Dans l’étonnante salle IIIème République façon Versailles du Théâtre du Garde-chasse des Lilas, récital du jeune pianiste Simon Ghraichy. Public de connaisseurs, assez nombreux, pour ce Libano-Mexico-Français, élève de Michel Béroff et Daria Hovora au Conservatoire de Paris, invité ailleurs beaucoup plus qu’ici et qui fera ses grands débuts parisiens en avril 2017 au Théâtre des Champs-Elysées dans un programme « Liszt et les Amériques ». Très grand, tignasse noire, veste rouge vif, un air de Paganini pianiste et un répertoire à l’avenant : Liszt (Sonnet de Pétrarque n°104 des Années de Pèlerinage), Beethoven (Sonate « au clair de lune », Allegretto de la 7ème Symphonie transcrit par … Liszt), Villa-Lobos, Schumann (Kreisleriana). Un tempérament électrique et éclectique, davantage chez lui dans l’invention permanente de Liszt que dans le développement beethovénien, et qui trouve son point d’équilibre dans des Kreisleriana sans garde-fous, plus hoffmannesques encore (c’est le sujet) que dans l’enregistrement - avec une non moins inhabituelle Sonate de Liszt - paru la saison dernière chez Challenge.
François Lafon
Théâtre du Garde-chasse, Les Lilas, 15 avril Photo © DR
« La mélodie, c’est comme si on disait « Voilà ce qui se passe » pour raconter un livre ou un film. C’est la partie émergée de l’iceberg. » « L’utilisation de quintes crée un son très distinct, ouvert et même mystique. » « Bach et Charlie Parker ont créé de nouveaux styles fondés sur les montées et les descentes de gammes. » « Les espaces entre les notes prêtent une certaine douceur à celles-ci. Comme pendant un concert de Chilly Gonzales qui n’affiche pas complet, chaque personne est d’autant plus unique qu’elle est entourée de sièges vides. » Ainsi parle Jason Beck, alias Chilly Gonzales, Canadien, pianiste et compositeur, roi de l’électro-pop, recordman du monde de l’endurance en concert (vingt-sept heures, trois minutes et quarante-quatre secondes), aujourd’hui auteur de Re-introduction Etudes (partitions + CD), destiné à « toutes les personnes qui ont appris le piano dans leur enfance et qui ont abandonné trop tôt. » Les études en question sont en effet à la portée des doigts les plus rouillés, et pourront redonner confiance aux polytraumatisés des gammes et du solfège. Il existe, certes, bien d’autres cahiers d’exercices, tous promettant de remettre en selle les plus découragés. Celui-ci a pour lui de ne pas se prendre au sérieux, tout en affichant ses références, humour compris : Brahms et Steve Jobs, Mozart et Thelonius Monk, Clara Schumann et Pierre Gagnaire, Maria Callas et Daft Punk. Le 7 juillet à l’Amphithéâtre de la Cité de la Musique, l’artiste masterclassera quatre élus : « Ceci n’est pas un concert, mais une occasion pour les pianistes qui ont jeté l’éponge. » On devrait refuser du monde.
François Lafon
Chilly Gonzales : Re-introduction Etudes, 1 livre-CD Editions Bourgès.R
Masterclass publique lundi 7 juillet à 19h, Cité de la Musique, Paris. Candidatures jusqu’au 23 juin : envoyer lettre (pas plus de 300 mots) ou vidéo (pas plus de 2 minutes) à masterclass@chillygonzales.com.
A la salle Gaveau, « Cantabile, récital lyrique Mozart », par l’Orchestre des Pays de Savoie sous la baguette de son chef permanent Nicolas Chalvin. Sous ce titre à la fois bateau et énigmatique, un programme « comme à l’époque » : entre chacun des quatre mouvements de la 33ème Symphonie, Cédric Tiberghien vient jouer le 17ème Concerto pour piano, et Sophie Karthäuser chanter des airs de concert, les deux solistes se retrouvant à la fin pour l’air Ch’io mi scordi di te, avec piano obligé. Mélange du plus grand Mozart et de l’un peu moins grand, ballet inhabituel d’interprètes. L’Orchestre est enthousiaste mais perfectible, Tiberghien ne sucre pas le sucre dans le déjà expressif Concerto, mais entre en totale empathie avec la chanteuse, timbre doré, technique de haute école, émotion maîtrisée. Un concert pas du tout comme les autres, en fin de compte.
