Mardi 19 mars 2024
Le cabinet de curiosités par François Lafon

Sur son site Slipped disc, le journaliste anglais Norman Lebrecht donne le top ten « réel » des œuvres contemporaines les plus jouées de par le monde. Aucun Français dans la liste, même pas les gloires internationales que sont Henri Dutilleux et Pierre Boulez. Qu’ils ne se vexent pas : Steve Reich, Wolfgang Rihm, Krzystof Penderecki, Michael Nyman n’y sont pas non plus. The winners are : Karl Jenkins, Joan Tower, Tan Dun, Joby Talbot, Nathaniel Stookey, Howard Goodall, Christopher Rouse, Colin Mathews, Phil Glass et Detlev Glanert. Vous ne les connaissez pas tous ? C’est que les plus joués ne sont pas forcément les plus médiatisés. D’abord, ceux qui composent essentiellement des œuvres pour orchestre ont plus de chances d’être programmés que les autres : une pièce contemporaine, cela fait bon effet dans une saison. Mais ce sont surtout les compagnies de danse qui faussent les statistiques. Qui est ce Joby Talbot, classé quatrième ? Un chouchou de Carolyn Carlson, un habitué du Royal Ballet de Londres. Et Dieu sait si le ballet contemporain est grand consommateur de musique contemporaine ! Significativement, les dix compositeurs éliminés du top ten mais présents dans le top twenty sont beaucoup plus connus. On y trouve George Benjamin, Oliver Knussen, John Adams, John Corigliano, Elliott Carter, Magnus Lindberg et Kaija Saariaho. Toujours pas de Français. Où sont les Pascal Dusapin, Eric Tanguy, Bruno Mantovani, Thierry Escaich, qui tiennent ici le haut du pavé ? Eh bien, en France, justement.

lundi 29 mars 2010 à 06h21

Une biographie, c’est en soi un exercice de haute voltige. Mais quand il s’agit de la biographie d’un interprète, le risque est décuplé. Quel plan adopter ? Quelle méthode suivre ? Impossible de jongler avec le schéma vie-œuvre (ne serait-ce que pour le refuser), comme pour un écrivain ou un compositeur.  Dans Martha Argerich, l’Enfant et les sortilèges, Olivier Bellamy esquive habilement les précipices.  Qu’est-ce qui fait de Martha Argerich une artiste à part ? Sa façon de jouer du piano,  d’abord, sa vie ensuite, ou le contraire ? La vie, ce livre la détaille période par période, on serait tenté d’écrire acte par acte. Tout y est, plaisamment raconté, avec des détails qui serviront de références, car la dame est une reine de l’esquive, et ne se laisse surprendre que par quelques élus prêts à la suivre dans ses errances. Comme sa vie est un roman, comme ses rencontres et tribulations sont à la hauteur de sa personnalité, on ne s’ennuie pas. Les fans apprécieront, et même se délecteront. Les autres liront cela comme un roman, justement, sans trop s’arrêter à tout ce qui nécessite une bonne connaissance préalable des milieux de la musique en général et du piano en particulier. C’est pour eux, probablement, que l’auteur multiplie les superlatifs, comme pour bien indiquer que tous les acteurs de cette histoire sont des oiseaux rares. Une fois le livre refermé, vient la double question : en quoi cette artiste est plus intéressante qu’une autre, en quoi mérite-t-elle qu’on lui consacre une telle somme ? Là, il faut écouter les disques, ou – mieux dans le cas de cette grande instinctive – aller l’écouter en live. En fait, ce genre de livre sert à cela : entretenir le mystère. 

