Sur son site Slipped disc, le journaliste anglais Norman Lebrecht donne le top ten « réel » des œuvres contemporaines les plus jouées de par le monde. Aucun Français dans la liste, même pas les gloires internationales que sont Henri Dutilleux et Pierre Boulez. Qu’ils ne se vexent pas : Steve Reich, Wolfgang Rihm, Krzystof Penderecki, Michael Nyman n’y sont pas non plus. The winners are : Karl Jenkins, Joan Tower, Tan Dun, Joby Talbot, Nathaniel Stookey, Howard Goodall, Christopher Rouse, Colin Mathews, Phil Glass et Detlev Glanert. Vous ne les connaissez pas tous ? C’est que les plus joués ne sont pas forcément les plus médiatisés. D’abord, ceux qui composent essentiellement des œuvres pour orchestre ont plus de chances d’être programmés que les autres : une pièce contemporaine, cela fait bon effet dans une saison. Mais ce sont surtout les compagnies de danse qui faussent les statistiques. Qui est ce Joby Talbot, classé quatrième ? Un chouchou de Carolyn Carlson, un habitué du Royal Ballet de Londres. Et Dieu sait si le ballet contemporain est grand consommateur de musique contemporaine ! Significativement, les dix compositeurs éliminés du top ten mais présents dans le top twenty sont beaucoup plus connus. On y trouve George Benjamin, Oliver Knussen, John Adams, John Corigliano, Elliott Carter, Magnus Lindberg et Kaija Saariaho. Toujours pas de Français. Où sont les Pascal Dusapin, Eric Tanguy, Bruno Mantovani, Thierry Escaich, qui tiennent ici le haut du pavé ? Eh bien, en France, justement.
Une biographie, c’est en soi un exercice de haute voltige. Mais quand il s’agit de la biographie d’un interprète, le risque est décuplé. Quel plan adopter ? Quelle méthode suivre ? Impossible de jongler avec le schéma vie-œuvre (ne serait-ce que pour le refuser), comme pour un écrivain ou un compositeur. Dans Martha Argerich, l’Enfant et les sortilèges, Olivier Bellamy esquive habilement les précipices. Qu’est-ce qui fait de Martha Argerich une artiste à part ? Sa façon de jouer du piano, d’abord, sa vie ensuite, ou le contraire ? La vie, ce livre la détaille période par période, on serait tenté d’écrire acte par acte. Tout y est, plaisamment raconté, avec des détails qui serviront de références, car la dame est une reine de l’esquive, et ne se laisse surprendre que par quelques élus prêts à la suivre dans ses errances. Comme sa vie est un roman, comme ses rencontres et tribulations sont à la hauteur de sa personnalité, on ne s’ennuie pas. Les fans apprécieront, et même se délecteront. Les autres liront cela comme un roman, justement, sans trop s’arrêter à tout ce qui nécessite une bonne connaissance préalable des milieux de la musique en général et du piano en particulier. C’est pour eux, probablement, que l’auteur multiplie les superlatifs, comme pour bien indiquer que tous les acteurs de cette histoire sont des oiseaux rares. Une fois le livre refermé, vient la double question : en quoi cette artiste est plus intéressante qu’une autre, en quoi mérite-t-elle qu’on lui consacre une telle somme ? Là, il faut écouter les disques, ou – mieux dans le cas de cette grande instinctive – aller l’écouter en live. En fait, ce genre de livre sert à cela : entretenir le mystère.
François Lafon
Martha Argerich, l’Enfant et les sortilèges, par Olivier Bellamy. Buchet-Chastel - 272 pages, 23 euros.
« Quand l’amour va, tout va », ce qui n’est pas le cas à Lyon entre le directeur administratif de l’Orchestre National, Laurent Langlois, et son directeur musical, Jun Märkl. On a d’abord cru qu’il s’agissait d’un choc de personnalités, de la rencontre explosive d’un maestro jaloux de ses prérogatives (son arrivée à la tête de l’Orchestre ne s’était pas passée sans remous) avec un patron engagé par la mairie pour dépoussiérer l’institution. Venu de Rouen, Laurent Langlois s’est notamment fait un nom en conférant au festival Octobre en Normandie une aura iconoclaste qui n’était pas pour déplaire aux édiles locaux et nationaux. A Lyon, il a été accueilli comme le Grand Méchant Loup, et s’est apparemment ingénié à mériter ce titre, en imposant ses hommes, en ne regardant pas à la dépense, en faisant passer ses réformes à la hussarde au lieu d’optimiser les forces en présence. Lyon Capitale.fr précise que si le contrat de Jun Märkl est consultable sur Internet, celui de Laurent Langlois ne l’est pas. Ambiance.Dernier chapitre en date de la guerre des nerfs : l’engagement d’une directrice de la Communication derrière le dos de Märkl, lequel n’a déjà pas apprécié que sa photo sur le programme de la saison prochaine soit remplacée par … la tête de Guignol. Résultat : dépôt d’un recours devant le Tribunal administratif. Bon, ce n’est pas la première fois qu’une bataille de chefs pourrit la vie d’une institution : on se rappelle celle qui a opposé Hugues Gall et Myung-Whun Chung à l’Opéra de Paris, et qui s’est terminée (assez rapidement, heureusement) par le départ du second. Ce sera le cas à Lyon, puisque Märkl n’a pas renouvelé son contrat, qui se termine fin 2011. En attendant, les habitants du quartier de La Part-Dieu vérifient chaque matin si l’Auditorium est toujours debout. On se demande ce que le chef américain Leonard Slatkin, qui avait été approché avant l’arrivée de Langlois pour prendre les rênes de l’Orchestre, pense de tout cela.
