Mardi 19 mars 2024
Le cabinet de curiosités par François Lafon
Hauts lieux de divertissement pour l’impératrice Joséphine et Napoléon Bonaparte sous le Premier empire, le Château de Malmaison, ainsi que celui de Bois-Préau, racheté sous le Second Empire par la famille Rodrigues-Enriques, retrouvaient une partie de leur lustre musical d’antan grâce aux efforts conjoints d’Elisabeth Claude, leur Conservatrice, associée à Sylvie Brély, Présidente de La Nouvelle Athènes – Centre des pianos romantiques, à l’occasion de la première édition du Festival de Pentecôte dédié à l’esthétique du premier romantisme français. Si l’Histoire a retenu avec raison la figure de Beethoven, il s’agissait de redécouvrir, et même plus simplement de s’ouvrir, à celles, oubliées, de Devienne, Hortense de Beauharnais, Duport, Hérold, Garat, Wély, Jadin, Dussek, Grétry ou Adam, frottées au chant italien de Paisiello et Spontini.
La 3e journée débutait l’après-midi sur quatre quatuors à cordes de la fin du XVIIIe siècle par les excellents instrumentistes de l’Ensemble Infermi d’Amore, tous formés récemment par Amandine Beyer à la Schola Cantorum Basiliensis de Bâle. Certes, le soleil dardait à travers les baies vitrées de l’Orangerie et il n’était pas facile de garder l’accord sur des instruments aux cordes si sensibles aux températures, mais le style délicat et chantant du Quatuor op. 1 n° 3 de Jadin trouvait là des interprètes totalement passionnés. Avec Boccherini (Quatuor à cordes op. 2 n° 6), le jeu s’intensifie et se colore, avant le Quatuor op. 34 n° 1 de Pierre Baillot (1771-1842), vraie découverte aux accents plus dramatiques, avec les ritournelles « À l’Espagnole » de son « Menuetto ». Le Quatuor en sol mineur de Viotti offrait une conclusion brillante à ce récital.
Le second concert de 18h30 proposait un panorama éloquent des concerts donnés une fois par semaine dans son salon par Joséphine, concocté par Coline Dutilleul (mezzo-soprano), Aline Zylberajch sur piano Erard (celui de 1806 restauré par Christopher Clarke pour La Nouvelle Athènes) et Pernelle Marzotti (harpe Erard). Entre pièces solistes de Mehul, Paisiello, Pleyel et Nadermann (Sonate en do mineur pour harpe) et mélodies de Hortense, la fille de Joséphine (extraites des « 12 Romances »), airs d’opéras de Paisiello (Zingari in Fiera et Nina), Méhul (Ariodante transcrit par Jadin) auxquels s’ajoutaient des romances de Pierre-Jean Garat (Il était là) et Jadin (La mort de Werther), un air du Huron, opéra-comique de Grétry et la langueur sublime d’O nume tutelar, air tiré de La Vestale de Spontini (bien vu, Coline Dutilleul !), les interprètes révélaient tout le charme et l’attrait de ces œuvres à la fois joyeuses, tendres et ardentes. La Bibliothèque de Malmaison recèle encore bien des secrets – plusieurs opéras y furent créés avant Paris – et des partitions d’Hortense de Beauharnais y dorment encore.         
Franck Mallet

Orangerie du Château de Bois-Préau, Parc de Malmaison, 15h & 18h30, dimanche 28 mai 2023
(Photo : Coline Dutilleul © DR)
 
