciennement Médiathèque Musicale Mahler. A l’origine donc, un hôtel particulier regroupant depuis 1986 les collections et les appartements d’Henry-Louis de La Grange, le biographe de Mahler, et de Maurice Fleuret, critique féru de création, directeur de festivals et instigateur de la Fête de la musique. Un chaleureux coffre aux trésors, où public et professionnels trouvaient leur bonheur à portée de main de manuscrits sans prix et de documents sans équivalent, paradis des pianistes (grâce au fonds Alfred Cortot) et bien sûr des fans du compositeur du Chant de la terre. Un lieu plein de charme mais bien fatigué lors de la disparition d’Henry-Louis de La Grange en 2017. C’est alors que, sous l’égide de Francis Maréchal, toujours inventif directeur de la Fondation Royaumont (Val-d’Oise), la connexion se fait avec l’historique bibliothèque de l’abbaye (on y trouve le manuscrit de Pelléas et Mélisande de Debussy), la Bibliothèque François Lang, installée in loco, et ... la Médiathèque Mahler, trois cavernes d’Ali Baba dont les collections se complètent opportunément, couvrant l’ensemble de la création musicale de l’ère baroque à nos jours. Une antenne parisienne : pour Royaumont, site privilégié mais isolé, l’occasion est trop belle! De grands travaux sont entrepris en 2019, financés par la Fondation de France, le Fonds La Grange-Fleuret, le ministère de la Culture et la Région Ile-de-France, retardés par la crise sanitaire, et aujourd’hui terminés. Résultat spectaculaire : en entrant dans le XXIème siècle, l’hôtel de la rue de Vézelay a gagné en modernité bien pensée sans perdre son charme. Sous les lambris mis en valeur par l’architecte Loïc Julienne et sous le regard toujours présent de Mahler (beau tableau autrefois dans le salon particulier du baron de La Grange), on parle de « décloisonner la recherche », de « documenter les acteurs de la vie musicale » et d’« accompagner les nouvelles génération ». Tout cela à taille humaine, autour d’un double salon de musique (autrefois la discothèque aux rayonnages bondés), lieu de travail et de concert où trône un Steinway de concert de 1907, « instrument de légende » selon Bertrand Chamayou, légué par la Famille Singer-Polignac (et sur lequel Stravinsky aurait composé Renard), joué par le gotha reçu « à la maison » par les fondateurs et qui fait l’objet d’une campagne de financement visant à recueillir les 55 500 euros nécessaires à sa restauration dans les Ateliers Piano Belleron-Sylvie Fouanon. Accueil personnalisé et ultra-compétent. 
François Lafon
Bibliothèque Musicale La Grange – Fleuret, 11 bis rue de Vézelay, 75008 Paris. Tél. 01 53 89 09 10 – www.blgf.fr - « Restaurons un piano historique », campagne de financement participatif jusqu’au 19 novembre, hébergé sur la plateforme Dartagnans.fr à l’adresse ; dartagnans.fr/fr/projects/restaurons-un-piano-historique (Photo : Henri-Louis de La Grande © DR)

jeudi 5 septembre 2019 à 13h19
Désormais sous la direction artistique de Mischa Damev, le vénérable (74e festival !) Septembre Musical Montreux-Vevey consacre chacune de ses éditions à un pays hôte. À l’honneur, cette année, la culture russe… avec pas moins de quatre concerts successifs de l’incontournable Valery Gergiev à la tête de son Orchestre et Chœur du Mariinsky. Prokofiev, Tchaïkovski et Rimski-Korsakov, pour les trois premiers, avec en solistes le pianiste Alexandre Kantorow (2ème de Tchaïkovski) et le violoniste Daniel Lozakovich (2ème de Prokofiev), puis création pour terminer, avec des extraits de l’opéra Éclipse d’Alexandre Raskatov (né en 1953), précédant un Sacre du Printemps de Stravinsky, composé principalement à Clarens, sur les rives du Léman. Créé en mai 2018, à Saint-Pétersbourg, quasiment à la même époque que son second opéra GerMANIA, à Lyon (voir ici), cet ouvrage témoigne de l’insurrection saint-pétersbourgeoise du 14 décembre 1825 contre Nicolas 1er, qui visait à abolir le servage et obtenir une constitution. Le complot échoua. Cinq « décembristes », de jeunes aristocrates, furent pendus et plus d’une centaine d’autres « insurgés », envoyés au bagne… Commande privée du prince Mouraviev-Apostol, descendant direct d’un des décembristes exécutés, Éclipse (titre provisoire, d’après le compositeur, qui hésiterait avec « 1825 ») requiert dix chanteurs solistes, plus un piano solo, un chœur d’hommes et l’orchestre, au complet. Son style, d’un dramatisme russe bien trempé, dérive à la fois sur le plan vocal du parlé-chanté de Lady Macbeth de Mzensk, avec des « hyper tessitures » encore plus sarcastiques – la soprano Olga Pudova et le contre-ténor Artyom Krutko s’en sortent avec brio ! –, et des marches infernales à la Prokofiev, secouées de cuivres et fouettées par des sifflets. Schnittke, dont Raskatov compléta la 9ème Symphonie, n’est jamais loin non plus, avec ce vertige sonore qui étreint et emporte. Une traduction du livret n’aurait pas été un luxe, même si l’expression, chez ce compositeur, passe déjà pour l’essentiel par l’écriture. Final dans les limbes, avec de voix graves a cappella, pour une ultime prière à la manière d’un chœur d’église orthodoxe.             
En seconde partie, une exécution tout bonnement extraordinaire du célèbre Sacre par un Mariinsky en état de grâce – heureusement préservée par la Radio suisse, comme les fragments de la partition de Raskatov. Jamais peut-être aura-t-on entendu la partition avec une telle clarté des détails, et cet assemblage inouï des timbres dont le chef se plaît à exalter les mouvements, comme une fête démente embrasant tout l’orchestre. Ovation du public, debout, applaudissant à tout rompre, et bis tout aussi sublime, avec un (second) clin d’œil de circonstance à la communauté russe installée depuis plus d’un siècle sur la Riviera vaudoise : Le Lac enchanté, de Liadov.

Franck Mallet

Montreux, Auditorium Stravinsky 2M2C, 3 septembre
(Photo : Alexandre Raskatov en coulisse avec les solistes © Céline Minchel-Septembre Musical Montreux-Vevey)
« Week-end finale » de la saison à la Philharmonie de Paris-Cité de la Musique : après Samstag aus Licht de Stockhausen (voir ici), La petite Renarde rusée de Janacek, mise en scène de Peter Sellars et London Symphony (and Chorus) dirigé par Simon Rattle. Une version grand format (salle Pierre Boulez exige) et pourtant minimaliste de ce conte panthéiste et chef-d’œuvre animalier, pour ne pas dire manifeste antispéciste avant la lettre (1924), casse-tête pour les metteurs en scène (jusqu’où va l’anthropomorphisme ?). Un écran géant derrière l’orchestre, une estrade blanche devant, podium élargi du chef placé au centre des événements : on pense aux Larmes de Saint Pierre d’Orlando de Lasso, déjà « animé » par Sellars en avril dernier (même lieu), mais aussi au Tristan et Isolde de l’Opéra Bastille, où l’action, sobrement contée à l’avant-scène, était occultée par les photos-vidéos de Bill Viola (fascinantes il est vrai). Ce soir, les vidéastes Nick Hillel et Adam Smith se chargent de la partie réaliste : nature et culture, alliage plus compliqué que ne l’implique au premier abord cette fable inspirée d’un feuilleton dessiné paru dans un journal. Vêtus de noir, sans accessoires ni maquillage, présences alla Sellars (génie du geste simple qui en dit long), les chanteurs illustrent les cycles de la vie et les rapports entre les créatures, jusqu’au lien charnel qui unit le Garde forestier et la petite Renarde. Rattle agit de même avec un London Symphony de plus en plus à sa main, parcourant toute la gamme des émotions, depuis les murmures de la forêt (morave) jusqu’aux épanchements du duo entre le Renard et la Renarde. Plateau sans faute, dominé par Lucy Crowe dans le rôle-titre (on pense à la grande Lucia Popp) et Gerald Finley, pas si loin en Forestier de Hans Sachs (Les Maîtres-chanteurs de Nuremberg, son rôle favori) méditant sur le temps qui passe et la vie qui se renouvelle. Et chapeau à la Maîtrise de Radio France, à la hauteur d’un tel cast
François Lafon  

Philharmonie de Paris, Grande Salle Pierre Boulez, 2 juillet (Photo © Monica Rittershaus)

Opérette dernier round (de la saison) : Sauvons la caisse de Charles Lecocq et Faust et Marguerite de Frédéric Barbier au Studio Marigny, suite du cycle de mini-spectacles initié par le Palazetto Bru Zane et lancé en janvier dernier avec deux petits actes fous signés Hervé (Le Compositeur toqué) et Offenbach (Les Deux Aveugles – voir ici). Non moins folles mais un peu moins fines, reposant d’autant plus sur les interprètes, ces deux pochades tirées elles aussi d’un vivier oublié « représentant presque les deux tiers du répertoire lyrique français de l’époque romantique », que l’on donnait en lever de rideau dans les grands théâtres et en pièces principales dans les petits. Aussi déchaîné qu’en Compositeur toqué, le comédien-ténor Flannan Obé fait le lien entre les deux spectacles, en duo cette fois avec Lara Neumann, longtemps sa partenaire du trio Lucienne et les Garçons, et vue récemment à Marigny (grande salle) en Mam’zelle Nitouche (voir ). Deux « natures » face à face, elle plus chanteuse, lui plus acteur (Une sorte de clown tout en finesse), tous deux poussant la note (Lecocq, même avant Madame Angot, plus marquant que l’oublié Barbier) et maniant le nonsense à un train d’enfer, secondés par le discret mais performant accordéoniste et arrangeur Pierre Cussac. Mise en scène cette fois encore de Lola Kirchner, bric et broc efficace. Quatre représentations (matinées et soirées) ce week-end. Ne vous en privez pas. 
François Lafon 

