Hébergée sur le site communautaire américain Vimeo, cette petite animation due au vidéaste suisse Florian Geyer fait le buzz. Point de départ : j’ai voulu comprendre la musique. Conclusion : pas besoin de la comprendre pour y prendre plaisir. Etapes intermédiaires : musique des sphères, associations, émotions, dissonance, consonance, rythme, tempérament, vague sonore, chair de poule, cercle des quintes, chansons d’amour, musique d’ascenseur, comment elle nous fait danser. Graphisme inventif, bande son moins parlante. Eternelle polémique : le plaisir du connaisseur est-il plus - ou moins - grand que celui du néophyte, l’émotion (produit marketing breveté) vaut-elle tous les savoirs ?
Understand Music from finally. on Vimeo.
Première sortie française en DVD, chez Bel Air Classiques, du film de Ken Russell The Music Lovers. En 1970, ce Tchaikovski psychédélique avait choqué, révolté, enthousiasmé, bref, était furieusement tendance. Le temps qui passe, la rareté des diffusions à la télévision en avaient fait un film culte, une pièce maîtresse, avec Women in love et Les Diables, de la filmographie chaotique laissée par cet Anglais de la génération des « angry young men ». Le parti-pris – expliquer le compositeur par sa seule homosexualité – était à l’époque un signe de la libéralisation des mœurs : le Tchaikovski officiel (et soviétique) d’Igor Talankine, sorti un an plus tôt, faisait carrément l’impasse sur le sujet. L’hystérie permanente, les scènes de rêves au ralenti, le mélange de chromo et de réalisme étaient eux aussi dans l’air du temps. On se régalait des visions du grand homme jouant son 1er Concerto pour piano, de son désespoir aux accents de la Symphonie pathétique (sous-titre français du film), on donnait comme géniales la scène du viol raté dans le train, la folie finale de Glenda Jackson en épouse catastrophe, rappelant la performance de l’actrice dans Marat-Sade de Peter Brook (autre film culte). Mais aujourd’hui, que reste-t-il de nos amours ? Un parfum seventies, justement, de grosses ficelles qui font sourire, un militantisme historique (pas tant que ça : l’homosexualité est de nouveau réprimée en Russie), et puis, quand même, le don de mettre en scène la musique, de donner envie d’en écouter, que l’on retrouvera dans les encore plus discutables Mahler et Lisztomania. La meilleure part, peut-être, de Ken Russell le Music lover, disparu il y a juste un an.
François Lafon
1 DVD Bel Air Classiques BAC 091
Sale temps pour les divas : après Lisa Della Casa, Galina Vichnievskaia s’en va. Toutes deux étaient suisses, l’une de naissance, l’autre d’adoption, après avoir été déchue de la nationalité soviétique en compagnie de son époux Rostropovitch, pour avoir, entre autres, soutenu le dissident Soljenitsine. Unique point de comparaison. A la scène comme à la ville, Vichnievskaia était de l’espèce des lionnes. Personne n’aurait osé ironiser en la voyant, en 1982 au Palais Garnier, chanter à cinquante-six ans la fraîche Tatiana d’Eugène Onéguine. Idem lorsque, quatre ans plus tard, elle est Natacha dans Guerre et Paix de Prokofiev, en concert à Pleyel. Après la disparition de Rostropovitch, il y a cinq ans, on l’a vue enseigner le chant à l’école qu’elle avait créée à Moscou, tzarine revenue d’exil, gardienne du temple s’insurgeant contre l’entrée au Bolchoï de la mise en scène moderne, actrice de cinéma aussi, dans Alexandra d’Alexandre Sokourov. Avant d’être réhabilité pendant la perestroïka, le couple Rostropovitch-Vichnievskaia était soupçonné de jouer les martyrs de la liberté, de médiatiser une situation pas si terrible que cela comparée à celle d’autre dissidents. L’ami et inspirateur de Prokofiev et de Chostakovitch et la Callas russe, diva emblématique du bloc de l’est, n’étaient forcément pas des dissidents comme les autres.
François Lafon
Le pianiste et musicologue américain Charles Rosen devient célèbre en France du jour au lendemain avec la parution chez Gallimard en 1978 de son livre de 1971 The Classical Style - Haydn, Mozart, Beethoven : livre se proposant de définir ce qui unit ces trois compositeurs et les différencie de leurs prédécesseurs, successeurs et contemporains de second rayon. Ayant assuré la traduction de ce maître-ouvrage, j’ai souvent rencontré Charles Rosen, discuté avec lui dans un appartement de la rue de l’Arc de Triomphe aux alentours de 1975, et pu apprécier une personnalité exigeante, dotée d’un grand sens de l’humour et sachant ne pas faire étalage de ses vastes connaissances, pas seulement en musique : à l’université de Princeton, Rosen se spécialise dans les langues romanes, domaine dans lequel il obtient son doctorat en 1951. Intellectuelle au bon sens du terme, son approche de la musique en général donne beaucoup à réfléchir tant à l’auditeur qu’au lecteur. Il a enregistré Haydn, Beethoven, Schumann, l’école viennoise du XXème siècle et Boulez et rédigé d’autre livres important parmi lesquels Schönberg (1975), Sonata Forms (1980) et The Romantic Generation (1995), tous traduits en français, ainsi que Critical Entertainments. Music Old and New (2001). Né à New York en 1927, Charles Rosen y est mort le 9 décembre 2012.
