Mardi 19 mars 2024
Le cabinet de curiosités par François Lafon
lundi 31 mai 2010 à 10h01

Parmi les mille quatre cents entrées du Dictionnaire encyclopédique Wagner, chez Actes Sud : haute couture, Bouddha, Racine, Darwin, androgyne, bourgeoisie, archaïsme, animaux, orientalisme, idéalisme, lieux communs, sublime, changement à vue, opéra culinaire, totalité, ennui, mégalomanie, polissonneries, chasteté, antisémitisme, totalitarisme, dégénérescence, dessin animé, monologue intérieur, George Lucas, Robbe-Grillet, femme et crise de l’identité, pantomime, culture de masse, mangas, Marcuse, onomastique et toponymie, peuple, réseaux, responsabilité, synesthésie, Tolstoï, Van Gogh, Chaplin. Trente-cinq rédacteurs s’y sont mis,  sous la direction de Timothée Picard, professeur de littérature comparée à Rennes. Le pavé (2500 pages) est tout à la fois indigeste et passionnant. Indigeste, un dictionnaire ? On n’est pas obligé de tout lire à la fois. Non, mais quand on se plonge dans celui-ci, on subit les sortilèges du chromatisme wagnérien : comme dans Tristan ou Parsifal, les motifs s’enchaînent et ne nous lâchent plus. Et puis la vastitude du sujet est telle qu’on en ressort à la fois incollable et passablement perdu. Aucun autre musicien - pas même Mozart, ni Beethoven, ni Verdi - ne se prête à un tel tir groupé, et ne continue à soulever avec autant d’acuité les sujets qui fâchent comme ceux qui charment. « Ne peut-on aimer aujourd’hui Wagner que malgré ? » demande Picard dans la postface. Trente-quatre des trente-cinq rédacteurs de ce monument sont français ou francophones. Comme aime à le dire Nike (page 672 dans le livre, fille de Wieland, spécialiste du satiriste Karl Kraus et prétendante malheureuse à la direction de Bayreuth) : si les Français aiment tant Wagner, c’est parce que « Hoïotoho ! » (cri de la Walkyrie)  et  « Johohoe ! Johoe ! » (appel de Senta dans Le Vaisseau fantôme) les font moins rire que les Allemands.

François Lafon

Dictionnaire encyclopédique Wagner, sous la direction de Timothée Picard. Actes Sud/Cité de la Musique, 2495 p., 79 euros. 

jeudi 27 mai 2010 à 16h18

Il y a eu le nouveau Gérard Philipe (Bernard Verley, qui a dû attendre l’âge mûr pour faire carrière), les nouvelles Callas (paix à leurs voix), le nouveau Domingo (un nommé Villazon), le Karajan de l’an 2000 (Simon Rattle, qui n’a rien à voir avec son prédécesseur à Berlin). Voilà qu’à la nouvelle de l’hospitalisation de Claudio Abbado, lequel est en sursis depuis que la maladie a failli l’emporter il y a une dizaine d’années, le critique anglais Norman Lebrecht se demande dans son blog Slipped disc : « Qui est le nouvel Abbado ? » Pour Mariss Jansons, qui multiplie les attaques cardiaques et vient encore d’une subir une, Lebrecht ne se fait pas trop de soucis : son élève et compatriote (letton) Andris Nelsons est en train de devenir une valeur sûre. Mais Abbado, c’est un monde à lui seul. Italien de culture et Viennois de formation, il restera dans l’histoire pour avoir été le plus grand directeur musical de la Scala de Milan depuis Toscanini (pardon Riccardo Muti) et le digne successeur de Karajan à Berlin, mais aussi pour avoir, ces dernières années, vécu un été indien jalonné de concerts rares mais exceptionnels, dont les symphonies de Mahler avec l’Orchestre de super-solistes qu’il a créé à Lucerne sont les meilleurs témoignages. Tout cela restera unique, au même titre que l’engagement d’Abbado en faveur de la musique contemporaine et que son compagnonnage politique et artistique avec Maurizio Pollini et Luigi Nono. Et modeste avec cela. Eliette von Karajan, qui s’y connaît en psychologie des rois de la baguette, l’appelle Piccolino (qu’on peut traduire par  « cher petit »), ce qui, en l’occurrence, n’a rien de péjoratif. 