François Lafon

Martha Argerich, l’Enfant et les sortilèges, par Olivier Bellamy. Buchet-Chastel - 272 pages, 23 euros. 

samedi 27 mars 2010 à 15h18

« Quand l’amour va, tout va », ce qui n’est pas le cas à Lyon entre le directeur administratif de l’Orchestre National, Laurent Langlois, et son directeur musical, Jun Märkl. On a d’abord cru qu’il s’agissait d’un choc de personnalités, de la rencontre explosive d’un maestro jaloux de ses prérogatives (son arrivée à la tête de l’Orchestre ne s’était pas passée sans remous) avec un patron engagé par la mairie pour dépoussiérer l’institution. Venu de Rouen, Laurent Langlois s’est notamment fait un nom en conférant au festival Octobre en Normandie une aura iconoclaste qui n’était pas pour déplaire aux édiles locaux et nationaux. A Lyon, il a été accueilli comme le Grand Méchant Loup, et s’est apparemment ingénié à mériter ce titre, en imposant ses hommes, en ne regardant pas à la dépense, en faisant passer ses réformes à la hussarde au lieu d’optimiser les forces en présence. Lyon Capitale.fr précise que si le contrat de Jun Märkl est consultable sur Internet, celui de Laurent Langlois ne l’est pas. Ambiance.Dernier chapitre en date de la guerre des nerfs : l’engagement d’une directrice de la Communication derrière le dos de Märkl, lequel n’a déjà pas apprécié que sa photo sur le programme de la saison prochaine soit remplacée par … la tête de Guignol. Résultat : dépôt d’un recours devant le Tribunal administratif. Bon, ce n’est pas la première fois qu’une bataille de chefs pourrit la vie d’une institution : on se rappelle celle qui a opposé Hugues Gall et Myung-Whun Chung à l’Opéra de Paris, et qui s’est terminée (assez rapidement, heureusement) par le départ du second. Ce sera le cas à Lyon, puisque Märkl n’a pas renouvelé son contrat, qui se termine fin 2011. En attendant, les habitants du quartier de La Part-Dieu vérifient chaque matin si l’Auditorium est toujours debout. On se demande ce que le chef américain Leonard Slatkin, qui avait été approché avant l’arrivée de Langlois pour prendre les rênes de l’Orchestre, pense de tout cela.

lundi 22 mars 2010 à 09h29
Robert Badinter aime beaucoup l'opéra. Pas étonnant de la part d'un avocat : on s'assassine beaucoup dans le monde lyrique (sur scène bien sûr ; en coulisse, les crimes sont plus métaphoriques). En ce moment, il écrit un livret pour le compositeur Thierry Escaich. Le thème : les dernières heures d'un condamné à mort. Comme il est co-commissaire, avec Jean Clair, de l'exposition « Crime et châtiment » au Musée d'Orsay, il ne sort pas de son sujet. Il a déjà, en 1995, tâté de la scène avec C.3.3, une pièce sur la condamnation d'Oscar Wilde pour homosexualité (C.3.3., c'est le numéro de la geôle de Reading où l'écrivain a été enfermé). Le spectacle a remporté un « succès d'estime », c'est à dire qu'il n'a pas marché, et la pièce, qui tient davantage de la plaidoirie que de l'action dramatique, n'a jamais été reprise. Un livret d'opéra, c'est plus contraignant, mais aussi plus sécurisé. Impossible d'être bavard, la musique, qui ralentit tout, vous oblige à condenser. Difficile d'être dogmatique : la musique, qui travaille dans le sensible, va vous contredire. Interdit de pratiquer le double-sens, le non-dit, le sous-texte : la musique est là pour ça. Envahissante, la musique ? Pas si elle sait dialoguer avec l'action. L'opéra, qui est affaire de dialectique, lui demande avant tout de ne pas faire cavalier seul. Pourquoi ne donne-t-on jamais Pénélope ? Parce que la musique de Fauré est superbe, mais elle roule toute seule, indifférente à ce qui se passe sur scène. En revanche, Paillasse fonctionne très bien, et tant pis pour ceux qui en trouvent (à raison) la musique grossière. Ne voyez dans tout cela aucun non-dit quant à l'association de Thierry Escaich, compositeur spécialisé dans la musique sacrée, avec Robert Badinter, l'homme qui a fait abolir la peine de mort en France. Dans l'imagerie populaire, l'image de la guillotine se découpe souvent sur fond de ciel sans nuage.

Exposition Crime et châtiment. Jusqu'au 27 juin. Paris, Musée d'Orsay.