mercredi 2 décembre 2020 à 22h05
Beethoven selon Moscheles, projet de recherche des Hautes Ecoles de Musique de Suisse Romande. Sous ce titre pointu, un court reportage dû à l’historien et praticien de l’opéra Aurélien Poidevin (entre autres co-auteur d’une éclairante Scène lyrique autour de 1900 – voir ici). Réservé aux professionnels ? Pas seulement. En étudiant la deuxième édition des Sonates pour piano de Beethoven menée à bien en 1858 par le virtuose Ignaz Moscheles - lequel déplorait déjà qu’on ne sache plus utiliser la pédale comme à l’époque de leur création -, le groupe de mordus réunis par le spécialiste des instruments historiques Pierre Goy illustre, exemples à l’appui, le comment mais aussi le pourquoi de l’interprétation « historiquement informée ». Cela pourrait s’appeler Des pieds et des mains : utilisation de la pédale pour des effets (de vrais coups de théâtre), « jeu lié » obtenu par le contrôle du relevé des doigts et non, comme on le fera plus tard, par l’emploi de ladite pédale, travail d’interprète-recréateur devant des partitions où la pédalisation est peu indiquée mais devait être cruciale (« Nous sommes devenus des ayatollahs de la pédale », plaisante un participant). Sur trois superbes instruments (Un Weiss de l’époque de Beethoven, un Erard de celle de Moscheles et un Bechstein fin XIXème) et dans le cadre adéquat (bien que peuplé d’armes et armures) du Musée d’art et d’Histoire de Genève, c’est plus qu’à un retour aux sources que l’on assiste. Et tout cela en un quart d’heure… 
François Lafon

Pour voir le film, c'est ici

jeudi 10 septembre 2020 à 11h24
      On connaissait d’Emmanuel Carrère sa passion pour Glenn Gould. Dans Yoga, son nouveau livre, récit de ses années de méditation et de dépressions, où l’errance et la noirceur sont nettement plus fréquentes que le bonheur, il raconte comment, durant cinq secondes, grâce à la musique, il a entrevu le paradis.
      Il est sur l’île de Léros, en Méditerrannée, où avec une certaine Erica, il essaie d’oublier son mal-être en s’occupant d’adolescents perdus dans un camp de migrants. Un soir, alors qu’ils en sont à leur quatrième bouteille de retsina, elle lui fait découvrir la Polonaise héroïque de Chopin interprétée par Vladimir Horowitz. Le voilà en extase.
      Quelques temps plus tard, Erica s’en va, pour l’Australie et pour toujours. « Je t’ai envoyé ton cadeau, lui dit-elle au moment du départ. Tu vas voir, c’est un beau cadeau. »
      Ce cadeau, c’est un lien vers une vidéo : Martha Argerich, toute jeune, joue la Polonaise héroïque. Au bout de cinq minutes et trente secondes, la caméra fixe son visage. « Et alors là… Il dure très peu de temps ce sourire de petite fille, ce sourire qui vient à la fois de l’enfance et de la musique, ce sourire de joie pure. Il dure exactement cinq secondes, de 5’ 30’’ à 5’ 35’’, mais pendant ces cinq secondes, on a entrevu le paradis. »
     Il a raison, Emmanuel Carrère, et surtout, surtout, ne vous en privez pas.
Gérard Pangon

mercredi 15 février 2017 à 11h38
Aux éditions Actes Sud : Horowitz l’Intranquille de Jean-Jacques Groleau. Pas facile de saisir ce pianiste vif-argent, de le suivre dans ses humeurs fantasques, dans les méandres d’une vie à la fois hors du commun et au fond peu romanesque. Au premier abord, un personnage pas très sympathique, capricieux, exhibitionniste, nombriliste, cyclothymique, intéressé. En d’autres termes, un dépressif, un bipolaire même (comme on dit aujourd’hui), paniqué à l’idée de perdre l’or qu’il avait au bout des doigts. Car si le talent ne s’explique pas, le sien était plus insaisissable, plus paradoxal encore que celui des autres. Plus doué pour les petites formes que pour les grandes, il donnait au moindre impromptu un éclat de diamant. Interprète mais pas créateur - à la différence de son maître Rachmaninov -, il n’hésitait pas à retailler à sa main les partitions les plus intouchables. Mais comment expliquer ce sens du rythme et de la respiration, ce toucher arachnéen et puissant en même temps, cette façon de provoquer désir et frustration chez un auditeur charmé et/ou agacé, en fin de compte captivé ? Sans chercher à expliquer l’inexplicable, Jean-Jacques Groleau - plus encore sur la corde raide que dans son essai sur Rachmaninov (même éditeur) - fait sentir tout cela, laissant Horowitz se perdre dans l’ombre et revenir dans la lumière, alterner hyperactivité et paralysie mentale (et digitale), jouer à Qui a peur de Virginia Woolf ? avec son épouse Wanda (née Toscanini) et brouiller les pistes menant à sa psyché mal assumée. Le reste est dans les (nombreux) enregistrement de l’artiste. 

