Mercredi 11 décembre 2024
Le cabinet de curiosités par François Lafon
lundi 25 janvier 2021 à 14h40
Auteur de la première monographie française consacrée à Barber en 2012 (Hermann), Pierre Brévignon signa trois ans plus tard le spirituel  Dictionnaire superflu de la musique classique (Le Castor Astral) – où, à l’index « Poulenc », il relevait ce mot de Cocteau sur le compositeur des Mamelles de Tirésias : « On se demande d’où vient l’exquise musique de ce porc lubrique et disciple d’Harpagon. » Quelle entrée en matière pour cet ouvrage dévolu au Groupe des Six, quelque vingt-cinq ans après celui de Jean Roy (Le Seuil) ! Parrainé par Satie et un jeune Cocteau endossant le « costume d’imprésario officieux » avec une unique partition commune, Les Mariés de la tour Eiffel, en 1921, voilà un groupe constitué d’Auric, Durey, Honegger, Milhaud, Poulenc et Tailleferre – tous ont la vingtaine au moment de leur rencontre –, apparu entre « le Debussy dernière manière et le Messiaen Jeune France ». Pour Brévignon : « En tant que collectif, la trace qu’il laisse frôle le négligeable (…) La révolution musicale annoncée avait accouché d’une souris. »
Le vrai sujet de cet essai est Cocteau – 23 ans à l’époque – qui renonce à son personnage de « prince frivole » des salons pour enfourcher « ce qu’Apollinaire n’a pas encore baptisé l’Esprit nouveau ». Appliquant la « recette » du scandale suscité par la création du Sacre, il devient quatre ans plus tard l’instigateur de Parade (1917) : un spectacle des Ballets russes sur une musique de Satie et dans des décors et costumes de Picasso, à propos duquel on trouve pour la première fois le mot « sur-réalisme », sous la plume d’Apollinaire. « Un langage ferme, net et dépouillé de tout agrément imagé » (Stravinsky), tel est le credo d’une partition qui, à rebours des « vagues de l’impressionnisme dépérissant » (Stravinsky), va sceller l’union des Six, dont Satie sera le mentor. Rien, ou presque, ne les rassemble, mais chacun à sa façon cherche un renouvellement du langage, leurs œuvres intégrant à des degrés divers des éléments du jazz, de la chanson populaire, des rythmes sud-américains, une forme de légèreté, un humour cocasse ou féroce, avec cette volonté de sortir du cadre. Un brin sévère, Bévignon affirme au 2/3 de son ouvrage qu’« au saut quantique du Sacre du printemps, les Six n’opposent qu’un entrechat farcesque », tout en distinguant chez eux cette manière d’intégrer l’esprit du music-hall et l’écriture polytonale – future clé de voûte de l’esthétique de Milhaud. Qu’on le veuille ou non, l’éphémère Groupe des Six appartient à l’histoire des Années folles – c’est déjà beaucoup.                                        
Franck Mallet
Pierre Brévignon, Le Groupe des Six, Actes Sud, 246 p., 20€

samedi 23 janvier 2021 à 16h27
« Entre ici, Jean Moulin, avec ton terrible cortège… » Au milieu des années soixante-dix, France Musique diffuse tous les jours cet extrait du fameux discours d’André Malraux. C’est une idée de son directeur d’alors, Louis Dandrel, fasciné par les intonations du ministre. D’idées, cet esprit libre n’en manque pas. Avec lui, France Musique s’ouvre aussi à des musiques différentes, ce qui amène certains à la surnommer Radio Bagdad. Bref, Louis Dandrel, qui vient de disparaître à l’âge de 82 ans, était un aventurier tranquille, avide de ce qui sort de l’ordinaire. Passé par la Sorbonne et le Conservatoire, il commence comme journaliste au Monde, puis imagine Le Monde de la Musique et Radio Classique avant de se consacrer à sa passion : les inventions sonores. Diasonic, son entreprise, crée l’environnement sonore de jardins et de lieux publics à travers le monde, du Japon à La Villette (La Clepsydre près de la Géode), en passant par la Grand Place de Bruxelles et la gare de Bordeaux où le chant des petits oiseaux procure « une sensation de douceur et d’apaisement, sans qu’on s’en aperçoive. » Il recherche constamment l’ambiance douce qui va faire la différence. Avec son perpétuel demi-sourire et son regard malicieux, Louis Dandrel est capable de séduire et de persuader la Terre entière du bien-fondé de ses inventions, par exemple un constructeur de voiture qu’il suffit d’un petit truc sonore pour qu’en fermant sa portière le propriétaire d’une 2CV ait l’impression d’avoir acheté une Rolls. Chaque fois que vous le rencontrez, il a quelque chose de neuf à vous faire entendre, il conçoit même un programme à partir du son des planètes. Dorénavant, faute de pouvoir échanger de vive voix, c’est en mangeant du chocolat qu’on pensera à lui : le bruit du papier d’aluminium qui entoure une tablette est un plaisir sonore qui prélude au plaisir gustatif. Il en a convaincu les chocolatiers.
Gérard Pangon

