Mercredi 4 décembre 2024
Le cabinet de curiosités par François Lafon
samedi 27 novembre 2021 à 11h28
Qu’est-ce qui est possible dans un expodcast, qui ne l’est pas dans un livre ou une exposition ? Question cruciale, que s’est posée l’équipe du Centre de Musique Baroque de Versailles l’année dernière en explorant les mille pistes de la Chapelle Royale (160 000 écoutes, un succès). Ils ont vu plus grand encore cette année en s’attaquant aux Musiques de Molière, en prélude au 400ème anniversaire de la naissance (15 janvier 1622) de l’auteur du Bourgeois Gentilhomme : une superproduction à 225 000 euros à laquelle participent des poids lourds (plus lourds que le CMBV) tels le Château (de Versailles), Radio France (Musique) et la Comédie Française. Six grands chapitres de dix-sept minutes, un (grand) siècle de théâtre et de musique racontés par Suzanne Gervais sous l’œil (et l’oreille) de lynx de l’historienne Catherine Cessac et avec la participation de quelques Comédiens Français (Molière à la voix de Loïc Corbery), des musiques et des sons nous promenant des tréteaux du Pont-Neuf au parc de Versailles, des interviews divers (jusqu’à Philippe Caubère, vedette du film « culte » d’Ariane Mnouchkine), une large part réservée aux enfants… « On va s’y perdre », direz-vous, et vous aurez raison, jusqu’à ce que vous découvriez (ou  non) que c’est justement dans cet « effet labyrinthe » que  l’expodcast trouve sa place auprès des livres et expositions précités. Pas facile par exemple d’y pister l’évolution de la comédie-ballet depuis la formation du duo de Baptiste (Poquelin et Lully) jusqu’à la rupture dudit duo, le musicien allant de son côté inventer la tragédie lyrique. A vouloir ratisser large… Mais les livres sont là pour cela (cf. Catherine Cessac, spécialiste de... Charpentier), ce qui n’empêche pas de prendre plaisir à visiter ce foisonnant jardin aux sentiers qui bifurquent.
François Lafon 
Les Musiques de Molière, sur expodcast.cmbv.fr, francemusique.fr, Deezer, Spotify et Apple Music

Exposition à la Philharmonie de Paris : Les Musiques de Picasso, programmée en avril dernier et reportée aujourd’hui. « Marre de Picasso ? », plaisante Laurent Lebon, directeur du Musée Picasso de Paris, associé à l'entreprise. « Non, et nous avons sur place de quoi nous étonner encore en ces temps de voyages difficiles et de fret empêché ». Mais si Picasso poète tombe davantage sous le sens (en ce moment à l’Hôtel de Sablé), pourquoi associer le peintre et la musique ? Picasso, il l’a dit et répété, n’était ni musicien ni même mélomane. Et pourtant, dans sa vie et son œuvre, la musique est partout, pas celle que l’on écoute la tête dans les mains, mais celles qui rythment la vie en Espagne et celles que les avant-gardes  de son époque ont érigées en symboles. Et comme toujours avec lui, trop n’est jamais trop. Cécile Godefroy, la commissaire de l’exposition, a dû avant tout frayer des chemins dans la jungle de tableaux, rideaux de scène, instruments et documents réunis pour illustrer le paradoxe. « Quand on parle d’art abstrait, on dit que c’est de la musique (…) Je crois que c’est pour ça que je n’aime pas la musique », ironisait le peintre. Le parcours commence avec Le Chant des Mondes, trois sculptures représentant des joueurs de flûte et de diaule ornant le jardin de la Californie, la villa de Picasso âgé sur les hauteurs de Cannes. On remonte alors le temps : « Musiques d’Espagne », « Le Musicien Arlequin », ornant des tambourins de sujets populaires, « Instrument cubistes », violons et mandolines vus comme des sculptures, « Musique et poésie », textes à entendre du temps de l’amitié avec Apollinaire, « Ballets », avec entre autres le superbe rideau de scène de Mercure (Satie),  « Amitié musicales » - Groupe de Six, complicité avec Poulenc, archet offert par Rostropovitch, « Aubade », thème récurrent de la maturité du peintre, « Pan » - avec le tableau célèbre conservé à Paris, enfin « Le Peintre-musicien » se représentant, dans ses oeuvres ultimes, en joueur de guitare ou de flûte, boucle bouclée et retour au jardin cannois. Les pièces sont si nombreuses, le sujet si riche que, paradoxalement, l’exposition n’est pas aussi spectaculaire qu’on l’aurait imaginée. Il faut y tourner et peut-être y retourner, s’y égarer même, guidé par les extraits sonores qui l’accompagnent (ne pas oublier l’audiophone). De quoi se consoler de l’absence (report impossible) des habituels concerts et compléments qui - tradition maison - habillent l’événement.
François Lafon 

Les musiques de Picasso, Philharmonie de Paris, du 22 septembre 2020 au 3 janvier 2021 (Photo © DR)

lundi 3 décembre 2018 à 11h58
A la Cité de la Musique, exposition Robert Doisneau et la musique. 200 clichés parmi 450 000 dénichés, triés et choisis par Clémentine Deroudille, petite fille du photographe et déjà commissaire in loco des excellentes expositions Brassens et Barbara. Une façon de dépasser l’image du « passant patient » saisissant la vie de tous les jours et de (re)découvrir le génial capteur de personnalités. Six promenades saisissant la rue, la chanson, les studios, Maurice Baquet, le jazz et les années 80-90, sonorisées façon « sons d’époque(s) » par le quintette de country-blues-rock Moriarty et scénographié par le multi-talentueux Stephan Zimmerli, bassiste dudit groupe, replaçant finement les clichés dans leur univers et illustrant la quintessence de Doisneau saisie par son ami Jacques Prévert : « C’est toujours à l’imparfait de l’objectif qu’il conjugue le verbe photographier ».  Parmi ces deux-cents morceaux de vie en noir et blanc, découverte de Pierre Boulez hilare (1961 - un collector), de Pierre Schaeffer devant ses machines futuristes, de Bernard Baschet avec ses légendaires Structures. Somptueux portrait de Barbara, incroyables instantanés de Fréhel, de Patachou, de Piaf en contre-plongée, saisie toute petite par un projecteur sur une immense scène noire, mais aussi des Frères Jacques sur le mini-plateau de la Rose Rouge ou de Gréco avec son chien Bidet, précédant une salle entière de photos modernement swingantes de Renaud, d’Higelin et des Rita Mitsuko. Tout Doisneau enfin au chapitre Maurice Baquet, son double violoncelliste (et clown, comédien, chanteur d’opérette, etc.) compagnonnage surréaliste résumé par la tête de Baquet sortant de l’eau à côté de son violoncelle flottant, titré « D’Eau majeur ». Prolongement de l’exposition : une vingtaine de photos (les Rita Mitsuko devant l’hôtel Chopin ou Baquet arborant un t-shirt Bach) entrent dans les collections permanentes du Musée de la Musique. A coupler avec la superbe exposition Les Nadar, une légende photographique à la Bibliothèque Nationale.
François Lafon

Cité de la Musique, Paris, jusqu’au 28 avril. Concerts, spectacles, projections autour de l’exposition
(Photo : Le clairon du dimanche matin © Atelier Robert Doisneau)

Exposition de fin d’année à la Philharmonie de Paris : Comédies musicaaaales (sic), la joie de vivre du cinéma. Cinq ans après, le commissaire N.T. Binh poursuit la fête commencée avec Musique et cinéma : le mariage du siècle ? (même lieu), dans un palais des mirages conçu avec l’expert en nouvelles technologies Pierre Giner. Hollywood à l’honneur donc, et extensions diverses de l’appellation, jusqu’à La la Land et au très primé The Artist. But de l’opération : plonger le visiteur dans un tourbillon d’images, lui donner l’impression qu’il lève la jambe avec Cyd Charisse, fait des claquettes (au plafond bien sûr) avec Fred Astaire et chante sous la pluie avec Gene Kelly. C’est d’ailleurs le film de Stanley Donen, emblème du genre tout entier, qui ouvre le bal sur écran géant, débouchant – ce sera une des constantes de l’exposition – sur quelques inattendus, tels … les Dalton en Gene Kelly x 4. Triple écran plus géant encore (24 mètres) pour un instructif télescopage de styles et d’époques, où l’on découvre que John Travolta se défend bien face à Elvis Presley, ou - plus étonnant - que Michael Jackson a dû beaucoup observer Fred Astaire pour mettre au point son Moonwalk. Si vos semelles crêpe vous empêchent de suivre en direct (voir horaires) ou en vidéo les cours de claquettes du spécialiste Fabien Ruiz, consolez-vous en explorant, écouteur sur l’oreille, les nombreuses salles annexes, où l’on peut, entre autres, entendre Audrey Hepburn herself chanter (pas si mal) My Fair Lady avant d’être doublée par Marni Nixon, ou savourer la voix chaude et les « s » chuintés de Delphine Seyrig (Christiane Legrand après post-synchro) en bonne Fée de Peau d’Ane. L’exposition tout entière peut d’ailleurs être lue en filigrane comme un hommage à Jacques Demy, entre documents de travail des sœurs Dorléac (succédant au pressenti et improbable duo Bardot/Hepburn) avec le chorégraphe Norman Maen pour Les Demoiselles de Rochefort et robe d’or de Peau d’Ane surgissant de la pénombre ambiante, presque unique objet « en vrai » dans ce beau tombeau d’un univers où trois pas de danse sur une toile blanche font oublier les duretés du siècle. En attendant, en décembre au Centre National du costume de scène à Moulin, l'exposition Comédies musicales, les costumes font leur show
François Lafon