François Lafon



Horowitz l’Intranquille, de Jean-Jacques Groleau.
Actes Sud/Classica, 209 p., 19 €

samedi 16 avril 2016 à 01h10

Dans l’étonnante salle IIIème République façon Versailles du Théâtre du Garde-chasse des Lilas, récital du jeune pianiste Simon Ghraichy. Public de connaisseurs, assez nombreux, pour ce Libano-Mexico-Français, élève de Michel Béroff et Daria Hovora au Conservatoire de Paris, invité ailleurs beaucoup plus qu’ici et qui fera ses grands débuts parisiens en avril 2017 au Théâtre des Champs-Elysées dans un programme « Liszt et les Amériques ». Très grand, tignasse noire, veste rouge vif, un air de Paganini pianiste et un répertoire à l’avenant : Liszt (Sonnet de Pétrarque n°104 des Années de Pèlerinage), Beethoven (Sonate « au clair de lune », Allegretto de la 7ème Symphonie transcrit par … Liszt), Villa-Lobos, Schumann (Kreisleriana). Un tempérament électrique et éclectique, davantage chez lui dans l’invention permanente de Liszt que dans le développement beethovénien, et qui trouve son point d’équilibre dans des Kreisleriana sans garde-fous, plus hoffmannesques encore (c’est le sujet) que dans l’enregistrement - avec une non moins inhabituelle Sonate de Liszt - paru la saison dernière chez Challenge.

François Lafon

Théâtre du Garde-chasse, Les Lilas, 15 avril Photo © DR

lundi 2 juin 2014 à 10h38

« La mélodie, c’est comme si on disait « Voilà ce qui se passe » pour raconter un livre ou un film. C’est la partie émergée de l’iceberg. » « L’utilisation de quintes crée un son très distinct, ouvert et même mystique. » « Bach et Charlie Parker ont créé de nouveaux styles fondés sur les montées et les descentes de gammes. » « Les espaces entre les notes prêtent une certaine douceur à celles-ci. Comme pendant un concert de Chilly Gonzales qui n’affiche pas complet, chaque personne est d’autant plus unique qu’elle est entourée de sièges vides. » Ainsi parle Jason Beck, alias Chilly Gonzales, Canadien, pianiste et compositeur, roi de l’électro-pop, recordman du monde de l’endurance en concert (vingt-sept heures, trois minutes et quarante-quatre secondes), aujourd’hui auteur de Re-introduction Etudes (partitions + CD), destiné à « toutes les personnes qui ont appris le piano dans leur enfance et qui ont abandonné trop tôt. » Les études en question sont en effet à la portée des doigts les plus rouillés, et pourront redonner confiance aux polytraumatisés des gammes et du solfège. Il existe, certes, bien d’autres cahiers d’exercices, tous promettant de remettre en selle les plus découragés. Celui-ci a pour lui de ne pas se prendre au sérieux, tout en affichant ses références, humour compris : Brahms et Steve Jobs, Mozart et Thelonius Monk, Clara Schumann et Pierre Gagnaire, Maria Callas et Daft Punk. Le 7 juillet à l’Amphithéâtre de la Cité de la Musique, l’artiste masterclassera quatre élus : « Ceci n’est pas un concert, mais une occasion pour les pianistes qui ont jeté l’éponge. » On devrait refuser du monde.

