Mardi 19 mars 2024
Le cabinet de curiosités par François Lafon
jeudi 23 avril 2015 à 10h10

Glenn Gould n’a pas été le premier à le remarquer : chez Bach, l’instrumentarium n’est pas primordial. Pour preuve, Les Objets volants, compagnie de jonglage se réclamant « du cirque, du théâtre, des arts plastiques et des mathématiques », interprète le Prélude n° 1 en ut majeur du Clavier bien tempéré aux boomwhackers, tubes de couleurs rattachés à la famille des percussions. On attend maintenant les quarante-sept Préludes (et Fugues) restants.

Bach, L’Offrande musicale, canon 1 à 2. « Moins de musicologie, davantage de musique » préconise le nouveau directeur de Radio France Mathieu Gallet pour enrayer le déficit d’audience de France Musique. Et si on essayait - pour l’œil comme pour l’oreille - la pédagogie bien comprise ?

François Lafon

mercredi 25 juin 2014 à 17h42

Vu à la télé : Esa-Pekka Salonen composant son Concerto pour violon sur iPad. Inspiration devant sa glace en train de se raser, maturation chez lui en Finlande au bord d’un lac gelé, à Londres à la gare de St Pancras ou sur la terrasse de la Tate Modern, finalisation avec le Philharmonia Orchestra et la violoniste Leila Josefowicz. Un nouveau docu-pub faisant suite, entre autres, à l’application The Orchestra, où Salonen et « son » Philharmonia accréditent la double idée que la technologie peut donner un coup de jeune à la sacro-sainte musique classique et que la tablette iPad ne fait pas forcément de vous un consommateur passif. « A cool, elegant piece of work » selon Alex Ross, critique influent du magazine américain The New Yorker et auteur de l’excellent livre The Rest is noise (voir ici). Curieuse impression quand même de voir le très sérieux Salonen, moins médiatisé ici que dans les pays anglo-saxons, jouer les VRP de la compagnie à la pomme, laquelle il est vrai a fait fortune en mettant, avec l’iPod, la musique dans toutes les poches. De là à conclure qu’une simple application peut vous conduire à la tête du Philharmonia …

François Lafon

Capture d'écran de la pub iPAd

mercredi 8 janvier 2014 à 16h41

Vous supportez difficilement les pianistes en extase, les violoncellistes au sourcil courroucé, les flûtistes à l’œil de gallinacé ? Vous aimerez en revanche cette interprétation orbiculo-occipito-zygomatique du 1er Concerto pour violon et orchestre de Niccolo Paganini (1825-1840).
PS. Expérience risquée. Ne pas reproduire.

François Lafon
 

jeudi 27 juin 2013 à 11h26

Il y a Jonathan Dagan, alias J.Viewz, un Américain dont le circuit imprimé MaKey MaKey peux transformer bananes, aubergines et carottes en touches de clavier. Il y a aussi le Vienna Vegetable Orchestra, rival des Wiener Philharmoniker jouant sur des violons en poireau, des percussions en courges et des flûtes en carottes. Tous ont bien sûr pour maître Salvador Dali, lequel déclarait en 1971 : « Les premières maisons comestibles […], les premiers et seuls bâtiments érotisables, dont l’existence vérifie cette formation urgente et si nécessaire pour l’imagination amoureuse : pouvoir le plus réellement manger l’objet du désir ». (De la beauté terrifiante et comestible de l’architecture modern style (1933) in Oui, Salvador Dalí et Robert Descharnes, éd. Denoël/Gonthier, 1971, vol. 2, p. 26). Mais comment ne pas admirer ce jeune homme au look Ircam-1980 nommé PRKTRNIC, seul capable à ce jour de resserrer en quatre minutes les liens distendus entre saucisse de Strasbourg et cordes en boyau ?