Théâtre Marigny - Studio, Paris, jusqu’au 23 juin (Photo © DR)

Le terme « glagolitique » désigne l’alphabet imaginé par les saints Cyrille et Méthode, évangélisateurs du royaume de Grande-Moravie au IXème siècle, pour fixer par écrit la langue slavonne, ancêtre du bulgare actuel. A quelques détails près, le texte utilisé par Leos Janacek dans sa Messe glagolitique pour solistes, chœur,
orgue et orchestre est la traduction en slavon de l’ordinaire de la messe catholique. Composé en 1926, créé en décembre 1927 à Brno, l’ouvrage se situe au centre de la production ultime du compositeur. En huit paries, dont trois purement instrumentales, cette messe est unique par la « joie barbare » qui l’anime. Janacek l’imaginait exécutée en présence de tout un peuple et en plein air. L’orchestre est traité par touches franches, comme un grand orgue, avec des cuivres aux sonorités pointues et des timbales percutantes, et la déclamation vocale est des plus dramatiques. Cette œuvre enfonçant ses racines dans le terroir et lançant parfois au ciel des appels à la révolte a terminé en splendeur le dernier concert de l’Orchestre
National de France, avec un chœur de Radio France à la rudesse toute slave et des solistes vocaux originaires de divers pays, dont la Slovaquie. A la direction, le chef finlandais Jukka-Pekka Saraste, ce qui nous a valu, en début de concert, une remarquable interprétation du poème symphonique Les Océanides de Sibelius (1914), d’une alchimie et d’une séduction sonores rares. Ni Sibelius ni Janacek ne
connaissaient la musique de l’autre, mais leurs affinités devraient être explorées. Avant l’entracte, six des Wunderhorn Lieder de Mahler, dont on aurait apprécié une plus nette mise en valeur des textes mais remarquablement accompagnés par Saraste.
Marc Vignal
 
Auditorium de Radio France, 20 juin (Photo © Felix Broede)
 
Si indépendant Albert Roussel (1869-1937) qui, après sa formation musicale, choisit de faire carrière dans la marine, pour revenir ensuite étudier le contrepoint à la Schola cantorum – devenu professeur, il aura pour élèves Satie et Varèse, ou encore Martinu et Krasa. Qui, parmi les musiciens d’aujourd’hui, qui n’ont pas été des enfants prodiges, peut rivaliser avec un catalogue si diversifié, du ballet (Le festin de l’araignée, Bacchus et Ariane…) à l’opéra Padmâvati, en passant par de mémorables partitions d’orchestre (les Évocations, les quatre symphonies) ou de musique chambre, jusqu’à cette opérette, Le testament de la tante Caroline, signée en 1936 et ressuscitée à point nommé par Les Frivolités Parisiennes ?
L’histoire, entre grand-guignol et humour noir – Oui, on peut rire à un enterrement ! –  est du génial Nino, pseudonyme de Michel Veber, neveu de Tristan Bernard et auteur de livrets pour Ibert (Angélique) et Rosenthal (Rayon des soieries, Un baiser pour rien, Les bootleggers), qui fournit au compositeur un feu d’artifices de situations comiques et de calembours à l’emporte-pièce, digne du grand Guitry.
Dix ans avant la création française, à l’Opéra Comique, sous la baguette de Roger Désormière – qui fut un four (…), Roussel confessait : « qu’avec Ravel, tout est conventionnel au théâtre, et qu’il est donc inutile de chercher à faire vrai. C’est pourquoi je crois opportun un retour à certaines formes délaissées ou peu exploitées : opéra-bouffe, ballet, opéra-ballet. » Remonter un siècle plus tard de tels ouvrages est un pari risqué. Si le texte de Nino « tient » toujours – « Les situations sont franches, la méchanceté est totale ! » écrit à juste titre le metteur en scène Pascal Neyron –, en revanche gare à l’interprétation, qui peut vite basculer dans la caricature, la lourdeur, voire la vulgarité… Force est de constater que le plateau – neuf comédiens et chanteurs, tous formidables – se régale de ce texte qui virevolte entre parlé et chanté, et dont l’esprit se situe du côté de la comédie napolitaine, voire de Gianni Schicchi de Puccini – autre histoire de testament, tout aussi loufoque ! La musique se veut grinçante et enjouée, on y entend aussi bien la mélodie débridée du Festin de l’araignée que les rythmes caracolant de la 3ème Symphonie dans cet orchestre de vingt-sept musiciens (pas si petite que cela, la fosse de l’Athénée !), sous la baguette du chef d’orchestre Dylan Corlay… également prêtre officiant devant le cercueil de cette « pauvre » tante Caroline. On s’amuse, on rit, et on loue la prestation de ces héritiers qui se chamaillent avec un enthousiasme et un mordant communicatifs : Marie Perbost, Marion Gomar, Marie Lenormand, Lucille Komitès, Fabien Hyon, Charles Mesrine, Romain Dayez, Aurélien Gasse et Till Fechner…   

Franck Mallet

6 juin, Athénée théâtre Louis-Jouvet, Paris
Prochaines représentations : 11, 12 et 13 juin, 20h – et 12 juin, conférence sur l’œuvre, salle Christian-Bérard, à 19h (Photo : @PierreMichel)
mardi 4 juin 2019 à 00h01
Aux Bouffes du Nord, le Quatuor Artemis fête son trentième anniversaire et fait une fois encore peau neuve. Passation de pouvoir en musique : les sortants et les entrants ensemble dans le 1er Sextuor à cordes de Brahms et la Sonate pour piano de Berg (transcrite par Heime Tuller, ex-violoniste du Quatuor), la nouvelle formation enchaînant après l’entracte sur le 1er Quatuor « De ma vie » de Smetana. Deux œuvres de jeunesse, l’une souriante (Brahms), l’autre hantée (Berg) en guise d’au revoir, le roman d’une vie (Smetana) pour annoncer l’avenir. Redistribution des rôles : la sortante Anthea Kreston est passée ce soir du violon à l’alto, à l’exemple de Gregor Siegel, violon jusqu’en 2015, alto depuis, ce dernier se retrouvant doyen du groupe, place occupée jusqu’aujourd’hui par le violoncelliste Eckart Runge, dernier représentant de la formation initiale. Un jeu de piste qui ne relèverait que du Grand Livre des Records si l’esprit qui a animé les anciens ne se retrouvait intact chez les nouveaux (ou plutôt les nouvelles, les excellentes Suyoen Kim - violon - et Harriet Krijgh - violoncelle) autour de Gregor Siegel et Vineta Sarelka (violon). « Notre constante : prendre le temps », explique cette dernière dans un français parfait, annonçant en bis le mouvement lent du Quatuor de Debussy qui, lui, « arrête le temps ». Constatation cornélienne : pour les Artemis, le temps est en effet un grand maître. 
François Lafon 

Bouffes du Nord, Paris, 3 juin (Photo © Felix Broede)

mardi 12 mars 2019 à 18h46
Molique ? Mais qui est Molique ? Né en 1802, Wilhelm Bernhard Molique est un violoniste brillant et un compositeur prolixe dont on a presque tout oublié. En son temps déjà, il n’avait pas le succès auquel il aurait pu prétendre car « il n’est pas facile de se faire remarquer comme virtuose lorsqu’on a un physique pas très sexy et en face de soi des bêtes de scène comme Spohr et Paganini. » Telle est la manière dont Alexis Kossenko le présenta au public de Saintes avant d’interpréter son Concerto pour flûte en ré mineur tout en dirigeant le Jeune Orchestre de l’Abbaye. Virtuose, en tout cas, Alexis Kossenko l’est : s’il n’est pas renversant d’invention, ce Concerto comporte des passages de flûte ahurissants que le soliste maîtrise avec brio. Sa manière de diriger l’orchestre dans les deux Mendelssohn au même programme, l’Ouverture Les Hébrides et la Symphonie n°4 « italienne », procède de la même atmosphère électrique. Pour éviter, sans doute, de laisser aller Mendelssohn vers un romantisme de convention, Alexis Kossenko joue sur le rythme, la fièvre et la présence intense des vents, ce qui parfois laisse trop peu de place aux jolis thèmes que le compositeur a dédié aux cordes (Qui plus est, l’acoustique de l’Abbaye aux Dames n’arrange pas les chosesn'est pas idéale pour ça). Pourtant, lors d’un bis magnifiquement ciselé – l’andante de la symphonie revue par Mendelssohn en 1834, un an après la création –, les nuances étaient là et les respirations aussi.
Gérard Pangon
 
