Mardi 19 mars 2024
Le cabinet de curiosités par François Lafon
mardi 29 mai 2012 à 09h12

Questions de sons chez les constructeurs de voitures. Dans une interview au Detroit Free Press, Michael Arbaugh, chef du design intérieur chez Ford, annonce la suppression du lecteur de CD dans les prochains modèles. Cela permettra d’affiner les tableaux de bord, de gagner de la place et surtout d’alléger le tout de deux kilos, détail appréciable en ces temps de scrupules écologiques et d’augmentation du prix du carburant. Le lecteur multi-CD a déjà disparu de la gamme européenne Ford Focus, 95% des acheteurs choisissant la version avec connexion à un appareil MP3, 90% y ajoutant une connexion Bluetooth. Même scénario pour la Chevrolet Sonic RS, sur laquelle le lecteur optique est remplacé par le système MyLink, lequel permet de connecter un Smartphone et de diffuser la musique via des sites comme Pandora en utilisant la 3G. Selon la société d’études Stratacom, 331 000 acheteurs de voitures refuseraient l’option CD cette année aux Etats-Unis, et leur nombre passerait à plus de douze millions d’ici 2018. On pourrait donc assister à une disparition du CD bien plus rapide que celle de la K7. « Les moins de trente ans utilisent des lecteurs MP3. Ils n’achètent plus de CD », ajoute Michael Arbaugh. « Pour ceux qui ne connaissent rien aux nouvelles technologies, il sera difficile – voire impossible – de se tourner vers ce genre de système. Or ces mêmes personnes sont la plupart du temps âgées et plus susceptibles d’acheter un véhicule que les jeunes générations. Conclusion, il est peu probable que tous les constructeurs imitent Ford immédiatement. », rétorque le site spécialisé Gizmodo. A propos, quelles musiques écoutent les uns et les autres ? Les amateurs de classique seront-ils les derniers à acheter des CD ? Mais ceux-là, c’est bien connu, roulent encore en carrosse.

François Lafon

mercredi 23 mai 2012 à 10h23

Polémique au Metropolitan Opera de New York. A la suite d’une descente en flammes du Crépuscule des dieux mis en scène par Robert Lepage suivie d’un dossier mettant en cause sa politique artistique, Peter Gelb, le directeur général, décide d’interdire de critique la revue Opera News. Il en a les moyens : ladite revue, fondée en 1936 dans le but de fournir un soutien financier au MET, est toujours dirigée par un directeur adjoint de la maison. Tollé des abonnés, appel au respect de la libre expression. Aux dernières nouvelles, Peter Gelb a fait machine arrière, admettant qu’il avait fait une erreur, que le MET n’existait que par le bon vouloir du public, que celui-ci attendait d’Opera News qu’il chronique les spectacles du MET, et qu’il s’inclinait devant une « vague de déception ». Opera News tire à 100 000 exemplaires, couvre l’actualité lyrique américaine et internationale, chronique des disques, bref, se pose depuis trois quarts de siècle en leader d’opinion. Comme si En Scène, la revue promotionnelle de l’Opéra de Paris, ne faisait qu’un avec Opéra Magazine. Or personne jusqu’ici n’avait apparemment crié au trafic d’influence.

François Lafon

vendredi 18 mai 2012 à 19h36

« Faites plaisir aux sourds : la Callas est morte ! » titrait Charlie-Hebdo en 1977. On ne ferait pas ce genre de plaisanterie à propos de Dietrich Fischer-Dieskau, ne serait-ce que parce que le « maestro des lieder », pour reprendre le titre d’une des innombrables nécrologies parues aujourd’hui, n’a jamais été un people. Il a tout chanté (avec quels partenaires !), tout enregistré (plusieurs fois), participé à nombre de créations, dirigé des orchestres (moins bien qu’il ne chantait), écrit des livres (idem), mais était avare d’interviews et ne se laissait prendre en photo avec son épouse (la quatrième) que parce que celle-ci, Julia Varady, était une soprano connue. Il était de bon ton, dans les années 1980, de déplorer ses maniérismes, et d’ajouter que sa tendance à faire passer les mots avant la musique s’accentuait à mesure que sa voix s’usait. En 1988, un astéroïde avait reçu son nom : 42482 Fischer-Dieskau. Comme il avait mis fin à sa carrière de chanteur en 1992 (il avait soixante-sept ans), les jeunes générations ne le connaissaient plus, et avaient tendance, quand ils tombaient sur un de ses nombreux basiques (Le Voyage d’hiver, Don Giovanni, voire Rigoletto dirigé par Rafael Kubelik) à le trouver démonstratif, extérieur, pour tout dire démodé. Parce que, tel son ami Karajan, il avait enregistré mille disques, ses contemporains l’avaient cru immortel. C’est peut-être maintenant qu’il va le devenir.