François Lafon

samedi 22 juin 2013 à 11h47

28 centimètres de haut, 63,5 de large, 38 de profondeur : c’est l’Opéra de Sidney en Lego, disponible en septembre prochain pour la modique somme de 320 dollars (243, 81 €, cours actuel). Conçu par l’architecte Jorn Utzon (danois comme la maison Lego) et inauguré en 1973, le bâtiment original (183 mètres de long, 120 de large, 1,8 hectare de superficie, 580 piliers de béton s’enfonçant dans la mer), est devenu le symbole de l’Australie comme la Tour Eiffel est celui de la France. Attention, le modèle se compose de 2989 briques, et s’adresse aux as de l’assemblage. Si vous y arrivez, vous pourrez passer à la Tour Eiffel : 3428 briques, 1,08 mètre de hauteur, 4,5 kg, mais enchères pouvant monter jusqu’à 3000 €, le produit ayant été retiré du marché en 2009.

François Lafon
 

lundi 20 mai 2013 à 10h22

Lancement par Universal du Blu-ray Pure Audio : trente-six références, dont dix classiques, de Karajan à Hélène Grimaud. Selon le dossier de presse : un support n’obligeant plus à compresser le son, une qualité d’écoute inégalée, la chaleur du disque vinyle en plus. Une initiative hardie, à l’heure du tout dématérialisé, de l’arrivée de la fibre et de la 4 G sur téléphone mobile, de la vogue de la VOD, de l’échange de plus en plus facile sur Internet. Une pierre aussi dans le jardin de ceux, nombreux, qui écoutent en voiture ou dans la rue sur MP3 des enregistrements au son ultra-compressé, et ne prennent plus le temps de s’asseoir face aux enceintes de papa pour savourer les joies de la hi-fi. Un pari commercial risqué si l’on pense à l’échec du SACD dans les années 2000, en dépit, déjà, d’une évidente plus-value sonore. Mais le SACD exigeait l’achat d’un lecteur onéreux, alors que le Blu-ray peut se lire aussi sur d’autres appareils (box ADSL, consoles de jeux, ordinateurs). Précision pratique : les albums coûtent 19,99 € pièce et sont impossibles à copier, mais sont accompagnés d’une offre gratuite de téléchargement, ce qui permet de les écouter sur MP3 avec la qualité sonore d’un téléchargement classique … à 9,99 €. Enthousiasme mitigé sur les forums : le Blu-ray audio n’est pas meilleur que le SACD, et il est aussi cher à l’unité. En septembre 2008, le constructeur coréen Samsung annonçait pour 2013 la mort du Blu-ray, lancé un an auparavant. Aujourd’hui Sony (inventeur du procédé) promet le « Violet-ray », permettant de stocker vingt fois plus d’informations. Mais que ne tenteraient pas les éditeurs pour retrouver l’âge d’or du disque roi ?

François Lafon - Olivier Debien

mercredi 20 février 2013 à 09h26

« Le public de la musique classique tousse deux fois plus que celui des autres musiques ». C’est Andreas Wagner, professeur à l'Institut de biologie de l'évolution et des études environnementales à l'Université de Zurich, professeur à l’Université de Santa Fe (Texas), auteur de La Robustesse et l'évolutivité dans les systèmes vivants (Princeton University Press, 2005), des Origines des innovations évolutives (Oxford University Press, 2011) et du Rôle du hasard dans l’évolution darwinienne (Philosophy of science, 2012) qui l’a dit à l’antenne de la BBC Radio 4. « Certes, le public classique est plus âgé, mais les chiffres sont là et montrent une vraie différence avec les autres musiques ! », a-t-il ajouté, précisant que les œuvres du XXème siècle, spécialement « les mouvements lents et retenus » font encore plus tousser que celles des autres époques. Substituant l’expérience à la science, on peut rappeler au professeur Wagner que la toux constitue une des réactions les plus communes aux situations dérangeantes (telle la musique du XXème siècle, spécialement pour un public âgé), et que la nervosité aidant, on a davantage envie de tousser quand la musique est douce, qu’il s’agisse de l’Andante amoroso de la Suite Lyrique de Berg ou du mouvement lent d’un Concerto pour piano de Mozart. On peut ajouter que les jeunes toussent peut-être autant pendant la Techno Parade, mais que cela ne s’entend pas.