François Lafon

Les Argentins peuvent être fiers. Après trois années de travaux (commentées dans un riche site en espagnol), le Teatro Colón de Buenos Aires  a rouvert ses portes ce 24 mai. Cela tombe à pic : l’Argentine fête ces jours-ci le bicentenaire de la révolution qui a conduit à son indépendance. Deux siècles après, le pays continue à se mesurer  au Vieux Continent, comme on le voit dans les commentaires de la presse : «  Un travail d’un niveau qui même en Europe serait impensable, » dit une architecte à propos de cette restauration. Il est vrai que  rendre son lustre à cette vieille dame (102 ans, tout de même) n’a pas été une mince affaire. A la fin des années 1980, on était allé jusqu’à supprimer le système anti-incendie, et la vétusté des équipements était manifeste. Il fallait que ce bâtiment de 60.000 mètres carrés retrouve son aspect délicieusement éclectique, tout en préservant une acoustique considérée comme l’une des meilleures du monde : ce dernier point est un motif (légitime) de fierté patriotique.

Pour des raisons politiques, la présidente de la République, Cristina Fernández de Kirchner a boycotté la fête. Les invités de marque de cette réouverture (ils étaient 2487, si toutes les places étaient occupées) ont assisté au troisième acte du Lac des cygnes puis au deuxième de la Bohème. La fête finie et l’exaltation nationale retombée, le plus difficile reste à faire. Le Colón est certes une merveille architecturale, mais il y a encore du travail avant qu’il ne retrouve le prestige et les distributions qui pendant quelques décennies ont fait de lui l’une des grandes scènes lyriques au monde.

Pablo Galonce

C’est un livre en forme de cahier avec des pages numérotées mais il est conseillé d’y entrer un peu au hasard. Pierre Boulez. Un certain parcours est édité par l’Orchestre de Paris alors que la formation offre cette semaine à la Salle Pleyel deux concerts en hommage au compositeur : le premier (27 mai) est consacré à des fragments d'œuvres des maîtres (Messiaen, Bartok, Webern, Stravinsky… ), le deuxième (le 28 mai) à la génération d’après-guerre (Berio, Stockhausen, Ligeti et… Boulez) et à celle qui est en train de prendre la relève (Dalvabie, Robin, Grime).


Le livre, plus qu’un super-programme de concert, est surtout un portrait musical éclaté en mille fragments et richement illustré. Boulez répond d’abord aux questions d’Eric Picard, violoncelliste de l’Orchestre de Paris et livre cette définition sur son métier : « le créateur est un prédateur qui transforme la moindre impulsion qu’il est en état de recevoir et en fait une trouvaille irrémédiablement personnelle. » Mais la partie la plus révélatrice est peut-être celle où les musiciens racontent leurs expériences avec le maître. Les musiciens de l’Orchestre de Paris (90 concerts avec Boulez depuis 1976) esquissent des mini-portraits (« épicurien à l’esprit vif et à l’humour corrosif », propose quelqu’un), tandis que les membres de l’Ensemble Intercontempoain offrent surtout des souvenirs sur la manière de travailler de Pierre Boulez le chef d’orchestre : « Je me souviens de la première répétition d’une pièce très complexe de Ferneyhough. Chacun devait jouer un maximum de notes, de nuances et de modes de jeu en très peu de temps. Vous [Pierre Boulez]dirigiez tout cela avec un calme absolu. A un moment donné, vous vous êtes arrêté, vous avec regardé l’un des musiciens qui devait jouer seul une sorte de cadence et vous lui avez dit ‘Tu as deux secondes pour raconter toute ta vie. »

Pablo Galonce

Pierre Boulez. Un certain parcours. 10 euros. Le livre sera à la vente à la Salle Pleyel les 27 et 28 mai, et dans certaines librairies parisiennes.