Saintes – Abbaye aux Dames 11 mars (Photo © DR)

mardi 29 janvier 2019 à 23h30
Au Théâtre de l’Athénée, Amadigi, un Haendel de poche datant de l’époque (1715) où, rendu célèbre à Londres par Rinaldo, le compositeur n’était pas encore l’émigré illustre de la musique anglaise. De poche parce que mobilisant quatre chanteurs et pas de chœur pour évoquer les aventures sentimentalo-héroïques d’Amadis de Gaule maintes fois portées à la scène (de Lully à … Massenet), sur un livret cette fois adapté de celui de Houdart de la Motte pour l’opéra de Destouches. Lors de la création en 1715, l’ouvrage était prétexte à grande mise en scène (envoûtements, sortilèges, monstre surgi du sol, etc.) et le rôle-titre tenu par le castrat star Nicolini. Bernard Lévy, qui signe cette production itinérante, y a plutôt vu – nécessité fait loi – une « histoire d’amour mythique » à la magie plus intérieure : tout se passe entre trois murs animés par des projections dont la magicienne Melissa détient les commandes (occultes), le quatuor vocal y évoluant selon une chorégraphie de lignes plus ou moins brisées. Un quatuor féminin, puisque le contre-ténor Rodrigo Ferreira a dû être remplacé par la mezzo Sophie Pondjiclis, mené - outre cette dernière, convaincante et bien-chantante en preux chevalier -, par la fraîche Amel Brahim-Djelloul en belle amoureuse, par Aurélia Leguay en sorcière prenant de l’assurance au fil de la représentation, et par Stéphanie Cortez, une débutante au timbre rare de contralto. L’ensemble serait un peu aride si, dans la fosse, Jérôme Corréas et ses Paladins ne donnaient un surcroit d’énergie et de dramatisme à cette musique où se profile le Haendel de la maturité. 
François Lafon

Athnée-Louis-Jouvet, Paris, jusqu'au 30 janvier. En tournée (Maisons-Alfort, St Quentin, Massy, Compiègne) jusqu'au 8 mars (Photo © Michael Bunel)

dimanche 20 janvier 2019 à 20h06
Lancement, au Studio Marigny, de la première saison d’opérette initiée par le Palazzetto Bru Zane : Le Compositeur toqué d’Hervé (Folies-Concertantes - 1854) et Les deux Aveugles d’Offenbach (Bouffes-Parisiens - 1855). Querelle d’initiés : lequel des deux a inventé le genre ? Les deux, peut-on dire cent-soixante-quatre ans plus tard, en voyant côte à côte ces deux pochades fondatrices. Tout Offenbach, déjà, dans la bataille de mots et de notes opposant de faux aveugles et vrais mendiants exerçant leur art de vrais ténors sur un pont. Tout Hervé aussi dans le duo clown blanc/Auguste dont le titre lui servira de surnom. Dénominateur commun : la provocation, le vrai/faux n’importe quoi, l’art de flatter le bourgeois Second Empire tout en le prenant à rebrousse-poil. Bien loin des fadeurs dont le genre deviendra synonyme, c’est Samuel Beckett qu’évoquent les deux Aveugles attendant le gogo (Godot ?), tandis que le génie toqué et son valet gaffeur présagent Roland Dubillard et ses Diablogues. C’est en tout cas ce que suggèrent les deux comédiens-ténors Flannan Obé et Raphaël Brémard, spirituellement accompagnés par Christophe Manien (piano) et mis en scène façon guérite de fête foraine par Lola Kirchner, le premier véritable phénomène comique, jeune Michel Serrault imprévisible et roublard, parfait duettiste chez Offenbach et prenant le pouvoir avec Hervé. Suite de la redécouverte du Compositeur toqué à Marigny, avec Le Retour d’Ulysse (mars) et Mam’zelle Nitouche (juin). 
François Lafon

Théâtre Marigny (Studio), Paris, 20 janvier (Photo © DR)

vendredi 21 décembre 2018 à 00h10
Fin d’année au théâtre de l’Athénée : Azor, opérette de Gaston Gabaroche (musique) et Albert Willemetz (livret), aidés par quelques pointures de l’époque (1932), tels Fred Pearly (pour le premier) et Raoul Praxy (pour le second). Ce n’est pas une histoire de chien, mais de commissaire de police poète et séducteur, c’est-à-dire, pour rester dans le style, d’un poulet et de quelques poulettes. Extension des Brigands, la Compagnie Quand on est trois prend ses distances avec l’original, le folklore des jules et des gigolettes relevant désormais de l’archéologie, lointains souvenirs entretenus par Gabin ou Arletty, laquelle était d’ailleurs de la création de l’ouvrage aux Bouffes Parisiens. L’action étant transportée dans les années 1960, et le trio guitare-batterie-orgue Hammond mené par le virtuose Emmanuel Bex relevant, lui, d’un jazz plus récent que celui de Gabaroche, l’enjeu était de nous faire saisir l’univers de Fric Frac (Arletty, encore), voire celui plus récent d’Irma la Douce, via la gouaillerie sixties d’un Michel Audiard. Désormais maîtres dans cet art du grand écart, les comédiens-chanteurs y parviennent quand l’ensemble instrumental, sur-vitaminé, leur en laisse le loisir. Le reste est facile et grivois, potache souvent, drôle parfois, trouvant (enfin) le lien avec notre temps (et d’autres aussi) dans une détonnante collusion entre les milieux d’argent et le Milieu tout court. 
François Lafon
 
Théâtre de l’Athénée, Paris, jusqu’au 13 janvier (Photo © DR)

Berlioz qui s’expose, Berlioz qui s’écoute à La Côte Saint-André. Au musée, exposition Les Images d’un iconoclaste. Tandis que les photographes jouent les sorciers en capturant le reflet des hommes, les caricaturistes en soulignent les traits : Berlioz le bourgeois prend la pose devant l’objectif de Petit, Carjat fait de l’artiste un homme à la tête de chou. A l’auditorium du musée, le berliozien d’honneur David Cairns évoque « le Dieu caché » du compositeur : français châtié, humour anglais, analyse imparable d’une recherche en musique de la foi perdue. Embardée à l’église, où Patrick Messina (clarinette), Henri Demarquette (violoncelle) et Fabrizio Chiovetta (piano) musardent chez Schumann (seul, à deux, à trois, voix superbes, entente cordiale) avant d’attaquer le Trio op. 114 de Brahms, petit frère mal-aimé du plus célèbre Quintette : un hors-sujet qui n’en est pas tout à fait un, de Berlioz sacré à sacré Berlioz, thème de l’année. Retour aux fondamentaux au Château Louis XI : après Bach (quatre cantates mercredi 29 à Saint-Antoine-l’Abbaye), John Eliot Gardiner et l’Orchestre Révolutionnaire et Romantique content les « Légendes sacrées du sud » d’un Berlioz dont la chambre d’enfant ouvrait sur le midi. Musiciens debout pour une ouverture du Corsaire fusant comme la foudre, puis aux genoux de la mezzo Lucile Richardot, tessiture interminable, tempérament de feu et diction expressive en souveraines abandonnées - reine (Les Troyens) et pharaonne (La Mort de Cléopâtre). Non moins magistral après l’entracte, concurrençant l’orchestre-spectacle selon Teodor Currentzis (voir ici) : un Harold en Italie à voir (presque) autant qu’à entendre, où l’altiste Antoine Tamestit - silhouette paganinienne pour tenir la partie que Paganini, le vrai, avait refusée à Berlioz parce qu’elle ne le mettait pas assez en vedette -, parcourt les paysages orchestraux en acteur-témoin au son de rêve, tel Childe Harold de Byron visitant le monde. Formidable analyse musico-dramatique d’un chef-d’œuvre déroutant, confirmant - s'il en était besoin - Gardiner en berliozien du temps présent. 
François Lafon

Festival Berlioz, Le Côte Saint-André, 31 août (Photo © DR)

lundi 23 juillet 2018 à 00h00
Journée claviers au festival Radio France - Occitanie - Montpellier. D’abord le  neuvième jour (sur dix) de Scarlatti 555, l’intégrale enregistrée et filmée en trente-cinq concerts, dans treize lieux (huit départements) et par trente clavecinistes des 555 Sonates de Domenico Scarlatti, commençant et se terminant au château d’Assas où Scott Ross, il y a tout juste trente ans et peu avant de disparaître prématurément, avait mené à bien l’aventure. Aujourd’hui, Aurélien Delage et Béatrice Martin ouvrent le ban dans la peu inspirante salle Pasteur du Corum. Choix des œuvres - chefs-d’œuvre minute où selon Henry-Louis de Lagrange « les idées se bousculent mais ne s’étouffent pas » - ou personnalité de l’interprète ?  Delage unifie, Martin détaille, le premier proposant une plongée austère dans l’« espace infini » (selon le claveciniste Frédéric Haas) de cette « masse surhumaine », la seconde évoquant plutôt Jean Giono : « Le monde matériel n’est pas le seul vrai. Celui qui surgit des Sonates est valable au même titre que l’autre, puisque nos sens le perçoivent ». Bel hommage en tout cas, incitant à (re)venir au grand-œuvre de Ross (34 CD Erato) et à guetter la diffusion (CD, DVD, radio, télé ?) de cette nouvelle intégrale, dont on se demande combien de scarlattophages (il doit y en avoir) auront suivi toutes les étapes. Peu de rapports avec le concert grand public du soir à l’Opéra Berlioz, et pourtant... Avec le jeune chef finlandais Santtu-Matias Rouvali dirigeant un Philharmonique de Radio France audiblement conquis, Bertrand Chamayou a donné un Concerto pour la main gauche de Ravel transcendant, chef et pianiste faisant comme rarement apparaître ce qui fait mal dans cette commémoration d’une guerre (1914-1918) où se profile la suivante. Un grand moment préparé par les dangereusement rassurantes Chairman dances (matrice de l’opéra Nixon in china) de John Adams et prolongé par un Sacre du printemps à la fois panique et très organisé, montrant que ce chef encore peu connu sous nos climats n’a pas que la coupe de cheveux en commun avec Simon Rattle. 
François Lafon