François Lafon 

dimanche 23 décembre 2012 à 14h11

Hébergée sur le site communautaire américain Vimeo, cette petite animation due au vidéaste suisse Florian Geyer fait le buzz. Point de départ : j’ai voulu comprendre la musique. Conclusion : pas besoin de la comprendre pour y prendre plaisir. Etapes intermédiaires : musique des sphères, associations, émotions, dissonance, consonance, rythme, tempérament, vague sonore, chair de poule, cercle des quintes, chansons d’amour, musique d’ascenseur, comment elle nous fait danser. Graphisme inventif, bande son moins parlante. Eternelle polémique : le plaisir du connaisseur est-il plus - ou moins - grand que celui du néophyte, l’émotion (produit marketing breveté) vaut-elle tous les savoirs ?

 

Understand Music from finally. on Vimeo.

vendredi 5 octobre 2012 à 11h08

Nouveautés Peugeot du Mondial de l’automobile 2012 : le concept car Onyx et un piano demi-queue, commandé par la maison Pleyel et conçu par le Peugeot Design Lab. « Depuis deux siècles, le piano c'est cinq mètres cubes de noir, explique dans Le Figaro Arnaud Marion, directeur de la création chez Pleyel, une sorte de monolithe à l'heure où les espaces de vie sont hyperscénarisés et où l'on n'hésite plus à changer des détails aussi infimes qu'un bouton de porte. ». L’instrument, succédant dans la gamme Pleyel aux relookages signés Andrée Putman, Hilton McConnico et Michele de Lucci, est en bois et en fibre de carbone, monté sur un seul pied et paré d’un mécanisme abaissé, ce qui met le couvercle au niveau du clavier et permet ainsi à tout le public, même s’il n’est pas « côté mains », d’apprécier le jeu de l’interprète. L’objet va chercher dans les 165 000 € (avec le tabouret) et intéresse beaucoup les industriels chinois. On se demande ce qu’en ont pensé les licenciés du groupe PSA, venus manifester lors de l’inauguration du salon.

François Lafon

Mondial de l’automobile, Porte de Versailles jusqu’au 14 octobre.

mercredi 4 juillet 2012 à 10h04

« Y a-t-il besoin d’un compositeur pour écrire de la musique ? » C’est la question que, sur le site BBC News, pose Armand Leroi, professeur de biologie évolutive du développement à l'Imperial College de Londres. « On ne pense pas toujours la musique en termes d’évolution. Or tout le monde sait qu’elle a une histoire et des traditions, qu’elle est en perpétuelle mutation. Les différentes traditions musicales se rejoignent, se transmutent, fusionnent et de divisent à nouveau. Ce qui est évident dans le domaine de la biologie, pourquoi ne pas tenter de le lui appliquer ? Pourquoi ne pas admettre qu’elle évolue selon un processus darwinien ? » Travaux pratiques avec le Dr Bob MacCallum, spécialiste de la vie des moustiques à l'Imperial College de Londres le jour, animateur de Darwin Tunes la nuit. Sur son programme d’ordinateur : deux brèves boucles sonores. Il y a des notes dans tous les sens, les différents types de sons sont générés de façon aléatoire. Puis les deux boucles originelles se mélangent et se recombinent, afin de créer quatre nouvelles boucles, puis seize, puis autant qu’on veut, jusqu’à donner une centaine de thèmes musicaux. Quelques milliers de mutations plus tard, apparaissent des timbres instrumentaux que personne n’a programmés. Il y a des moments forts et des moments faibles, des périodes de création intense et des plages de stagnation, des blocages débouchant sur des solutions inattendues. Comme dans l’histoire de la musique « humaine », en somme. Test sur des adultes : certains thèmes marchent, d’autres non. Tests sur des enfants : ce ne sont pas les mêmes thèmes qui marchent. On trie tout cela, les flops passent à la poubelle, les tops servent à créer de nouveaux thèmes, plus complexes, plus harmonieux, plus mélodieux. Résultat de l’expérience : en se passant de compositeurs, on peut créer la musique dont rêvent les consommateurs. La loi du marché en tant que force créatrice. « Ce n’est pas du Mozart, concède le Pr Leroi, mais la musique du peuple dans sa forme la plus pure ». En musique aussi, le populisme a de beaux jours devant lui.