Concert : les 27 et 28 mai, 20 h, Paris, Salle Pleyel. Les deux concerts seront diffusés gratuitement et en direct sur Arte Live Web et orchestredeparis.com, puis disponibles en streaming pendant deux mois. Mezzo diffuse en direct le concert du 27 mai.  

Mais qui est donc ce William Shimell, qui partage avec Juliette Binoche l’affiche de Copie Conforme, le film d’Abbas Kiarostami en compétition à Cannes et sorti en salle le 19 mai ? Binochisée jusqu’à l’extase (comme le jury, qui a donné  à l’actrice le prix d’interprétation), la presse cinéma n’en dit pas grand-chose, comme étonnée que ce quinquagénaire aux tempes argentées, que l’on n’avait jamais vu sur un écran, se comporte en  habitué des sunlights. Les mélomanes eux-mêmes ont cru à un homonyme : il y a bien eu un baryton nommé Michel Roux, spécialiste de Golaud dans Pelléas et Mélisande, et qui n’avait rien à voir avec le populaire acteur de boulevard, voix française de Tony Curtis et de Peter Sellers. Mais non,  William Shimell est bien le baryton anglais, spécialiste de Mozart et Haendel, que Kiraostami a rencontré il y a deux au festival d’Aix-en-Provence, où il montait Cosi fan tutte.

- Avez-vous déjà fait du cinéma ?
- Euh, non.
- Voulez-vous en faire ?
- Euh, oui.

Commentaire de Shimell, non dépourvu d’humour britannique : « A l’opéra, quand le metteur en scène dit quelque chose, il faut toujours répondre oui. Ce que je ne savais pas, c’est que mes trente années de scène ne me serviraient à rien devant la caméra. Pour chanter, il faut utiliser les muscles du visage. En gros plan, quand un sourcil bouge, cela fait l’effet d’un cataclysme ». Il a en tout cas mieux réussi  sa reconversion que José van Dam ou Ruggero Raimondi, bien empruntés quand ils ont dû faire l’acteur devant la caméra de Gérard Corbiau ou d’Alain Resnais. « C’est un autre métier », conclut Shimell. Maintenant que l’on filme les spectacles lyriques et qu’on les retransmet en direct dans des salles de cinéma, les deux disciplines vont tendre à se confondre. « Au détriment des voix », diront les nostalgiques. 

François Lafon

vendredi 21 mai 2010 à 08h21

 Cette troisième et dernière leçon nous initie aux aspects philosophiques, voire métaphysiques de la méthode.
 

 
19) L’ennui du public est une forme d’art.

20). Il doit y avoir un tas de ferraille dans un coin, que l’on manipule sans raison, et qui s’écroule de préférence quand l’orchestre joue piano. Veiller à ce que les objets dangereux soient placés sur le bord du plateau, de manière que, quand les danseurs ont les yeux bandés, ils puissent shooter dedans et les envoyer dans la fosse d’orchestre.

21) Les apartés doivent être chantés face à celui qui est censé ne pas les entendre.

22). Les protagonistes doivent être maquillés en blanc, de manière à perdre toute individualité, toute variété dans leurs expressions. De toute façon, ils ne savent pas jouer. Ils ne sont là que pour prendre la pose et émettre de jolis sons.
 
23). Essayez de lire le livret à l’avance, pour être sûr qu’il ne se mettra pas en travers de vos idées. N’allez pas jusqu’à écouter un enregistrement de l’œuvre : ce n’est pas votre travail.

24) Faites en sorte que le chef se sente utile, même s’il n’est qu’un intrus, un manieur de premier degré.

25). Le metteur en scène doit bannir toute idée qui ne vient pas de lui, même si cette idée figure déjà dans cette liste.

26) Un costume doit répondre au moins à deux de ces critères : a) enlaidir le chanteur ; b) obscurcir sa vue ; c) l’empêcher d’entendre l’orchestre ; d) gêner ses mouvements ; e) être en contradiction avec l’époque indiquée par le livret (ce dernier point ayant à peine besoin d’être mentionné).


