Jeudi 14 novembre 2024
Le cabinet de curiosités par François Lafon
mercredi 23 octobre 2024 à 15h55
Ce livre sur Schönberg (1874-1951) ne raconte pas : on a là un dictionnaire en soixante-douze entrées couvrant largement la production, la carrière, la personnalité et l’entourage d’un compositeur posant toujours problème. Titre significatif : « Qui a peur d’’Arnold Schoenberg ? » L’objectif n’est pas de rassurer, mais bien d’illuminer. Les entrées, de types divers, mènent parfois à des développements inattendus et se terminent par des renvois à d’autres. Quelques-unes concernent des œuvres, sans détours comme « Pierrot lunaire », ou indirectement comme « Fraicheur unique », qui débouche sur la symphonie de chambre opus 9, « œuvre préférée » de l’auteur du livre, ou comme « Poème symphonique », qui bien sûr traite de Pelléas et Mélisande. D’autres entrées concernent des traits de style, comme « Atonalité », « Expressionnisme » ou « Orchestration ». D’autres des éléments biographiques comme « Antisémitisme », « Berlin », « Société d’exécutions musicales privées », « USA », « Vienne ». D’autres sont plus abstraites à première vue mais non moins importantes : « Antipode » (Stravinsky), « Fils » (Berg) et surtout « Philosophe » avec son portrait d’Adorno. On retrouve ce dernier dans « Polémique » (à propos du Docteur Faustus de Thomas Mann). Il est souvent question de Boulez, mais n’ont droit à des entrées individualisées que « Busoni » et « Mahler ». L’entrée « Gifles » évoque le concert à scandale du 31 mars 1913, et « Peinture » aurait pu renvoyer à « Famille », et réciproquement. Pourquoi ? Pour le savoir, se plonger dans Bigorie.
Marc Vignal
 
Jérémie Bigorie : Qui a peur d’Arnold Schönberg ? Edition des Lumières, 196 p., 17,90 euros

Sorti quelques jours avant Noël comme le produit phare de Netflix, Maestro est le contraire de ce qu’on aurait pu s’attendre d’un biopic grand public sur Leonard Bernstein. Pas d’ascension et triomphe d’un génie, puisque le génie crève déjà à l’écran dès le début, le concert avec le Philharmonique de New York où un espoir de 25 ans remplace au pied levé Bruno Walter pour devenir le prodige que l’on s’arrache. C’est plutôt la relation avec Felicia Montealegre (Carey Mulligan) qui constitue le fil de la narration, depuis leur rencontre jusqu’à la mort de l’actrice devenue pour le monde la femme du chef le plus célèbre qui soit. Comment survivre à un tel monstre, telle est la question : en épousant Lenny, Felicia n’ignore rien de l’appétit sexuel de son futur mari ni son penchant pour les garçons, mais elle va mesurer les effets dévastateurs du besoin maladif d’attention et de reconnaissance d’un éternel enfant qui ne peut se passer de sa vie de famille pas plus que de mener une carrière intense qui l’éloigne du foyer, tout en multipliant les aventures extra-conjugales en s’entourant d’une cour qui ne peut évidemment que tomber sous le charme d’un séducteur-né. « Je veux tout » dit Bernstein : c’est à Felicia de le mettre en face de ses contradictions dans une scène, la meilleure du film, où le couple prend acte du fossé ouvert entre les deux, comme dans un drame conjugal à la Ingmar Bergman. 
Produit par Martin Scorsese et Steven Spielberg avec tout ce qu’il fallait pour récréer avec luxe les années 1940 à 1970, le film est dirigé par Bradley Cooper, qui n’a pas eu peur d’endosser lui-même le rôle principal. Trop admiratif du personnage auquel il est censé donner vie, l’acteur-réalisateur se limite le plus souvent à l’imiter, moyennant un faux nez, des coiffures poivre sel et la diction typiquement nasale de Lenny, plus qu’à l’incarner. La ridicule est atteint dans une séquence inutilement longue, l’interprétation de la Deuxième symphonie de Mahler à la cathédrale d’Ely avec un Cooper qui singe tous les maniérismes dont le chef était capable. Yannick Nézet-Séguin, engagé comme consultant, aurait dû le mettre en garde : tout le monde veut être le nouveau Bernstein, personne n’y est parvenu encore...
Pablo Galonce