Marc Vignal
Comme on est salé ou sucré, mer ou montagne, Balzac ou Flaubert, Brahms ou Wagner, Callas ou Tebaldi, on a longtemps été Schwarzkopf ou Della Casa. Les deux sopranos ayant des répertoires assez similaires, on préférait - ou pas - la sophistication de l’une à la spontanéité de l’autre en Comtesse des Noces de Figaro ou en Maréchale du Chevalier à la rose. Lisa Della Casa, qui vient de mourir à quatre-vingt treize ans, était donnée aussi comme la principale victime collatérale – avec Sena Jurinac et Teresa Stich-Randall – de l’association Elisabeth Schwarzkopf – Walter Legge, la diva et son producteur, lequel ne supportait qu’une seule rivale à son égérie et épouse : Maria Callas, l’autre diva labellisée EMI. Della Casa, belle comme Schwarzkopf, glamour comme elle, mènera quand même une belle carrière, y compris au disque, principalement sous l’étiquette Decca. Ceux qui la préféraient ont même connu une petite revanche, en 1999, quand Deutsche Grammophon a officiellement édité le live du Chevalier à la rose 1960 à Salzbourg sous la baguette de Karajan, production filmée, mais avec Schwarzkopf en Maréchale. Mais leur plus belle revanche, c’est Arabella, autre ouvrage sucré-salé de Richard Strauss, où Schwarzkopf n’était que bonne, et Della Casa sans rivale.
François Lafon
Chez EMI, "Michel Plasson et l’opéra français" (38 CD), deux ans après "Michel Plasson et la musique française" (37 CD). Quinze ouvrages intégraux (dont l’un deux fois : Roméo et Juliette de Gounod) enregistrés de 1976 à 2002 à la Halle aux Grains de Toulouse avec l’Orchestre du Capitole. Seul manque un des plus fêtés, Werther de Massenet avec Alfredo Kraus, exclu du coffret parce qu’enregistré à Londres avec le London Philharmonic. Principe adopté par Plasson et le directeur artistique Alain Lanceron : une ou deux stars internationales, coachées par la chef de chant Jeanine Reiss et entourées de solides voix francophones, ce qui n’était pas toujours évident en ces temps de basses eaux hexagonales. Peu de ratés (Les Pêcheurs de perles), quelques raretés (Guercoeur de Magnard, Padmâvati de Roussel), et quelques références, comme Faust, Mireille, Lakmé ou Don Quichotte. Petit jeu : deviner l’âge d’un album au vu de sa distribution. En 1984, quand elle enregistre La Belle Hélène, Jessye Norman est une pop star. Même remarque pour le couple Roberto Alagna-Angela Gheorghiu (Roméo et Juliette, 1995 - Carmen, 2002). Quelques choix relèvent de la gageure, comme la wagnérienne Hildegard Behrens dans Guercoeur (1986), ou le duo Teresa Berganza-José Carreras pour La Périchole d’Offenbach. Parmi les voix francophones, de solides troupiers perpétuant une tradition désormais oubliée, des espoirs parfois déçus, et, tout de même, quelques stars, comme Régine Crespin, Gabriel Bacquier, José Van Dam (présent dans dix albums), en attendant Natalie Dessay, Roberto Alagna, la relève des années 1990. C’était l’époque des intégrales de studio, du théâtre pour l’oreille né après la guerre avec l’avènement du microsillon. Le temps des dinosaures, déjà.
François Lafon
1 coffret de 38 CD EMI
Après tant d’autres, encore un opuscule censé « percer le mystère » Mozart ! Les précédents ont donc échoué dans cette entreprise impossible. Sont proposés sept entretiens faits « de questions fictives et de réponses authentiques, [car] extraites, hors d’infimes exceptions, des lettres de W. A. Mozart [traduites en 1928 par] Henri de Curzon. » Fausse bonne idée ! De ces réponses maintes fois publiées, le lecteur de 2012 n’apprendra rien de neuf, aucun mystère ne sera donc percé. Lesdits entretiens se sont déroulés de septembre à la mi-novembre 1791. La santé de Mozart lui permettait-elle, juste avant sa mort, de répondre à bon escient ? Pas toujours. Il semble parfois avoir perdu tout repère temporel et spatial : d’où de pénibles radotages. Evoquant Pleyel, il se croit toujours en 1784. Interrogé sur la musique religieuse à Vienne en cette fin 1791, il reprend une déclaration de son père remontant à 1776 et concernant Salzbourg. Il oublie que sa sœur ne vit plus à Salzbourg mais à St. Gilgen avec son mari. Quelle pitié ! Pourquoi ne réfléchit-il pas sur les causes profondes de son échec à Paris, au lieu de se plaindre d’avoir eu froid avant de se produire ? Pourquoi ne proteste-t-il pas en entendant son intervieweur citer comme ayant été composée en 1778 dans la capitale française la plus tardive sonate « Alla Turca » ? Ou le qualifier lui-même d’homme « simple et bon, pur, loyal et noble de caractère » ? Très conscient de sa propre ambivalence, Mozart est allergique à la « brosse à reluire ». On s’étonne enfin de voir un tel connaisseur des auteurs contemporains d’opéras et de la vie de cour à Vienne écorcher le nom d’Anfossi pour en faire Alfonsi et accuser sans preuves Salieri, qui n’avait aucun intérêt à agir de la sorte, d’avoir « ouvertement déclamé contre Figaro ». Sans doute la disparition de Mozart intervint-elle sans qu’il ait eu le temps d’examiner et de corriger les épreuves de cette série d’entretiens : on l’espère pour sa mémoire.
Marc Vignal
Olivier Bellamy : Entretien avec Wolfgang A. Mozart. Plon, 2012, 141 p.