Voilà. Sans prétendre égaler les maîtres en la matière que sont Christoph Marthaler, Claus Guth ou Christof Loy, vous avez en mains les éléments qui vous permettront de percer les secrets du Regietheater tel qu’il est pratiqué sur la plupart des scènes lyriques. Faites-en bon usage. Et si vous pensez aux pyramides en écoutant Aida, s’il vous arrive d’imaginer Wotan vêtu de peaux de bêtes et Manon en robe à paniers, apprenez par cœur ces vingt-six préceptes. Vous pourrez vous les réciter et échapper ainsi à toute tentation de révisionnisme dramaturgique.

François Lafon
 
Illustration : Le Roi Roger de Karol Szymanowski, mise en scène de Krzysztof Warlikowski à l'Opéra National de Paris.
mercredi 19 mai 2010 à 07h43

Les huit premiers préceptes de « How to opera germanly » ont posé les principes de base de la méthode. Avec cette deuxième leçon, nous en abordons quelques aspects plus pratiques. 

9) Les scènes de sexe doivent être sans charme, agressives même. Le must : se rouler par terre.

10) Des comportements homosexuels sans motif apparent doivent émailler l’action.

11) Le happy end est une faillite intellectuelle. Jouer le contraire. Ajouter si possible un meurtre.

12). Eviter à tout prix de plaire au public. S’il siffle, vous avez gagné.

13) Répétez l’opération jusqu’à ce que celui-ci soit mort. Très important.
 

14) Toute allusion à la beauté ou au mystère de la nature doit être évitée. Le décor doit être prosaïque, contemporain et décrépit. N’oubliez pas les lumières fluorescentes. Les lampes à arc sont aussi admises.

15) Le public ne doit pas savoir à quels moments il peut applaudir ni quand la scène/l’acte se termine.

16) Les atrocités de l’histoire, comme l’Holocauste ou le sida, doivent être le plus possible exploitées. Les mœurs du public doivent aussi être tournées en dérision.

17) Les couleurs relèvent de l’opéra culinaire : du noir, du blanc, du gris, rien d’autre.

18). Les choristes doivent avoir le crâne rasé, être sans sexe, sans visage et en trench coat.

 

François Lafon
 
Illustration : mise en scène de Cristoph Marthaler de Tristan et Isolde de Richard Wagner au Festival de Bayreuth. Crédit photo: Enrico Nawrath

Depuis son apparition sur la toile au début du XXIème siècle, « How to opera germanly » (« Comment monter un opéra à l’allemande », ou plutôt « allemandement ») reste un mystère. L’auteur en serait un chanteur et/ou metteur en scène préférant rester anonyme pour ne pas se griller dans le métier. Certains prétendent qu’il s’agirait du compositeur et ex-ténor wagnérien Gary Bachlund, lequel en a livré une très sérieuse version commentée. La charge contre l’école germanique de mise en scène est grosse, et l’ensemble dégage un désagréable parfum de réaction (c’est la loi du genre). Mais quel meilleur remède à l’overdose qui nous guette de Haendel en treillis, de Mozart au fast food et de Wagner façon Mad Max ? Il circule diverses versions de « How to opera germanly », plus ou moins augmentées et parées de variantes. L’urtext est en (mauvais) anglais. Le voici en (mauvais ?) français. Il est en vingt-six points. Pour vous permettre de l’assimiler plus facilement et devenir ainsi un as du Regietheater (théâtre de metteur en scène), comme on dit outre-Rhin, nous vous le proposons en trois leçons. Aujourd’hui : les huit premiers préceptes.

1) Le metteur en scène est l’élément essentiel du spectacle. Sa vision passe avant celles du compositeur, du librettiste, des chanteurs et surtout du public, composé d’idiots repus qui ne demandent qu’à être distraits et émus.

2) Le deuxième élément important est le scénographe.

3) La comédie est verboten, sauf si elle est fortuite. Laissons l’humour à ces abrutis de téléspectateurs.