Polémique à la Scala de Milan à propos de la mise en scène du Tannhäuser de Wagner par La Fura dels Baus. Images choc, éclairages virtuoses, vidéos en folie : le collectif catalan déploie son arsenal habituel. Mais la grande idée du spectacle est que la rédemption de l'artiste déchiré entre l'empire des sens et l'aspiration à la pureté passe mieux si l'action est transposée dans une Inde colorée par le folklore bollywoodien. L'argument est recevable : là-bas, on fait encore la route à pied pour aller se purifier dans les eaux du Gange, alors qu'ici, on n'a pas encore vu Michel Houellebecq déguisé en Tannhäuser, se traînant jusqu'à Rome pour recevoir l'absolution papale.
Puisque l'actualisation est à la mode, il faut bien trouver des équivalences culturelles. On a vu à l'Opéra Bastille un Barbier de Séville déplacé par Colline Serreau dans le Maghreb (où l'on enferme encore les filles à marier), à la Cartoucherie un Tartuffe devenu islamiste par les bons soins d'Ariane Mnouchkine, et au Châtelet un Padmâvati (de Roussel) déjà bollywoodien, avec éléphants roses et jeunes premiers gominés. Les civilisations traditionnelles sont décidément bien utiles pour donner un coup de jeune (si l'on ose dire) à des intrigues qui ne sont plus de chez nous. C'est toujours plus raffiné que de transporter la prison de Fidelio à Guantanamo ou le séisme du Roi d'Ys à Haïti. Ce qui a le plus choqué, dans le Tannhäuser de La Scala, c'est la scène filmée où l'on voit Jean-Paul II vouer à l'enfer ceux qui ont commis le péché de luxure. Comme quoi il n'est pas toujours indispensable d'aller jusqu'en Inde pour se retrouver au XIXème siècle.

Wagner : Tannhäuser. Mise en scène : La Fura Dels Baus – Direction : Zubin Mehta – Milan, Scala, les 20, 24, 27, 30 mars, 2 avril.

“Touche pas à mon hymne”, s'écrient les Canadiens en chœur. Dans le Discours du trône prononcé le 4 mars, le Gouverneur Général Michaëlle Jean a évoqué une éventuelle modification des paroles de l'hymne national O Canada, un chant patriotique composé en 1880 sur un texte français, dont la version bilingue a officiellement succédé en 1980 au God Save the Queen hérité du passé colonial britannique (rappelons que la Reine d'Angleterre est toujours le -la?- chef d'Etat du Canada). Tollé général ! Il se serait pourtant agi - de manière fort politiquement correcte - de remplacer la formule au masculin "True patriot love in all thy sons command," (« Tu commandes à tous tes fils d'avoir un amour patriotique vrai ») par son équivalent au neutre « True patriot love thou dost in us command » (« Tu nous commandes d'avoir un amour patriotique vrai »), histoire de ne plus exclure les dames de l'affaire. Le plus drôle est que la version neutre est la plus ancienne des deux. Aucun édile, en revanche, ne s'est jamais offusqué de la présence, excluante pour les non-chrétiens, de formules telle « Car ton bras sait porter l'épée/ Il sait porter la croix! », reprise par Jean-Paul II lors de sa visite au Canada en 2002. Est-ce parce que cette dernière phrase figure dans la partie de l'hymne chantée en français, alors que les formules soupçonnées de sexisme n'existent qu'en anglais ? Espérons que la saine réaction des Canadiens empêchera ici qu'un(e) quelconque député(e) zélé(e) ne demande la réécriture du sixième couplet de La Marseillaise, où l'on clame : « Sous nos drapeaux que la victoire/accoure à tes mâles accents ». Il est vrai que nous ne risquons pas grand-chose : des sept couplets de ce long appel au meurtre, on ne connaît que le premier.