François Lafon

Chilly Gonzales : Re-introduction Etudes, 1 livre-CD Editions Bourgès.R
Masterclass publique lundi 7 juillet à 19h, Cité de la Musique, Paris. Candidatures jusqu’au 23 juin : envoyer lettre (pas plus de 300 mots) ou vidéo (pas plus de 2 minutes) à masterclass@chillygonzales.com.

A la salle Gaveau, « Cantabile, récital lyrique Mozart », par l’Orchestre des Pays de Savoie sous la baguette de son chef permanent Nicolas Chalvin. Sous ce titre à la fois bateau et énigmatique, un programme « comme à l’époque » : entre chacun des quatre mouvements de la 33ème Symphonie, Cédric Tiberghien vient jouer le 17ème Concerto pour piano, et Sophie Karthäuser chanter des airs de concert, les deux solistes se retrouvant à la fin pour l’air Ch’io mi scordi di te, avec piano obligé. Mélange du plus grand Mozart et de l’un peu moins grand, ballet inhabituel d’interprètes. L’Orchestre est enthousiaste mais perfectible, Tiberghien ne sucre pas le sucre dans le déjà expressif Concerto, mais entre en totale empathie avec la chanteuse, timbre doré, technique de haute école, émotion maîtrisée. Un concert pas du tout comme les autres, en fin de compte.

François Lafon

Salle Gaveau, Paris, 22 mai Photo © DR
 

jeudi 1 août 2013 à 11h22

Comment concilier l’amour des éléphants et celui de Beethoven? En jouant Beethoven pour des éléphants. C’est le cadeau que s’est offert le pianiste britannique Paul Barton pour fêter ses cinquante printemps, dans les montagnes de Kanchanaburi, au nord-est de Bangkok. Comme les éléphants en question sont aveugles, il s’agit en plus d’une bonne action, doublée d’une bonne opération publicitaire, puisque Barton, installé depuis seize ans en Thaïlande, ne manque jamais de poster ses exploits sur YouTube. « Je me suis assis devant mon piano et me suis demandé : « Quelle est la musique idéale pour des éléphants ? Il ne faut pas que ce soit très long. J’ai fouillé dans mes partitions et j’y ai pêché le mouvement lent de la Sonate Pathétique. » Aucun commentaire de l’artiste, en revanche, sur la musique qui fait swinguer les pachydermes dans le second extrait, ni sur la couleur du piano utilisé. 

François Lafon
 

lundi 11 mars 2013 à 09h26

55 millions de visites sur YouTube, 77 000 abonnés : Justin Biber, Lady Gaga ? Non, Valentina Lisitsa, pianiste. A titre de comparaison, la mezzo galloise Katherine Jenkins, reine du cross-over au Royaume-Uni, ne réunit, elle, que 5600 abonnés. En 2006, cette Ukrainienne installée aux Etats-Unis produit à ses frais un DVD des vingt-quatre Etudes de Chopin et le met en vente sur Amazon. Déception : non seulement le DVD ne se vend pas, mais elle en retrouve le contenu sur la Toile. Elle décide alors de mettre son œuvre sur YouTube. Surprise : les ventes du DVD s’envolent. Elle poste alors des vidéos la montrant en répétition, et met en place un flux direct permettant à ses fans de participer à la composition de ses programmes. En 2009, elle hypothèque sa maison pour financer l’enregistrement des Concertos de Rachmaninov avec le London Symphony Orchestra et crée sur son canal une fonction intitulée « Rach Project » permettant de suivre le work in progress. En 2012, elle donne au Royal Albert Hall de Londres (5544 places) un concert diffusé en direct sur YouTube. Elle signe par ailleurs un contrat d’exclusivité avec Decca, dont le premier bébé n’est autre que… les quatre Concertos de Rachmaninov, et obtient que ses enregistrements continuent à être disponibles gratuitement sur son canal. « Nous ne voulons pas être le grand méchant label qui restreint la communication de l’artiste avec ses fans », explique Paul Moseley, directeur de Decca, au Wall Street Journal. Et comment joue Valentina Lisitsa ? Sec et brillant, si l’on en croit ses vidéos. A suivre, et pas les yeux fermés.