 
4) Le jeu scénique doit être intense : on se roule par terre, on grimpe aux murs, on s’assoit sur le plancher nu.

5) L’attention du public doit se porter sur tout, sauf sur la personne qui est en train de chanter. Un air - forme musicale déjà démodé au siècle denier - doit être accompagné par des gens exprimant de la façon la plus triviale le mal être que leur inspire celui ou celle qui chante.

6) La fidélité au livret est passible de l’anathème, comme la peinture réaliste l’est pour le peintre abstrait. Ne racontez pas l’histoire, commentez-la. Mieux : dynamitez-la!

7) Quand il pousse une note aiguë, le chanteur doit être plié en deux, allongé par terre ou dos au public.

8) A certains moments, la musique doit s’arrêter, pour une raison obscure, mais intense.
François Lafon
 
Illustration : Mise en scène de Stefan Herheim de L'Enlèvement dans le sérail de Mozart (Festival de Salzbourg, 2003).
Photo: Karl Forster
dimanche 16 mai 2010 à 22h03

Mardi 18 mai, le Choeur de chambre les Eléments propose un concert entièrement consacré à Zad Moultaka. Le chef Joël Suhubiette donne quelques clés pour mieux comprendre la musique de ce compositeur.
 

 

Qui est Zad Moultaka ?
C’est un musicien franco-libanais qui, après une formation de pianiste (il a été élève d’Aldo Ciccolini), se consacre maintenant entièrement à la composition. Sa double culture, entre Orient et Occident, se retrouve dans sa musique. Il a aimé trouver chez certains des chanteurs des Eléments une expérience dans la musique ancienne ce qui veut dire des tempéraments différents, une manière de chanter avec ou sans vibrato, des couleurs nouvelles, et de notre côté, nous avons aimé travailler avec lui chaque année, depuis 2004.

Quel est son style ?
Depuis ses premières pièces, il y a eu une grande évolution : Zikr (2003) était un hommage à Monteverdi, très madrigalesque, tandis que Nepsis, créé en 2005, est très loin de cette esthétique. Mais on trouve toujours une dimension rituelle, mystique, dans sa musique, ainsi qu’une énergie en mouvement, une impulsion, presque comme dans certains instruments à percussions. S’il est un compositeur du XXè siècle duquel on peut rapprocher Zad Moultaka c’est Luciano Berio, même si les langages ne sont pas comparables : même amour du texte, même goût pour la voix.

I had a dream, la pièce qui donne le titre à ce concert, fait référence au fameux discours de Martin Luther King sur les marches du Lincoln Memorial à Washington en 1963. Comment Zad Moultaka y a-t-il trouvé une matière musicale ?
Zad Moultaka a mis la voix de Martin Luther King sur une bande magnétique, tandis que le choeur chante non pas pour l’imiter, mais à partir des sonorités et de couleurs de sa voix. Zad Moultaka a voulu télescoper l’histoire : les mots que le choeur chante sont ceux des victimes de l’ouragan Katrina qui balaya la Nouvelle-Orléans en 2004, avec un décalage entre le discours utopique de 1963 et la réalité déprimante de l’Amérique des années Bush. Une grosse caisse sonne le glas à la fin de l’oeuvre : le glas pour les morts ou le tocsin de la révolte ? Zad Moultaka a modifié aussi les applaudissements à la fin du discours pour qu’ils donnent l’impression de la pluie qui arrive pour inonder tout... Pour nous musiciens, c’est rare d’interpréter une oeuvre aux prises avec la réalité historique et sociale. Le plus difficile pour les chanteurs est justement de retrouver des couleurs et des accents qui soient ceux des noirs américains : il ne servirait à rien de chanter ça avec un anglais oxfordien.
 