François Lafon

lundi 4 juin 2012 à 08h31

Un hit sur le net : David Beckham jouant l’Hymne à la Joie de Beethoven. Instrumentarium : des ballons de football et un mur de tambours accordés ad hoc. But de l’opération : promouvoir Galaxy Note, le nouveau smartphone de Samsung, Beckham étant milieu de terrain du Los Angeles Galaxy. C’est la presse sportive qui fait le plus la grimace : vilains sons, pas de rythme, déhanchements inutiles. Faire ça à Beethoven ! Pas grave, les smartphones Samsung cartonnent déjà : cinq millions vendus en cinq mois.

François Lafon

mardi 29 mai 2012 à 09h12

Questions de sons chez les constructeurs de voitures. Dans une interview au Detroit Free Press, Michael Arbaugh, chef du design intérieur chez Ford, annonce la suppression du lecteur de CD dans les prochains modèles. Cela permettra d’affiner les tableaux de bord, de gagner de la place et surtout d’alléger le tout de deux kilos, détail appréciable en ces temps de scrupules écologiques et d’augmentation du prix du carburant. Le lecteur multi-CD a déjà disparu de la gamme européenne Ford Focus, 95% des acheteurs choisissant la version avec connexion à un appareil MP3, 90% y ajoutant une connexion Bluetooth. Même scénario pour la Chevrolet Sonic RS, sur laquelle le lecteur optique est remplacé par le système MyLink, lequel permet de connecter un Smartphone et de diffuser la musique via des sites comme Pandora en utilisant la 3G. Selon la société d’études Stratacom, 331 000 acheteurs de voitures refuseraient l’option CD cette année aux Etats-Unis, et leur nombre passerait à plus de douze millions d’ici 2018. On pourrait donc assister à une disparition du CD bien plus rapide que celle de la K7. « Les moins de trente ans utilisent des lecteurs MP3. Ils n’achètent plus de CD », ajoute Michael Arbaugh. « Pour ceux qui ne connaissent rien aux nouvelles technologies, il sera difficile – voire impossible – de se tourner vers ce genre de système. Or ces mêmes personnes sont la plupart du temps âgées et plus susceptibles d’acheter un véhicule que les jeunes générations. Conclusion, il est peu probable que tous les constructeurs imitent Ford immédiatement. », rétorque le site spécialisé Gizmodo. A propos, quelles musiques écoutent les uns et les autres ? Les amateurs de classique seront-ils les derniers à acheter des CD ? Mais ceux-là, c’est bien connu, roulent encore en carrosse.

François Lafon

Salle de bal nordique ? Pièce à vivre d’un chalet de montagne ? Décor pour une Tétralogie écolo ? Couloir du temps aux reflets cuivrés ? Ordinateur vu en coupe ? Les affiches Näher an der Klassik (Plus près du classique) annonçant le cycle de musique de chambre du Philharmonique de Berlin, font un tabac sur la Toile. Il s’agit en fait d’un voyage au centre de quelques instruments de musique, conçu par le photographe Björn Ewers et réalisé par les rois du cliché chic Andreas Mierwa et Markus Kluska, lesquels ont utilisé un Hasselblad numérique avec objectif grand angle ouvert à f/22 en pose longue de 4 secondes, d’où l’impression de vastitude qui se dégage de l’ensemble. Pas ou très peu de HDR (traitement numérique) : lumière du flash et fumée de cigarette pour les effets de halo. Réactions d’un internaute : « Quand je lis qu’il a fallu découper des instruments, je peux pas m’empêcher de hurler “Massaaacre”. » Réponse de Ewers : « Le violoncelle était en réparation et déjà ouvert. C’est la flûte, avec ses effets de miroir, qui a été la plus difficile à photographier. ». Autre réaction : « Je suis sûr qu’on dort bien là dedans ». Pour un cycle de musique de chambre…

François Lafon

dimanche 15 avril 2012 à 19h46

Vous hésitez à vous lancer car vous ne savez pas quel instrument choisir ? Eh bien voilà la solution : suivez la piste.