Touch me, I'm yours (Touche-moi, je suis à toi). Il ne s'agit pas de racolage sur la voie publique, mais d'une opération « pianos dans la rue », lancée à Barcelone par le Britannique Luke Jerram, en parallèle avec le Concours Maria Canals, qui réunit en ce moment dans la ville quatre-vingt-onze pianistes venus de vingt-six pays. Jusqu'au 26 mars, vingt instruments, répartis dans des lieux très fréquentés, s'offrent à qui veut s'occuper d'eux. Déjà, des élèves des écoles d'art et de design en ont décoré sept sous les arcades de la Plaza Reial : couleurs vives, collages à la Max Ernst, transformation du plus bourgeois des instruments en icônes militantes. Les passants, eux, ne se privent pas de promener leurs doigts sur les claviers, que ce soit pour jouer Au clair de la lune (version catalane) ou la Sonate « Au clair de lune », ou tout simplement pour faire du bruit : rien de plus irrésistible qu'un clavier qui s'offre à vous ! La mairie de Barcelone présente l'opération comme un test de responsabilité civique, et les instruments – qui sont entretenus quotidiennement et couverts la nuit d'un manchon protecteur - feront le bonheur de diverses associations. « Faites ça à Paris, ce sera un massacre », penseront certains. Pas sûr : l'opération a été tentée à Sao Paulo, Sydney et Londres, et aucun piano n'a été vandalisé, ni même abîmé. Il n'y a qu'à Bristol, la plus petite de toutes ces villes, que l'un des quinze instruments exposés a subi les derniers outrages.

Des extraits des divers épisodes de la saga en haute définition et sur écrans géants, Anthony Daniels - interprète du Droïde de protocole C-3 PO - commentant l'action avec sa « voix de majordome britannique zélé » (c'est lui qui parle), une exposition de costumes et d'accessoires : le service après vente de Star Wars se poursuit ce soir à Bercy avec un show réservé à ceux qui connaissent par cœur les six films, mais aussi à ceux qui pourraient grossir leurs rangs et devenir à leur tour des consommateurs de Star Wars sous forme de DVD et autres produits dérivés. Mais le clou de la soirée consiste en la présence live du Royal Philharmonic Orchestra (créé en 1946 par Sir Thomas Beecham) interprétant la musique de John Williams sous la direction du chef et compositeur belge Dirk Brossé. Rappelons que pour l'enregistrement de la bande sonore des six films, John Williams dirigeait le London Symphony Orchestra, excusez du peu.
Un orchestre symphonique, ou le luxe absolu. De quoi faire réfléchir les habitués de la salle Pleyel ou du Théâtre des Champs-Elysées, pour qui la présence d'une centaine de musiciens venus tout exprès pour divertir leurs oreilles et adoucir leurs mœurs n'a rien de particulièrement impressionnant. La musique de Williams, élève de Mario Castelnuovo-Tedesco en composition et de Rosina Lhevinne à la Juilliard School pour le piano, sonne « comme du classique », dans la lignée de celle d'Erich Wolfgang Korngold ou Miklos Rozsa. En 1980, trois ans après la sortie du premier épisode (Un nouvel espoir) et quelques mois après celle du deuxième (L'Empire contre-attaque), le plus ancien orchestre américain, le Symphonique de Saint-Louis, avait fêté son centième anniversaire avec un gala comme on sait les organiser au pays de l'entertainment. Après l'entracte, Leonard Slatkin, à l'époque directeur musical de l'orchestre, avait cédé sa baguette à John Williams himself, pour diriger en direct la BO de Star Wars. Les invités, en smokings et robes du soir, étaient monté sur les sièges pour crier leur joie. Qu'aurait-il fait une fois la saga entrée dans la légende ? Le concert de Bercy va est peut-être nous donner la réponse.

Star Wars en concert. Palais Omnisports de Bercy, 17 mars, 16 h et 20h30. Places 51 euros et 99,50 euros. avosbillets.com