Maestro, de Bradley Cooper. 2h11. Disponible sur Netflix

mercredi 8 novembre 2023 à 12h19
Dans la nuit, à la lueur des torches, une barque approche de la rive romaine dans un superbe clair-obscur (photographie de Francesco Di Giacomo) : pour l’œil, le plan légèrement flottant pris par derrière rappelle l’Île des morts. L’oreille confirme : ce que l’on entend c’est justement le poème symphonique homonyme, pour lequel Rachmaninov a trouvé son inspiration dans le célèbre tableau (ou plutôt la série de cinq tableaux) d’Arnold Böckling. C’est l’un des plus beaux moments, parmi les nombreuses images captivantes dans le film de Marco Bellocchio L’Enlèvement, actuellement en salles (et reparti bredouille, incompréhensiblement, du dernier Festival de Cannes). Le morceau de Rachmaninov donne même la tonalité très sombre à toute la première partie du film, celle qui raconte l’enlèvement d’un enfant juif à sa famille et son intégration forcée dans l’univers catholique. Cinéaste de l’intime et de l’histoire, ou plutôt de l’intime dans l’histoire (voir Vincere ou sa série Esterno notte sur l’affaire Aldo Moro), Bellocchio raconte cette histoire vraie à la fois en fouillant dans le contexte (les années mouvementées du Risorgimento et l’unification italienne) et en brossant le portrait des personnages, dont celui de Pie IX (Paolo Pierobon). C’est à lui que Bellocchio réserve quelques scènes oniriques, dont une où le Pape voit les caricatures vraiment salaces que la presse libérale lui consacre s’animer comme dans un cartoon aux sons du scherzo du Huitième quatuor de Chostakovitch. Ce n’est pas la dernière référence classique de la bande son (dont la musique originale est signée Fabio Massimo Capogrosso) car le Cantus in memoriam Benjamin Britten d’Arvo Pärt arrive dans la dernière partie de ce film bouleversant et troublant.
Pablo Galonce

L’Enlèvement, de Marco Bellocchio. Actuellement en salles. 

Dans La Nuit aussi est un soleil, le critique d’art Pierre Cabanne évoquait certains « hors-la-loi de la peinture », de Rembrandt à Nicolas de Staël, en passant par Goya, Gauguin, Van Gogh, Toulouse-Lautrec ou Soutine. En invitant une nouvelle fois la compositrice Éliane Radigue, les Soirées Nomades de la Fondation Cartier pour l’art contemporain s’inscrivent  sans conteste dans cette démarche célébrant cette « hors-la-loi » de la musique. Qui se souvient des Chants de Milarépa, premier album de cette pionnière du minimalisme et de l’électroacoustique (passée par le Studio d’essai de la RTF et les premiers synthétiseurs modulaires au studio de Morton Subotnick à San Francisco), longue pièce méditative avec la voix de son confrère new-yorkais Robert Ashley (Lovely Music) ? Près d’un demi-siècle plus tard, elle applique ce principe à des compositions destinées exclusivement à des instrumentistes, des « phantasmes sonores » constitués de solos, duos, trios pour harpe, trompette, violoncelle, clarinette basse, où la musique s’exhale comme un souffle aux résonances infinies, une vague gigantesque ou encore une sculpture aux mouvements aériens à l’image d’un mobile de Calder. Une série fascinante aux combinaisons instrumentales multiples déclinées en quatre soirées : « pour rêver très grand, affirme-t-elle, car dans la réalisation, on est toujours obligé d’abandonner quelque chose. Si le rêve est grand, il en reste beaucoup, et si le rêve est petit, il n’en reste que très peu ».                                                                                                                                                                                            Franck Mallet

Fondation Cartier boulevard Raspail Paris – « Éliane Radigue, OCCAM OCEAN, rétrospective » les lundis 18 et 25 septembre, et 9 et 16 octobre (19h30)

