Quand Kim Jong-il est venu en visite officielle à Pékin au mois de mai, il a apporté dans ses bagages un opéra chinois chanté en coréen. Prévue pour trente jours, la tournée a duré deux mois et demi. Explication du succès par les responsables de la compagnie Mer de Sang (en référence, non à l’idéal militaire de la Corée du Nord, mais à un opéra anti-japonais créé en 1971) : « Nous avons recueilli les conseils et écouté les suggestions de notre Dirigeant bien-aimé ». Explication à l’usage des sceptiques occidentaux : il s’agit d’une adaptation du Rêve dans le pavillon rouge, un classique chinois datant du XVIIIème siècle, une sorte de Roméo et Juliette d’autant plus connu qu’il a récemment été réactivé sous forme de série télé en quatre-vingt-trois épisodes. Précision des spécialistes : l’opéra nord-coréen est populaire en Chine depuis la Révolution culturelle. A l’époque, l’amour romantique et la magie - denrées de base du genre - étaient interdits à Pékin mais tolérés à Pyongyang. Bémol diplomatique : Kim Jong-il est reparti pour la Corée avant la première du Rêve dans le pavillon rouge, à laquelle il devait assister en compagnie de son homologue chinois Hu Jintao. Interprétation des médias étrangers : le Dirigeant bien-aimé n’était pas satisfait de son voyage. Rectification du journal officiel Le Quotidien du peuple : il est parti plus tôt que prévu parce que sa visite avait atteint tous ses objectifs. Complément d’information troublant : dans le but d’amener son peuple à « une meilleure compréhension de la culture mondiale » et pour « célébrer le dixième anniversaire de l’amitié et de la coopération bilatérale entre la Corée du Nord et la Russie », Kim Jong-il a supervisé l’année dernière la production d’un autre opéra : Eugène Onéguine de Tchaikovski. Névrose individualiste dans une société de classes : le Dirigeant bien-aimé fait décidément confiance à la culture pour faire passer ses messages.
François Lafon