mardi 16 mars 2010 à 00h01
Vous vous rappelez, Orange Mécanique de Stanley Kubrick ? C'était en 1971. On y voyait Alex (Malcolm McDowell), drogué à Beethoven et à l'ultra-violence, soigné de son ultra-violence à coups de Beethoven, qu'il ne pouvait plus écouter sans être instantanément pris de nausée. Folle fiction inspirée d'un roman de ce fou d'Anthony Burgess ? Eh bien, quarante ans plus tard, la réalité rattrape la fiction. A Derby (Grande-Bretagne), il y a une école où l'on oblige les élèves les plus indisciplinés à écouter du Mozart et du Ravel. Résultat : 60% d'incivilités en moins. Brendan O'Neill, animateur du site spiked-online.com ("dopage en ligne.com") et auteur d'un essai intitulé Weaponizing Mozart (qu'on pourrait traduire par « Comment transformer Mozart en arme ») déclare que l'école en question n'hésite pas à « donner ainsi un grand coup sur la tête des délinquants ». Un grand coup sur la tête, Mozart ? Allez dire ça aux gens qui cassent leur tirelire pour aller s'en délecter à Aix ou à Salzbourg ! Cette thérapie de choc nous rappelle que :
1 – Les enfants n'aiment pas la musique classique. Leur oreille est formée à des harmonies basiques, aisément reconnaissables et peu fatigantes pour les cellules grises.
2 – Le système scolaire a abandonné l'idée de transmettre aux élèves les clés de la culture.
3 – Pour le peuple, la musique est plus que jamais une affaire de gens chics, à laquelle ils n'a pas accès.
En Angleterre, au Pays de Galle et en Irlande du Nord, les pouvoirs publics ont trouvé un moyen infaillible d'empêcher les attroupements de jeunes dans les parcs et autres lieux publics : on y diffuse de la musique classique à fort régime. C'est plus efficace et moins dangereux que la petite boite à ultrasons (illégalement) utilisée chez nous, et destinée à troubler l'oreille interne des moins de vingt-cinq ans (tiens, presque comme dans Orange mécanique). La musique comme agent excluant : on connait des mélomanes qui aimeraient moins Mozart s'il n'avait cette vertu. Quand durcira-t-on le ton en passant de Mozart à Schoenberg ? Là, il faudra faire attention : les mélomanes risquent de fuir et les jeunes d'aimer.
Carmen de Bizet et Andrea Chénier de Giordano, deux intégrales d'opéras enregistrées en studio et éditées par Decca. Impensable dans la conjoncture actuelle ? Non, puisqu'elles ont pour tête d'affiche Andrea Bocelli, le ténor non voyant. Les plateaux, autour de la pop star, n'ont rien de déshonorant : Carmen est dirigé par Myung-Whun Chung, avec l'habituée du rôle-titre Marina Domashenko et Bryn Terfel himself chantant Escamillo, et Chénier réunit Violeta Urmana, Lucio Gallo et le chef Marco Armiliato, tous habitués des scènes internationales. Dans des conditions similaires, Bocelli a déjà enregistré quelques rôles poids-lourds : La Bohème, Tosca, Le Trouvère, Werther, Cavelleria Rusticana, Paillasse et même le Requiem de Verdi sous la baguette de Valery Gergiev. Qui va lui jeter la pierre ? Il pourrait se contenter de gagner beaucoup d'argent en susurrant des remix de Con te partiro. Tout de même, son éditeur hésite à envoyer les disques aux critiques, et ceux-ci sont mal à l'aise : difficile de tirer sur un handicapé. Expérience intéressante : organiser avec quelques amis une écoute à étiquette cachée (on n'ose dire à l'aveugle). Dans le lecteur : Andrea Chénier. Perplexité générale : « C'est Pavarotti en fin de carrière ? » ; « Il ne manque pas de charme, mais il a du mal » ; « Apparemment, il y a un montage par note ». On passe à Carmen. « C'est le même ? » ; « Il croone » ; « Il ne fait pas ça sur scène, quand même ? ». Une fois dévoilé le pot aux roses, silence gêné : « Il n'y arrive pas, mais il se passe quelque chose ». Ce quelque chose, c'est ce qu'entendent les fans. Alors, ce qu'en disent les critiques …
 
samedi 13 mars 2010 à 00h02

« Vergogna ! », comme on dit là-bas. Le 28 février, le Bach Consort, un ensemble venu de Russie, joue Vivaldi en matinée dans le cadre imposant du Panthéon de Rome. Entre deux mouvements, une gardienne du monument interrompt les musiciens et annonce que celui-ci ferme le dimanche à 18 heures et il va falloir l'évacuer. Consternation, remous divers. La musique reprend. Arrive alors un collègue de la dame, qui répète l'ordre sur un ton plus ferme. Scandale, insultes : l'affaire remonte jusqu'au ministre de la Culture, Sandro Bondi, lequel se fend d'une lettre d'excuse aux musiciens. Un communiqué officiel est publié, fustigeant « un acte irresponsable, qui porte atteinte à la réputation et à l'économie de la ville ». L'histoire ne dit pas si les employés zélés ont été renvoyés. Que celui, coincé au milieu d'un rang un jour où le concert était particulièrement ennuyeux, qui n'a pas prié pour qu'un incident de ce genre arrive, leur jette la première pierre.