François Lafon
Salle Gaveau, Paris, 22 mai Photo © DR
Comment concilier l’amour des éléphants et celui de Beethoven? En jouant Beethoven pour des éléphants. C’est le cadeau que s’est offert le pianiste britannique Paul Barton pour fêter ses cinquante printemps, dans les montagnes de Kanchanaburi, au nord-est de Bangkok. Comme les éléphants en question sont aveugles, il s’agit en plus d’une bonne action, doublée d’une bonne opération publicitaire, puisque Barton, installé depuis seize ans en Thaïlande, ne manque jamais de poster ses exploits sur YouTube. « Je me suis assis devant mon piano et me suis demandé : « Quelle est la musique idéale pour des éléphants ? Il ne faut pas que ce soit très long. J’ai fouillé dans mes partitions et j’y ai pêché le mouvement lent de la Sonate Pathétique. » Aucun commentaire de l’artiste, en revanche, sur la musique qui fait swinguer les pachydermes dans le second extrait, ni sur la couleur du piano utilisé.
François Lafon
55 millions de visites sur YouTube, 77 000 abonnés : Justin Biber, Lady Gaga ? Non, Valentina Lisitsa, pianiste. A titre de comparaison, la mezzo galloise Katherine Jenkins, reine du cross-over au Royaume-Uni, ne réunit, elle, que 5600 abonnés. En 2006, cette Ukrainienne installée aux Etats-Unis produit à ses frais un DVD des vingt-quatre Etudes de Chopin et le met en vente sur Amazon. Déception : non seulement le DVD ne se vend pas, mais elle en retrouve le contenu sur la Toile. Elle décide alors de mettre son œuvre sur YouTube. Surprise : les ventes du DVD s’envolent. Elle poste alors des vidéos la montrant en répétition, et met en place un flux direct permettant à ses fans de participer à la composition de ses programmes. En 2009, elle hypothèque sa maison pour financer l’enregistrement des Concertos de Rachmaninov avec le London Symphony Orchestra et crée sur son canal une fonction intitulée « Rach Project » permettant de suivre le work in progress. En 2012, elle donne au Royal Albert Hall de Londres (5544 places) un concert diffusé en direct sur YouTube. Elle signe par ailleurs un contrat d’exclusivité avec Decca, dont le premier bébé n’est autre que… les quatre Concertos de Rachmaninov, et obtient que ses enregistrements continuent à être disponibles gratuitement sur son canal. « Nous ne voulons pas être le grand méchant label qui restreint la communication de l’artiste avec ses fans », explique Paul Moseley, directeur de Decca, au Wall Street Journal. Et comment joue Valentina Lisitsa ? Sec et brillant, si l’on en croit ses vidéos. A suivre, et pas les yeux fermés.
François Lafon
Rachmaninov : Concertos pour piano n° 1-4 – Rhapsodie sur un thème de Paganini. Valentina Lisitsa (piano), London Symphony Orchestra, Michael Francis (direction) – 2 CD Decca http://www.youtube.com/user/ValentinaLisitsa
Trois séances publiques, à l’Amphithéâtre de la Cité de la Musique, de l’Académie Maria Joao Pires. Le travail, commencé à huis clos à l’abbaye de Royaumont le 12 janvier, se termine le 22 par un concert « scénarisé » dans la grande salle de la Cité. But de l’opération : casser le rituel, non seulement du concert, mais de la perception même de la musique. Autour de la pianiste : le dramaturge (au sens allemand : chercheur de sens) Frédéric Sounac et le « musicopsychiste » Dominique Bertrand. Le premier commente un des ouvrages à méditer par les académiciens : Alexis ou le Traité du vain combat de Marguerite Yourcenar, l’histoire d’un pianiste « empêché de musique » par un secret personnel. Le second, dans la tradition des séminaires de Michael Lonsdale et du compositeur Michel Puig à la Chartreuse de Villeneuve-Lès-Avignon (années 1970), fait participer la salle à une série exercices d’éveil, expliquant que le monde a débuté par un son, qu’au commencement était le Verbe, et que c’est l’oreille interne qui assure l’équilibre du corps, lequel ne doit pas seulement aller de l’avant, mais s’ouvrir à 360° à la résonnance universelle. Puis Pires reprend la main en jouant Mozart façon chaises musicales avec son élève Lilit Grigoryan. « Tu es plus forte que moi : tu peux t’arrêter quand tu veux, remarque-t-elle dans un sourire à la Jane Birkin. Moi, quand la machine est lancée... ». Mélange de modestie et d’autorité : « Il ne faut pas faire quelque chose de la musique, mais se laisser aller à elle ». Après un ultime exercice sensoriel (se laisser guider au son, les yeux bandés), fin abrupte de la séance. « L’énergie n’est plus là. A demain ». Pas facile de casser le rituel.