Montpellier, Corum, 22 juillet (Photo © DR)

Traditionnelle rareté lyrique au Festival Radio France - Occitanie – Montpellier (thème de l'année : "Douce France") : Kassya de Léo Delibes, en version de concert. Huit représentations en 1893, probablement quelques reprises non homologuées, puis plus rien. « Le four lugubre de Kassya, digne sœur de l’odieux Jean de Nivelle et de la vésanique Lakmé », écrivait à l’époque Alfred Ernst, critique et traducteur des livrets de Wagner. Là est peut-être la raison du lynchage : l’ouvrage n’était ni naturaliste ni rien d’autre en –isme, et encore moins wagnérien, c’est-à-dire qu’il était démodé de naissance. Il avait joué de malchance aussi : rien moins que la mort de Delibes et l’incendie de l’Opéra Comique pour l’entraver. C’est Massenet lui-même qui l’avait terminé, orchestré et partiellement revu. Un métissage a priori séduisant mais encore troublant cent-vingt-cinq ans plus tard, où l’on se dit que la grenouille a peut-être eu tort de vouloir se faire aussi grosse que le bœuf. Autre responsable désigné de la chute : le livret, tiré d’une nouvelle de Leopold von Sacher-Masoch (mais rien de masochiste là-dedans, quoique…) par Philippe Gilles, déjà librettiste de Lakmé, et Henri Meilhac, collaborateur (avec Ludovic Halévy) d’Offenbach, mais aussi de Bizet pour Carmen. Il y a quelque chose de l’illustre gitane dans le personnage de Kassya, femme fatale à la mode galicienne, mais comme édulcorée, privée du tout statut iconique, et curieusement doublée d’ailleurs, lors d’une scène qui est une des meilleures de l’œuvre, par une Bohémienne diseuse de bonne aventure. Dernier chef d’accusation : une imparfaite exécution musicale, reproche que ne saurait encourir l’équipe réunie à Montpellier. Quel plateau (et entièrement francophone) ! Cyrille Dubois, Anne-Catherine Gillet, Nora Gubisch, Alexandre Duhamel entourant une Véronique Gens impériale, jouant sur la dualité fragilité (un peu Manon) - autorité (un peu Carmen) dont elle a su faire un art en soi, tous dirigés par Michael Schonwandt, surdimensionné dans ce répertoire où l’on est habitué à des baguettes plus modestes, à la tête de « son » excellent Orchestre Montpellier Occitanie et de non moins valeureux chœurs mi-locaux mi-Lettons.
François Lafon 

Montpellier, Corum, Opéra Berlioz, 21 juillet (Photo : Véronique Gens © DR)

Dirigé depuis septembre 2013 par Marc Korovitch, le chœur O Trente, fondé en 2006 par Raphaël Pichon, aborde spécifiquement le répertoire romantique et du 20ème siècle, et s'est illustré en 2011 dans Noces de Stravinski dans sa version originale en français de Charles-Ferdinand Ramuz. Lors du concert du 7 juin dernier, O Trente a donné une interprétation mémorable du Stabat Mater de Dvorak, dans une version quelque peu abrégée et avec piano, ce qui se justifie par le fait que les voix, plus que la partie instrumentale, y sont chargées d'émotion. Antonin Dvorak a d’ailleurs composé cet ouvrage pour chœur mixte, quatre solistes et orchestre, en 1875-1877, sous le coup d'un drame familial : la perte de trois de ses enfants. Quoi qu'il en soit, le Stabat Mater de Dvorak ne perdait rien de son impact, grâce au jeu tout en nuances de la pianiste Joséphine Ambroselli et à la puissance dégagée par le chœur, cela dès le premier volet de l'œuvre, le plus vaste. Il faut dire aussi que les solistes vocaux étaient de haut niveau, et, dans le dernier volet, toutes forces confondues chantaient superbement la grandeur du Paradis. En complément de programme, trois pièces pour chœur à cappella dus respectivement à Edvard Grieg, à Charles Villiers-Stanford et à Morten Lauridsen, compositeurs américain d'origine danoise né en 1943. La puissance et le sens des contrastes d'O Trente se manifestèrent derechef, et Beati Mortui de Stanford, un des maîtres de Vaughan Williams, était dirigé par Richard Willerforce, appelé en septembre 2018 à succéder à Marc Korovich.
Marc Vignal
 
Temple du Saint -Esprit, 7 juin

Festival Palazzetto Bru Zane 2018 aux Bouffes du Nord : Au Pays où se fait la guerre, concert-spectacle créé en 2014. Commémoration d’un centenaire donc, et pas des plus joyeux. Et pourtant …Transcrits pour quatuor avec piano, ponctués par des mouvements de … quatuors avec piano (Gabriel Fauré, Mel Bonis, Théodore Dubois, Reynaldo Hahn), airs et mélodies racontent la France en guerre - celle de 14-18, éventuellement celle(s) d’avant -, vue ou ressentie par des compositeurs qui n’ont apparemment pas grand-chose à se dire. Là est la bonne idée, la « Fraîche et joyeuse » allant de pair avec noirs désespoirs et délires salvateurs. En quatre chapitres (Le départ ; Au front ; La Mort ; En Paradis) le quatuor I Giardini et Isabelle Druet, mezzo duparcienne (d’où le titre du récital) autant qu’offenbachienne, mêlent le rose et le noir : à la Grande Duchesse de Gérolstein brandissant (façon Jedi) le Sabre de son père, répond Exil de Cécile Chaminade (« Loin de l’amante, j’attends la mort »), et La Fille du régiment de Donizetti (« Ces gens-là ne respectent rien ») renvoie à Recueillement de Baudelaire et Debussy (« Vois se pencher les défuntes années »). Performance d’Isabelle Druet, maniant à l’avant-scène équivoque et ironie et se réfugiant dans le creux du piano pour chanter l’indicible. Performance des Giardini (Pierre Fouchenneret, Léa Hennino, Pauline Buet, David Violi) résumée aux saluts par un spectateur criant : « Merci aux cinq chanteurs ». 
François Lafon 

Bouffes du Nord, Paris, 6 juin (Photo © Michele Crosera/Palazetto Bru Zane)

mercredi 21 février 2018 à 11h38
L’installation sonore a déjà près de vingt ans, elle a voyagé à Ottawa, à Fontevraud, à Berlin, à New-York, à Tokyo, à Strasbourg… Jusqu’au 5 mars, elle est audible à Paris, à la Fondation Louis Vuitton, dans le cadre de l’exposition Etre moderne : le Moma à Paris, et elle vaut le déplacement (comme toute l’expo, d’ailleurs). 40 haut-parleurs placés à hauteur des oreilles sont disposés par groupes de 5 suivant une ellipse tout autour d’une grande salle. Chacun d’eux restitue l’une des voix du fameux Spem in alium, le motet de Thomas Tallis pour huit chœurs de cinq pupitres, composé au milieu du XVIème siècle, enregistré ici avec le chœur anglais de Salisbury et retravaillé par la Canadienne Janet Cardiff, une artiste en randonnées sonores. Ecouter le motet dans son ensemble au centre de la salle est superbe, mais déambuler d’une voix à l’autre, se laisser porter par les sopranos (voix d’enfants) avant de frissonner grâce aux basses profondes est une expérience encore plus fascinante qui mène au cœur même de la musique : le motet n’est jamais tout à fait le même, sa « vocation spatiale » apparaît comme jamais, on a même le sentiment de faire soi-même partie des chanteurs. Qui plus est, les pauses de trois minutes entre chaque diffusion laissent entendre les coulisses, les choristes qui chuchotent, qui rient, en un mot qui vivent. Le classique est encore et toujours une musique en effervescence.
Gérard Pangon
 
Janet Cardiff : The Forty Part Motet. Fondation Louis Vuitton jusqu’au 5 mars, et visible aussi ici. (Photo © DR)
 
A l’Athénée : Moscou Paradis, « comédie musicale d’après Dimitri Chostakovitch » par la compagnie Opéra Louise de Fribourg. Une opérette même (Moscou, Tcheriomouski ou Quartier des cerises) créée en 1959, dernier ouvrage lyrique de l’auteur du Nez et de Lady Macbeth de Mtsensk. Une œuvre de commande et un exercice de style : il s’agissait de fêter en musique le lancement d’une cité idéale au sud-ouest de Moscou appelée à être reproduite dans de nombreuses villes d’URSS, où les heureux camarades travailleurs avaient enfin leur appartement à eux, et au milieu des cerisiers en fleurs encore. Mais comme on était en plein dégel khrouchtchévien, Chostakovitch et ses deux librettistes-humoristes Vladimir Mass et Michail Chervinsky en ont profité pour saupoudrer les roses de quelques pincées de poivre, épinglant les fonctionnaires-profiteurs dans la lignée de Gogol et convoquant Boulgakov (Le Maître et Marguerite) pour résoudre par un tour de magie les tracasseries kafkaïennes auxquelles le citoyen soviétique était en butte. Soixante ans après et pour un public occidental qui connaît d'autres problèmes de logement, le metteur en scène Julien Chavaz remuscle le propos en jouant la carte du cartoon peuplé de pantins formatés, sur lequel plane une étrange menace personnifiée par le concierge muet de l’immeuble, devant lequel se fige périodiquement le ballet frénétique des gentils locataires et des méchants bailleurs. Même douche écossaise pour la musique - habilement transcrite pour deux pianos et percussions et finement dirigée par Jérôme Kuhn -, mais dont on saisit moins bien les nombreux clins d’œil et citations (de Tchaïkovski au « Chant des jeunes travailleurs ») dont le public moscovite devait se délecter, tout en admirant le génie du Beethoven du XXème siècle à se transformer à volonté en Gershwin du Soviet suprême. Excellente troupe, chantant (fort bien) en russe et jouant (aussi bien) en français, tous portant à bout de voix cette curiosité créée en France (Opéra de Lyon) en 2005 seulement et dont c’est la première à Paris.
François Lafon