François Lafon

Rachmaninov : Concertos pour piano n° 1-4 – Rhapsodie sur un thème de Paganini. Valentina Lisitsa (piano), London Symphony Orchestra, Michael Francis (direction) – 2 CD Decca http://www.youtube.com/user/ValentinaLisitsa

samedi 19 janvier 2013 à 19h12

Trois séances publiques, à l’Amphithéâtre de la Cité de la Musique, de l’Académie Maria Joao Pires. Le travail, commencé à huis clos à l’abbaye de Royaumont le 12 janvier, se termine le 22 par un concert « scénarisé » dans la grande salle de la Cité. But de l’opération : casser le rituel, non seulement du concert, mais de la perception même de la musique. Autour de la pianiste : le dramaturge (au sens allemand : chercheur de sens) Frédéric Sounac et le « musicopsychiste » Dominique Bertrand. Le premier commente un des ouvrages à méditer par les académiciens : Alexis ou le Traité du vain combat de Marguerite Yourcenar, l’histoire d’un pianiste « empêché de musique » par un secret personnel. Le second, dans la tradition des séminaires de Michael Lonsdale et du compositeur Michel Puig à la Chartreuse de Villeneuve-Lès-Avignon (années 1970), fait participer la salle à une série exercices d’éveil, expliquant que le monde a débuté par un son, qu’au commencement était le Verbe, et que c’est l’oreille interne qui assure l’équilibre du corps, lequel ne doit pas seulement aller de l’avant, mais s’ouvrir à 360° à la résonnance universelle. Puis Pires reprend la main en jouant Mozart façon chaises musicales avec son élève Lilit Grigoryan. « Tu es plus forte que moi : tu peux t’arrêter quand tu veux, remarque-t-elle dans un sourire à la Jane Birkin. Moi, quand la machine est lancée... ». Mélange de modestie et d’autorité : « Il ne faut pas faire quelque chose de la musique, mais se laisser aller à elle ». Après un ultime exercice sensoriel (se laisser guider au son, les yeux bandés), fin abrupte de la séance. « L’énergie n’est plus là. A demain ». Pas facile de casser le rituel.

François Lafon

20 janvier : Académie à 9h30 et 14h30. 22 janvier : Concert à 20h. Cité de la Musique, Paris Photo © DR

Sur le site australien limelightmagazine.com : les dix pianistes les plus marquants de l’histoire, choisis par les maîtres actuels du clavier. Dans l’ordre croissant des préférences : Artur Schnabel (Au plus loin des profondeurs de l’œuvre), Wilhelm Kempff (charme et spontanéité), Alfred Brendel (respect du texte et liberté), Glenn Gould (habileté à sculpter la polyphonie), Alfred Cortot (subjectivité et musicalité), Emil Guilels (un son en or massif), Arthur Rubinstein (ton brillant, variété des phrasés), Sviatoslav Richter (technique et imagination), Vladimir Horowitz (virtuosité pétillante et génie des couleurs), Serge Rachmaninov (technique surhumaine et chant infini). Uniquement des hommes, tous disparus, sauf Brendel, qui ne joue plus en public. Petit jeu d’été : établissez votre propre liste. En voici une, qui ne reprend aucun des noms précités (toujours dans l’ordre croissant des préférences) : Samson François (intuition et imagination), Clifford Curzon (mûrissement et équilibre), Walter Gieseking (modernisme et impressionnisme), Clara Haskil (sobriété et intensité), Claudio Arrau (profondeur et méditation), Edwin Fischer (probité et inspiration), Dinu Lipatti (spontanéité et humanité), Wilhelm Backhaus (rigueur et intemporalité), Rudolf Serkin (poésie et austérité), Arturo Benedetti Michelangeli (précision et passion). A vous maintenant, et n’hésitez pas à nous envoyer votre palmarès.