Polémique à la Scala de Milan à propos de la mise en scène du Tannhäuser de Wagner par La Fura dels Baus. Images choc, éclairages virtuoses, vidéos en folie : le collectif catalan déploie son arsenal habituel. Mais la grande idée du spectacle est que la rédemption de l'artiste déchiré entre l'empire des sens et l'aspiration à la pureté passe mieux si l'action est transposée dans une Inde colorée par le folklore bollywoodien. L'argument est recevable : là-bas, on fait encore la route à pied pour aller se purifier dans les eaux du Gange, alors qu'ici, on n'a pas encore vu Michel Houellebecq déguisé en Tannhäuser, se traînant jusqu'à Rome pour recevoir l'absolution papale.
Puisque l'actualisation est à la mode, il faut bien trouver des équivalences culturelles. On a vu à l'Opéra Bastille un Barbier de Séville déplacé par Colline Serreau dans le Maghreb (où l'on enferme encore les filles à marier), à la Cartoucherie un Tartuffe devenu islamiste par les bons soins d'Ariane Mnouchkine, et au Châtelet un Padmâvati (de Roussel) déjà bollywoodien, avec éléphants roses et jeunes premiers gominés. Les civilisations traditionnelles sont décidément bien utiles pour donner un coup de jeune (si l'on ose dire) à des intrigues qui ne sont plus de chez nous. C'est toujours plus raffiné que de transporter la prison de Fidelio à Guantanamo ou le séisme du Roi d'Ys à Haïti. Ce qui a le plus choqué, dans le Tannhäuser de La Scala, c'est la scène filmée où l'on voit Jean-Paul II vouer à l'enfer ceux qui ont commis le péché de luxure. Comme quoi il n'est pas toujours indispensable d'aller jusqu'en Inde pour se retrouver au XIXème siècle.
Wagner : Tannhäuser. Mise en scène : La Fura Dels Baus – Direction : Zubin Mehta – Milan, Scala, les 20, 24, 27, 30 mars, 2 avril.
Touch me, I'm yours (Touche-moi, je suis à toi). Il ne s'agit pas de racolage sur la voie publique, mais d'une opération « pianos dans la rue », lancée à Barcelone par le Britannique Luke Jerram, en parallèle avec le Concours Maria Canals, qui réunit en ce moment dans la ville quatre-vingt-onze pianistes venus de vingt-six pays. Jusqu'au 26 mars, vingt instruments, répartis dans des lieux très fréquentés, s'offrent à qui veut s'occuper d'eux. Déjà, des élèves des écoles d'art et de design en ont décoré sept sous les arcades de la Plaza Reial : couleurs vives, collages à la Max Ernst, transformation du plus bourgeois des instruments en icônes militantes. Les passants, eux, ne se privent pas de promener leurs doigts sur les claviers, que ce soit pour jouer Au clair de la lune (version catalane) ou la Sonate « Au clair de lune », ou tout simplement pour faire du bruit : rien de plus irrésistible qu'un clavier qui s'offre à vous ! La mairie de Barcelone présente l'opération comme un test de responsabilité civique, et les instruments – qui sont entretenus quotidiennement et couverts la nuit d'un manchon protecteur - feront le bonheur de diverses associations. « Faites ça à Paris, ce sera un massacre », penseront certains. Pas sûr : l'opération a été tentée à Sao Paulo, Sydney et Londres, et aucun piano n'a été vandalisé, ni même abîmé. Il n'y a qu'à Bristol, la plus petite de toutes ces villes, que l'un des quinze instruments exposés a subi les derniers outrages.
