Mardi 19 mars 2024
Le cabinet de curiosités par François Lafon
mardi 30 septembre 2014 à 11h33

Quoi de neuf chez Warner ? L’intégrale Maria Callas en 69 CD. Nouveau packaging, livret somptueux, édition collector. Le neuf ? Une sérieuse remasterisation, dont le brillant Allan Ramsey, musicien lui-même et ingénieur du son aux studios d’Abbey Road, est venu à Paris expliquer le pourquoi et le comment. Le pourquoi est évident : depuis ses premiers récitals chez Cetra jusqu’à ses derniers enregistrements EMI, les disques de studio de Maria Callas (les live sont une autre affaire) avaient en commun une prise de son qui les faisait paraître de vingt ans plus vieux qu’ils n’étaient. Leur(s) réédition(s) en CD n’avaient rien amélioré, si ce n’est que la réverbération qui les enveloppait d’un voile de rêve (version optimiste de la situation) paraissait plus artificielle encore. Premier exemple commenté par Ramsey : « Casta diva » dans l’enregistrement stéréo de Norma réalisé à la Scala de Milan en 1960. Avant : voix soliste émergeant d’un magma orchestral additionné de chœurs nébuleux. Après : choeurs toujours nébuleux, orchestre beaucoup plus détaillé, voix incroyablement présente : prises de souffle, sons « dans les joues » (spécialité de l’artiste, à ne surtout pas imiter), disparité des registres, variété des colorations (critiquées à l’époque, admirées par la suite). Surtout, différence de perspective : Callas au premier plan, orchestre déployé derrière elle. Plus de présence, moins d’atmosphère, diront les nostalgiques des vieilles cires. Eternel débat. Au moins peut-on - sur pièces - apprécier la tant vantée idylle sonore de Callas avec Karajan dans Le Trouvère (1956) ou la façon dont celle-ci fait vivre le mariage texte-musique dans sa si controversée CarmenQuand je vous aimerai … »). Le comment est affaire de technique (HD 24-bit/96kHz : « Même différence qu’entre une photo prise avec des appareils de 1 et de 12 mégapixels ») et de patience : travail de bénédictin sur les bandes de Londres à Milan, réécoute des diverses prises, analyse des montages, détection des bruits parasites (rumble du métro, ronflement des motos). « Sans pour autant nous permettre de choisir d’autres prises, ni de changer quoi que ce soit au montage final » précise Ramsey. Callas forever donc ? Jusqu’à la prochaine étape d’une inusable redécouverte.

François Lafon

Callas remastered, complete studio recordings (1949-1969). 1 coffret de 69 CD. Intégrales et récitals disponibles séparément

mercredi 24 septembre 2014 à 10h53

A vendre sur le site Le Bon Coin : un piano à queue Erard, 800 €. Un premier acquéreur propose un chèque et l’enlèvement immédiat. Arrivent d’autres propositions, de France, d’Allemagne, des Pays-Bas : collectionneurs, marchands, restaurateurs. La propriétaire se renseigne auprès de l’association Fan d’Erard, puis à la Cité de la Musique à Paris : l’instrument, numéroté 19972, a été acheté en 1847 par Marie Martin dite Marie Recio, cantatrice, 41 rue de Provence, paris 9ème, Madame Berlioz ou presque (l’union ne sera officialisée qu’en 1854). Aux enchères – compte-tenu de la dizaine de milliers d’euros nécessaire à sa restauration – l’instrument pourrait atteindre 50 000 €. Réaction prudente d’Antoine Troncy, directeur adjoint du Musée Hector Berlioz à La Côte-Saint-André, citée par le site de France Musique : « Marie Recio, cantatrice de métier, aurait peut-être acheté ce piano pour ses répétitions ». Une expertise est prévue, qui pourrait déboucher sur l’achat par le Musée. « La notion de l’authenticité n’a pas de définition générale mais est abordée de façon parcellaire par des textes réglementaires sectoriels, des pratiques professionnelles et la jurisprudence », peut-on lire sur le site d’un cabinet d’avocats spécialisé. Pas sûr en tout cas que l’ADN de Berlioz, qui avait étudié la flûte et la guitare mais pas le piano (son père n’avait pas voulu), soit détectable sur l’instrument.