Théâtre de l’Athénée, Paris, jusqu’au 16 février (Photo©Magali Dougados)

A l’Opéra de Marseille, Apparition : à la frontière des genres, ce spectacle qui tient à la fois de la danse et du théâtre musical est de ceux qui volontairement laissent des questions sans réponse. Pas de logique narrative, pas d’explication : comme dans La Nuit du chasseur de Charles Laughton ou Mulholland Drive de David Lynch, c’est souvent au spectateur de trouver le fil qui soutient ce tissu d’images et d’actions qui résistent à toute explication et créent une impression d’autant plus profonde. A l’origine, les Kindertontenlieder dans une transcription pour piano, chœur d’enfants et bandes son signée du compositeur Franck Krawczyk, cloué au clavier au milieu de la scène en guise de figure paternelle muette mais omniprésente. Sur sa réécriture de ces Chansons pour la mort des enfants de Mahler qui fait la part belle à la magnifique Maîtrise des Bouches-du-Rhône, Emio Greco et Pieter C. Scholten (le duo à la tête du Ballet National de Marseille), ont jeté une suite d’images qui ne cherche surtout pas à illustrer ou expliquer le tragique du texte et son sentiment de désolation mais plutôt à s’interroger ce qu’être enfant veut dire. Quelques visions oniriques se détachent de ce conte tour à tour terrifiant et apaisant : le loup rouge qui s'avance menaçant sur la salle, la jeune fille (vraiment si innocente ?) qui chante en playback le tube des années 1980 For ever young, le loup encore qui garde dans son ventre un enfant (endormi, mort ?), les enfants qui se couchent dans les coffres (ou cercueils ?) évanouis dans la nuit, le tourbillon qui engloutit tout pendant l’orage. L'épilogue arrive avec un long épisode dansé sans musique avant que quelques mesures de la Troisième symphonie de Mahler se laissent entendre furtivement. Apparition est annoncé comme le premier volet d’un diptyque dont le pendant, Disparition, devrait voir le jour en 2018.
Pablo Galonce 
 
Opéra de Marseille, le 2 et 3 décembre. (Photo © A. Poiana)
 
Dans la Salle des concerts de la Cité de la Musique : in vain de Georg Friedrich Haas. Une pièce culte depuis sa création à Cologne en 2000 : une heure et quart d’une seule coulée, vingt-quatre instruments, de la lumière et de l’obscurité, et un projet ambitieux de la part de ce compositeur que l’on a classé parmi les « spectraux » (jouant sur les harmoniques de sons) mais qui prend se distances : « J’utilise les accords de partiels (ou de spectre) de façon très différente des compositeurs spectraux (…) Dans in vain, j’alterne entre deux mondes, les sons d’un des mondes sonnant « faux » dans l’autre ». Pourquoi in vain (en vain, avec une minuscule) ? Parce qu’en Autriche, au moment où il composait la pièce, l’extrême droite revenait au gouvernement, comme si le pire était oublié. Musicalement : aller à, mais revenir vers… en vain. Pourquoi deux longs moments où l’orchestre joue dans le noir complet ? Parce que « dans cette pièce, il est question d’être « éclairé » dans le sens des Lumières, et c’est précisément à ce moment-là que je souhaitais éteindre la lumière ». Et puis : « je voulais opposer une contre-utopie au monde du chef d’orchestre qui se tient devant celui-ci comme un dictateur ». Musicalement encore :  pour illustrer (si l’on peut dire) le « timbre sans luminosité », quand « ne demeurent que des sons ténus, feutrés, qui s’évitent les uns les autres en quarts de tons ». Et en pratique ? Une musique soutenue, sensuelle, entre deux mondes en effet, et plus redevable à Gérard Grisey (le pape des spectraux) qu’annoncé. On rêve à une expérience plus vertigineuse quand le noir se fait, ou que, après la seconde Nachtmusik, la lumière réapparaît par flashes pour s’éteindre sur le dernier accord, abrupt comme une fin de non-recevoir. Ensemble Intercontemporain irréprochable comme toujours sous la baguette rien moins que dictatoriale d’Erik Nielsen. 
François Lafon

Cité de la Musique – Philharmonie de Paris, 10 novembre (Photo  : G.F. Haas© Philippe Gontier)

samedi 4 novembre 2017 à 00h06
Dans la Cour Khmère du musée Guimet, premier concert du week-end « Guimet invite Berlioz » : « Concert sur la jonque chinoise », inspiré d’une soirée londonienne à laquelle Berlioz a assisté en 1851 en compagnie du compositeur et musicographe François-Joseph Fétis. Une initiative de Bruno Messina, ethno-musicologue et animateur du festival Berlioz de La Côte Saint-André. « On me persuadera difficilement que le peuple chinois n’est pas fou, » écrivait Berlioz en quittant ladite jonque. Ce soir, au milieu des superbes statues khmères au sourire énigmatique, Jean-Christophe Frisch et son ensemble XIII-21 Le Baroque Nomade déclinent les étapes de la domestication de la musique chinoise par les occidentaux, de Molihua, air traditionnel emblématique, au 3ème Divertissement chinois du jésuite et missionnaire Joseph-Marie Amiot, du quadrille de Ba-ta-clan d’Offenbach à la Polka chinoise arrangée sur des airs nationaux de P. Champion. Mélange étonnant et assez détonnant, où les morceaux qui nous paraissent les plus raffinés sont justement ceux qui sonnaient aux oreilles de Berlioz (mais pas de Fétis) comme des « sifflements, mugissements et fracas métallique », et où les chinoiseries sur lesquelles dansaient nos ancêtres nous feraient un peu honte (ah, cette Epine sur des paroles de Théophile Gautier) s’ils n’étaient interprétés, l’instrumentarium mixte engendrant des sonorités inattendues, avec une telle souplesse stylistique. Suite du week-end samedi à l’hôtel d’Heidelbach somptueusement restauré avec des Flûtes enchantées (bansuri et à clef) et des Compositions persanes et mélodies de l’ancien Iran, le bouquet final revenant à François-Xavier Roth et aux Siècles parcourant – eux aussi parmi les chefs-d’œuvre khmères -  « l’Asie entendue à Paris au temps d’Emile Guimet », de Saint-Saëns à Delibes et …  Guimet lui-même, isérois comme Berlioz mais appelé à un plus grand avenir comme collectionneur que comme compositeur. 
François Lafon

Guimet invite Berlioz, Musée Guimet, Paris, les 3 et 4 novembre (Photo © DR)

mercredi 18 octobre 2017 à 23h14
Au théâtre de l’Athénée : Cassandre de Michaël Jarrell d’après Cinq Conférences de poétique de la romancière allemande Christa Wolf, avec Fanny Ardant. En concert avec Susanna Mälkki et l’Ensemble Intercontemporain (voir ici), en scène dans ce spectacle créé au festival d’Avignon 2015 et fréquemment repris, un compagnonnage tout trouvé que ce monodrame pour voix parlée et orchestre, matière à extérioriser un tempérament de tragédienne rappelant ses incarnations de Maria Callas au théâtre (Master class) et au cinéma (Callas for ever). Beau texte surtout, dans lequel le récit la fille de Priam condamnée à prédire la catastrophe (la guerre de Troie) mais à ne jamais être crue trouve en chaque époque une actualité nouvelle, belle musique que celle de Michaël Jarrell, riche mais jamais redondante, façon pas si souvent réussie d’accompagner la voix parlée (« Cassandre est en dehors de l’opéra, il n’y a plus de raisons de chanter, il n’y a plus que la voix et le récit »). Mise en scène minimaliste mais juste d’Hervé Loichemol, excellent Lemanic Modern Ensemble dirigé par le jeune Jean Deroyer : un cadre propice à mettre en valeur la spontanéité sous la sophistication, le jeu entre jeunesse et maturité qui ne sont pas pour rien dans la fascination qu’exerce Fanny Ardant. Idéal pour incarner une prophétesse qui n’a pu empêcher l’inéluctable. 
François Lafon 

Théâtre de l’Athénée, Paris, jusqu’au 22 octobre (Photo © DR)

Nuit blanche 2017 à la Philharmonie de Paris – Cité de la musique : Cinq marathons musicaux jusqu’à l’aube. 20h30, Salle des concerts de la Cité, début de l’hommage à Pierre Henry. Pénombre, public recueilli devant l’habituelle forêt d’enceintes. En écoutant sa dernière pièce Multiplicité, testament musical, adieu aux sons urbains donné ce soir en première mondiale, on cherche instinctivement la crinière blanche du maître, disparu en juillet dernier. La nuit se terminera avec Messe pour le temps présent, comme un retour aux sources. 21h30 à l’Amphithéâtre du Musée de la musique, deuxième concert (sur dix) de la Nuit du Quatuor, préparée par ProQuartet. Public de plus en plus nombreux, tous n’entrent pas. Ovation (même entre les mouvements) pour le Quatuor Danel, lequel ne fait qu’une bouchée du bouillant 1er Quatuor de Tchaïkovski. A 5h30, le Quatuor Tercea clôturera la session avec … Ainsi la Nuit de Henri Dutilleux. 22h au Musée éclairé de mille bougies (électriques) pour son vingtième anniversaire : célébration du clair-obscur. Etsuko Chida chante La Belle du Soir en s’accompagnant au Koto, exposée telle une œuvre précieuse. Deux étages au-dessus, des membres des Arts Florissants entonnent des Leçons de Ténèbres de Couperin. Entre les deux, Nicolas Arzenijevic et Antonio Garcia Jorge, saxophonistes, jouent (superbement) Le Dialogue de l’Ombre double de Pierre Boulez. 22h50 : éclairée a minima, la grande Salle Pierre Boulez de la Philharmonie prend des allures de cathédrale, avec pour officiant le pianiste Bruce Brubaker jouant Phil Glass, Terry Riley et John Cage, plus que jamais hallucinatoires et puritains en même temps. En dessous, au Studio transformé en salle de méditation, le groupe Vacarme (deux violons, violoncelle) et six invités passent la Nuit en « la », raga sans fin sur une seule note. Minuit : dehors, files d’attentes géantes, sous la pluie. Foule patiente, presque silencieuse, comme sont silencieux les groupes qui se déplacent d’un lieu à l’autre, canalisés selon une logistique évoquant La Folle Journée de Nantes. Nuit blanche sur le mode zen. Impressionnant. 