Photo © Olivier Ouadah
jeudi 17 août 2023 à 13h04
« Celle qui s’approchait le plus d’une véritable actrice-chanteuse », résume Plácido Domingo (rapporté par Eric Dahan dans Libération) à propos de Renata Scotto, disparue le 16 août à quatre-vingt-neuf ans. « L’art de se surpasser », pourrait-on ajouter. Voix légère, voix héroïque, maîtrise du souffle et du timbre (stridences comprises), équilibre millimétré entre culte du beau chant et tempérament de tragédienne : comme chez Maria Callas, l’art cache l’art. Ecoutons-la, puisqu’elle fut une championne du disque audio (voir sa discographie ici) avant que la vidéo ne se généralise, dans Verdi (deux fois Rigoletto et Traviata, Desdémone d’Otello, Abigaille dans Nabucco), Puccini (deux fois Madama Butterfly, Liu dans Turandot, Suor Angelica), Bellini (Norma), Giordano (Andrea Chénier), Cilea (Adriana Lecouvreur) et même Mascagni (Cavalleria Rusticana). Sentant la fin (de la carrière) venir, elle retravaille son allemand et tente Wagner (Kundry dans Parsifal), Strauss (La Maréchale du Chevalier à la rose, Clytemnestre dans Elektra) et Schönberg (Erwartung). Un ultime saut de l’ange qui la décrit tout entière.
François Lafon
Hauts lieux de divertissement pour l’impératrice Joséphine et Napoléon Bonaparte sous le Premier empire, le Château de Malmaison, ainsi que celui de Bois-Préau, racheté sous le Second Empire par la famille Rodrigues-Enriques, retrouvaient une partie de leur lustre musical d’antan grâce aux efforts conjoints d’Elisabeth Claude, leur Conservatrice, associée à Sylvie Brély, Présidente de La Nouvelle Athènes – Centre des pianos romantiques, à l’occasion de la première édition du Festival de Pentecôte dédié à l’esthétique du premier romantisme français. Si l’Histoire a retenu avec raison la figure de Beethoven, il s’agissait de redécouvrir, et même plus simplement de s’ouvrir, à celles, oubliées, de Devienne, Hortense de Beauharnais, Duport, Hérold, Garat, Wély, Jadin, Dussek, Grétry ou Adam, frottées au chant italien de Paisiello et Spontini.
La 3e journée débutait l’après-midi sur quatre quatuors à cordes de la fin du XVIIIe siècle par les excellents instrumentistes de l’Ensemble Infermi d’Amore, tous formés récemment par Amandine Beyer à la Schola Cantorum Basiliensis de Bâle. Certes, le soleil dardait à travers les baies vitrées de l’Orangerie et il n’était pas facile de garder l’accord sur des instruments aux cordes si sensibles aux températures, mais le style délicat et chantant du Quatuor op. 1 n° 3 de Jadin trouvait là des interprètes totalement passionnés. Avec Boccherini (Quatuor à cordes op. 2 n° 6), le jeu s’intensifie et se colore, avant le Quatuor op. 34 n° 1 de Pierre Baillot (1771-1842), vraie découverte aux accents plus dramatiques, avec les ritournelles « À l’Espagnole » de son « Menuetto ». Le Quatuor en sol mineur de Viotti offrait une conclusion brillante à ce récital.
Le second concert de 18h30 proposait un panorama éloquent des concerts donnés une fois par semaine dans son salon par Joséphine, concocté par Coline Dutilleul (mezzo-soprano), Aline Zylberajch sur piano Erard (celui de 1806 restauré par Christopher Clarke pour La Nouvelle Athènes) et Pernelle Marzotti (harpe Erard). Entre pièces solistes de Mehul, Paisiello, Pleyel et Nadermann (Sonate en do mineur pour harpe) et mélodies de Hortense, la fille de Joséphine (extraites des « 12 Romances »), airs d’opéras de Paisiello (Zingari in Fiera et Nina), Méhul (Ariodante transcrit par Jadin) auxquels s’ajoutaient des romances de Pierre-Jean Garat (Il était là) et Jadin (La mort de Werther), un air du Huron, opéra-comique de Grétry et la langueur sublime d’O nume tutelar, air tiré de La Vestale de Spontini (bien vu, Coline Dutilleul !), les interprètes révélaient tout le charme et l’attrait de ces œuvres à la fois joyeuses, tendres et ardentes. La Bibliothèque de Malmaison recèle encore bien des secrets – plusieurs opéras y furent créés avant Paris – et des partitions d’Hortense de Beauharnais y dorment encore.         
Franck Mallet

Orangerie du Château de Bois-Préau, Parc de Malmaison, 15h & 18h30, dimanche 28 mai 2023
(Photo : Coline Dutilleul © DR)
 
 

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