François Lafon
20 janvier : Académie à 9h30 et 14h30. 22 janvier : Concert à 20h. Cité de la Musique, Paris Photo © DR
Sur le site australien limelightmagazine.com : les dix pianistes les plus marquants de l’histoire, choisis par les maîtres actuels du clavier. Dans l’ordre croissant des préférences : Artur Schnabel (Au plus loin des profondeurs de l’œuvre), Wilhelm Kempff (charme et spontanéité), Alfred Brendel (respect du texte et liberté), Glenn Gould (habileté à sculpter la polyphonie), Alfred Cortot (subjectivité et musicalité), Emil Guilels (un son en or massif), Arthur Rubinstein (ton brillant, variété des phrasés), Sviatoslav Richter (technique et imagination), Vladimir Horowitz (virtuosité pétillante et génie des couleurs), Serge Rachmaninov (technique surhumaine et chant infini). Uniquement des hommes, tous disparus, sauf Brendel, qui ne joue plus en public. Petit jeu d’été : établissez votre propre liste. En voici une, qui ne reprend aucun des noms précités (toujours dans l’ordre croissant des préférences) : Samson François (intuition et imagination), Clifford Curzon (mûrissement et équilibre), Walter Gieseking (modernisme et impressionnisme), Clara Haskil (sobriété et intensité), Claudio Arrau (profondeur et méditation), Edwin Fischer (probité et inspiration), Dinu Lipatti (spontanéité et humanité), Wilhelm Backhaus (rigueur et intemporalité), Rudolf Serkin (poésie et austérité), Arturo Benedetti Michelangeli (précision et passion). A vous maintenant, et n’hésitez pas à nous envoyer votre palmarès.
François Lafon
En photo : Artur Schnabel
Réactions en foule à la disparition de Brigitte Engerer. La pianiste était appréciée, mais n’avait jamais déchaîné de passions proprement musicales : elle jouait beaucoup, bien, sans chercher à se mettre en avant ni révolutionner l’art de l’interprétation. Elle était une sorte d’anti-Hélène Grimaud, une artiste de terrain, travaillant avec les grands orchestres comme avec les moins grands, passant avec la même conscience professionnelle de la salle Pleyel aux MJC les moins médiatisées. Cela lui venait peut-être de ses années russes, de son apprentissage à Moscou avec Stanislas Neuhaus : comme Richter, comme Gilels, tout Richter et Gilels qu’ils étaient, elle « faisait le travail ». Dans le milieu musical, on la savait malade depuis longtemps : « Encore un que l’adversité n’aura pas », se disait-on (se disait-elle ?) à chacun de ses nombreux concerts. Elle était une bonne cliente aussi pour les journalistes : du vécu, du contenu, jamais de langue de bois ni d’autopromotion. Quand on dit qu’elle laisse un vide, ce n’est pas une formule toute faite.
François Lafon
Après les dessins au pochoir de Miss Tic sur les murs et les fausses plaques de rue Impasse Sarkozy Ancien président de la République 2007-2012 en mars dernier, ce sont maintenant les pianos qui envahissent la capitale : ils sont quarante dans Paris pour une version transposée de la célèbre injonction du Bossu « Si tu ne vas pas au piano, le piano ira à toi. » Sao Paulo, Los Angeles, Londres, Genève, Sydney, Barcelone… depuis 2008, ce « street » événement fait un tabac. Chez nous, jusqu’au 8 juillet, au Forum des Halles, à la gare Montparnasse ou place de la Nation, à chacun de s’installer au clavier de ces instruments au look bariolé pour séduire les passants. L’autre jour au Carrousel du Louvre, un touriste s’est arrêté pour jouer la sonate Appassionata et tout le monde en est resté bouche bée. Comme devant La Joconde.