Des extraits des divers épisodes de la saga en haute définition et sur écrans géants, Anthony Daniels - interprète du Droïde de protocole C-3 PO - commentant l'action avec sa « voix de majordome britannique zélé » (c'est lui qui parle), une exposition de costumes et d'accessoires : le service après vente de Star Wars se poursuit ce soir à Bercy avec un show réservé à ceux qui connaissent par cœur les six films, mais aussi à ceux qui pourraient grossir leurs rangs et devenir à leur tour des consommateurs de Star Wars sous forme de DVD et autres produits dérivés. Mais le clou de la soirée consiste en la présence live du Royal Philharmonic Orchestra (créé en 1946 par Sir Thomas Beecham) interprétant la musique de John Williams sous la direction du chef et compositeur belge Dirk Brossé. Rappelons que pour l'enregistrement de la bande sonore des six films, John Williams dirigeait le London Symphony Orchestra, excusez du peu.
Un orchestre symphonique, ou le luxe absolu. De quoi faire réfléchir les habitués de la salle Pleyel ou du Théâtre des Champs-Elysées, pour qui la présence d'une centaine de musiciens venus tout exprès pour divertir leurs oreilles et adoucir leurs mœurs n'a rien de particulièrement impressionnant. La musique de Williams, élève de Mario Castelnuovo-Tedesco en composition et de Rosina Lhevinne à la Juilliard School pour le piano, sonne « comme du classique », dans la lignée de celle d'Erich Wolfgang Korngold ou Miklos Rozsa. En 1980, trois ans après la sortie du premier épisode (Un nouvel espoir) et quelques mois après celle du deuxième (L'Empire contre-attaque), le plus ancien orchestre américain, le Symphonique de Saint-Louis, avait fêté son centième anniversaire avec un gala comme on sait les organiser au pays de l'entertainment. Après l'entracte, Leonard Slatkin, à l'époque directeur musical de l'orchestre, avait cédé sa baguette à John Williams himself, pour diriger en direct la BO de Star Wars. Les invités, en smokings et robes du soir, étaient monté sur les sièges pour crier leur joie. Qu'aurait-il fait une fois la saga entrée dans la légende ? Le concert de Bercy va est peut-être nous donner la réponse.
Star Wars en concert. Palais Omnisports de Bercy, 17 mars, 16 h et 20h30. Places 51 euros et 99,50 euros. avosbillets.com
« Vergogna ! », comme on dit là-bas. Le 28 février, le Bach Consort, un ensemble venu de Russie, joue Vivaldi en matinée dans le cadre imposant du Panthéon de Rome. Entre deux mouvements, une gardienne du monument interrompt les musiciens et annonce que celui-ci ferme le dimanche à 18 heures et il va falloir l'évacuer. Consternation, remous divers. La musique reprend. Arrive alors un collègue de la dame, qui répète l'ordre sur un ton plus ferme. Scandale, insultes : l'affaire remonte jusqu'au ministre de la Culture, Sandro Bondi, lequel se fend d'une lettre d'excuse aux musiciens. Un communiqué officiel est publié, fustigeant « un acte irresponsable, qui porte atteinte à la réputation et à l'économie de la ville ». L'histoire ne dit pas si les employés zélés ont été renvoyés. Que celui, coincé au milieu d'un rang un jour où le concert était particulièrement ennuyeux, qui n'a pas prié pour qu'un incident de ce genre arrive, leur jette la première pierre.
Pour le voir et l'entendre :
Britten : Peter Grimes - 1 DVD Arthaus Musik – Rameau : Les Boréades - 3 CD Erato
En revanche, Schumann fou d'amour pour la belle Clara, Schumann fou de jalousie envers le jeune Brahms, Schumann fou tout court se jetant dans le Rhin (et se ratant), cela ne passe plus, cela n'a jamais bien passé. Question de musique aussi, et même d'abord. Chopin, c'est profond, mais ça n'en a pas l'air. Schumann, ça ne l'est pas moins, mais ça se voit. La Valse-minute ou la Polonaise en la, un enfant peu les écouter en boucle. Les Scènes d'enfants, en revanche, c'est quand on est adulte qu'on les apprécie. Voilà : Chopin est plein de nos souvenirs d'enfance. Pas Schumann. Alexandre Tharaud a sorti un récital intitulé « Chopin, journal intime ». Vous imaginez « Schumann, journal intime ? » De quoi devenir fou ! L'année prochaine, ce sera le bicentenaire Liszt. Le sujet est vaste, le personnage charmeur, et sa musique, dont on connaît surtout les pièces de virtuosité, n'a pas la réputation d'être «difficile ». On se trompe : Liszt est aussi difficile que Schumann. Il est seulement moins génial. Et puis il est mort vieux, et l'on s'attendrit surtout sur les anges fauchés en plein vol, comme Chopin. Schumann, lui, est mort entre deux âges. Décidément, il a eu tout faux !
Soirées Chopin sur Arte, le 1er mars avec Alexei Volodine, le 7 avec Rafal Blechacz.