Pablo Galonce


Zad Moultaka : I had a dream. Choeur de Chambre les éléments, Ensemble Pythagore, Joël Suhubitte (direction). Blagnac (31), Odyssud, le 18 mai, 21 h. www.odyssud.com - www.les-elements.com - www.zadmoultaka.com

Crédit photo : ©F.Passerini

 

En France, comme aux Pays-Bas et au Royaume-Uni, les affaires de la musique enregistrée repartent à la hausse. Selon le SNEP (Syndicat National de l’Edition Phonographique), le marché de gros de la musique enregistrée a pesé, au cours du premier trimestre 2010, 128,6 millions d’euros, c'est-à-dire 8% de plus que l’année dernière. Avec 105 millions de bénéfices, le marché physique augmente de 4,3%, et le marché numérique, avec 23,1 millions, de 28,7%. Au sein des ventes numériques, le téléchargement internet est désormais majoritaire, avec 54% de parts de marché. Conséquence de la loi Hadopi ? Dans les ventes globales, la variété française gagne 3,6 points, alors que la variété internationale perd 2,5 points. Cocorico ! Et le classique, dans tout ça ? Respectons la formulation : « Au cours de ce premier trimestre 2010, le répertoire classique a réalisé un chiffre d’affaires de 8.7 millions d’euros contre 9.4 millions en 2009, 11 millions en 2008, 14 millions en 2007 et 25 millions en 2006. La part de marché de ce répertoire perd un point, passant de 9.3 % à 8.2 %. » Patatras ! André Rieu lui-même ne parvient plus à colmater la brèche. Reste que les chiffres eux-mêmes sont sujets à caution. L’Observatoire de la Musique (dépendant de la Cité de la Musique), conteste l’optimisme du SNEP et indique que le marché du CD audio est en baisse de 7,1%. La différence viendrait de ce que le SNEP s’appuie sur le marché de gros, alors que l’Observatoire se fonde sur le marché de détail. Selon L’Expansion.com : « Le SNEP souligne que l’Observatoire travaille sur des données non exhaustives, ce que conteste ce dernier. » Moralité : les chiffres sont comme les notes sur une partition, on leur fait dire ce qu’on veut.

Tous les mêmes ! Hier samedi, à 22 h 50, on peut voir sur Arte, en direct de la Monnaie de Bruxelles, José van Dam expirer en beauté dans le Don Quichotte de Massenet. Soixante-dix ans, cinquante ans de carrière et des adieux télévisés à la maison-mère. Il aura décidément tout réussi. Une larme ? Oui et non, puisqu’on va le revoir, en récital et même à l’opéra, dans La Veuve Joyeuse en décembre à Genève, et dans Ariane et Barbe-Bleue de Dukas à Barcelone en 2011. Ce ne seront plus des grands rôles (Barbe-Bleue, malgré sa présence dans le titre, doit avoir vingt mesures à chanter), mais tout de même. Dans Le Monde du 7 mai, il lance un appel d’offre : si vous cherchez un metteur en scène pour Pelléas et Mélisande ou La Damnation de Faust, il est prêt. Il se voit bien aussi débuter une carrière de chef d’orchestre. Et puis il n’abandonne pas ses élèves de la Chapelle musicale Reine Elisabeth, à Bruxelles. Tous les mêmes, vraiment, quand il s’agit de raccrocher. Quoiqu’avec José van Dam, il faille se méfier : cet homme apparemment tranquille, qui a mené une carrière que tous ses confrères lui envient, est capable de disparaître et de reparaître à volonté. En toute discrétion, comme d’habitude. 

François Lafon

Massenet : Don Quichotte. Laurent Pelly (mise en scène), Marc Minkowski (direction). Bruxelles, Théâtre de la Monnaie, 8, 11, 12, 14, 18, 19 mai. Captation d’Arte disponible jusqu’au 15 mai sur liveweb.arte.tv.