Philharmonie de Paris, du 19 octobre au 27 janvier. Collège (7 séances), concerts, ciné-concerts, week-end « comédie musicale » (3 et 4 novembre), ateliers, cours de claquettes, visites guidées pendant les vacances scolaires Exposition Les Costumes font leur show. Centre National du costume de scène, Moulin, du 1er décembre au 17 mars
(Photo : La La Land ©SND)

Parcours de l’année au Musée National d’Art moderne (Beaubourg) : « L’œil écoute » (titre emprunté à Paul Claudel), en lien avec « Le Regard musicien » (thème , en juin, du festival ManiFeste de l’Ircam, lequel fête ses quarante printemps). Des Ballets russes (Braque et Stravinsky, Satie et ses peintres) aux Artistes musicalistes d’Henry Valensi, et jusqu’à l’« affirmation de la notation dans le champ des arts plastiques », les collections du 5ème étage du Centre Pompidou ont en effet beaucoup à proposer. Une thématique nettement typée, mais rien d’une exposition classique : c’est en déambulant au milieu des chefs-d’œuvre (40 salles) qu’on repère - ou non, ou en se perdant dans les couloirs de traverse - les ilots marqués « L’œil écoute » au sol. Pas facile non plus de passer de la théorie à la pratique, et de savourer avec l’œil et l’oreille les porosités entre les arts et autres « expérimentations verbo-voco-visuelles » évoquées. Pour cette Soirée sonore en partenariat avec Arte Radio, capteur d’atmosphère (Andrea Perugini) et « fontaine électroacoustique », visite théâtralisée avec deux comédiens jouant les badauds-guides tentent de rétablir l’équilibre. On peut aussi remplacer l’animation par l’écoute intérieure, rêver sur « Guitare et compotier » de Braque (1919) tout en s’aidant des toiles de Kandinsky, Survage ou Kupka pour faire le grand saut menant de la figuration à l’abstraction, où musique et peinture ne se nourrissent plus « que » de couleurs, de rythmes et de modulations. De juin à septembre, le cinéma et l’Espace nouveaux médias du musée s'emploient à nous éclairer sur la synesthésie, la performance, l’interprétation et même le vidéoclip.
François Lafon

« L’œil écoute », Centre Georges Pompidou, Paris, mai 2017 – avril 2018 (Photo : Dali-Hallucination partielle Six images de Lénine sur un piano (1931) © Salvador Dali, Fundacio Gala-Salvador Dali / Adagp, Paris © Centre Pompidou, MNAM-CCI/Jacques Faujour/ Dist. RMN-GP)

lundi 12 octobre 2015 à 09h14

A la Philharmonie de Paris : exposition Marc Chagall, Le Triomphe de la musique, du nom d’une des deux fresques ornant le hall d’entrée du Metropolitan Opera de New York. Parcours à rebours : d’abord le plafond du Palais Garnier commandé par André Malraux (1962-64), à la fin les panneaux réalisés pour le Théâtre juif de Moscou (1920), longtemps oubliés (et donc préservés) dans les réserves de la galerie nationale Tretiakov. Peu de sujets, mais grandioses : La Flûte enchantée du MET (1967), mariant le soleil et l’ombre, l’homme et l’animal, L’Oiseau de feu (Stravinsky – Balanchine - New York 1945), Aleko (Tchaikovski – Massine – Mexico 1942), Daphnis et Chloé (Ravel – Lifar - Opéra de Paris 1958) – monde dansant jamais loin des violoneux de la tradition juive -, enfin La Commedia dell’Arte (Francfort 1958), chef-d’œuvre des projets monumentaux résultant de la sobre requête : « Je cherche un grand mur ». Mais aussi sculptures et collages exaltant la « musicalité des matériaux » (éclats, froissements, déchirements), costumes et leurs maquettes dignes de Léon Bakst (dont Chagall avait été l’élève), films et photos signées Izis ou Lipnitski, raretés venant de collections particulières, avec l’aide active des héritiers du peintre : un parcours circulaire (symbole chagallien par excellence) soigneusement éclairé et mis en perspective (beaux effets de tulles) et rehaussé par ce qu’il faut de nouvelles technologies, comme l’exploration en gros plan - drone aidant - du plafond de l’Opéra. Commentaire musical préparé par le pianiste Mikhaïl Rudy, pertinent mais presque redondant tant Chagall sait « faire chanter le dessin par la couleur ». Parallèlement, à Roubaix : Les Sources de la musique (titre de l’autre panneau géant du MET), une exposition plus intime dont David à la mandoline (« Mon jeune frère effacé, parti de la vie sans convoi ») est peut-être la clé. Une clé ouvrant la porte de ce monde du « divin en tout » cher à la tradition hassidique, motif dans le tapis de cet art plus mystérieux qu’il en a l’air.

François Lafon

Marc Chagall Le Triomphe de la musique, Philharmonie de Paris, du 13 octobre 2015 au 31janvier 2016 – Marc Chagall Les Sources de la musique, La Piscine, Roubaix, du 24 octobre au 31 janvier – La petite boite à Chagall, galerie-atelier pour les enfants, Musée de la musique (Philharmonie 2), les mercredis, samedis, dimanches et vacances scolaires

dimanche 12 juillet 2015 à 01h36

Début de week-end lyrique à la télévision : Alcina depuis le festival d’Aix sur Arte, Carmen aux Chorégies d’Orange sur France 3. Le grand écart : mis en scène par Kathie Mitchell, l’opéra féérique de Handel devient un huis-clos kubrickien, une réflexion sur la réalité et l’apparence, l’âge et la séduction, le désir féminin dans un univers masculin. Parfum d’interdit, plateau de luxe dominé par le couple Patricia Petibon - Philippe Jaroussky, succès public et critique. Moins d’enthousiasme à Orange, où l’on dirait que le metteur en scène Louis Désiré et le chef Mikko Franck ont voulu transformer le bouillant chef-d’œuvre de Bizet en oratorio, toute espagnolade soigneusement mise à part. Distribution correcte (hormis les chœurs, insuffisants), écrasée par Jonas Kaufmann, Don José magnétique, apprivoisant l’immense espace comme le faisait jadis Jon Vickers. Fausses perspectives dans un cas comme dans l’autre, pourtant. Difficile de saisir à l’écran la dialectique salon des mirages – envers (enfer ?) du décor déployée sur le plateau en cinémascope du Grand Théâtre de Provence, difficile d’imaginer que la voix de Carmen-Kate Aldrich, capiteuse au micro, soit à peine audible (Mistral n'aidant pas) pour le public d’Orange. En prélude à cette seconde soirée : un portrait tout opéra (rien sur le showbiz) de Roberto Alagna, pensionnaire attitré du Théâtre antique (il y chantera Le Trouvère de Verdi en août) … et rival de Kaufmann en Don José. Un impair de programmation, mais un sujet de conversation pour les ténorophiles. Et tout cela au moment où l’on apprend la disparition de Jon Vickers…