François Lafon

Philharmonie de Paris – Cité de la musique, 7-8 octobre (Photo © Jean-Régis Roustan)

mercredi 27 septembre 2017 à 23h15
Au Théâtre Déjazet, reprise de Und, de Howard Barker, mis en scène par Jacques Vincey. En compagnie (efficace et discrète) du musicien Alexandre Meyer : Natalie Dessay, comédienne (elle chantonnera, à la fin, le Kaddish de Ravel). Une reconversion commencée il y a deux ans, à Tours puis déjà à Paris et un peu partout en France. Un emblème donc, et un défi : au lieu d’essayer ses talents de rigolote au boulevard, l’ex-Reine de la Nuit défend un énigmatique monologue, œuvre d’un Britannique autoproclamé « dramaturge de la catastrophe ». A texte dur, mise en scène tranchante : perchée sur un tabouret d’où elle ne bougera pas, « Elle » attend son homme, se rêvant aristocrate en fourreau rouge et perruque conique, en réalité (?) Juive menacée au cours d’une Nuit de cristal dont les lames de glaces s’écrasant autour d’elle sont les terrifiants symboles (explication possible, parmi d'autres). Une surenchère dans la contrainte qui empêche Dessay de jouer les bêtes de scène tout en en mettant en valeur son extraordinaire palette expressive : si l’on pense à La Voix humaine de Cocteau, à Erwartung de Schönberg – autres amoureuses condamnées à la solitude –  c’est dans O les beaux jours de Samuel Beckett qu’on aimerait la voir maintenant, tant ses possibilités de Stradivarius parlant évoquent celles, rarement égalées, de la créatrice Madeleine Renaud. 
François Lafon
 
Théâtre Déjazet, Paris, jusqu’au 13 octobre (Photo © DR)

Spirito, chœur de chambre basé à Lyon, résulte de la fusion de deux ensembles professionnels. Nicole Corti, sa directrice musicale, l’a dirigé à La Chaise Dieu, ainsi que l’Orchestre des pays de Savoie et quatre solistes vocaux, dans le Stabat Mater en sol mineur de Haydn. Composé en 1767, c’est l’ouvrage vocal du musicien d’Eszterháza qui connut la plus large diffusion en Europe avant La Création, de trente ans postérieure. Typique de la période « Sturm und Drang » de Haydn, le Stabat Mater est tourné vers l’intérieur avec une grande économie de moyens, la détente ne s’imposant qu’avc le dernier de ses treize volets : la fugue en sol majeur « Paradisi Gloria », entrecoupée de vocalises de la soprano. Dans l’assez vaste introduction orchestrale, dotée de sauts d’intervalles et de contrastes dynamiques saisissants, Nicole Corti fait montre d’un beau sens des nuances et des accents. Elle mettra d’un bout à l’autre en valeur la dimension spirituelle de l’ouvrage. Le Stabat Mater était la pièce de résistance d’une soirée commencée avec du Mozart plutôt léger et le savant Alleluia pro omni tempore (2010) de Thierry Escaich. Le même jour, en fin d’après-midi, un remarquable programme de musique de chambre intitulé  « L’âme russe » : deux importantes sonates pour violoncelle et piano, celle de Chostakovitch (1934, plusieurs fois révisée), sarcastique comme ce compositeur savait l’être à moins de trente ans, et celle de Rachmaninov (1901), monument du romantisme finissant. Xavier Phllips, un de ceux qui se sont perfectionnés auprès de Rostropovitch, et Igor Tchetuev, né en Ukraine, lauréat du Concours international Arthur Rubinstein à tel Aviv, prennent avec raison et pour notre plus grand plaisir ces musiques à bras-le-corps.
Marc Vignal
 
Abbatiale Saint-Robert et Auditorium Cziffra, 26 août (Photo : Nicole Corti © DR)

On ne s’attend pas à ce qu’un Requiem ait comme tonalité principale ré majeur et débute par des sonorités de cors et de trompettes et timbales. C’est le cas de celui de Jan Dismas Zelenka programmé en cette année 2017 au festival de La Chaise Dieu. En février 1733 meurt à Varsovie le prince-électeur de  Saxe Auguste le Fort, roi de Pologne sous le nom d’Auguste II. La nouvelle parvient à Dresde trois jours plus tard, et pour les cérémonies funèbres Zelenka compose sa Messe de Requiem en ré majeur ZWV 46 ainsi que son Office des Défunts ZWV 47, dont, à La Chaise Dieu, un extrait a précédé le Requiem, avec comme interprètes le Collegium & Collegium Vocale 1704 et son chef Vaclav Luks. Aussi bien Zelenka que le Collegium Vocale sont depuis quelques années des habitués des lieux. Les trompettes et timbales restent pour commencer relativement discrètes, pour ne se déployer avec davantage de force qu’en certains épisodes plus tardifs. Il ne s’agit pas uniquement de déplorer la perte d’un souverain, mais aussi de chanter sa résurrection - sous les traits de son successeur - et de célébrer son apothéose. L’écriture chorale de ce chef-d’œuvre témoigne d’une grande maîtrise, Zelenka profitant en outre de toutes les possibilités offertes par l’orchestre de la cour de Dresde, avec notamment, au Recordare, un instrument rare utilisé à Vienne et à Dresde pour exprimer le deuil : le chalumeau. Il a aussi recours au plain-chant. Au début de ce concert mémorable, deux cantates sacrées de Telemann, une en latin et une en allemand, non sans interventions éclatantes des trompettes et timbales.
Marc Vignal

Abbatiale Saint-Robert, 24 août (Photo : Vaclav Luks ©DR)
 
jeudi 6 avril 2017 à 00h10
Aux Bouffes du Nord : Ubu, création collective dirigée par Olivier Martin-Salvan, composition musicale de David Colosio. D’Ubu sur la Butte (1901), version (très) raccourcie d’Ubu roi par Alfred Jarry lui-même et destinée à être joué par des marionnettes au cabaret des Quat’z’Arts, l’acteur fétiche de Benjamin Lazar fait une séance d’aérobic qui dégénère : une régression moderne à la mesure de la monstrueuse parodie shakespearienne (Macbeth pour les Nuls) imaginée par l’inventeur de la pataphysique, « science des solutions imaginaires ». Une heure de délire condensé (« Le premier roi meurt en vingt lignes et la guerre arrive trois scènes plus tard »), spectacle tous terrains, place publique comme salle des fêtes : tapis de sol, objets en mousse (des plasticiens Clédat et Petitpierre), cinq étonnants comédiens-clowns-acrobates - quatre hommes, une femme, dont Martin-Salvan en Ubu prof de gym-dictateur. Public jeune et ravi, cernant l’ère de jeu « au plus près de la corporalité des acteurs ». Au premier rang ce soir : Christiane Taubira riant beaucoup, surtout à la mise en boite appuyée de … la gendarmerie. La musique, due à un membre des Cris de Paris, déjà partenaire de Martin-Salvan pour le Pantagruel monté par Lazar (voir ici), recycle, entre la Danse des canards en russe et un final de comédie musicale façon Balavoine, L’Or du Rhin de Wagner avec une science réjouissante du pied de nez sur portée. Ne serait-ce que pour cela…
François Lafon

Bouffes du Nord, Paris, jusqu’au 23 avril. En tournée jusqu’au 9 juin

lundi 16 novembre 2015 à 22h14

A New-York, Placido Domingo fait jouer La Marseillaise avant de diriger Tosca.