Si Anna Nicole fait autant de grabuge que Jerry, Covent Garden tiendra mieux qu'un succès, un scandale! Vous ne comprenez rien ? Explication : Anna Nicole (Smith), c'est une playmate aux allures de Marilyn, qui a épousé un magnat du pétrole de soixante-trois ans son aîné avant de mourir d'une overdose en 2007. A partir de cette histoire dont les tabloïds britanniques n'ont pas manqué un épisode, le compositeur Mark Anthony Turnage et le librettiste Richard Thomas ont imaginé un opéra qui sera créé le 17 février 2011 sur la première scène lyrique du royaume. Richard Thomas est célèbre en Angleterre pour être l'auteur de Jerry Springer, the opera (2003), un musical qui a mis en émoi les ligues de vertu et dont le héros est l'animateur d'une émission de télé trash, où l'on voit couples et familles laver leur linge sale devant un public chargé d'attiser le feu (le show en question est diffusé ici sur une chaîne câblée - je ne vous dirai pas laquelle -, et il en existe même une version française). Mis en scène par le très sérieux Richard Jones, Anna Nicole sera incarnée par la soprano néerlandaise Eva-Maria Westbroek, que l'on a vue à Aix dans La Walkyrie et à la Bastille en Lady Macbeth de Mzensk. Imaginez Pascal Dusapin s'associant avec Laurent Ruquier pour un écrire un opéra sur Lolo Ferrari ! Ici, on préfère commander un Faust à Philippe Fénelon (première parisienne le 17 mars au Palais Garnier). Cela fait moins jaser, mais la réputation du service public est sauve.
mercredi 10 mars 2010 à 00h42
Grande polémique autour de l'album d' « inédits galactiques » de Jimi Hendrix intitulé Valleys of Neptune : fallait-il remixer et publier, quarante après la mort du musicien, des bandes qu'il aurait peut-être laissées au fond d'un tiroir, ou qu'il aurait retravaillées à sa manière ? Sur le site Rue 89, un internaute répond à ceux qui invoquent les mânes de l'artiste que « Kafka avait demandé à son exécuteur testamentaire Max Brod de détruire tous ses écrits après sa mort. C'est grâce à la désobéissance de Brod que nous sont parvenus Le Château et Le Procès ». Le problème est insoluble : Maria Callas avait interdit la publication de son enregistrement de « Mon cœur s'ouvre à ta voix » (Saint-Saëns, Samson et Dalila), qui est aujourd'hui considéré comme un grand moment de sa discographie. Plus récemment, le pianiste Krystian Zimerman a fait retirer des catalogues quelques-uns de ses plus beaux disques (les Valses de Chopin, les Ballades de Brahms). A-t-on eu raison de passer outre la volonté de Callas une fois qu'elle n'a plus été là ? Zimerman a-t-il tort de faire passer son jugement personnel avant la vox populi ? A-t-on par ailleurs le droit de confronter l'unique Sonate op.1 pour piano d'Alban Berg à ses Variations sur un thème original, une œuvre de jeunesse qu'il a vigoureusement reniée, ou de fouiller les poubelles de Verdi pour reconstituer une partition de Don Carlos qu'il a lui-même élaguée avant la première ? Le meilleur argument à plaider en faveur des tenants de la volonté de l'auteur pourrait bien être la rareté. Apprécierait-on autant Eschyle si l'on possédait les cent-dix pièces qu'il a écrites, au lieu de devoir se contenter des sept chefs-d'œuvre qui nous sont parvenus ? Il est vrai que dans ce cas, ce sont les siècles qui en ont décidé.
Trois dates dans la carrière du ténor britannique Philip Langridge. En juillet 1982, au festival d'Aix-en-Provence, il tient le rôle principal dans Les Boréades de Jean-Philippe Rameau. L'événement fait un certain bruit, l'ouvrage ayant dû attendre deux-cent-dix-huit ans pour être représenté. En juin 1985, il est Ottavio dans Don Giovanni, monté par Jean-Pierre Ponnelle dans le cadre du festival Mozart lancé par Daniel Barenboim au Théâtre des Champs-Elysées. En 1994 enfin, il chante Peter Grimes de Benjamin Britten à l'English National Opera dans une mise en scène à la pointe sèche de Tim Albery. Grand style français, discipline mozartienne, tradition anglaise. Dans Les Boréades, il indique la voie aux ténors aigus qui vont lui succéder dans ce répertoire enfin redécouvert. Dans Don Giovanni, il fait d'Ottavio, que l'on montre généralement en porte-traîne de Donna Anna, un double chevaleresque du Grand Seigneur méchant homme. Dans Peter Grimes, il mêle l'ambiguïté de Peter Pears, le créateur du rôle, et la violence de Jon Vickers, le « recréateur » de ce marin qui pourrait bien être un assassin. Philip Langridge est mort à soixante-et-onze ans, le 5 mars, d'un cancer fulgurant. A Noël, il était encore sur la scène du Metropolitan Opera de New York, en Sorcière mangeuse d'enfants dans Hänsel et Gretel d'Humperdinck. Il aura décidément tout chanté, et bien.
 