Pour votre violon, cordes métalliques ou cordes en boyau? Dépassé tout cela, affirme le Dr Shigeyoshi Osaki, de l’Université Nara, au Japon. L’avenir réside dans les cordes en soies d’araignée. En assemblant de trois à cinq mille fils produits par des femelles de l’espèce Nephila maculata, le tout torsadé en trois faisceaux bien serrés, on obtient, d’après lui, un amalgame plus solide qu’une corde en boyau, mais moins résistant qu’une corde en métal. Selon le site BBC News, ces cordes arachnéennes, vues en coupe transversale et au microscope électronique, auraient la particularité d’être en leur centre composées de soies tressées et assemblées de différentes manières, ne laissant aucun espace entre elles. Le petit (ou le grand) plus ? « Un timbre doux et profond, inconnu jusqu’ici, capable d’inspirer de nouvelles musiques, et dont raffolent déjà quelques virtuoses renommés, » affirme le Dr Osaki. A quand une nouvelle version pour cordes seules du Festin de l’araignée d’Albert Roussel ?

François Lafon
 

dimanche 22 janvier 2012 à 20h11

 

« Vous pouvez répondre, je ne vous dérangerai pas » (Kiri Te Kanawa) ; « Si c’est ma mère, dites-lui que je suis en train de travailler » (Lorin Maazel) ; « Vous, oui vous : sortez ! » (William Christie). La semaine dernière à New York, un téléphone mobile sonne pendant le finale recueilli de la 9ème Symphonie de Mahler. Alan Gilbert, directeur du Philharmonique, interrompt le concert. « Avez-vous bien éteint votre portable ? », demande-t-il au fautif, qui se contente de hocher la tête. A la synagogue de Peskov en Slovaquie, le violoniste Lukas Kmit est dérangé par la petite valse Nokia. Il réagit lui aussi…

François Lafon
 

lundi 31 octobre 2011 à 10h19

Un homme en noir dérobe des pâtes dans un musée, avant de s’enfuir par les toits. Musique : Allegro con brio de la 25ème Symphonie de Mozart. Une Clio musclée déplace une citerne. Musique : Non piu andrai, extrait du 1er acte des Noces de Figaro. Un couple joue aux échecs, sourires Email Diamant. Musique : Voi che Sapete, l’air de Chérubin. Appareil photo E720 de Samsung avec lecteur de MP3 intégré. Musique : la Marche turque. Verkade, fruits and form, ou comment arriver la première dans l’ascenseur occupé par le patron. Musique : le Dies irae du Requiem. Faisselle Rians, 100% naturelle. Musique : encore la Marche turque. Dernier en date : une voix de femme décrit l’intérieur de la Renault Energy dCi 130, pendant qu’on en voit le moteur et qu’une voix d’homme se demande si le plus étonnant dans cette voiture, ce n’est pas, justement, le moteur. Musique : le Porgi amor de la Comtesse dans les Noces de Figaro. Tout a commencé avec la Reine de la nuit, muse du riz Taureau ailé de Lustucru. Rien de tel que Mozart pour enchanter le plus utilitaire des produits. C’est beau, la pub.