François Lafon

Alcina, Festival d’Aix-en-Provence, jusqu’au 20 juillet. En replay sur concert.arte.tv - Carmen, Chorégies d’Orange, 8, 11, 14 juillet. En replay sur Culturebox Photo : Alcina © DR

vendredi 26 décembre 2014 à 19h33

Réédition en DVD du Mahler de Ken Russell (1974), avec dans le rôle-titre Robert Powell, plus convaincant en génie tyrannique qu’en messie sulpicien (Jésus de Nazareth de Franco Zeffirelli - 1977). Un film moins laborieux que The Music Lovers (1970 – voir ici), moins destructuré que Lisztomania (1975), plutôt dans la lignée d’un Debussy réalisé pour la BBC en 1965, où le cinéaste prenait déjà une distance ironique (britannique ?) avec son sujet. Avec Mahler, il a beau jeu de mêler l’idéal et le trivial, le vacarme et le silence, Beethoven et Freud, et de jouer du montage et de la chronologie pour tenter d’entrer dans la tête du compositeur tout en évoquant sa vie. Le livret de présentation est tout entier occupé par un long et remarquable texte de Christian Wasselin (connu pour ses travaux sur Berlioz, une autre forme d’exaltation), guide utile pour suivre ce jeu de yoyo entre les abysses et les étoiles, où l’on voit Mahler effectuant en train (Russell aimait les trains, lieux de confinement à tombeau ouvert - voir Music Lovers) un dernier voyage ponctué de visions et de réminiscences. Wasselin ne manque pas de noter la manière dont Russell traite Alma, non plus égérie mais petite femme aux prétentions artistiques étouffées par son irascible époux. A mettre en parallèle avec  la scène choc du film, traitée comme un burlesque du cinéma muet, où le compositeur portant l’étoile de David comme un fardeau l’empêchant d’accéder à la direction de l’Opéra de Vienne se fait convertir façon Nuit des Longs Couteaux par une Cosima Wagner en cuir, latex et casque de la Wehrmacht. Au-delà d’une vision peu amène de la femme dans tous ses états, la signature de ce cinéaste qui maniait le kitsch comme une arme de poing et l’hystérie comme un révélateur de (mauvais ?) goût.

François Lafon

Mahler, de Ken Russell, 1 DVD Doriane Films, collection « Typiquement british »

samedi 2 août 2014 à 17h28

Des pianos à disposition dans les gares, le logo sonore de la SNCF (œuvre du designer musical Michaël Boumendil), deux musiciens voyageurs (Vincent Sockeel - Simon Depoorter, piano, guitare, batterie), ou comment quatre notes rabâchées ont donné lieu à un jubilatoire work in progress. Les deux artistes précisent qu’il ne s’agit pas d’une campagne marketing SNCF, remercient les amis qui les ont hébergés (quatorze villes), et insistent sur le fait que c’est en voiture qu’ils se sont déplacés (3500 kilomètres). Une invitation à la coolitude dans la cohue des départs.

François Lafon

jeudi 10 juillet 2014 à 10h28

Retransmission télé des spectacles d’ouverture des festivals d’Aix-en-Provence (Arte) et d’Avignon (France 2). Pas grand-chose à voir entre La Flûte enchantée au Grand Théâtre de Provence et Le Prince de Hombourg depuis la cour du Palais des papes, si ce n’est l’utilisation scénique des technologies avancées : projections, incrustations, utilisation de micros HD. A la difficulté de recomposer au montage un univers conçu pour être perçu globalement, s’ajoute le danger de tuer l’illusion. Plus très impressionnante la cavalcade virtuelle du Prince de Hombourg sur son destrier géant, à peine aperçue la transformation du mur papal en forteresse brandebourgeoise. En revanche les effets spéciaux à vue (les techniciens, la bruiteuse sont sur scène) de La Flûte enchantée passent mieux, et transforment l’écran en boite à images alla Méliès. Juste retour des choses : la fantasmagorie en ombre et lumière imaginée par le metteur en scène Simon McBurney (connu pour avoir enchanté … le Palais des papes avec Le Maître et Marguerite d’après Boulgakov) est mieux intégrée dans l’action que les images plaquées par Giorgio Barberio Corsetti sur la pièce de Kleist. Etrangeté sonore édulcorée en revanche pour La Flûte, faisant sonner comme sur un disque les voix (belles) et le Freiburger Barockorchester (excellent). Le moment où la musique abolit tous les subterfuges, c’est curieusement à Avignon qu’on le trouve, quand un contre-ténor égrène « Le ciel est par-dessus le toit …» (Verlaine/Fauré) tandis que le Prince attend la mort dans sa prison.

François Lafon

La Flûte enchantée, en replay sur Arte+7 jusqu’au 16 juillet Photo © DR

mardi 15 octobre 2013 à 08h49

Au Musée d’Orsay, Allegro barbaro : Béla Bartok et la modernité hongroise – 1905 - 1920. Une exposition transdisciplinaire, agrémentée de conférences, ateliers, séminaires et bien sûr concerts. Le titre - celui d’une pièce de piano composée en 1911, archétype du style percussif cher à Bartok - va bien aux toiles exposées (une centaine venue de musées et collections du monde entier), colorées, violentes, lyriques, radicales - bartokiennes pourrait-on dire. On découvre, ainsi que l’appelait le peintre Odön Marffy, « L’âge des révolutionnaires de l’art hongrois » : le Groupe des huit (lesquels portraiturent écrivains, poètes et musiciens), les activistes de la revue Ma (Aujourd’hui), qui consacre en 1918 un numéro spécial à Bartok, nombre d’artistes trop peu connus bien que presque tous passés par Paris. Une fête pour les yeux, où documents et partitions (dont le manuscrit de l’Allegro barbaro), cabinets d’écoute et projections feraient presque figure de parents pauvres, eux qui pourtant sont là pour structurer l’ensemble. La musique prendra sa revanche de novembre à janvier avec la programmation de concerts, où se succéderont, entre autres, quelques quatuors de choix (les Takacs, Prazak, Keller, Voce, Heath, Psophos) pour culminer, le 17 décembre, avec l'intégrale du ballet Le Prince de bois dans la nef du musée.

François Lafon

Musée d’Orsay, Paris, du 15 octobre au 5 janvier. 13 concerts du 12 novembre au 21 janvier, dans le cadre de la saison musicale de l’Auditorium. www.musee-orsay.fr

mercredi 21 août 2013 à 13h05

Secrets d’histoire s’attaque à Mozart, et Mozart, plongé dans les tourbillons de sa propre carrière, s’en tire plutôt bien : portrait crédible, bien que pas toujours d’une authenticité absolue, les palais, églises et autres bibliothèques qu’il fréquenta à Salzbourg et à Vienne sont splendides, et il en va de même du théâtre de Prague où fut créé Don Giovanni. Les images du film Amadeus de Forman s’inscrivent bien dans le récit. Secrets ? Pas vraiment, beaucoup d’événements présentés comme tels n’en sont pas (ou plus). Artiste maudit ? Pas vraiment non plus. Et c’est plutôt le traitement que lui-même subit à Salzbourg, non celui des musiciens en général, que Mozart ne supporta pas. Amateur de femmes ? Sans doute, mais on ne sait pas grand chose de ses relations avec Nancy Storace, la première Susanna. Il est bon de redire ce qui distingue le pianoforte du clavecin, et de rappeler le rôle que joua à Vienne la franc-maçonnerie, mais il l’aurait été de préciser qu’aucune phrase dont on sait qu’elle fut prononcée par Mozart ne concerne le Requiem. Bonne idée que de rendre justice à Salieri, mais il n’est pas besoin, pour montrer qu’il fut mieux accepté que Mozart, ce qui reste à prouver, d’affirmer que ses quelque quarante opéras furent tous des triomphes : Salieri connut des échecs retentissants. Tout est-il beau partout chez Mozart ? En définitive, affaire de goût. Ne nous plaignons pas : les émissions musicales comme celle-ci sont rares. Et c’est avec bonne humeur qu’on s’est laissé emporter par un beau lapsus du maître de cérémonie : parlant de l’empereur Joseph II, il nous a fait atterrir d’un coup un siècle plus tard, en plein règne de François Joseph !

Marc Vignal

France 2, 20 août 2013. En Replay sur pluzz.fr. 

mardi 5 février 2013 à 10h20

Au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles, exposition Antoine Watteau, la Leçon de musique. Fêtes galantes ou scènes intimes, un tiers des toiles de Watteau met en scène des instruments et des instrumentistes. Chez son mécène Pierre Crozat, le peintre a entendu beaucoup de musique, vu beaucoup de musiciens. Aux quinze toiles, aux trente dessins « musicaux » de Watteau s’ajoutent des partitions, des instruments de l’époque, une cinquantaine d’estampes destinées à promouvoir ses œuvres et signées Boucher ou Cochin. William Christie, commissaire général de l’exposition, a programmé un cycle de concerts, et Harmonia Mundi produit un luxueux double livre-disque en forme de galerie sonore suivie d’un concert chez Pierre Crozat, où musique italienne et musique française (extraits tirés du catalogue maison) illustrent l’art très particulier de Watteau. Car de même qu’il y a des tableaux qui émettent des vibrations et d’autres qui sont inertes, la peinture de Watteau n’évoque pas d’univers sonore évident. Qui sont ces gens ? Des nobles ? Des paysans ? Des nobles jouant les paysans ? Des acteurs jouant les nobles et les paysans ? Des musiciens ? Des figurants ? Les vrais musiciens jouent-ils en coulisse ? Jouent-ils de la musique noble ou paysanne ? Les fêtes galantes sont-elles des scènes de théâtre, les jardins de rêve des toiles peintes ? Watteau lui-même n’était apparemment pas musicien. En ce temps où l’imitation de la nature semblait plus vraie que la nature elle-même, la musique était-elle ce que l’on croit aujourd’hui ? Ce génie de l’incertitude est peut-être la clé pour mieux écouter Rameau et Couperin, Rebel et Corelli. A expérimenter.