Paris 75008, sous la bulle de verre du métro Saint-Lazare. Citadins et banlieusards se croisent et se bousculent dans un enchevêtrement d’escaliers roulants dont on dirait qu’ils ont été disposés tout exprès pour que les gens se bousculent en se croisant. Sur les murs, des pubs à la taille de l’endroit. En ce moment, et jusqu’au 15 mai, la ville de Vienne (Autriche) étale ses fastes touristiques. Un poster de cent-vingt-cinq mètres carrés montre les Wiener Philharmoniker jouant dans la Salle dorée du Musikverein. Tous les quarts d’heure - de 9h30 à 12h30, hors week-ends et joues fériés -, la valse de Strauss Frühlingsstimmen (Voix du printemps) ajoute le son à l’image, tandis qu’un comédien en queue de pie imite Karajan, entouré de valseurs distribuant des cartes postales éditées par un voyagiste. Entre deux bousculades, le voyageur capte le message : Concert du nouvel an, Danube bleu, crème fouettée, vie facile, vacances. De quoi tenir jusqu’au quai (encombré) de la ligne 14. La légende de la photo magique rive le clou : « En ce moment, vous pourriez écouter cette musique dans une des plus belles salles de concert du monde. Prenez le premier train pour Vienne. Vienne, c’est maintenant ou jamais. » Tout est dans le « vous pourriez. » Manquent les « si » : « si vous n’étiez pas en train de galérer dans le métro, » par exemple. En mars, Ikea a meublé les quais des stations Saint-Lazare et Opéra de canapés protégés par des vigiles. « En ce moment, vous pourriez vous asseoir dessus, si vous n’étiez pas SDF, » aurait pu préciser la pub.
 

Le titre de ce livre est tellement bien trouvé que l’éditeur français qui le publie aujourd'hui n’a pas hésité à le garder en VO. Et d'autant plus, d'ailleurs, qu'avant même la parution, le livre était célèbre : dans un blog devenu le site internet classique le plus lu au monde et le plus habile des moyens de promotion, Alex Ross, son auteur, critique au New Yorker, a raconté au fil du temps toute la gestation de ces 700 pages sur la musique du XXè siècle. Résultat : dès sa sortie, The Rest is Noise s'affiche comme best-seller, non seulement en anglais mais aussi dans les autres langues dans lequel il a été traduit, comme en Espagne, où il a été dans la liste des meilleures ventes du premier jour alors que ce type de littérature ne fait pas de scores très reluisants.
A la lecture, on se rend bien compte que tout ce bruit n’est pas pour rien. The Rest is Noise se lit comme un roman grâce à un style accrocheur et sans fioritures, un sens de l’anecdote révélatrice, une érudition qui ne tombe jamais dans la cuistrerie. Mais surtout, Alex Ross est un véritable hétérodoxe : loin de présenter la musique de XXè siècle comme un chemin qui mène tout droit vers la modernité, commençant par Schoenberg et Stravinsky et finissant avec Boulez et Stockhausen, il ose explorer les autres voies et rendre hommage à Sibelius (un chapitre pour lui seul), à Duke Ellington (les pages sur la musique américaine sont riches en détails), Steve Reich, Chostakovitch et Britten, ou encore Richard Strauss, tout aussi modernes qu'une avant-garde autoproclamée qui en prend pour son grade. Et tant pis pour les hiérarchies : Messiaen et Ligeti côtoient Lou Reed et le Velvet Underground, les Beatles sont traités avec le même sérieux que Luciano Berio. Le sous-titre de l’ouvrage (« A l’écoute du XXè siècle ») donne aussi une piste. Loin d’isoler la musique dans une tour d’ivoire, Alex Ross n’a de cesse de signaler l’influence de la politique et de la société sur l’évolution du langage musical : le chapitre sur l’Allemagne nazie est tout aussi passionnant que celui sur la manière dont la CIA s’est servie de l’avant-garde comme d’un instrument de propagande pendant la guerre froide ou sur l’influence du New Deal de Roosevelt sur les compositeurs américains des années 1930. « Mister Gershwin, music is music… » aurait dit Berg à l’auteur de la Rhapsody in blue : rien n’est moins évident quand on a fini de lire ce livre.