Chez Erato/Warner (ex-EMI/Virgin) : Entre elle et lui, Natalie Dessay sings Michel Legrand. Rencontre avec le duo, avant les concerts à l’Olympia les 27 et 28 octobre. Legrand : « Ma première diva : Kiri Te Kanawa, trop paresseuse ; ma deuxième : Jessye Norman, trop classique. Dessay : une voix très étendue, comme la mienne, mais ça ne fait pas le même effet. Parfois, en concert, je change de tonalité : elle suit ». Dessay : « Différence avec l’opéra : l’intimité et le vibrato. Donner leur place aux mots et chanter comme on parle. Plaisir, en scène, d’avoir le micro pour partenaire. Là aussi, l’antithèse de l’opéra ». Legrand : « Réunion de mes quatre (enfin, cinq) paroliers : Jacques Demy, Eddy Marnay, Claude Nougaro, Alan et Marilyn Bergman. Un de mes plaisirs : écrire la plus jolie mélodie possible pour dire « Passe-moi le sel » ou « Rendez-vous ce soir à 20h », faire de la musique un personnage. Plus drôle que de mettre des percussions sur une course-poursuite ». Dessay : « En 2014 au Châtelet, Les Parapluies de Cherbourg mis en espace : cela évite de faire du sous-Demy. Mais aussi, en projet, La Vie et la mort d’une femme, une grande pièce émaillée de treize chansons que Barbara Streisand, par superstition, n’a pas chantée ». Legrand : « Natalie dit que je suis l’homme sans rêves, car je fais en sorte que mes rêves se réalisent, aujourd’hui ou demain, ainsi ou autrement : puisque pas Streisand, Dessay, par exemple ». Dessay : « On dit et lit que Manon à Toulouse a été mon dernier opéra. C’est probablement faux. Chanter Michel Legrand n’est pas une transition, même si, à terme, c’est le théâtre parlé qui m’intéresse : aller vers le moins, et trouver un plus". En attendant, elle termine le disque avec Mon dernier concert, paroles de Nougaro.

François Lafon

1 CD Erato Warner. Du 27 octobre au 6 décembre : tournée en France, 11 villes Photo © DR

jeudi 3 octobre 2013 à 11h20

Robert Ashley (compositeur), Gregory Markopoulos (cinéaste) et Terre Thaemlitz (créatrice multitâches) se penchant sur l’Oeuvre d’art de l’avenir, Loïe Fuller dansant sur la "Chevauchée des Walkyries" et Wagner muet dans le film non-autorisé de Carl Froelich et William Wauer (1913), Olivier Py imaginant Siegfried dans l’Allemagne dévastée de 1945, Jan Fabre confrontant Wagner l’artiste et Nietzsche le penseur, Jacques Lenot confronté au grand orchestre wagnérien : un aperçu du Wagner Geneva Festival, initié par le Cercle Romand Richard Wagner et piloté par Jean-Marie Blanchard, ex-directeur du Grand Théâtre de Genève. Clou de ce grand mois de festivités pluridisciplinaires : la recréation du Vaisseau fantôme première version (1841), en écho à la pièce d’Ibsen La Dame de la mer (un marin damné lié à une femme par un serment de fidélité). Probablement l’initiative la plus originale de cette année de bicentenaire, la plus à même d’évoquer le rêve wagnérien de changer le monde par la force de l’art. Une manière aussi - peut-être - de dépasser l’habituel phénomène d’attraction-répulsion suscité par le sorcier de Bayreuth. « Notre vie ne nous est pas donnée comme un opéra, dans lequel tout est écrit », a récemment rappelé le pape François, fan de Wagner, surtout dirigé par Furtwängler.

François Lafon

Wagner Geneva Festival, 26 septembre – 3 novembre. www.wagner-geneva-festival.ch

jeudi 25 avril 2013 à 11h54

Le maître chanteur de Minsk de Morley Torgov chez Actes Sud, ou Wagner héros de roman policier. C’est la deuxième enquête d’un Sherlock Holmes allemand nommé Hermann Preiss, la première (Meurtre en la majeur – 2010) mettant en scène Robert et Clara Schumann, la troisième (en prévision) promettant un affrontement entre Liszt et le directeur de cirque Phineas Taylor Barnum. L’auteur, très connu au Canada et venu sur le tard au polar (il a 85 ans) reprend à son compte la formule d’Alexandre Dumas « On peut violer l’histoire, pourvu qu’on lui fasse de beaux enfants », et ficelle habilement une fantaisie à suspense autour de la création à Munich des Maîtres chanteurs de Nuremberg en 1868. Petit jeu pour amateurs du genre : traquer l’anachronisme (parlait-on à l’époque de « conflit d’intérêt » ?) et savourer l’invraisemblance (un chanteur d’opéra prenant un bain de vapeur une heure avant d’entrer en scène). Mais à la différence de Dumas, Morley Torgov omet de soigner les détails qui font sérieux, même si l’attribution, dès le premier chapitre, du rôle de Beckmesser à un ténor ne risque de faire tiquer que les spécialistes.

François Lafon

Le maître chanteur de Minsk, de Morley Torgov, traduit de l’anglais par Céline Schwaller. Actes Sud « Actes noirs », 368 p., 22,80 €

dimanche 3 mars 2013 à 08h48

Il est désormais possible de tout savoir sur la zarzuela, cette « belle inconnue » : genre éminemment espagnol, part non négligeable de l’art lyrique avec plus de 20 000 titres d’environ cinq cents compositeurs répartis sur quatre siècles, alternance du parlé et du chanté, veine souvent pittoresque, mettant en jeu chanteurs et choristes à l’élocution parfaite, acteurs et danseurs, lumières et machineries. Le nom provient d’une demeure royale au nord de Madrid, le Palacio de la Zarzuela, construit au début du XVIIe siècle : « palais de la Ronceraie », car zarza en espagnol signifie ronce. Pierre-René Serna dresse l’historique et la chronologie (de 1622 à 1981) du genre et, dans un ordre alphabétique inversé de Z à A (il fallait bien commencer par Zarzuela), passe en revue vingt-deux œuvres-clés (intrigue, musique, éventuelle discographie), environ cinquante musiciens ainsi que plusieurs notions et termes essentiels parmi lesquels tonadilla, Madrid, livrets et librettistes, genres et sous-genres, discothèque, bibliothèque, Barcelone, Amériques et Philippines. Parmi les compositeurs, certains sont bien connus, comme Turina, Rodrigo, Granados, Manuel Garcia, Boccherini, beaucoup ne le sont que des spécialistes, et quelques personnalités ne doivent leur inclusion dans la liste qu’à un extrait significatif de leur correspondance : Saint-Saëns, Nietzsche. Sont mentionnés près de trois cents enregistrements, et l’annexe comprend une sélection discographiques puis un index des compositeurs, des œuvres et des librettistes. Surtout, ne pas oublier que la zarzuela fut honorée à note époque par les plus grands chanteurs, de Pilar Lorengar à Alfredo Kraus et de Teresa Berganza à Placido Domingo.

Marc Vignal

Pierre-René Serna : Guide de la zarzuela. Bleu Nuit, 2012, 336 p.

dimanche 27 janvier 2013 à 11h31

Au théâtre de la Colline, Le Cabaret discrépant, d’Olivia Grandville d’après Isidore Isou. Du latin discrepantia, discrépant désigne « une simultanéité d’éléments, de sons, de sensations, d’opinions qui produisent un effet de dissonance ». Une assez bonne définition du lettrisme, mouvement « d’avant-garde de l’avant-garde » lancé par Isou au sortir de la guerre, et qui compte encore des adeptes. Le spectacle de la chorégraphe Olivia Grandville est jouissif : conférences lettristes simultanées dans le foyer (« Il ne s’agit pas de détruire des mots pour d’autres mots, il s’agit de ressusciter le confus dans un ordre plus dense »), évocation sur scène du Ballet ciselant, créé, non sans remous, au début des années 1960 (phase ciselante, deuxième des quatre périodes de la philosophie lettriste : émiettement des formes, période de l’art pour l’art). Une conférence-démonstration hilarante, où cinq danseurs-comédiens illustrent « l’amorphe, l’a-r-ythmie, le rampement, notions par lesquelles la danse va se dépouiller jusqu’à atteindre l’immobilité complète » (Roland Sabatier, lettriste de la deuxième génération). En 1947, Isou publie Introduction à une nouvelle poésie et à une nouvelle musique, ouvrage fondateur contenant le Manifeste de la poésie lettriste. Il compose en même temps une symphonie, La Guerre, dotée d’une notation originale où les lettres remplacent les notes (disques Al Dante). « A force de chercher la forme, on touche le fond », remarquait-il non sans clairvoyance. Il aura au moins tenté de résoudre l’éternel dilemme parole-musique.

François Lafon

Théâtre National de la Colline, Paris, Petite salle, jusqu’au 16 février Photo © Elisabeth Carrechio

jeudi 29 novembre 2012 à 11h19

Inauguration, dans l’Espace de projection de l’Ircam, du « nouveau dispositif de spatialisation sonore multicanal ». Salle de professionnels, discours officiels (directeurs du Centre Pompidou, du CNRS, etc.), démonstration détaillée, avec équations sur écran et exemples sonores. Le Graal de l’acoustique, nous annonce-t-on, dans cette salle célèbre pour ses modules pivotants, permettant de passer de l’atmosphère d’une chambre sourde à celle d’une cathédrale. L’enjeu : au moyen des procédés Ambisonics (possibilité de simuler une source sonore par la reproduction tridimensionnelle) et WFS (Wave Field Synthesis ou synthèse du front d’ondes), faire en sorte que, bien ou mal placés, immobiles ou en mouvement, tous les auditeurs d’un lieu donné entendent exactement la même chose, ce qui n’était pas possible avec les formats multicanaux conventionnels (stéréo, 5.1, etc.). Matériel : 339 haut-parleurs, 264 étant répartis autour du public et 75 formant un dôme de diffusion tridimensionnelle. Exemple concret : voix d’enfants enregistrées avec un micro sphérique place Stravinsky (plateau Beaubourg) et reproduites selon une chorégraphie sonore à géométrie variable. Impression de pouvoir localiser chaque voix, de la toucher presque. Exemple musical : Fluoresce, de Rama Gottfried, pour violoncelle, WFS et Ambisonics 3D. Les diverses composantes de chaque son produit live par l’interprète Séverine Ballon apparaissent dans l’espace, donnent lieu à une infinité de figures musicales. Applications pratiques : audioconférences, théâtre, cinéma 3D (Technicolor est partenaire). Une nouvelle ère dans la perception et la maîtrise des phénomènes sonores. Une source de chefs-d’œuvre ? Question sans réponse. 