 François Lafon

Bruxelles, Palais des Beaux-Arts, du 8 février au 12 mai. www.bozar.be - La Musique de Watteau, 2 CD Harmonia Mundi

Photo : Watteau - La Partie carrée © DR

Retransmis en direct et en Mondiovision (soixante pays), le Concert du Nouvel an à Vienne, sous la baguette de Franz Welser-Möst, directeur (entre autres) de l’Opéra. Cérémonial immuable : valses et polkas célèbres, quelques raretés liés à l’actualité (hommages à Wagner et Verdi, les bicentenaires de l’année), gags tous publics (distribution de peluches, le chef se retrouvant coiffé d’une toque de cuisinier), ballets façon Châtelet 1950, le tout sponsorisé par Rolex. Signe de modernité : la caméra valse elle aussi (plongées-contre-plongées : on se croirait à Disneyland), et l’éclairage transforme le vieil or du Musikverein en papier de chocolat et les fleurs fraîches en bouquets artificiels. Froideur du chef (gestique calculée, masque figé), professionnalisme des musiciens. Quelques jours avant de claquer la porte du festival de Salzbourg pour cause de plannings surchargés, Franz Welser-Möst a fait le buzz en dénonçant la « tabloïdisation » de la musique : « L'art doit sonder les profondeurs, mais il est aussi l'expression de son époque. Or nous vivons à l’âge de la superficialité ». Son apparente obstination, en ce 1er janvier, à débarrasser la musique des Strauss de son contenu festif est peut-être une nouvelle forme de cette dénonciation. En attendant, Prosit Neujahr (bonne année) quand même.

François Lafon

Photo © DR

mardi 21 août 2012 à 00h08

Plus que trois semaines à Paris au Musée d’Orsay, puis d’octobre à janvier au Musée Bonnard du Cannet (Alpes-Maritimes) : Misia, reine de Paris. Il s’agit de Misia Godebska, alias Misia Natanson (1er mariage), Misia Edwards (2ème mariage), plus connue sous le nom de Misia Sert, de son 3ème mariage avec le peintre catalan José Maria Sert. Comme elle a posé pour ses amis Bonnard, Vuillard, Vallotton, Toulouse-Lautrec, Renoir et quelques autres, l’exposition est déjà un concentré de chefs-d’œuvre. Comme elle a été de la plupart des aventures mondaines et esthétiques de la Belle Epoque à la seconde Guerre mondiale (c’est elle, entre autres, qui a présenté Cocteau à Diaghilev), on y voit défiler le gotha d’un monde révolu. Propos glané au détour d’une salle : « Vous savez, c’était aussi une musicienne ». Merci à l’exposition de rappeler que cette muse (on ne compte pas les célébrités qui se seraient jetées à l’eau pour elle) était avant tout une pianiste surdouée, élève de Fauré et partenaire de Marcelle Meyer, connue dans les salons (elle ne jouait que là) pour ses interprétations de Beethoven, Schubert et Chopin. Elle a fréquenté Stravinsky, soutenu Debussy et inspiré Ravel qui lui a dédié sa mélodie Le Cygne (3ème des Histoires naturelles de Jules Renard) et son poème chorégraphique La Valse. Mais nous sommes en France, et dans son éclectisme (sa camarade Gabrielle Chanel l’appelait Madame Verdurinska), cette faiseuse de tendances n’a été qu’aussi une musicienne.

François Lafon

Paris, Musée d’Orsay, jusqu’au 9 septembre. Le Cannet, Musée Bonnard, du 13 octobre au 6 janvier 2013

mercredi 1 août 2012 à 11h09

Village gaulois. Lundi 30 juillet, L’Amour est dans le pré et les Jeux olympiques sont en tête des audiences TV. La Flûte enchantée en direct du festival de Salzbourg (Arte) est en douzième position : 230 000 téléspectateurs. Mardi 31, soirée Roberto Alagna sur France 3 : 1 992 000 fans, quatrième place derrière Maison à vendre (M6) pour C’est magnifique ! (Alagna chante Luis Mariano), suivi de Turandot en direct des Chorégies d’Orange. On ne compare pas l’incomparable : à l’heure où Yannick Agnel gagne sa deuxième médaille d’or, regarder La Flûte, dirigé par Nikolaus Harnoncourt dans la mise en scène 100% Regietheater de Jens-Daniel Herzog, relève de l’acte de résistance. En revanche Turandot, remporté de haute lutte par Alagna qui, malade, avait failli ne pas arriver au bout de la première représentation samedi 29, a l’attrait des jeux du cirque. Bel exemple de grand écart culturel pourtant : d’un côté l’opéra qui pense, de l’autre les athlètes du lyrique. Ce qui ne veut pas dire que les athlètes ne pensent pas, ni que, replay aidant, les fans d’Harnoncourt ne puissent pas être aussi des supporters des JO.

François Lafon

dimanche 5 février 2012 à 11h30

Sur France 2 le 7 février à 0 h 35 (bien payé pour du classique, cela pourrait être 5 h du matin), Esa-Pekka Salonen, antimaestro, d’Emmanuelle Franc. Exercice difficile : comment tenir 52 minutes avec un chef vedette mais discret (d’où le titre rabâché d’Antimaestro ?) doublé d’un compositeur dit « contemporain » ? C’est au Châtelet, pendant le festival Présences 2011 dont il était l’invité d’honneur, que la réalisatrice a talonné l’antimaestro : répétitions de ses propres œuvres et de ses musiques préférées (Varèse, Lutoslawski) avec le Philharmonique de Radio France, extraits de concerts, réactions à chaud et entretiens au calme, filmés peu après en Finlande, dans sa superbe maison lacustre. Affable et probablement timide, Salonen est à la fois spontané et réservé, ce qui complique le passage à la confidence. Ce qu’il dit a l’air tout simple, voire banal, et pourtant - un habile montage aidant - son portrait se dessine assez nettement : « J’étais un adolescent rétif à l’autorité, dit-il en substance, l’envie de composer m’a donné une raison d’être, et je suis devenu chef pour gagner ma vie. » Il avoue aussi que durant les périodes où il compose, dans le grand nord, la solitude lui pèse et l’excitation du concert lui manque. Il est en phase avec son public, qui l’aime davantage quand il dirige les œuvres des autres.

François Lafon

France 2, le 7 février à 0h35 Photo © DR

mercredi 7 décembre 2011 à 10h38

11,7 % d’audience pour La Grande Battle, hier soir sur France 2. « Kathleen Battle, la grande cantatrice américaine ? », plaisante Roberto Alagna, invité d’honneur de l’émission. Rien à voir non plus avec les jeux vidéo éponymes. Règle du jeu : composer et interpréter un morceau de musique actuelle (flamenco, rock, rap, musette, jazz) sur un thème classique : les beaux esprits frémissent. Nagui anime, Jean-François Zygel communique sa science, l’Orchestre OstinatO joue les thèmes, les concurrents concourent et vogue la galère. Bons points : on ne raconte pas trop de bêtises sur la musique et l’on échappe à l’habituelle mondanité béate (« C’est merveilleux la musique », « Nous sommes une grande famille », « Comme me disait Karajan… »). Mauvais point : les concurrents, sélectionnés sur Internet, ne sont pas très bons. Consolation : les téléspectateurs élisent le moins mauvais, un groupe nommé Accordzeam, qui jongle avec la Symphonie « Du Nouveau Monde ». Récompense : 20 000 euros en bons d’achat dans le réseau La Boite Noire du musicien. Universal, partenaire du projet, sort parallèlement un double CD comprenant, entre autre, les dix œuvres en lice. Trois heures  (une de trop?) autour du classique (ou presque), en direct et en prime time, et un taux d’audience battu seulement par Les Experts, Manhattan (TF1, 23,4%) et Louis XI (France 3, 12,4%) : une prouesse, non ? Reste à savoir si l’expérience aura une suite.

