« C’est Harry Halbreich, il sait tout », proclamait à la ronde le compositeur Karl Amadeus Hartmann lors du festival de Donaueschingen 1960, qui vit la création de Chronochromie de Messiaen et d’Anaklasis de Penderecki. Hartmann exagérait à peine. J’ai rencontré Harry en avril 1956 au club de disques JMF des Trois Centres, lors d’une séance Sibelius où son arrivée fut tonitruante, très typique : « Lulu est paru ! ». Il s’agissait du premier enregistrement mondial de l’opéra d’Alban Berg. Dès cette soirée, nous avons parlé de Haydn et de Vaughan Williams, dont je lui appris - il n’était pas au courant, une fois n’est pas coutume - qu’une Huitième Symphonie allait voir le jour. Durant soixante ans, nous avons entretenu des liens d’amitié très forts, discutant à l’infini des musiques et des compositeurs qui nous étaient chers, de Purcell, Zelenka et Rameau à Sibelius, Roussel et Martinu en passant par Haydn et Schubert, sans oublier les contemporains. Ce que je suis aujourd’hui, je le dois beaucoup à Harry. Il m’a fait découvrir, lorsque durant ses études avec Messiaen il habitait rue de Charenton, énormément de noms et d’œuvres, essentiellement du XXème siècle, grâce à sa vaste discothèque et à son non moins vaste lot de partitions. Je me souviens de virées en Hollande, en particulier d’une photo de nous deux, à Leiden, brandissant le livre de Simon Vestdijk sur les symphonies de Sibelius dont nous venions de découvrir l’existence au hasard d’une visite dans une librairie. Et aussi de deux séjours communs à Kuhmo, en Finlande. A d’autres le soin d’évoquer en détail le professeur au Conservatoire de Mons, le journaliste à Harmonie et à Crescendo, le directeur du festival de Royan, qui plaça sur le devant de la scène les Dufourt, Ferneyhough et autres Radulescu, ou encore l’auteur d’innombrables et précieux textes de présentation de disques, en particulier chez Erato, et de « sommes » sur Debussy, Magnard, Varèse, Honegger, Messiaen. La vie sans Harry, disparu à Bruxelles le lundi 27 juin à l’âge de quatre-vingt cinq ans, ne sera plus la même. Maigre réconfort : je lui ai envoyé il y a quelques semaines, à sa demande pressante, mon récent petit livre sur Vaughan Williams, et il a pu m’en accuser réception par téléphone, après l’avoir lu de près, bien sûr.
Marc Vignal
Photo © DR
Escale aux Bouffes du Nord de Monsieur de Pourceaugnac (Molière - Lully - 1669) dans la mise en scène de Clément Hervieu-Léger et avec les Arts Florissants, en tournée depuis décembre 2015 et jusqu’en juillet 2017. Atmosphère à la René Clair, avec gapettes, vélos et petite auto, pour raconter l’histoire du gentilhomme limousin drolatiquement dissuadé d’oser prétendre à la main d’une jeune et jolie Parisienne. La pièce comme la musique supportent la transposition, le public - qui en a vu d’autres - aussi. Dosage habile de rire et de grincements de dents, là où le metteur en scène, disciple et ex-assistant de Patrice Chéreau, aurait pu verser dans la satire sociale. La musique sert il est vrai de garde-fou, joyeuse, voire rustique, rappelant qu’à l’époque, cette histoire méchante donnait moins mauvaise conscience qu’aujourd’hui. Belle performance des acteurs, chanteurs et instrumentistes en perpétuel mouvement, entre danse, course-poursuite et commedia dell’arte. On rêverait, par la même équipe, d’un George Dandin enfin rendu à sa condition première de comédie-ballet, échappant à la moralité brechtienne initiée (brillamment) par Roger Planchon dans les années 1950, et retrouvant l’ambiguïté détonante que savait si bien distiller le tandem Molière – Lully.
François Lafon
Bouffes du Nord, Paris, jusqu’au 9 juillet. En tournée jusqu’en juillet 2017 Photo © Brigitte Enguerand
Francis Poulenc – Jean Cocteau, La Voix humaine : Caroline Casadesus (soprano), Jean-Christophe Rigaud (piano), première mondiale (CD Ad Vitam Records - 2016). Francis Poulenc – Jean Cocteau, La Voix humaine : Felicity Lott (soprano), Graham Johnson (piano), World premiere recording with piano (DVD Champs Hills Records - 2013). Francis Poulenc – Jean Cocteau, La Voix humaine : Anne Béranger (soprano), Setrak (piano), premier enregistrement (33 tours Chant du Monde – 1982). Chercher l’(les) erreur(s). On (?) rétorquera que la version 1982, enregistrée dans la foulée d’une série de représentations au Théâtre de Chaillot (mise en scène Antoine Vitez) passait outre le veto des ayant-droit de Poulenc quant à l’exécution publique de la version avec piano, alors que l’enregistrement Lott-Johnson a été officiellement autorisé par la nièce du compositeur. On (?) imagine que la nouvelle version Casadesus-Rigaud, donnée parallèlement au Théâtre de Poche Montparnasse dans une mise en scène de Juliette Mailhé, est elle aussi « autorisée ». Au moins cette Voix humaine de poche, que Poulenc a souvent pratiquée avec « sa » chanteuse Denise Duval et qui fonctionne aussi bien que l’habituelle version avec orchestre, est-elle - licite ou non - vaillamment défendue de génération en génération. On regrette même que la formidable interprétation de Stéphanie d’Oustrac et Pascal Jourdan (mise en scène Vincent Vittoz – voir ici) n’ait pas été enregistrée. Pas seulement parce que la mezzo est l’arrière petite nièce de Francis Poulenc, et qu’elle n’a pas tenté le scoop « première mondiale ».
François Lafon
Cocteau-Poulenc : La Voix humaine. Caroline Casadesus, Jean-Christophe Rigaud. 1 CD Ad Vitam Records. Au Théâtre de Poche Montparnasse (Paris), jusqu’au 11 juillet.