Pour le voir et l'entendre :
Britten : Peter Grimes - 1 DVD Arthaus Musik – Rameau : Les Boréades - 3 CD Erato

Bonne nouvelle pour les musiciens : la pratique de leur art améliore leurs fonctions cérébrales. Cela commence très tôt, si l'on en croit les experts réunis fin 2009 à l'Université d'Austin, au Texas. Au bout d'un an de formation, l'enfant musicien a un cortex auditif différent de celui de ses camarades : mémoire, capacité d'attention et même aptitude au langage sont stimulées. Et cela s'améliore avec l'âge : entre dix et treize ans, les progrès s'accélèrent. Cela se remarque particulièrement chez les sujets atteints de déficits du langage (l'aphasie) ou de l'identification des mots écrits (la dyslexie). Des analyses plus fines ont montré que les régions du cerveau concernées ne sont pas exactement les mêmes selon que l'on étudie le piano (instrument polyphonique), le violon ou que l'on chante. Qu'à cela ne tienne : faites de la musique et vous deviendrez plus intelligent. « Ah non, rien à voir, rectifie le professeur Antoine Sahin, de l'Université de Columbus. L'éducation musicale ne conduit pas nécessairement à améliorer le QI ni la créativité ». Quant à l'intelligence, c'est une notion variable, dont l'appréciation dépend, chez l'enfant, des origines sociales, de l'éducation et du niveau culturel des parents. Glenn Schellenberg, professeur à l'Université de Toronto, indique cependant que « la pratique de la musique et même son écoute passive peuvent aider à accomplir certains tests cognitifs ». Cela marche rien qu'en écoutant Mozart ? « Beaucoup moins bien », répondent en substance ces dignes scientifiques. « Et puis, ajoute Schellenberg, pour les adultes, les effets de la cognition musicale sont plus difficiles à cerner ». Moralité : faites étudier la musique à vos enfants et écoutez autant de Mozart que vous voudrez. Rien de tout cela ne peut vous faire de mal.
Eric Rohmer hier, Bernard Coutaz aujourd'hui : les pionniers de la nouvelle vague, qu'elle soit discographique ou cinématographique, s'en vont. Sous la dénomination bien trouvée d'Harmonia Mundi, Bernard Coutaz a commencé par enregistrer des orgues, il a fait d'Alfred Deller une star en un temps où la voix de contre-ténor provoquait des ricanements gênés, puis il est devenu, avec René Jacobs (à l'époque… contre-ténor), Dominique Visse (idem), William Christie, Philippe Herreweghe et quelques autres, l'éditeur des voix à l'ancienne et des instruments d'époque. Installé à Saint-Michel de Provence, Harmonia Mundi avait alors des allures baba cool qui allaient bien avec les artistes et leur public. Les éditeurs sérieux jetaient un regard condescendant sur ces doux rêveurs qui défendaient un répertoire marginal et des partis-pris post-soixante-huitards. Ils avaient tort. Distribution de labels d'art, installation de filiales - d'abord à Londres, puis dans le monde entier -, diffusion de collections de livres, achat des éditions Chant du Monde, ouverture de boutiques permettant d'échapper à la dictature de la grande diffusion : un demi-siècle après sa création, Harmonia Mundi résiste mieux à la crise que les dinosaures internationaux. Christie est parti, mais Herreweghe et Jacobs (maintenant chef d'orchestre) son toujours là, et sont devenus des vedettes. Si enregistrer pour Deutsche Grammophon, c'est entrer à l'Académie, faire des disques chez Harmonia Mundi, c'est un peu donner des cours au Collège de France. Depuis Arles, Eva Coutaz, qui a repris les rênes, reste fidèle aux principes-maison : pas de caprices de stars, mais un travail d'ensemble au service d'une programmation raisonnée. Résultat : une certaine rigidité de fonctionnement, mais un catalogue qui ressemble à quelque chose, aucune concession au marketing (« Ce navet nous permettra de financer des projets exigeants… ») et un public qui sait qu'on ne se moque pas de lui. Dans le sillage de Coutaz - comme de son confrère et rival Michel Bernstein, créateur des disques Valois -, sont apparus ces « petits labels » qui secouent l'institution et entretiennent le flambeau. Merci à eux. Quand le CD sera exposé au Centre Pompidou entre les premiers lave-linge et le stérilisateur de Mon Oncle de Jacques Tati, ce sont peut-être ces disques-là que l'on conservera comme témoins d'un âge d'or.
1er mars : date à laquelle Chopin fêtait son anniversaire. Son acte de baptême indique le 22 février. Bref, il y a à peu près deux-cents ans qu'il est né. Demandez autour de vous de quels musiciens on fête cette année le bicentenaire. « Chopin ! », vous répondra-t-on en chœur. Insistez : « Seulement Chopin ? ». Il n'y en aura pas beaucoup pour se taper sur le front : « Ah oui, Schumann ! ». On comprend que ni le quadricentenaire de Dumont et Lambert, ni même le tricentenaire de Pergolèse et Wilhelm Friedmann Bach ne fasse rêver grand-monde. Mais Schumann, le romantique par excellence, le fou sublime, le découvreur de talents, parmi lesquels … Chopin (« Chapeau bas, Messieurs, un, génie ») ? Eh bien oui, c'est comme ça. Chopin et la Pologne martyrisée, Chopin et George Sand, Chopin mourant poitrinaire à trente-neuf ans, cela fait battre les cœurs, comme si l'artiste était toujours vivant, comme si le charme qui faisait chavirer jeunes filles et duchesses agissait encore.