François Lafon

Exposition au Palais Garnier : Les Tragédiennes de l’Opéra, 1875-1939. Tout est dans les dates. Passée la guerre, le cinéma a définitivement pris le pas sur la scène dans l’imaginaire populaire. Finis les monstres sacrées, les Sarah Bernhardt au théâtre, les Rose Caron à l’opéra. Il y aura des bêtes de scène tourmentées - Maria Callas - Maria Casarès -, puis on passera aux divas-tragédiennes à taille humaine. Au premier abord, l’exposition est réservée aux nostalgiques. Ces photos, superbement mises en scène, de Lucienne Bréval, de Blanche Deschamps-Jehin, d’Agnès Borgo, de Geneviève Vix, de Suzanne Blaguerie, ne disent plus grand-chose. Les codes de l’érotisme ont changé, et ces dames aux formes généreuses, aux poses étudiées, au regard souligné de fard prêtent à sourire. « Mais peut-on encore les entendre ? » demande Edouard Balladur invité au vernissage. Là est le problème : certaines de ces dames ont, dès le début du XXème siècle, essuyé les plâtres des studios d’enregistrement, mais les témoignages qu’elles ont laissé s’adressent à des oreilles expertes. Plus près de nous, on connaît, même dénaturée par le micro, la voix de Germaine Lubin, mais celle de Fanny Heldy est déjà plus difficile à apprécier. Quant à celle de Marcelle Demougeot, en 1904 dans Le Trouvère de Verdi … Des maquettes de décors, des bijoux - splendides pacotilles plus vraies que les vrais -, en disent beaucoup sur cet art de la grandeur de théâtre, et restituent cette époque où un port de bras, une expression douloureuse perpétuaient toute une tradition, dont le cinéma muet fera son miel. Le catalogue, magnifique (et assez onéreux : 49 €) est un bon sésame : textes d’introduction (La Diva et le directeur d’opéra, Muse et tragédiennes), portraits documentés et non dénués d’humour, signée, entre autres, André Tubeuf ou Pierre Vidal. Entre Mireille Berthon et Fanny Heldy, on trouve Françoise Rosay, voix météorique connue pour avoir remporté un certain succès en Thaïs au lendemain de la première guerre mondiale. On imagine le commentaire que cette dernière, une fois devenue la vedette de l’écran que l’on connaît, aurait fait sur tout cela, de sa voix rocailleuse et délicieusement faubourienne.

François Lafon

Au Palais Garnier, Bibliothèque-musée, jusqu’au 16 juillet, et du 10 au 25 septembre. Catalogue Les Tragédiennes de l’Opéra, Albin Michel, 289 p., 49 €

Une salle, un film : il y a la bombe de Docteur Folamour, la robe vichy de Lolita, la machine à écrire de Shining, le scaphandre de 2001, l’Odyssée de l’espace, l’uniforme de Barry Lindon, les masques de Eyes wide shut. Mais ce n’est pas tant à l’image qu’on se repère dans l’exposition Stanley Kubrick qui arrive à Paris après une longue promenade à travers l’Europe, qu’à la musique. Pump and circumstances : Full Metal Jacket ; La Pie voleuse : Orange mécanique ; Lux Aeterna de Ligeti : 2001 ; la Symphonie fantastique (citation du Dies Irae médiéval) : Shining. Technologie avancée au service de l’irrationnel : une méthode très kubrickienne. Ce n’est qu’en fin de parcours qu’on découvre (mais il faut bien chercher) la salle consacrée exclusivement à la musique. C’est une boite noire. Au mur, une citation : « Il ne semble pas y avoir grand intérêt à engager un compositeur qui, aussi excellent soit-il, n’est ni un Mozart ni un Beethoven lorsqu’un vaste choix de musique orchestrale, incluant des œuvres contemporaines et avant-gardistes, est à votre disposition. » A droite : le disque d’or de la B.O. d’Orange mécanique. A gauche, un tableau des affects de la musique selon Kubrick : cordes seules = solitude ; valse = une forme pour le monde. Au fond, un écran où passe en boucle un film d’une demi-heure illustrant ce tableau. Il n’y a plus, après cela, que la salle des films jamais tournés, à commencer par le Napoléon qui a fait peur à tous les producteurs. On ne pouvait déjà pas aller plus loin dans le mystère Kubrick.

François Lafon

Stanley Kubrick : l’exposition – A la Cinémathèque française, 51 rue de Bercy, 75012 Paris, jusqu’au 31 juillet (fermeture mardi) – cinematheque.fr
 

jeudi 6 janvier 2011 à 22h50

Golden Gate Award à San Francisco, Prix de la semaine de la critique au festival de Locarno, nomination à la European Film Academy. « Un film sur l’amour, la perfection et une note de folie », annonce l’affiche. En vedette : Lang Lang, Alfred Brendel, Pierre-Laurent Aimard, Till Fellner et … Stefan Knüpfer. Présenté partout, salué partout, Pianomania sort en salles. Pourquoi en salles, alors que ce documentaire d’une heure et demie sur le travail des pianistes sus-cités avec l’accordeur de la maison Steinway à Vienne (c’est lui, Stefan Knüpfer) aurait plutôt sa place un dimanche soir sur Arte ou Mezzo ? « Réaction élitiste, répondront les distributeurs. Ce document sur le vif, monté comme un thriller, s’adresse à un public beaucoup plus large. » Peut-être. N’empêche que l’essentiel du film porte sur la préparation du piano sur lequel Pierre-Laurent Aimard s’apprête à enregistrer L’Art de la fugue de Bach. Pour un connaisseur, le spectacle du virtuose fou de précision en discussion avec le MacGyver de la corde frappée est aussi savoureux que riche d’enseignements. Mais comme ne l’envoie pas dire Thomas Sotinel dans Le Monde : « Le secret des sons qui sortent d'un piano est minutieusement décrypté sous les yeux des béotiens sans que ceux-ci progressent beaucoup dans leur compréhension du mystère de la musique. » Qu’est-ce qui manque à ce Pianomania pour convaincre tout un chacun que la musique que l’on dit grande ne concerne pas que les professeurs Nimbus de l’accord parfait ? Un peu plus de pédagogie ? Une caméra qui ne regarde pas les artistes et leur drôle d’accordeur comme des oiseaux rares photographiés au téléobjectif ? En attendant, le document est précieux, et tant pis pour la démocratisation.


François Lafon

Pianomania, un film de Lilian Franck et Robert Cibis. En salles depuis le 5 janvier.

Photo ©Jour2fete

mardi 30 novembre 2010 à 17h57

Si le Palais Garnier vous éblouit, allez voir aux Beaux Arts les deux expositions consacrées à son papa Charles. S’il vous énerve, ou vous fait rire, allez-y aussi. Qui dit Garnier pense gaffe : le jour de l’inauguration de l’Opéra, on avait oublié de l’inviter. Comme si l’on oubliait Jean Nouvel le jour où la Philharmonie de Paris verra le jour (l’affaire est relancée, une lettre présidentielle en fait foi). L’anecdote prend tout son sel si l’on sait que, à l’image du second Empire dont son monument est le symbole, Garnier, fils d’ouvriers, traînait le complexe du parvenu. Ce qui se dessine en filigrane, au fil de ces deux étages de plans, croquis, photos, lettres et objets (la mise en salles, signée par le metteur en scène d’opéra Robert Carsen, doit y être pour quelque chose), c’est le caractère du grand homme. On le découvre épistolier acerbe, dramaturge néophyte, caricaturiste sans pitié, mais aussi mégalomane, dépressif, cyclothymique, contradictoire. On fait la connaissance de son épouse, la riche et influente Louise Bary. On compare son projet d’opéra à celui, non moins pompeux, de Viollet-le-Duc, qui avait les faveurs de l’Impératrice. On se promène dans les villas qu’il a construites sur la Riviera française et italienne, on visite l’Opéra de Monte-Carlo, aussi chargé que l’autre, mais beaucoup plus petit. Une autre anecdote le résume tout entier : il a travaillé avec Gustave Eiffel, et a bien profité des inventions de ce dernier en matière de charpentes métalliques. Mais quand une pétition demandant le démontage de la Tour Eiffel a circulé, il l’a signée.

François Lafon

• Charles Garnier, un architecte pour un Empire : Ecole des Beaux Arts, 13 quai Malaquais, 75006 Paris. Du mardi au dimanche de 13 h à 19 h, jusqu’au 9 janvier 2011.