François Lafon

samedi 12 mai 2012 à 09h21

Dans Alger sans Mozart de Michel Canesi et Jamil Rahmani, le duo de romanciers qui a inspiré à André Téchiné son film Les Témoins, quelques personnages emblématiques incarnent le « ni avec toi ni sans toi » qui caractérise les rapports entre la France et l’Algérie, cinquante ans après la déclaration d’indépendance. Révélateur de l’éloignement des deux pays : la culture en général et le cinéma en particulier (un des personnages-clés est cinéaste). Le livre pourrait s’appeler Alger sans Camus, ou Alger sans Truffaut. Mais assassiner Mozart l’universel, c’est plus fort. Sofiane, le jeune Algérien tourné vers l’avenir : « Pour finir, elle a mis son compositeur préféré, Mozart, celui qu’elle écoute tous les soirs et qui me réveille parfois quand elle laisse ses fenêtres ouvertes. J’aime pas trop, c’est une musique de vieux, ça va pas assez vite » (p. 115). Louise, l’Algéroise restée au pays : « Ils voulaient interdire le cinéma, la danse, le théâtre, la télévision, la musique, les parfums, les bijoux, nous imposer un deuil éternel. Tu imagines une vie réduite à quatre murs, aux odeurs de cuisine et de ménage ? Tu imagines Alger sans Mozart ? » (p. 225). Sofiane à Louise : « C’est beau ! Qu’est ce que c’est ? » ; Louise : « Mozart, justement : Cosi fan tutte… Quand tu seras grand, je t’expliquerai ce que ça veut dire. » (p.151). Le livre est édité par Naïve, le label de disques. En 2010, l’Algérie et la Chine ont signé un protocole d’accord pour la réalisation d’un nouvel opéra, l’Opéra municipal (1853) étant dévolu au répertoire dramatique local. On pourrait l’inaugurer avec L’Enlèvement au sérail.

François Lafon

Canesi et Rahmani : Alger sans Mozart. 400 p., 18 €

lundi 7 mai 2012 à 11h00

Chez Actes Sud : Sergiu Celibidache, La Musique n’est rien. Textes et entretiens pour une phénoménologie de la musique. Trois cent trente-six pages pour brosser le portrait du fougueux successeur de Furtwängler à la tête du Philharmonique de Berlin, évincé par Karajan et devenu le-chef-qui-refuse-d’enregistrer-des-disques, laissant l’image d’un gourou de la baguette versé ans la spiritualité zen, entouré de disciples prêts à renoncer aux biens de ce monde et donnant des concerts comme on célèbre un office. De conférences en interviews, le credo de Celibidache apparaît comme un mantra cent fois répété : « La musique n’est pas le son. Cependant, elle ne peut se matérialiser sans lui » ; « La musique n’est pas belle, elle est vraie » ; « Tout dans la musique est unique dans son devenir. La Cinquième de Beethoven n’existe pas, mais elle devient dans l’instant ». Visionnaire ou illuminé ? Le débat reste ouvert. « Le microphone n’arrive à saisir que 78% des faits vivants dans l’espace musical. Etant lui-même une masse métallique, il crée ses propres épiphénomènes : c’est une dénaturation totale des faits authentiques », explique-t-il en 1985 à L’Autre Journal (Paris). Paradoxe : il acceptait que ses concerts soient diffusés en direct à la radio. Après sa mort en 1996, son fils a autorisé la publication en CD des archives de l’Orchestre de la Radio de Stuttgart (DG) et du Philharmonique de Munich (EMI). Constatation : le courant passe malgré la « masse métallique ». Souvenir : la Septième Symphonie de Bruckner à l’Opéra Bastille en 1989. Lenteur extrême et son inouï. Comme il le disait lui-même, citant Husserl : « C’est ainsi ! Non pas C’est beau, beau est polyvalent, mais C’est ainsi ! »

François Lafon

Sergiu Celibidache, La Musique n’est rien. Textes et entretiens pour une phénoménologie de la musique, réunis et traduits par Hadrien France-Lanord et Patrick Lang. Actes Sud, 336 p., 29€

 

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