En revanche, Schumann fou d'amour pour la belle Clara, Schumann fou de jalousie envers le jeune Brahms, Schumann fou tout court se jetant dans le Rhin (et se ratant), cela ne passe plus, cela n'a jamais bien passé. Question de musique aussi, et même d'abord. Chopin, c'est profond, mais ça n'en a pas l'air. Schumann, ça ne l'est pas moins, mais ça se voit. La Valse-minute ou la Polonaise en la, un enfant peu les écouter en boucle. Les Scènes d'enfants, en revanche, c'est quand on est adulte qu'on les apprécie. Voilà : Chopin est plein de nos souvenirs d'enfance. Pas Schumann. Alexandre Tharaud a sorti un récital intitulé « Chopin, journal intime ». Vous imaginez « Schumann, journal intime ? » De quoi devenir fou ! L'année prochaine, ce sera le bicentenaire Liszt. Le sujet est vaste, le personnage charmeur, et sa musique, dont on connaît surtout les pièces de virtuosité, n'a pas la réputation d'être «difficile ». On se trompe : Liszt est aussi difficile que Schumann. Il est seulement moins génial. Et puis il est mort vieux, et l'on s'attendrit surtout sur les anges fauchés en plein vol, comme Chopin. Schumann, lui, est mort entre deux âges. Décidément, il a eu tout faux !

Soirées Chopin sur Arte, le 1er mars avec Alexei Volodine, le 7 avec Rafal Blechacz.

 

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