• L’œil et la plume : caricatures de Charles Garnier - Cabinet des dessins Jean Bonna, 14 rue Bonaparte, 75006 Paris. Du mardi au dimanche de 13 h à 19 h, jusqu’au 30 janvier 2011. (Attention : fermeture du 18 décembre au 3 janvier).
www.ensba.fr/expositions/garnier


 

samedi 10 juillet 2010 à 17h49

Dans l’opéra-crossover de Rufus Wainwright Prima Donna, créé l’année dernière au festival de Manchester, la diva est française et s’appelle Régine Saint-Laurent : double symbole, relayé aujourd’hui par une exposition Régine Crespin au Palais Garnier. Bel exemple de repentance à la française : « Paris a été ingrat à l’égard de la seule grande voix hexagonale de l’après-guerre », clame sans relâche le lyricographe André Tubeuf, âme de l’exposition et préfacier du somptueux livre de photos qui fait office de catalogue. Les photos parlent d’elles-mêmes : Régine à l’accent ensoleillé et Crespin la diva chinchilla, la débutante aux rôles (trop ?) lourds et la coqueluche de Bayreuth et du MET, la prof de chant coiffée d’un turban et la Crespinette goualant chez Guy Lux. Sur place, à Garnier, les reliques : manuscrits, contrats, partitions annotées, médailles, programmes, pour la plupart conservés à la Bibliothèque-Musée de l’Opéra. Tout un monde déjà lointain, un âge dur qu’on se plait à voir aujourd’hui comme un âge d’or. Un pendant - n’en déplaise aux gardiens du temple - à l’exposition Dalida à l’Hôtel de Ville.

François Lafon

Exposition Régine Crespin. Palais Garnier, angle rue Scribe et Auber, Paris 75009. Jusqu’au 15 août.

Hommage à Régine Crespin, sous la direction de Christophe Ghristi. Contributions d’Hubert Nyssen et André Tubeuf. Actes Sud/Opéra National de Paris, 136 pages, 29 euros

Diffusion en direct sur Arte de Don Giovanni depuis le festival d’Aix. Mise en scène du jeune Dimitri Tcherniakov, lancé par un Eugène Onéguine formidable importé du Bolchoï au Palais Garnier, il y a deux ans. Cette fois, le titre est grand public, mais le spectacle ne l’est pas. En prélude, un générique projeté sur le rideau : Zerline n’est plus une paysanne mais la fille de Donna Anna, Donna Elvira sa cousine, et le valet Leporello est promu parent (pauvre ?) du Commandeur. Exeunt les différences de classe (les maîtres, le valet, les paysans) qui structurent l’intrigue. Tout se passe dans un salon cossu, où les personnages vont se laisser aller comme on ne le fait pas… dans un salon cossu. C’est du pur Regietheater, une sorte de palimpseste sans scrupules, présupposant de la part du spectateur qui veut bien se prêter au jeu une parfaite connaissance de l’ouvrage. L’amateur éclairé comprendra à la fin que nous ne sommes plus chez Mozart mais chez Agatha Christie, et que, comme dans Le Crime de l’Orient-Express, le complot contre le transgresseur était ourdi de longue date. Comme Tcherniakov est malin, il retombe sur ses pieds, mais au prix de quelles acrobaties ! Lui qui ne voulait pas que les gens viennent voir « son » Don Giovanni pour entendre de la belle musique chantée par de belles voix, il doit n’être qu’à moitié satisfait : les voix sont ordinaires, mais la musique est d’autant plus belle que le chef Louis Langrée dirige avec finesse le Freiburger Barockorchester. Il y a des huées dans la salle, que les preneurs de son ne peuvent masquer. Le Rossignol de Stravinsky, pertinemment mis en scène par Robert Lepage au même festival d’Aix, aurait été plus accessible au commun des mortels. Mais Stravinsky en presque prime time, même sur Arte, ça ne doit pas le faire.  

 

François Lafon

Don Giovanni, festival d’Aix en Provence, Théâtre de l’Archevêché, les 9, 12, 14, 16, 18, 20 juillet. Sur Internet : Arte + 7

Que n'a-t-on dit (et écrit) sur l'opéra à la télévision : glottes en close up, regards cherchant le chef plutôt que le (la) partenaire, choristes déconcentrés, plans larges réduisant les personnages à l'état de lilliputiens, son trafiqué. Or voilà que ce qui marche actuellement, c'est l'opéra au cinéma : glottes géantes, regards… Soixante salles en France, neuf cents dans le monde entier retransmettent les premières du Metropolitan Opera de New York tout au long de l'année. Le Covent Garden de Londres, le Liceo de Barcelone s'y sont mis. Le 25 juin dernier, quarante-six salles hexagonales ont diffusé en direct et en haute définition Carmen, dirigé à l'Opéra Comique par John Eliot Gardiner. Direct et HD sont les sésames de l'opération. Il y a aussi la sensation, que l'on n'a pas dans son salon, de partager l'événement avec des gens qui, comme vous, se sont déplacés, et qui comme vous, ont envie d'applaudir (ou de siffler) à la fin. Gerard Mortier, directeur de l'Opéra de Paris jusqu'à l'année dernière, détestait le procédé, qu'il qualifiait de tromperie sur la marchandise, invoquant l'indispensable présence des chanteurs et des musiciens, le rayonnement vivant des voix dans un espace privilégié. La diffusion, depuis le Palais Garnier, du spectacle Ballets Russes (tiens, des ballets, pas un opéra), le 22 décembre dernier dans cinquante salles de Roubaix à Toulon, a été un succès, et l'on attend beaucoup de monde ce soir pour Simon Boccanegra depuis le MET, avec Plácido Domingo dans son premier rôle de baryton-Verdi. Dans un théâtre, on est, selon ses moyens, à l'orchestre ou au poulailler. Il y a maintenant ceux qui ne sont pas là, qui paient (le prix du poulailler) pour assister à une représentation virtuelle. Mais avec tout le confort moderne.

Prochains directs du Metropolitan Opera de New York : Simon Boccanegra, de Verdi, avec Placido Domingo (6 février), Hamlet, d'Ambroise Thomas, avec Simon Keenlyside et Natalie Dessay (27 mars), Armida, de Rossini avec Renee Fleming (1er mai).
« A l'opéra, le seul maître à bord, c'est le chef », disait en substance Toscanini, prêchant pour sa paroisse. La remarque prend son sens devant un spectacle comme Carmen, donné en mai dernier à l'Opéra-Comique et diffusé par France 3 en ce premier week-end de 2010 (trois semaines après … Carmen sur Arte, en direct de La Scala). Tant pis pour la mise en scène, plate, pour le décor, cheap, pour les costumes, ternes. Avec son Orchestre Révolutionnaire et Romantique (il fallait oser un tel nom), John Eliot Gardiner nous en fait voir, lui, de toutes les couleurs, et des plus belles. Mais cela, on s'y attendait. Ce qui est troublant, dans l'affaire, c'est que ce sont très clairement les options musicales qui déterminent l'intérêt dramatique. Parce qu'elle est soprano, cette Carmen (Anna-Caterina Antonacci) joue sur l'ironie, sur l'insoutenable légèreté de l'être plutôt que sur la sensualité, et échappe ainsi à tous les clichés du rôle. Parce qu'il use (comme à l'époque) de la voix de tête, ce Don José (Andrew Richards) peut jouer la scène finale comme en rêve, jusqu'à ce qu'il se réveille, et tue. On aurait bien sûr aimé que l'œil et l'oreille soient au diapason. Mais peut-être que le vrai talent du metteur en scène Adrian Noble consiste à s'être souvenu de la sentence de Toscanini.
vendredi 1 janvier 2010 à 21h17
Cinquante-deuxième Concert du Nouvel an à Vienne, retransmis par France 2, en Eurovision. Les valses de Strauss sont précédées par le Te Deum de Charpentier sous la direction du Révérend Père Martin. C'est ça l'Europe. A part cela, pas grand-chose à signaler, si ce n'est que Georges Prêtre est au pupitre, comme il y a deux ans. Cette fois, le Français mieux aimé à Vienne que dans son pays natal se fait plaisir : la mine gourmande et la baguette vagabonde, il laisse les musiciens jouer « dans la tradition ». Le résultat rappelle l'époque (1955 - 1979) où Willi Boskosky, Konzertmeister maison, dirigeait ses pairs, le violon à la main : tempos modérés, premier temps bien marqué, pesanteur générale. Zappés Karajan (1986), Kleiber (1989 et 1992), et même Maazel, Abbado, Muti, Mehta, Harnoncourt ou Barenboim, successeurs luxueux de Boskovsky aux commandes de la manifestation classique la plus regardée au monde (et désormais sponsorisée par Rolex, partenaire de l'Orchestre). Interrogés par des journalistes français, des membres du Philharmonique de Vienne établissent il y a quelques années le Top five des élus : Zubin Mehta vient en tête, suivi de Riccardo Muti. « Et Carlos Kleiber ? », s'inquiète quelqu'un. « Ah oui, c'est vrai, il a aussi dirigé le Concert du premier de l'an ». Selon que vous serez sur scène ou dans la foule, les mouvements du chef paraîtront blancs ou noirs.
A propos : bonne année !
vendredi 1 janvier 2010 à 11h46
Petite passe d'armes avec Pablo Galonce, coéquipier de Musikzen et historien de formation, qui suit avec passion sur Arte la série The War. Le documentariste Ken Burns, connu pour avoir réalisé un formidable travail sur la guerre de Sécession, y raconte la seconde Guerre mondiale vue d'Amérique, à travers les témoignages de combattants anonymes venus de quatre petites villes. Une sorte de Chagrin et la Pitié d'outre-Atlantique, en somme. Je reproche à Burns de céder à un ton sentimental à la Spielberg. Tendance lourde de l'historiographie, rétorque Pablo Galonce. Nous nous retrouvons en revanche sur le terrain de la musique : pas de John Williams ici, mais une utilisation exemplaire du répertoire classique. C'est lui qui nous en parle :
 