François Lafon

Photo © DR

mercredi 17 septembre 2014 à 18h59

Rentrée des chefs chez Deutsche Grammophon : Karajan, Fricsay et Kleiber font leur retour. 25 ans après sa mort, Karajan, lui, n’a vraiment quitté jamais le catalogue jaune, encore moins ses symphonies de Beethoven enregistrées au début des années 1960 avec le Philharmonique de Berlin et dont le coût de production a failli à l’époque faire couler son éditeur. Cette énième réédition essaye de retrouver l’esthétique de ce coffret qui a lancé la mode des intégrales, avec quelques textes (de Karajan) et photos (de Karajan) inédits pour justifier un nouvel avatar de ce best-seller. Les pro et anti Karajan ne se mettront jamais d’accord sur les qualités de cette interprétation tout à tour idolâtrée ou détestée : modèle absolu pour les premiers, preuve que le chef n’a jamais rien compris à Beethoven pour les seconds, difficile en tout cas de rester indifférent à un Philharmonique de Berlin rutilant de virtuosité. *
Pompeusement intitulé « enregistrements complets chez DG », le coffret Carlos Kleiber ne contient que trois CD, (plus, comme le Beethoven de Karajan, un Blu Ray audio avec les mêmes interprétations en qualité master : c’est la nouvelle mode chez DG), trois vrais chefs d’œuvre du disque, surtout les symphonies 5 et 7 de Beethoven et la 4 de Brahms avec un Philharmonique de Vienne superlatif, mais toujours disponibles aussi séparément. **
Moins luxueux que les précédents, plus riche en contenu, et surtout plus rare, est le coffret, consacré aux enregistrements pour orchestre (on attend les œuvres vocales et l’opéra) du chef hongrois Ferenc Fricsay. Certains de ces disques ont été régulièrement réédités, d’autres étaient introuvables, les réunir dans un seul coffret de 45 CD a donc tout son sens. Disparu prématurément à 50 ans (en 1964), Fricsay n’a jamais travaillé avec les conditions d’enregistrement dont Karajan et Kleiber ont joui. Cela s’entend, même si les prises de son sont tout à fait correctes pour la plupart, mais on ne résiste pas à l’énergie et l’imagination d’un chef surdoué : son Bartok diamantin est justement célèbre, mais il faut écouter ses symphonies de Beethoven (avec le Philharmonique de Berlin : une sorte d’anti-Karajan), ses symphonies et concertos pour piano de Mozart (avec Clara Haskil), une Symphonie « Du Nouveau Monde » de Dvorak inégalée de grandeur et élan, et même un étonnant disque consacré à la famille Strauss, pour mesurer tout son talent. Le bonus : une répétition de La Moldau de Smetana où l’on aperçoit tout l’humour et l’humanisme de Fricsay. ***

Pablo Galonce

* Beethoven 9 Symphonien. 5 CD + 1 Blu Ray Audio Deutsche Grammophon 479 3442
** Carlos Kleiber Complete Orchestral Recordings on Deutsche Grammophon. 3 CD + 1 Blu Ray Audio Deutsche Grammophon 479 2687
*** Ferenc Fricsay, Complete Recordings on Deutsche Grammophon, vol. 1 Orchestral Works. 45 CD Deutsche Grammophon 479 2691

lundi 15 septembre 2014 à 09h42

Dépassement(s) de budget, retrait de la participation de la Mairie de Paris au motif – attendu mais inquiétant - qu’une structure de cette importance ne peut être entièrement dévolue à un art aussi élitiste que la « grande musique » : la Philharmonie de Paris va devoir mettre de l’eau dans son vin, du David Bowie dans son Beethoven. Bon. La Cité de la musique, rebaptisée Philharmonie 2 (?) a bien, dès son ouverture, panaché les genres avec un certain succès. La Salle Pleyel de son côté a accueilli les grands du jazz au même titre que les géants du piano. Mais alors pourquoi l’acquéreur de ladite Salle n’aura pas le droit d’y programmer du classique ? Réponse de Laurent Bayle – M. Pleyel-Cité-de-la-musique en même temps que M. Philharmonie-1-et-2 : « Pour ne pas faire de concurrence à la Philharmonie ». De concert avec le nouvel Auditorium de Radio France, la Philharmonie va de toute façon modifier le paysage musical parisien. Mais pourquoi alors le Théâtre des Champs-Elysées continue-t-il de faire de la concurrence à l’Opéra en programmant des ouvrages lyriques, le Châtelet ayant depuis bientôt dix ans cessé lui de le faire en se reconvertissant dans la comédie musicale ? Plus de classique à Pleyel, cela fait penser à l’éphémère Ballet à Garnier – Opéra à Bastille plombant l’Opéra de Paris dans les années 1990. L’ADN des lieux et le cerveau reptilien du public sont souvent plus forts que les oukases technocrato-commerciales.

