Mardi 19 mars 2024
Le cabinet de curiosités par François Lafon
lundi 29 décembre 2014 à 12h04

Succès inespéré (2ème place, 18% de parts d’audience, 4 millions de téléspectateurs) pour Prodiges, samedi 27 sur France 2, produit par Shine (The Voice) et retransmis du Corum de Montpellier. Treize candidats - chant, instruments, danse - trois jurés - Elisabeth Vidal, Gautier Capuçon, Patrick Dupond - l'Orchestre de Montpellier dirigé par Ariane Matiakh et Marianne James en Madame Loyal. Nommée prodige de l'année (Prix : une bourse d’études de 10 000 €) : Camille Berthollet, quinze ans, violoniste en devenir, encensée par les experts (à peine plus que les autres, d'ailleurs) pour s'être lancée, archet en bataille, dans l’ « Eté » des Quatre Saisons de Vivaldi. Concert de louanges mais aussi polémique sur les réseaux sociaux : "Dire à cette petite qu'elle est "prête" n’est pas la servir " (argument pro), "Son aplomb et sa jolie crinière rousse ont fait le reste" (voix du people). Questions insolubles (et probablement vaines) : ce genre de manifestation sert-elle la musique (la grande) et les artistes ? Son succès public tient-il avant tout au fait qu’elle met en scène des enfants et des ados – recette éprouvée, surtout en période de fêtes ? « Vous n’entendrez que des airs que vous connaissez » avait précisé Marianne James en guise de promo au JT de 20h. Un coup de chapeau par antiphrase au très commémoré Jacques Chancel, lequel prétendait offrir à son public la musique qu’il pourrait aimer plutôt que celle qu’il aimait déjà.

François Lafon

En replay pendant une semaine sur France TV Pluzz Photo © DR

vendredi 26 décembre 2014 à 19h33

Réédition en DVD du Mahler de Ken Russell (1974), avec dans le rôle-titre Robert Powell, plus convaincant en génie tyrannique qu’en messie sulpicien (Jésus de Nazareth de Franco Zeffirelli - 1977). Un film moins laborieux que The Music Lovers (1970 – voir ici), moins destructuré que Lisztomania (1975), plutôt dans la lignée d’un Debussy réalisé pour la BBC en 1965, où le cinéaste prenait déjà une distance ironique (britannique ?) avec son sujet. Avec Mahler, il a beau jeu de mêler l’idéal et le trivial, le vacarme et le silence, Beethoven et Freud, et de jouer du montage et de la chronologie pour tenter d’entrer dans la tête du compositeur tout en évoquant sa vie. Le livret de présentation est tout entier occupé par un long et remarquable texte de Christian Wasselin (connu pour ses travaux sur Berlioz, une autre forme d’exaltation), guide utile pour suivre ce jeu de yoyo entre les abysses et les étoiles, où l’on voit Mahler effectuant en train (Russell aimait les trains, lieux de confinement à tombeau ouvert - voir Music Lovers) un dernier voyage ponctué de visions et de réminiscences. Wasselin ne manque pas de noter la manière dont Russell traite Alma, non plus égérie mais petite femme aux prétentions artistiques étouffées par son irascible époux. A mettre en parallèle avec  la scène choc du film, traitée comme un burlesque du cinéma muet, où le compositeur portant l’étoile de David comme un fardeau l’empêchant d’accéder à la direction de l’Opéra de Vienne se fait convertir façon Nuit des Longs Couteaux par une Cosima Wagner en cuir, latex et casque de la Wehrmacht. Au-delà d’une vision peu amène de la femme dans tous ses états, la signature de ce cinéaste qui maniait le kitsch comme une arme de poing et l’hystérie comme un révélateur de (mauvais ?) goût.

François Lafon

Mahler, de Ken Russell, 1 DVD Doriane Films, collection « Typiquement british »

jeudi 25 décembre 2014 à 15h01

Retour sur une époque où l’enregistrement en studio était la norme avec la série Phase 4 Stereo. Conçue pour exploiter au mieux les possibilités de la stéréo toute nouvelle (on est au début des années 1960) sous l’impulsion du producteur Américain Tony d’Amato, elle est un rejeton pas entièrement assumé de la maison de disques Decca. Dans son catalogue l’« easy listening » se mélange avec le classique. Spectaculaires, pleines de détails, avec une ampleur dynamique à mettre l’épreuve vos enceintes, les prises de son étaient fondées sur une console spécialement pensée
pour intégrer vingt canaux différents. Elles offraient surtout l’argument de vente au même titre que les artistes affichés ou les œuvres au programme. Réunis dans un cube aux couleurs psychédéliques très sixties, les 41 CD de la série « classique » forment aujourd’hui un drôle d’objet. Pour la nostalgie, les pochettes en carton reproduisent les enveloppes originales très colorées, même si cette réédition ne respecte toujours les « track list » d’origine. Le contenu lui-même est des plus éclectiques : Gershwin et Katchatourian par l’efficace Stanley Black, un Pierre et le Loup de Prokofiev dirigé par Antal Dorati et raconté par Sean Connery avec un bel accent écossais, un récital d’Eileen Farrell avec des tubes de la comédie musicale, des extraits de Carmen chantés par Marilyn Horne. Les maîtres de la musique de film ont aussi leur place. Miklós Rózsa fait résonner avec éclat les trompettes de Ben Hur, tandis que Bernard Herrmann enregistre des suites tirées de ses BO : nulle part ailleurs on ne peut mieux apprécier ses qualités d’orchestrateur que dans ces enregistrements de Psycho ou Voyage au centre de la Terre. Mais le vrai magicien du son est Leopold Stokowski qui, dans les derniers années de sa vie, dirige une fabuleuse Scheherazade de Rimski-Korsakov, son cheval de bataille, une Symphonie fantastique de science-fiction et, avec un Philharmonique Tchèque qui lui donne ses meilleures couleurs, Bach dans les fameuses transcriptions du maestro himself. En somme, le cadeau idéal pour un ami audiophile plus que pour le collectionneur à la recherche de références, mais quel mal y a-t-il à se faire plaisir avec sa chaîne hi-fi ?