François Lafon

En photo : Artur Schnabel

Réactions en foule à la disparition de Brigitte Engerer. La pianiste était appréciée, mais n’avait jamais déchaîné de passions proprement musicales : elle jouait beaucoup, bien, sans chercher à se mettre en avant ni révolutionner l’art de l’interprétation. Elle était une sorte d’anti-Hélène Grimaud, une artiste de terrain, travaillant avec les grands orchestres comme avec les moins grands, passant avec la même conscience professionnelle de la salle Pleyel aux MJC les moins médiatisées. Cela lui venait peut-être de ses années russes, de son apprentissage à Moscou avec Stanislas Neuhaus : comme Richter, comme Gilels, tout Richter et Gilels qu’ils étaient, elle « faisait le travail ». Dans le milieu musical, on la savait malade depuis longtemps : « Encore un que l’adversité n’aura pas », se disait-on (se disait-elle ?) à chacun de ses nombreux concerts. Elle était une bonne cliente aussi pour les journalistes : du vécu, du contenu, jamais de langue de bois ni d’autopromotion. Quand on dit qu’elle laisse un vide, ce n’est pas une formule toute faite.

François Lafon

lundi 25 juin 2012 à 22h51

Après les dessins au pochoir de Miss Tic sur les murs et les fausses plaques de rue Impasse Sarkozy Ancien président de la République 2007-2012 en mars dernier, ce sont maintenant les pianos qui envahissent la capitale : ils sont quarante dans Paris pour une version transposée de la célèbre injonction du Bossu « Si tu ne vas pas au piano, le piano ira à toi. » Sao Paulo, Los Angeles, Londres, Genève, Sydney, Barcelone… depuis 2008, ce « street » événement fait un tabac. Chez nous, jusqu’au 8 juillet, au Forum des Halles, à la gare Montparnasse ou place de la Nation, à chacun de s’installer au clavier de ces instruments au look bariolé pour séduire les passants. L’autre jour au Carrousel du Louvre, un touriste s’est arrêté pour jouer la sonate Appassionata et tout le monde en est resté bouche bée. Comme devant La Joconde.

Gérard Pangon

http://streetpianos.com/paris2012/

dimanche 27 novembre 2011 à 12h18

Des concerts d’une heure (places à 10 €), un public familial qui attend gentiment (et longtemps) que la salle ouvre avant de se précipiter aux meilleures places, des piles de disques vendues à chaud : la Folle Journée de Nantes ? Non, mais presque : la Folle Nuit à Paris, salle Gaveau, soit onze concerts en un week-end, avec les artistes des disques Mirare, le label créé par René Martin (Monsieur Folle Journée) et son fils François-René. Samedi à 19h, le jeune pianiste Adam Laloum, signataire chez Mirare d’un joli CD Brahms joue Mozart avec l’Ensemble orchestral de Paris dirigé par Joseph Swensen. Public à la fois ravi et énervé par le galop dans les escaliers qui mènent à la salle. Réplique piquée au vol : « Curieuse formule pour du classique. Aussi kitsch qu’un concert de Mylène Farmer à Bercy» (???). Laloum attaque en douceur avec la 4ème Sonate, petit bijou de jeunesse commençant par un bel Adagio. Sonorité pleine, toucher sensible, articulation impeccable. Puis vient le 24ème Concerto, un des plus riches mais pas des plus chantants. Le pianiste se bat avec un orchestre brouillon, on ne retrouve que par moments les qualités de la Sonate. Peu importe : gros succès. On n’est pas venu là pour jouer au critique.