« Il y a beaucoup de bonnes raisons de suivre The War, l'excellente série sur la Deuxième Guerre Mondiale qu'Arte programme pour les fêtes de fin d'année. Parmi les meilleures : son commentaire musical. Le générique est signé Wynton Marsalis. Nat King Cole ou Gershwin chanté par Sinatra nous ramènent à l'Amérique des années 1940. Mais il y a aussi le Concerto pour violoncelle de Dvorak, le Trio pour cor, violon et piano de Ligeti, Nuages gris de Liszt, les Variations Enigma d'Elgar (dans une version pour piano), une pièce d'Arvo Pärt et bien d'autres merveilles encore. Si l'on lit attentivement le générique final, on voit défiler les crédits d'une quantité incroyable de morceaux classiques. Cela donne à la série une tonalité mélancolique, très éloignée des accents martiaux auxquels on aurait pu s'attendre, et qui en renforce le caractère intime. Le réalisateur Ken Burns suit une tendance lourde de l'historiographie récente : il s'attache moins à l'Histoire (Hitler, Churchill et Staline brillent par leur absence) qu'aux histoires de ceux qui ont combattu sur le terrain et à leurs familles. Mais sans perdre pour autant la rigueur historique : pour accompagner un épisode atroce de la guerre dans le Pacifique, il a choisi le Quatuor pour la fin du temps de Messiaen ».
mardi 29 décembre 2009 à 10h48
Drôle de séducteur que Max Raabe, qu'Arte a choisi, le surlendemain de Noël, pour égayer sa tranche culturelle du dimanche matin. Avec son Palast Orchester – smokings, pupitres blancs, éclairages étudiés – Raabe réactive depuis un peu plus de vingt ans le répertoire sentimental germanique et américain d'avant-guerre. Tous ses musiciens sourient, sauf lui, dont la voix sucrée de baryton aigu jure avec son aspect et sa tenue de maître d'hôtel imperturbable. A première vue, ce « à la manière de » est gênant, d'autant que le public de l'Admiral Palasz, à Berlin, est au diapason : jolies dames et beaux messieurs communiant dans le souvenir de leurs grands-parents, qui savaient si gentiment s'amuser en dépit de la dureté des temps. Et puis l'on s'aperçoit que le glacis craque de partout, que sous son air cérémonieux, Raabe est un clone de Joel Grey dans Cabaret, que l'Alabama Song de Brecht et Weill est encore plus détonnant s'il est enrobé du même sirop que Je t'ai donné mon cœur de Franz Lehar, que ce petit ballon dirigeable qui se promène au-dessus du public ravi est peut-être un piège mortel. Les commentaires que Raabe laisse tomber d'une voix lassée sont terribles : « En Amazonie, nous nous retrouvons face à face avec les singes, qui nous ressemblent tant. C'en est vexant. Pour les singes ». Dans la salle, le baryton Thomas Quasthoff hurle de rire. Tous applaudissent poliment. Entre fascination et répulsion, qui choisit quoi ?
lundi 28 décembre 2009 à 11h26
Dans son film Tetro, Francis Ford Coppola livre de manière à peine cryptée sa propre histoire familiale. Thème récurrent : la rivalité, celle du père et du fils, du frère et du frère, du frère qui apprend que son frère n'est pas son frère. Il laisse de côté les femmes, bien que l'on sache qu'entre sa fille Sofia (réalisatrice de Marie-Antoinette) et son fils Ramon, la lutte a été terrible. Il braque en revanche le projecteur sur les pères musiciens. Anton Coppola, chef d'orchestre et oncle du réalisateur, devient Carlo Tetrocini, (un grandiose Klaus Maria Brandauer), star de la baguette autrefois adoubé par Erich Kleiber, et rival heureux de son frère (Carmine dans la vie), à qui il a un jour conseillé de changer de patronyme pour ne pas lui faire d'ombre. Pour une fois au cinéma, la musique ne sert ni d'alibi culturel, ni de toile de fond (même si la BO d'Osvaldo Golijov en fait trop dans sa volonté de saisir les multiples facettes du film). On voit à peine le père dans l'exercice de ses fonctions de chef : Coppola en dit bien plus en accompagnant la confession (d'ailleurs mensongère) de son fils à son propos du chœur à bouche fermée de Madame Butterfly, retrouvant là, en mode mineur, le génie de la scène des hélicoptères/Walkyries d'Apocalypse now. La caméra n'insiste pas non plus sur le maestro écrasant sa progéniture de son mépris, ni les femmes de son charisme. Quelques plans de la poupée Olympia brisée dans Les Contes d'Hoffmann, le film culte de Michael Powell, disent bien mieux les ravages familiaux. Du coup, quand le film, qui faisait jusque-là penser aux contes à éclats multiples de Jorge Luis Borges (et pas seulement parce qu'il se passe à Buenos Aires) lance, sur la fin, des clins d'oeil à Pedro Almodóvar (avec, en prime, la star almodovardienne Carmen Maura), on trouve légitimes quelques scènes folles, comme celle où la baguette du chef défunt est transmise à son frère malheureux, tandis que l'orchestre joue seul la Première Symphonie de Brahms. Pour que la famille renaisse enfin de ses cendres, il faudra que ladite baguette soit cassée, en gros plan. C'est cela, les chefs-d'œuvre : tout y sonne juste, même la musique et les musiciens.
Coup d'envoi des programmes de fin d'année sur les chaînes du service public : sur France 3 Le Bourgeois Gentilhomme avec Christian Clavier, qui a déjà été, la saison dernière, un morne Malade imaginaire. Dans sa volonté de faire riche, le réalisateur Christian de Chalonge a installé la famille Jourdain dans un manoir… de vrai gentilhomme. On ne rit pas : la pièce est jouée sobre et réaliste, ce qui fait ressortir son cynisme. Rien ne rappelle qu'il s'agit d'une comédie-ballet, et la turquerie finale est escamotée. Signe des temps : la musique de Lully est réduite à ses deux thèmes les plus connus (l'ouverture et le Menuet du Maître à danser), mais interprétée dans un style impeccablement baroque, bien éloigné des arrangements de tradition à la Comédie-Française (signés André Jolivet, Dominique Probst ou Michel Colombier, quand il ne s'agit pas d'un mélange de Lully et de Richard Strauss). En tout cas la dichotomie entre le jeu série-télé des acteurs et cette volonté de faire époque ne choque pas, alors qu'à y bien regarder, elle est pour le moins étrange. Il est vrai que pour intriguer le public, il faut maintenant faire de Monsieur Jourdain un marchand d'articles de sport (et le faire jouer par Jean-Marie Bigard), ou tenter de retrouver les sons et les codes de la superproduction musico-théâtrale créée à Chambord en 1670, comme l'ont fait récemment le chef Vincent Dumestre et le metteur en scène Benjamin Lazar. Après tout, c'est grâce au Bourgeois Gentilhomme que le nom de Lully est passé à la postérité.
vendredi 11 décembre 2009 à 13h39
Prononcez le nom de Lully, et tout le monde est mal à l'aise. Pourquoi ? Parce que sa musique (hormis le menuet du Bourgeois Gentilhomme) a été oubliée pendant trois siècles ? Parce que ladite musique nous semble à la fois très proche et très lointaine ? Parce que (corollaire de la précédente remarque), on ne savait plus comment la jouer et qu'on se pose encore des questions à ce propos? Tout cela, c'est le lot d'une grande partie du répertoire ancien et baroque. Le personnage alors ? Ce Florentin devenu plus français que le roi de France, ce séducteur se rendant indispensable à la Grande Mademoiselle et dansant de conserve avec le jeune Louis XIV, ce ministre de la communication avant la lettre, offrant au souverain des harmonies dignes du soleil qu'il prétend incarner, inquiète encore. Molière n'en a pas fait moins, mais il a justement été la victime de Lully, lequel l'a laissé tomber pour aller inventer la tragédie lyrique, tellement plus représentative du génie français que les comédies ballet dont ils avaient tous deux régalé leurs contemporains. Un étranger qui prend la place des autochtones, un ambitieux qui n'a peur de rien, une éminence grise qui fait en sorte de ligoter toute opposition… Il y a bien là de quoi relancer le débat sur l'identité nationale. Le documentaire d'Olivier Simonnet qui passe sur Arte le 28 décembre est intitulé Lully l'incommode. Il ne tente pas de blanchir le personnage, mais insiste sur le fait qu'il n'a pas été ingrat avec tout le monde, ainsi que l'indique son soutien au jeune Marin Marais. A chaque époque on retrouve ces habiles incommodes qui cristallisent le génie du moment et mangent le pain convoité par tous. Quand ils apparaissent dans le milieu musical, on les traite de Lully. Ce doit être cela qu'on ne lui pardonne pas, à Lully.