François Lafon

mercredi 28 mars 2012 à 16h33

Qui connaît Haydn mieux que personne ? Notre ami Marc Vignal, bien sûr. D'ailleurs, en 2009, lorsqu'on célèbre le bicentenaire du compositeur à Vienne, c'est lui que les Autrichiens invitent pour parler du grand Joseph - en allemand, bien sûr, ce n'est pas obstacle pour lui. Mais c'est en français qu'il raconte aujourd'hui sa passion Haydn à l'occasion des représenations d'Orlando Paladino au Châtelet sous la direction éclairée de Jean-Christophe Spinosi.

Lecture d’été : Le Vase de sable de Seichô Matsumoto, le « Simenon japonais ». C’est une histoire policière dans le Japon encore traditionnel et déjà branché des années 1960. Dans Tokyo Express, le roman le plus célèbre de Matsumoto, la clé de l’énigme réside dans les horaires des trains. Cette fois, c’est de musique qu’il s’agit, plus particulièrement de musique concrète. Parmi les suspects : un jeune compositeur à la mode et un non moins jeune critique aux dents longues. « L’idée d’une variation systématique d’une œuvre, due à divers paramètres importants qui font toute la musique, est indépendante de l’inspiration et de la théorie des compositeurs. Ce nouveau moyen d’avant-garde est en train de substituer l’absence d’idée du compositeur au problème accessoire de la disparition des raisons qui font que l’on a besoin des interprètes. Ce danger, au moins, existe. », écrit celui-ci à propos d’un concert de celui-là, dans un style abscond que l’on imagine ironique de la part de Matsumoto. De son côté l’inspecteur chargé de l’enquête se renseigne sur la musique concrète : « Inventée en 1948 par un ingénieur français du nom de Pierre Schaeffer, elle provoqua un grand choc dans le monde musical. Le mot « concret » ne signifie pas « description » ou « contenu concret », car chaque bruit est choisi et utilisé comme un « objet sonore », lit-il dans un dictionnaire, tout en avouant ne pas y comprendre grand-chose, ce qui d’après l’auteur « était normal, puisqu’il ne connaissait rien à la musique ». Sans vouloir déflorer le dénouement, il est question par la suite d’une loi sur les ondes électromagnétiques (« quiconque veut ouvrir une station radioélectrique doit en demander l’autorisation préalable au ministères des Postes et Télécommunications ») et de leurs effets possibles sur le corps humain. En 1974, le cinéaste Yoshitaro Nomura, ancien assistant d’Akira Kurosawa, a tiré un film du roman de Matsumoto. Le jeune compositeur n’y fait plus carrière dans la musique concrète, mais dans la musique classique. Paradoxe : vingt-cinq ans après son invention, la musique concrète n’était plus à la mode, mais, utilisée comme bande sonore d’un film, elle aurait encore risqué d’écorcher les oreilles d’un public « qui ne connait rien à la musique ». Il aurait fallu aussi que l’illustrateur sonore du film trouve un équivalent à la manière particulière dont cette musique est utilisée dans l’intrigue. Le récent succès de la semaine Pierre Henry, au festival Paris, quartiers d’été, a montré que ces « objets sonores » étaient entrés dans les mœurs. Le Vase de sable n’en reste pas moins un excellent polar.

François Lafon

Le Vase de sable, de Seichô Matsumoto, traduit du japonais par Rose-Marie Fayolle. Picquier poche, 198 p., 7,50 €.

mercredi 14 juillet 2010 à 13h51

Les fanfares de vuvuzelas vous ont peut-être empêché de les entendre, mais la Coupe du Monde de football a été une bonne occasion de faire le tour des hymnes nationaux. Dès la cérémonie d’ouverture, joueurs noirs et blancs ont  entonné en choeur le Nkosi Sikelel' iAfrika, un hymne rassembleur mélangeant le chant des colonisateurs et celui des anti-apartheid. Plus classiques, les Allemands  nous ont gratifiés de la belle mélodie de Joseph Haydn composée à l'origine pour l'Empereur d'Autriche, et les Anglais du God save the Queen. Très en vue, avant de se faire éliminer par les équipes européennes, les sud-américains ont apparemment été inspirées par l'ardeur de leurs hymnes. Avec leurs introductions enlevées et leurs refrains martiaux, ceux de l'Argentine, du Chili, de l'Uruguay ou du Brésil font penser à un air de Rossini ou à un choeur du jeune Verdi. Ce n'est pas un hasard : ces pays ont gagné leur indépendance au début du XIXè siècle, à l'époque où l'opéra italien était un modèle des deux côtés de l'Atlantique. Ils sont aujourd'hui datés, dans le meilleur sens du terme : 1813 (Argentine), 1822 (Brésil), 1827 (Chili, oeuvre d'un Catalan), 1845 (Uruguay, écrit par un Hongrois), 1854 (Mexique, composé encore par un Catalan).  
Quant à l'Espagne, qui a gagné la Coupe, elle a de la chance avec sa Marche royale du XVIIIè siècle : comme elle est sans paroles, les footballeurs ne sont pas obligés de le chanter, ce qui est plutôt un avantage dans un pays aux fortes identités régionales. Les Hollandais, eux, ont chanté leur défaite avant même de débuter la finale. Dans leur hymne, le « Het Wilhelmus », on entend : « Que les Espagnols te meurtrissent/ ô loyaux et doux Pays-Bas, /lorsque j'y pense, /mon noble coeur en saigne. »

Pablo Galonce

Il n'y a qu'à Henri Dutilleux que cela arrive. Le 14 mars 1998, sa pièce pour orchestre The Shadows of Time (Les Ombres du Temps) est créée à Boston sous la direction de Seiji Ozawa. Trois jours plus tard, le disque parait chez Erato. Durée : vingt-et-une minutes. Le 7 mai 2009, son cycle de mélodies Le Temps l'Horloge est donné en première mondiale au Théâtre des Champs-Elysées, sous la baguette du même Ozawa. L'enregistrement, réalisé en direct par Radio France, ne sort qu'au bout de six mois, dans la collection à tirage limité « Les grands concerts du Théâtre des Champs-Elysées ». Durée : quatorze minutes et vingt-trois secondes. Le CD est complété par une émission de radio « Spécial Ozawa » de treize minutes enregistrée le jour du concert, et réunissant le chef, le compositeur et la soliste Renee Fleming. L'idée de diffuser, pièce après pièce et en temps réel ou presque, les œuvres nouvelles d'un compositeur mondialement reconnu et toujours productif à quatre-vingt-quatorze ans est belle, d'autant que le temps, présent jusque dans ses titres, est une des composantes principales de son inspiration. Elle montre aussi à quel point le temps selon Dutilleux est hors du temps selon le marché du disque. La loi Hadopi ne concerne ni Boulez, ni Dutilleux, ni même Dusapin. Faut-il s'en réjouir ? Le Temps l'Horloge réunit des poèmes de Jean Tardieu (Le Temps l'Horloge, justement, ainsi que Le Masque) et Robert Desnos (Le dernier Poème), pour se terminer sur Enivrez-vous de Baudelaire. « Pour n'être pas les esclaves martyrisés du Temps, enivrez-vous. Enivrez-vous sans cesse ! De vin, de poésie ou de vertu, à votre guise." conseille le poète. Henri Dutilleux a bien fait de l'écouter.

Henri Dutilleux : Le Temps l'Horloge. Renee Fleming (soprano), Orchestre National de France, Seiji Ozawa (direction) - 1 CD Théâtre des Champs-Elysées. En vente au Théâtre (12 euros), ou par correspondance (15 euros). www.theatrechampselysees.fr
jeudi 19 novembre 2009 à 18h06
Déjà la pochette, illustrée d'une photo en sépia, fait un peu froid dans le dos : « Le Grand Orchestre de Radio-Paris 1944, Théâtre des Champs-Elysées. Mengelberg-Tortelier ». Au programme : l'ouverture d'Anacréon de Cherubini, le Concerto pour violoncelle de Dvorak avec Paul Tortelier en soliste, et la Symphonie de Franck. Le texte de présentation, signé par le collectionneur Jean Farjanel, est à peine plus rassurant, qui nous explique que le grand chef néerlandais Willem Mengelberg (lequel n'a jamais caché sa sympathie pour le régime nazi), a donné vingt-huit concerts gratuits et radiodiffusés au TCE entre 1942 et 1944, et que celui-ci, daté du 16 janvier 1944 et préservé sur disque Pyral, a été fortuitement retrouvé l'année dernière, après avoir miraculeusement survécu à la mise à sac, en août 44, de la station collaborationniste. On s'en veut presque de regretter que le document ne comporte pas les « Informations de Radio Journal » qui précédaient ces retransmissions et distillaient la propagande officielle auprès du large public (eh oui, du classique en prime time !) qui les écoutait. Ce que nous devrions surtout nous demander, c'est pourquoi ce genre d'archives dégage encore une odeur de soufre, et pourquoi, alors que ses enregistrements avec l'Orchestre du Concertgebouw d'Amsterdam sont considérés comme des musts, Mengelberg collaborateur en Hollande dérange moins que Mengelberg collaborateur à Paris. C'est peut-être parce que, comme on l'entendait à Radio-Londres sur l'air de la Cucaracha, « Radio-Paris ment, Radio-Paris ment, Radio-Paris est allemand ».

Un album de 2 CD Malibran Music (distribué par DOM)
 

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