François Lafon


www.sallegaveau.com

jeudi 15 septembre 2011 à 10h46

« Je suis très content d’être avec vous ce soir. Pour vous dire merci, je vais vous jouer une Valse de Chopin ». Jan Lisiecki, pianiste canadien d’origine polonaise né le 23 mars 1995, est un jeune homme sans façons. Pour l’ouverture de la saison de l’Orchestre de Paris, à Pleyel, il joue le 1er Concerto de Chopin, qui a fait l’objet de son premier CD, il y a deux ans. Sonorité claire, phrasés déliés, rubato naturel, aucune affectation : il joue comme il est, un grand ado poussé en graine. Dans la salle, tout le staff d’Universal : Jan Lisiecki vient d’enregistrer pour Deutsche Grammophon les Concertos n° 20 et 21 de Mozart. Depuis ses débuts, en 2004, son calendrier ne désemplit pas. Le 21 octobre, il ouvre la saison de l’Orchestre Métropolitain de Montréal dirigé par Yannick Nézet-Séguin, avant de s’envoler pour le Japon. Dans le premier mouvement du Concerto de Chopin, il fait une énorme fausse note. Regard inquiet du chef Paavo Järvi. Est-on si sérieux, quand on a seize ans ?

François Lafon

lundi 13 juin 2011 à 14h32

« Je suis la Geneviève de Fontenay du classique ». Aie ! « Une Star’Ac du piano ». Re-aie ! Pour présenter Les Virtuoses du cœur (Aie puissance 3), Jean-Michel Jamet ne recule devant aucune référence. L’idée de cet ex-homme d’affaires (Marionnaud, American Express) reconverti dans la musique est pourtant judicieuse : puisque le piano est l’instrument bourgeois par excellence et que nombre de gens disposant d’un (très) grand salon organisent chez eux des récitals privés, pourquoi ne pas organiser un concours à l’échelle nationale ? Où que vous soyez en France, l’association vous met en relation avec un jeune virtuose de la région, qui va venir jouer chez vous. Le public répond à un questionnaire (« Programmeriez-vous cet artiste à la salle Pleyel ? ») permettant d’éliminer ou de sélectionner les impétrants, dont certains sont d’ores et déjà parrainés par des anciens (Marie-Josèphe Jude, François Chaplin). Viendront ensuite, jusqu’en mars 2012, des finales départementales, régionales et nationales. Deux mille concerts éliminatoires sont prévus jusqu’en octobre, déplaçant quelque cent mille spectateurs, lesquels sont invités à participer à une double bonne action, puisque une partie de leurs droits d’entrée est reversé à l’association Coline en ré, destinée à offrir des soins chirurgicaux aux enfants des pays défavorisés. « Entre Star’Ac et Un dîner presque parfait, lit-on dans Le Figaro, mais sans caméra ». Eh oui ! Un pianiste trimant sur son clavier ne sera jamais aussi glamour que Jennifer ou Nolwenn Leroy.

François Lafon

www.lesvirtuosesducoeur.com

mardi 8 mars 2011 à 10h29

Scott Ross, Anner Bylsma, Kenneth Gilbert, René Jacobs, Pierre-Yves Artaud, Yvonne Loriod : les années 1980, une époque (a posteriori ?) bénie, où la musique était encore agitée de batailles idéologiques, où elle était vivante en somme. De 1987 à 1991, la Sept, relayée plus tard par Arte, avait commandé à Olivier Bernager et François Manceaux une douzaine de Leçons de musique données par ces pionniers du baroque et ces combattants de l’avant-garde. Des interprètes plus traditionnels mais non moins représentatifs de leur temps complétaient la série : Yuri Bashmet, Marek Janowski, Nikita Magaloff, Hermann Baumann, Gérard Poulet, José Van Dam. Devenus des moments d’histoire, ces documents sont rediffusés sur Arte, paraissent en DVD et sont consultables sur le site okarinamusique.com. Neuf réalisateurs s’y étaient collés, avec pour résultat commun d’offrir des gros plans sur les rapports maîtres-élèves plutôt que d’élever des monuments à la gloire des têtes d’affiches. Il y a des moments extraordinaires, comme celui où Scott Ross, bonnet sur la tête, déjà atteint par la maladie, lâche dans un sourire : « C’est que je suis génial », ou comme celui où Roger Muraro rappelle à Yvonne Loriod comment il avait été recalé au Conservatoire. La façon de filmer, la texture des images achèvent de nous replonger dans un temps perdu et pourtant très proche : outre Muraro, les élèves s’appellent Nicholas Angelich, Renaud Capuçon, Nicolau de Figueiredo, Olivier Baumont ou Emmanuel Pahud.