Pablo Galonce

Alex Ross : The rest is noise. A l’écoute de la musique du XXè siècle. Traduction de Laurent Slaars. Actes Sud, 767 pages, 32 euros. 

mardi 4 mai 2010 à 09h11

Cadeau d’actualité : un livre sur Chopin. Mais lequel ? Chez les libraires, il y en a des tables entières. Difficile de se repérer aux couvertures, elles se ressemblent toutes (mêmes portraits, mêmes photos), avec pour volonté commune de faire romantique (couleurs tendres, flous artistiques, graphisme tout en rondeur). Les auteurs ? Tout le monde s’y est mis, et les plus célèbres ne sont pas forcément les plus autorisés. Restent les titres, mais là aussi, méfiance. Un livre intitulé Chopin l’enchanteur autoritaire (Marie-Paule Rambaud) relève a priori de la fantaisie. On le rapprocherait volontiers de Deux âmes de Frédéric Chopin ou de Nuits de l’âme, 21 poèmes d’après 21 Nocturnes de Chopin, signés de Jean-Yves Clément, directeur des Fêtes Romantiques de Nohant. Erreur : c’est une somme de neuf cents pages, aussi sérieuse que Chopin, vie et œuvre, de Sylvie Oussenko. Certains cachent leur jeu : Chopin, de Claude Dufresne, n’est pas plus objectif que Chopin, l’impossible amour, d’Eve Ruggieri, et n’a rien à voir avec la première biographie du musicien, signée Franz Liszt, et intitulée elle aussi… Chopin. Pourquoi d’ailleurs qualifier le nom magique ? En intitulant Aimer Chopin son intéressant ouvrage, Pierre Brunel paraît plus subjectif (donc moins sérieux ?) que Pascale Fautrier, qui vient d’enrichir d’un Chopin (tout court) l’excellente série de biographies entreprise par Folio, ou qu’Alain Duault, auteur d’un Chopin (tout court aussi) destiné aux néophytes. Certains, comme Adélaïde de la Place en collaboration avec le pianiste Abdel Rahman El Bacha, ajoutent le prénom : Frédéric Chopin. Cela nous ramène de la légende au monde des humains. Autre pianiste (et quel !), Alfred Cortot, essaye de passer le grand homme aux rayons X. Cela donne Aspects de Chopin. D’autres, comme le trio Charlotte Voake, Catherine Weill, Benoit Allemane, marient physique et métaphysique : Chopin ou l’histoire d’une âme. Il y a ceux, romanciers déclarés, qui dramatisent le drame : dans Les funérailles de Chopin, Benita Eisler refait le trajet à l’envers. Il y en a qui envoient des messages codés : en intitulant son petit ouvrage Chopin. Chapeau bas, Messieurs, un génie, Michel Pazdro cite Schumann et indique que pour se plier au jeu de la collection Découvertes - Gallimard, il n’en renonce pas moins à s’adresser aux esprits cultivés. Jean-Jacques Eigeldinger, lui, a intitulé ses livres L’Univers musical de Chopin, Chopin vu par ses élèves, Chopin et Pleyel. Des titres qui n’incitent pas à la rêverie. Si vous voulez être un chopinien imbattable, ce sont pourtant eux qu’il faut lire. 

samedi 1 mai 2010 à 17h17

Il aime les Quatre Derniers Lieder de Richard Strauss, Le Roi des Aulnes de Schubert par Dietrich Fischer-Dieskau et la Valse en la mineur op. posthume de Chopin. Il a joué, quand il était étudiant, dans Cyrano de Bergerac mis en scène par Sam Mendes, et a été intéressé par le film de Laurent Cantet Entre les murs (palme d’or à Cannes en 2008). Il est Britannique, d’origine russe par son père et néerlandaise par sa mère, marié à une espagnole, député européen depuis 2005 et candidat au poste de premier ministre de sa Gracieuse Majesté. Qui est-il ? Gordon Brown ? Vous avez tout faux (mais alors vraiment tout !). David Cameron ? Pas plus. C’est donc de Nick Clegg qu’il s’agit, le troisième larron libéral-démocrate, qui a séduit les Anglais pendant la campagne, mais n’a aucune chance d’être élu. Ne soyez pas trop tristes : si leur candidat a la fibre artistique, les Libéraux-Démocrates prévoient, dans leur programme, de restreindre les dépenses publiques sur les arts.

François Lafon 
 

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