Gérard Pangon
http://streetpianos.com/paris2012/
Des concerts d’une heure (places à 10 €), un public familial qui attend gentiment (et longtemps) que la salle ouvre avant de se précipiter aux meilleures places, des piles de disques vendues à chaud : la Folle Journée de Nantes ? Non, mais presque : la Folle Nuit à Paris, salle Gaveau, soit onze concerts en un week-end, avec les artistes des disques Mirare, le label créé par René Martin (Monsieur Folle Journée) et son fils François-René. Samedi à 19h, le jeune pianiste Adam Laloum, signataire chez Mirare d’un joli CD Brahms joue Mozart avec l’Ensemble orchestral de Paris dirigé par Joseph Swensen. Public à la fois ravi et énervé par le galop dans les escaliers qui mènent à la salle. Réplique piquée au vol : « Curieuse formule pour du classique. Aussi kitsch qu’un concert de Mylène Farmer à Bercy» (???). Laloum attaque en douceur avec la 4ème Sonate, petit bijou de jeunesse commençant par un bel Adagio. Sonorité pleine, toucher sensible, articulation impeccable. Puis vient le 24ème Concerto, un des plus riches mais pas des plus chantants. Le pianiste se bat avec un orchestre brouillon, on ne retrouve que par moments les qualités de la Sonate. Peu importe : gros succès. On n’est pas venu là pour jouer au critique.
François Lafon
www.sallegaveau.com
« Je suis très content d’être avec vous ce soir. Pour vous dire merci, je vais vous jouer une Valse de Chopin ». Jan Lisiecki, pianiste canadien d’origine polonaise né le 23 mars 1995, est un jeune homme sans façons. Pour l’ouverture de la saison de l’Orchestre de Paris, à Pleyel, il joue le 1er Concerto de Chopin, qui a fait l’objet de son premier CD, il y a deux ans. Sonorité claire, phrasés déliés, rubato naturel, aucune affectation : il joue comme il est, un grand ado poussé en graine. Dans la salle, tout le staff d’Universal : Jan Lisiecki vient d’enregistrer pour Deutsche Grammophon les Concertos n° 20 et 21 de Mozart. Depuis ses débuts, en 2004, son calendrier ne désemplit pas. Le 21 octobre, il ouvre la saison de l’Orchestre Métropolitain de Montréal dirigé par Yannick Nézet-Séguin, avant de s’envoler pour le Japon. Dans le premier mouvement du Concerto de Chopin, il fait une énorme fausse note. Regard inquiet du chef Paavo Järvi. Est-on si sérieux, quand on a seize ans ?
François Lafon
« Je suis la Geneviève de Fontenay du classique ». Aie ! « Une Star’Ac du piano ». Re-aie ! Pour présenter Les Virtuoses du cœur (Aie puissance 3), Jean-Michel Jamet ne recule devant aucune référence. L’idée de cet ex-homme d’affaires (Marionnaud, American Express) reconverti dans la musique est pourtant judicieuse : puisque le piano est l’instrument bourgeois par excellence et que nombre de gens disposant d’un (très) grand salon organisent chez eux des récitals privés, pourquoi ne pas organiser un concours à l’échelle nationale ? Où que vous soyez en France, l’association vous met en relation avec un jeune virtuose de la région, qui va venir jouer chez vous. Le public répond à un questionnaire (« Programmeriez-vous cet artiste à la salle Pleyel ? ») permettant d’éliminer ou de sélectionner les impétrants, dont certains sont d’ores et déjà parrainés par des anciens (Marie-Josèphe Jude, François Chaplin). Viendront ensuite, jusqu’en mars 2012, des finales départementales, régionales et nationales. Deux mille concerts éliminatoires sont prévus jusqu’en octobre, déplaçant quelque cent mille spectateurs, lesquels sont invités à participer à une double bonne action, puisque une partie de leurs droits d’entrée est reversé à l’association Coline en ré, destinée à offrir des soins chirurgicaux aux enfants des pays défavorisés. « Entre Star’Ac et Un dîner presque parfait, lit-on dans Le Figaro, mais sans caméra ». Eh oui ! Un pianiste trimant sur son clavier ne sera jamais aussi glamour que Jennifer ou Nolwenn Leroy.