Pablo Galonce

40 CD + 1 CD Bonus Decca 478 6769

lundi 15 décembre 2014 à 16h36

Exposition Rameau et la scène à la Bibliothèque-Musée de l’Opéra de Paris. Retour à la maison-mère pour clore le 250ème anniversaire de la mort du génie longtemps mal-aimé. Manuscrits, éditions originales, estampes et maquettes (« De l’écriture à la représentation »), photos et costumes d’un siècle de redécouverte et de recréation des œuvres (« Du Purgatoire à la lumière ») : beaucoup à voir et à lire compte-tenu de l’exiguïté des lieux, des documents rares pour la plupart issus du fonds maison. En milieu de parcours : un grand mur bleu nuit sur lequel sont inscrites, comme sur un tombeau, les grandes reprises à l’Opéra, depuis Hippolyte et Aricie (mise en scène de Paul Stuart, avec Lucienne Bréval en Phèdre - 1908) jusqu’à … Hippolyte et Aricie (mise en scène d’Ivan Alexandre – 2012) en passant par Castror et Pollux, Les Indes galantes, Platée, Dardanus et Les Boréades, soit six des vingt-huit ouvrages scéniques (tragédies et comédies lyriques, opéras-ballets, pastorales héroïques, etc.) composées entre 1733 par un débutant âgé de cinquante ans jusque-là spécialisé dans la musique instrumentale et 1764, date de sa mort et du report sine die de la création de ses ultimes Boréades. Sous l’hommage donc, la moins glorieuse réalité : trente ans et plus après le déferlement de la vague baroqueuse, Rameau n’est toujours pas une valeur sûre et seuls ses blockbusters (si l’on peut dire) figurent au répertoire de l’Opéra. Côté mise en scène, reconstitueurs et actualiseurs continuent pourtant – les seconds distançant les premiers, en nombre tout au moins – à chercher les moyens les plus efficaces de résoudre les problèmes dramaturgiques posés par ce théâtre d’un autre temps, la partie musicale étant une fois pour toutes dévolue au tenants de la philologie. Un work in progress, veut-on croire, plutôt qu’une cause perdue.

François Lafon

Bibliothèque-musée de l’Opéra National de Paris, Palais Garnier, jusqu’au 8 mars 2015 Photo © DR

Auditions jusqu’au 15 décembre pour la session d’été 2015 (17 août – 13 septembre) de l’Orchestre Français des Jeunes, en résidence au Grand Théâtre de Provence. Comme chaque année, professeurs issus des grandes formations (National de France, National de Lyon, Orchestre de Paris, Philharmonique de Radio France, Philharmonique de Rotterdam, Philharmonique de Liège, Capitole de Toulouse, etc.) ; Beethoven, Brahms, Berlioz, Prokofiev au programme, Edith Canat de Chizy pour le XXIème siècle. Reconduction d’Hugues Gall, ex-patron de l’Opéra de Paris et figure tutélaire de la musique en France, au poste de Président. But ultime de l’entreprise depuis sa création en 1982 : éradiquer l’idée que la France ne forme que des virtuoses solitaires et que les Français n’ont pas l’esprit d’équipe. Une oeuvre de longue haleine en effet. Cette année, succédant à Dennis Russell Davies : David Zinman, carrière discrète mais grande réputation, directeur de la Tonhalle de Zürich jusqu’à cette année, un chef que bien des phalanges auraient rêvé d’avoir comme directeur musical, mais qui, à soixante-dix-huit ans, préfère savourer sa liberté. A l’heure où Daniele Gatti s’apprête à quitter le National pour le Concertgebouw d’Amsterdam et où Paavo Järvi annonce son départ de l’Orchestre de Paris, plus que jamais une impression de rendez-vous manqué, et de longue date.

François Lafon

Le site de l'orchestre : www.ofj.fr

Aux Editions Hortus – WW 1 Music : "Les Musiciens et la Grande Guerre", 30 CD à paraître entre 2014 et 2018. Couvertures grises, photos d’époque, titres évocateurs : "Prescience-conscience" (vol.4), "Métamorphoses" (vol.6), "Les Altistes engagés" (vol.7). Pas d’archives, mais des enregistrements déjà parus ou réalisés pour l’occasion par des artistes confirmés (du violoncelliste Alain Meunier au jeune baryton Marc Mauillon). Mélange international de noms illustres (Debussy, Ravel, Prokofiev, Stravinsky), connus (Magnard, Koechlin, Korngold, Vaughan-Williams) ou oubliés (Labey, Delvincourt, Butterworth, de La Presle). Versions originales ou alternatives (Le Sacre du printemps à deux pianos ou Le Tombeau de Couperin à l’orgue) sur instruments d’époque de préférence. Impression générale (sur les premiers volumes parus) de foisonnement esthétique mais de qualité variable, besoin de se référer aux textes de pochette – assez succincts mais soignés – pour saisir, en particulier dans les pièces les plus faibles, la violence du cataclysme et ses effets secondaires. La collection est proposée libre de droit aux institutions publiques intéressées. Une entreprise d’intérêt général, aux prétentions commerciales modestes mais destinée à assurer la part de la musique face à la masse de documents, films, livres et archives commémorant le Centenaire. Doublement respectable donc.

François Lafon

Les Musiciens et la Grande Guerre - Hortus – WW1 Music. 6 volumes parus

 

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