François Lafon

vendredi 12 septembre 2014 à 17h55

Troisième volet d’une « trilogie textuelle » dont Le Discours musical (1984) et Le Dialogue musical (1985) sont les deux premiers, La parole musicale, propos sur la musique romantique, réunit textes et interviews de Nikolaus Harnoncourt. Le véritable sujet, encore une fois, en est le maestro lui-même. Bonnes phrases.
« Je pense que l’art est le seuil vers l’humain ». « J’ai toujours été considéré comme un spécialiste de ce que j’ai fait. » « D’un côté, je suis un véritable solitaire. D’un autre côté, je recherche le dialogue avec les penseurs. Et cela me rend presque plus solitaire encore. » « Je lis toujours stylo à la main. Cela confine parfois au ridicule ». « Seuls les chefs-d’œuvre de tout premier plan méritent d’être présentés en concert. » « On ne doit pas céder à la tentation de rendre trop concret le contenu musical. La pensée humaine cherche la logique, vise une signification claire, un oui/non » « Déjà enfant, j’avais cette disposition de ne rien considérer comme admis et à tout mettre en doute. » « La décision de devenir musicien est arrivée très soudainement. J’avais dix-sept ans et j’étais tombé malade. J’ai entendu à la radio le mouvement lent de la Septième Symphonie de Beethoven. C’était une interprétation de Furtwängler ». « Jeune, j’ai beaucoup lui Pascal et j’y ai trouvé mon juste point d’équilibre. En fin de compte, je crois que c’est toujours le cœur qui décide. En art, l’intuition, c'est-à-dire le domaine du cœur et le savoir sont en pratique indispensables. » « Le concept d’idée renvoie toujours à la mélodie. » « Le domaine de l’art, c’est le royaume de l’imagination. Sa force invisible est puissante et dangereuse, ses effets sont subversifs. » « J’irais même jusqu’à dire qu’il n’existe pas de musique non religieuse. » « Je n’ai jamais eu cette croyance au progrès. Je n’ai jamais considéré qu’un tableau de Rembrandt est meilleur qu’un tableau de Van Eyck, ou qu’une œuvre de Mozart est meilleure qu’une œuvre de Josquin. » « La fidélité à l’œuvre est une notion catastrophique et destructrice : le savoir du musicien sur la pratique interprétative est écrasé au nom du texte écrit. » « L’instrument reste toujours un instrument, un outil. Et si nous donnons à l’instrument une valeur absolue, alors l’outil devient plus important que la musique. Involontairement, mon travail a peut-être contribué à cette vision ». « Quand j’étais jeune musicien d’orchestre, je dus jouer la Symphonie en sol mineur de Mozart plusieurs fois par an. C’était toujours joli et charmant. Mais la partition sur mon pupitre me disait autre chose. » « Nous ne saurons jamais la vérité sur Mozart. C’est l’image que nous nous forgeons nous-mêmes que nous prenons pour sa vérité. » « L’inspiration musicale des grands maîtres des XVIIIème et XIXème siècles est majoritairement extramusicale. » « Avec le Philharmonique de Vienne, je ne dirige pas La Passion selon Saint Matthieu sur instruments historiques. Et pourtant, c’est Bach. » « Je n’entends rien de catholique dans l’œuvre de Bruckner » « Je considère Tristan et Les Maîtres chanteurs comme des œuvres géniales. Et pourtant ça ne passe pas. Je cale toujours au premier acte. » « J’ai été fasciné de voir à quel point la sculpture baroque était vivante. Et en même temps, dans ma jeunesse, je me demandais pourquoi je trouvais la musique de la même époque si ennuyeuse. » « Dans la Quatrième de Brahms, j’entends Gabrieli, notamment dans le deuxième mouvement, et j’aperçois Purcell dans les Variations Haydn. » « Aïda, c’est de la musique de chambre de premier ordre. »

François Lafon

La Parole musicale, propos sur la musique romantique, de Nikolaus Harnoncourt. Traduction et préface de Sylvain Fort. Actes Sud, 240 p., 22 €

 

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