(Photo © DR)
mardi 19 janvier 2021 à 23h23
Parmi les nombreux concerts et spectacles en direct et en streaming sur vos écrans : Pelléas et Mélisande au Grand Théâtre de Genève, Titon et l’Aurore à Paris-Opéra Comique, deux soirées à huis clos pour public sous couvre-feu. Et pas des plus faciles : le premier nous plonge dans la pénombre des âmes, le second dans l’allégorie XVIIIème. Du « non opéra » de Debussy, les chorégraphes belges Sidi Larbi Cherkaoui et Damien Jalet font un rêve à peine éveillé, beau comme du Bob Wilson, la froideur en moins et la danse (envahissante) en plus. Avec la « pastorale héroïque » de Jean-Joseph Cassanéa de Mondonville, pièce maîtresse de la Querelle des Bouffons (côté français), le marionnettiste américain Basil Twist trouve prétexte à réveiller nos rêves d’enfant, et y parvient avec humour et inventivité. Beau travail des réalisateurs, confrontés à une obscurité permanente (Andy Somer à Genève) ou à une fragile féérie (François Roussillon à Paris), prouesses des chanteurs et des chefs - les excellents Jonathan Nott et William Christie - faisant oublier (double peine) qu’ils jouent devant des fauteuils vides sans pour autant bénéficier du confort du studio. Encore deux spectacles sauvés, dira-t-on, deux signes de vie des institutions culturelles derrière leur portes closes, moral des troupes et considérations financières mises à part. Des bouteilles à la mer, en quelque sorte. 
François Lafon 

Pelléas et Mélisande
, Grand Théâtre de Genève, 18 janvier. En streaming jusqu’au 31 janvier sur GTG Digital. Diffusion ultérieure sur RTS télévision - Titon et l’Aurore, Opéra Comique, Paris, 19 janvier. En streaming trois mois sur Medici TV. Diffusion ultérieure sur Mezzo
(Photo : Pelléas © DR)

mercredi 6 janvier 2021 à 13h23
Fidèle à sa démarche de passeur – son identité bien à lui –, André Tubeuf signe un nouvel ouvrage consacré à Brahms, « celui qui devait venir », selon la formule fameuse de Schumann. Livre de réflexion et non biographie savante ; plutôt méditation : « à partir de deux pages essentielles d’après les Écritures saintes, qui se répondent à presque trente années de distance : le Requiem et les Quatre chants sérieux. » Du compositeur, encore inconnu des Français à l’orée du XXe siècle, à celui célébré au cours des années 80 grâce au chant – Anne Sofie von Otter, Price, Norman, Fischer Dieskau, Fassbaender, Ludwig… –, en passant par l’ouvrage que lui consacra Rostand, en 1955, le « Brahms » de Tubeuf est crépusculaire, un « génie du clair-obscur » – à l’image de la langue allemande qui « nomme du même nom les deux crépuscules, celui du soir et celui du matin. » Il sera donc question ici de « lamento sans larmes », de noir et de blanc, de « clarté terne » et de « paysage éteint » : l’effacement devant la mort. Entre-temps, c’est le dialogue de la clarinette et du piano (op. 120), en trio (op. 114) et en quintette (op. 115), du cor en trio (op. 40) et de la voix d’alto – « d’alto femme à alto viole » et donc du murmure de la Rhapsodie pour alto contre l’opéra (ignoré et même exclu par Brahms) et par-dessus tout « l’éternité » du chant, aussi naturellement exprimé par Magda Schneider, dans Libelei, le film réalisé par Ophüs en 1933 – référence qui revient plusieurs fois au cours de cet ouvrage : comme l’on sait, avec le lied allemand, le cinéma de cette époque est le second sujet de prédilection de l’auteur. Brahms, « plainte sans reproche et presque sans voix » : une amertume que synthétise son lied Immer leiser wird mein Schlummer (2e des Cinq de l’op. 105, « Toujours plus léger est mon sommeil »), « un des absolument plus beaux », où l’interprète doit parvenir aux nuances les plus pianissimi. Si intime et chaleureux, ce portrait de « celui qui se tenait à l’écart ».     
                                                             Franck Mallet

André Tubeuf, Brahms ecclésiaste, Le Passeur, 176 p., 17€

 

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