François Lafon

Les Leçons particulières de musique. 12 DVD Harmonia Mundi - Diffusion sur Arte tous les dimanches à 10h45, du 13 février au 15 mai - okarinamusique.com
 

vendredi 12 février 2010 à 08h23

Message sur le site du pianiste anglais Stephen Hough : « En écoutant votre enregistrement des deux Valses énigmatiques dont vous êtes l'auteur, le terme homosexualité m'est venu à l'esprit ». Hough, qui est gay et ne s'en cache pas, répond en citant la boutade de Vladimir Horowitz : « Il y a trois sortes de pianistes : les juifs, les homosexuels et les mauvais ». Il se demande ensuite s'il est possible d'opposer des pianistes comme Horowitz, Sviatoslav Richter et Shura Cherkassky à Arthur Rubinstein, Emil Guilels et Rudolf Serkin, les trois premiers, bien que mariés, n'ayant pas la réputation d'avoir été des hommes à femmes. Il ne va pas, en revanche, jusqu'à se demander si la judéité d'Horowitz ou de Rubinstein s'entend dans leur manière de jouer les Mazurkas de Chopin, ni, a fortiori, si aucun de ces géants du clavier a réuni les trois particularités. Dans les cent-cinquante-trois commentaires qu'a jusqu'ici suscités l'article de Hough, les internautes se déchaînent. On se pose des questions sur le lesbianisme présumé de Dame Myra Hess (1890-1965), on disserte sur la masculinité latente de Martha Argerich, on cite Oscar Wilde, et l'on remarque que dans son film Richter l'insoumis, Bruno Monsaingeon évite de préciser les préférences sexuelles de l'artiste. Tout cela fait froid dans le dos, non ? Par bonheur, personne n'a relevé que c'est en jouant ses propres œuvres que Hough a mis la puce à l'oreille de son sagace auditeur. On échappe ainsi aux considérations sur l'homosexualité coupable qui irrigue la Symphonie « Pathétique » de Tchaikovski ou la gaytitude transcendée de Szymanowski dans Le Roi Roger. Dans Contre Sainte-Beuve, Marcel Proust, conteste l'idée que l'œuvre est le reflet de la vie : « L'homme qui fait des vers et qui cause dans un salon n'est pas la même personne », affirme-t-il. Mais chacun sait que Proust était juif et homosexuel.

Crédit Photo: Eric Richmond

lundi 30 novembre 2009 à 15h53

En haut de la gamme, le pianiste Leif Ove Andsnes joue un peu partout dans le monde des « Tableaux (…d'une exposition de Moussorgski) ré-encadrés » par le plasticien et vidéaste sud-africain Robin Rode. En bas, les Solistes français moulinent les Quatre Saisons de Vivaldi devant de larges publics, sensibles avant tout à leur aspect rock'n roll et à leur gestuelle virevoltante. La question est la même : comment échapper à la fatalité qui veut qu'au concert, il y a beaucoup à écouter, mais pas grand-chose à voir ? Il y a quelques années, au Théâtre Mogador, l'Orchestre de Paris avait testé un système d'éclairages colorés illustrant les diverses atmosphères des chefs-d'œuvre du répertoire : fiasco total. Même pour les enfants de la civilisation de l'image, la musique s'écoute les yeux fermés, ou tout au moins les yeux ailleurs, et pas seulement parce que les artistes en plein effort (ou pire : en pleine inspiration) ne sont pas toujours beaux à voir.

Pictures reframed, par Leif Ove Andsnes (piano) et Robin Rode (ilustration visuelle) - Théâtre des Champs-Elysées, Paris, le 11 décembre
Les Solistes français - Grand Rex, Paris, le 14 février

 

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