Lully l'incommode, d'Olivier Simonnet. Arte, lundi 28 décembre à 23 h.
On nous avait annoncé la chaleur du sud, le poids de la religion, la libération de la femme, la révolte des exclus, la misère de l'enfance dégradée à travers le regard d'Emma Dante la Palermitaine, la metteur en scène qui nous parle de la vraie vie. Et l'on a eu sur Arte, en léger différé de la Scala de Milan, une Carmen proprette et traditionnelle, parsemée d'images propres à ravir les amateurs de dramaturgie prémâchée. Celle qui a fait frémir les Parisiens avec sa compagnie Sud Costa Occidentale au Théâtre du Rond-Point, a été, comme tant d'autres, mise au pas par la machine à broyer l'imagination qu'est l'opéra. De Werner Herzog à Lev Dodine, la liste des victimes est interminable, une des dernières étant le cinéaste Abbas Kiarostami, dont la relecture annoncée de Cosi fan tutte au festival d'Aix n'a pas dépassé un peu dérangeant premier degré. Ironie du sort, cette Carmen était décorée par Richard Peduzzi, qui avec Patrice Chéreau a si bien su être lui-même sans trahir les oeuvres. Peter Brook a bien eu raison, avec La Tragédie de Carmen, de passer au kärcher l'opéra de (grand-)papa. Et si encore cette Carmen scaligère (quel vilain mot !) était musicalement exceptionnelle…
lundi 9 novembre 2009 à 14h22
Le Concert est-il l'exception qui confirme la règle ? Eh bien non. Le film est un succès, il caracole en tête du box office, la grande presse l'a encensé. Dont acte. Comme l'indiquait la bande annonce, il chevauche à la hussarde la musique et ceux qui la font, au nom d'une truculence et d'une auto-ironie typiques de ceux qui ont connu les joies du post-stalinisme, tout en laissant comprendre que rien de tout cela ne peut attenter aux sublimités de l'Art. Respect. N'empêche qu'une fois encore, rien ne colle dans l'histoire, rien n'est crédible. Avec un autre prétexte que la musique, on ferait attention. Mais la musique et ceux qui la font, personne n'y connait rien, surtout pas le public visé par l'opération. Alors pourquoi se gêner ? Les financiers américains, direz-vous, ont dû bien rire en voyant La Firme avec Tom Cruise, et les gens de théâtre qui ont connu la guerre ont eu du mal à succomber au charme du Dernier Métro de François Truffaut. Un film n'est pas un reportage, et foin de la vraisemblance ! N'empêche… Comme disait Saint-Saëns : « Tous les violonistes jouent faux, mais il y en a qui exagèrent ».
mardi 3 novembre 2009 à 11h37
Au secours, le revoilà en DVD ! Si vous avez échappé à Clara, le film-en-costumes de Helma Sanders-Brahms sorti au printemps dernier, rappelez-vous que le facteur sonne toujours deux fois, et que tout relâchement serait dommageable. Le sujet incite à l'indulgence : ce n'est pas tous les jours que le cinéma parie sur le trio Schumann-Clara-Brahms
(Johannes, pas Helma) pour remplir les salles. Mais s'il les a plutôt vidées, c'est aussi – et même d'abord – parce qu'un tel nanar mériterait la Palme d'Or des Gérard (ces anti-Césars décernés annuellement par des cinéphiles facétieux). Voir Schumann (Pascal Greggory, tout mouillé), répondre d'un air agacé à Clara (Martina Gedeck, très bien, elle) lui demandant d'où il vient : « Ben, j'étais dans le Rhin », contempler la bonne s'arrêtant de récurer l'évier pour murmurer « Que c'est beau ! » en écoutant Brahms jouer à l'étage au-dessus, sont des expériences qu'un cinéphile ne vit pas tous les jours. La réalisatrice - à qui l'on doit l'ambitieux Allemagne, mère blafarde, sorti il y a juste trente ans – rêvait de faire faire pour l'occasion leurs débuts d'acteurs à Claudio Abbado et Hélène Grimaud. En voilà deux qui l'ont échappé belle !
Clara, de Helma Sanders-Brahms, avec Martina Gedeck, Pascal Greggory, Malik Zidi.
1 DVD Bodega. Sortie le 19 novembre.
vendredi 30 octobre 2009 à 18h41

Dans le superbe film de Jacques Audiard Un Prophète, par exemple, la musique vient quand il le faut, et tous les styles sont bons. Mais quand le film se termine, quand le petit casseur est devenu un pro du crime via l'école (de la) centrale, Audiard trouve la note qui nous emporte : la Complainte de Mackie (« Mackie, lui, a un couteau, mais le couteau, on ne le voit pas » ), qui ouvre L'Opéra de Quat'sous de Brecht et Weill. Le procédé est connu, et ladite Complainte a été mise à toutes les sauces, mais cette fois, cela colle vraiment. Du coup, on redécouvre le génie sous la rengaine.

mercredi 30 septembre 2009 à 12h34

Tiens, un centre commercial. Tiens, mais c'est La Bohème. La Bohème dans un centre commercial ? Mardi 29 septembre, Arte nous offre, en direct de Bâle, l'opéra de Puccini dans une version démocratique. Les chanteurs, munis d'un micro HD et reliés à l'orchestre par écouteur, évoluent comme tout un chacun, sauf qu'ils sont en costumes 1900, ce qui fait bizarre quand ils se retrouvent au MacDo pour fêter Noël. L'expérience - qui a l'air a priori moins incongrue que celle de La Traviata à la gare de Zürich tentée par Arte l'année dernière  – serait presque réussie si Rodolphe chantait juste et Mimi en mesure (problèmes de micros, certainement).

Mais voilà que la chanteuse chargée du rôle de Musette fend la foule et se livre, tout en détaillant sa « Valse », à une démonstration exhaustive de tout ce qu'il ne faut plus faire à l'opéra : œillades appuyées, coups de rein aguicheurs, pâmoisons dans les bras des messieurs mûrs qui se trouvent là. On dirait que cette Bohème ne descend dans la rue que pour convaincre le bon peuple que l'opéra, ce n'est pour lui. Au moins ledit peuple (des figurants, peut-être) a-t-il gentillesse de ne pas siffler, ce que le public huppé n'aurait pas manqué de faire (quoique…). Les téléspectateurs, eux, sont conviés à visionner le spectacle sur Internet, en confectionnant eux-mêmes leur montage. Sitôt dit, sitôt fait : en lieu et place de Mimi toussant sur un parking, la contemplation du pont d'autoroute surplombant le décor donne à tout cela un petit côté Marguerite Duras. Détruire l'opéra, dit-elle ...

vendredi 18 septembre 2009 à 11h20

A quoi sert la série Musique en images, créée en il y a vingt ans par Christian Labrande, à l'Auditorium du Musée de Louvre, maintenant que l'on trouve à peu près tout en DVD ou, mieux encore, sur Internet ? Peut-être à classer ce qui ailleurs est inclassable, à retrouver l'impression de rareté qui fait les délices de l'amateur, le tout sur un écran de cinéma, un grand écran qui vous domine, comme dirait Jean-Luc Godard, et non une télévision posée par terre. Pour "Fortune de Gustav Mahler", du 19 au 27 septembre, Henry-Louis de La Grange, pour qui l'auteur du Chant de la Terre n'a pas de secrets, a retrouvé des documents incroyables : une interview d'Anna Mahler réglant ses comptes avec sa mère Alma, Glenn Gould accompagnant la monumentale contralto Maureen Forrester, Maurice Béjart faisant travailler à Jorge Donn sa chorégraphie de la 5ème Symphonie, et même, clin d'œil réservé aux happy few, Willem Mengelberg dirigeant en 1931 l'Adagietto de L'Arlésienne de Bizet, dont Mahler s'est inspiré pour l'Adagietto de ladite 5ème. Le reste est à peine moins alléchant.

 

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