François Lafon
www.lesvirtuosesducoeur.com
Scott Ross, Anner Bylsma, Kenneth Gilbert, René Jacobs, Pierre-Yves Artaud, Yvonne Loriod : les années 1980, une époque (a posteriori ?) bénie, où la musique était encore agitée de batailles idéologiques, où elle était vivante en somme. De 1987 à 1991, la Sept, relayée plus tard par Arte, avait commandé à Olivier Bernager et François Manceaux une douzaine de Leçons de musique données par ces pionniers du baroque et ces combattants de l’avant-garde. Des interprètes plus traditionnels mais non moins représentatifs de leur temps complétaient la série : Yuri Bashmet, Marek Janowski, Nikita Magaloff, Hermann Baumann, Gérard Poulet, José Van Dam. Devenus des moments d’histoire, ces documents sont rediffusés sur Arte, paraissent en DVD et sont consultables sur le site okarinamusique.com. Neuf réalisateurs s’y étaient collés, avec pour résultat commun d’offrir des gros plans sur les rapports maîtres-élèves plutôt que d’élever des monuments à la gloire des têtes d’affiches. Il y a des moments extraordinaires, comme celui où Scott Ross, bonnet sur la tête, déjà atteint par la maladie, lâche dans un sourire : « C’est que je suis génial », ou comme celui où Roger Muraro rappelle à Yvonne Loriod comment il avait été recalé au Conservatoire. La façon de filmer, la texture des images achèvent de nous replonger dans un temps perdu et pourtant très proche : outre Muraro, les élèves s’appellent Nicholas Angelich, Renaud Capuçon, Nicolau de Figueiredo, Olivier Baumont ou Emmanuel Pahud.
François Lafon
Les Leçons particulières de musique. 12 DVD Harmonia Mundi - Diffusion sur Arte tous les dimanches à 10h45, du 13 février au 15 mai - okarinamusique.com
Message sur le site du pianiste anglais Stephen Hough : « En écoutant votre enregistrement des deux Valses énigmatiques dont vous êtes l'auteur, le terme homosexualité m'est venu à l'esprit ». Hough, qui est gay et ne s'en cache pas, répond en citant la boutade de Vladimir Horowitz : « Il y a trois sortes de pianistes : les juifs, les homosexuels et les mauvais ». Il se demande ensuite s'il est possible d'opposer des pianistes comme Horowitz, Sviatoslav Richter et Shura Cherkassky à Arthur Rubinstein, Emil Guilels et Rudolf Serkin, les trois premiers, bien que mariés, n'ayant pas la réputation d'avoir été des hommes à femmes. Il ne va pas, en revanche, jusqu'à se demander si la judéité d'Horowitz ou de Rubinstein s'entend dans leur manière de jouer les Mazurkas de Chopin, ni, a fortiori, si aucun de ces géants du clavier a réuni les trois particularités. Dans les cent-cinquante-trois commentaires qu'a jusqu'ici suscités l'article de Hough, les internautes se déchaînent. On se pose des questions sur le lesbianisme présumé de Dame Myra Hess (1890-1965), on disserte sur la masculinité latente de Martha Argerich, on cite Oscar Wilde, et l'on remarque que dans son film Richter l'insoumis, Bruno Monsaingeon évite de préciser les préférences sexuelles de l'artiste. Tout cela fait froid dans le dos, non ? Par bonheur, personne n'a relevé que c'est en jouant ses propres œuvres que Hough a mis la puce à l'oreille de son sagace auditeur. On échappe ainsi aux considérations sur l'homosexualité coupable qui irrigue la Symphonie « Pathétique » de Tchaikovski ou la gaytitude transcendée de Szymanowski dans Le Roi Roger. Dans Contre Sainte-Beuve, Marcel Proust, conteste l'idée que l'œuvre est le reflet de la vie : « L'homme qui fait des vers et qui cause dans un salon n'est pas la même personne », affirme-t-il. Mais chacun sait que Proust était juif et homosexuel.
Crédit Photo: Eric Richmond
En haut de la gamme, le pianiste Leif Ove Andsnes joue un peu partout dans le monde des « Tableaux (…d'une exposition de Moussorgski) ré-encadrés » par le plasticien et vidéaste sud-africain Robin Rode. En bas, les Solistes français moulinent les Quatre Saisons de Vivaldi devant de larges publics, sensibles avant tout à leur aspect rock'n roll et à leur gestuelle virevoltante. La question est la même : comment échapper à la fatalité qui veut qu'au concert, il y a beaucoup à écouter, mais pas grand-chose à voir ? Il y a quelques années, au Théâtre Mogador, l'Orchestre de Paris avait testé un système d'éclairages colorés illustrant les diverses atmosphères des chefs-d'œuvre du répertoire : fiasco total. Même pour les enfants de la civilisation de l'image, la musique s'écoute les yeux fermés, ou tout au moins les yeux ailleurs, et pas seulement parce que les artistes en plein effort (ou pire : en pleine inspiration) ne sont pas toujours beaux à voir.
Pictures reframed, par Leif Ove Andsnes (piano) et Robin Rode (ilustration visuelle) - Théâtre des Champs-Elysées, Paris, le 11 décembre
Les Solistes français - Grand Rex, Paris, le 14 février