François Lafon
 

Mais qu’avez-vous, chers fidèles de musikzen.fr, à vous passionner soudain pour les surnoms donnés aux œuvres célèbres, et en particulier à celui de la 7ème Symphonie de Beethoven ? Les pièces à titre, c’est avéré, marchent mieux que les autres. La 14ème Sonate pour piano en ut dièse mineur op. 27 n° 2 de Beethoven ne serait peut-être pas aussi célèbre si son Adagio sostenuto n’évoquait un clair de lune, et l’ultime Symphonie de Mozart paraîtrait probablement moins grandiose si elle n’était surnommée « Jupiter ». La plupart de ces titres sont d’ailleurs apocryphes : c’est le poète Ludwig Rallstab qui a trouvé « Clair de lune » et l’impresario Johann Peter Salomon, probablement influencé par la tonalité d’ut majeur du chef-d’oeuvre, qui a pensé à « Jupiter ». Il y a des titres moins évidents : pourquoi la Sonate « Waldstein » de Beethoven (du nom de son dédicataire) s’appelle-t-elle aussi « L’Aurore », pourquoi la 1ère Symphonie de Tchaikovski, pourtant composée pendant l’été 1866, est-elle sous-titrée « Rêves d’hiver » ? On comprend mieux l’appellation « Chant de la nuit » pour la 7ème Symphonie de Mahler dont les deux Nachtmusik sont les moments les plus étonnants, ou encore l’appellation de « Brandebourgeois » conférée par le musicographe Julius August Philipp Spitta aux six Concertos dédiés par Bach au margrave Christian Ludwig de Brandebourg. Le sous-titre de la 7ème Symphonie de Beethoven n’est pas dû, lui, à un commentateur oublié, mais à Richard Wagner en personne. Sensible aux rythmes très marqués dont l’œuvre est saturée, il l’a surnommée « Apothéose de la danse », ce qui, pour nos oreilles modernes, ne signifie plus grand-chose.

François Lafon

Photo : La Danse, de Carpeaux, sur la façade de l'Opéra Garnier à Paris

mardi 7 juin 2011 à 12h42

Savez-vous ce que c’est qu’un Ohrwurm ? En allemand, cela veut dire « ver d’oreille ». Métaphoriquement parlant, il s’agit d’une musique qui s’insinue dans votre oreille et ne veut plus en sortir. En anglais, on dit earworm (traduction littérale d’ohrwurm) ou musical hitch, qu'on pourrait traduire par « démangeaison musicale », à ne pas confondre avec a hook (littéralement « un hameçon », formule mélodique ou rythmique qui capture l’attention, tel le début de la 5ème Symphonie de Beethoven). Selon James Kellaris, professeur à l’Université de Cincinnati, « ce phénomène est susceptible de toucher 97 à 99% de la population, les femmes et les musiciens étant les plus concernés ». Est-ce à dire que les femmes ont plus d’oreille que les hommes (les musiciens étant bien sûr hors concours) ? En 1956, l’écrivain d’anticipation Arthur C. Clake (auteur de 2001, l’Odyssée de l’espace) a publié une nouvelle, The Ultimate Melody, dans laquelle un savant sadique invente une mélodie fatale et inoubliable, correspondant exactement aux rythmes électriques fondamentaux qui animent le cerveau. En est-on là quand on n’arrive pas à se débarrasser d’une chanson - bien souvent stupide et hautement oubliable -, entendue le matin à la radio ? Dans les pays anglo-saxons, ce phénomène est pris très au sérieux par les spécialistes de neuro-imagerie, mais alimente aussi les médias : les auditeurs du Shaun Keaveny Breakfast Show, émission très populaire de BBC 6 Music, sont priés de faire savoir en compagnie de quel earworm ils se sont réveillés. En France, on parle de scie (chanson, formule, argumentation ressassée et usée), de rengaine (refrain banal, chanson ressassée - de rengainer : remettre dans la gaine) et l’on se plaint qu’un air nous trotte dans la tête, mais aucun ver d’oreille hexagonal ne s’est insinué dans le langage.

François Lafon

Dessin extrait de www.coloriages.biz

mardi 31 mai 2011 à 09h26

Un jeune homme se lève. Au pied du lit, un i-phone. Le jeune homme pose les pieds par terre : tap, tap. Il frappe dans ses mains : clac, clac. Dans la salle de bains, il allume son rasoir électrique : tse-tse-tse-tse. Petit déjeuner, il fait frire un œuf - splehhh,- et actionne le grille-pain : tic, tac. Il prend sa guitare, et essaye une mélodie. Il sort, croise une fille jouant du violon : mélodie encore, plus accompagnement i-phone : tap, clac, tse, spleeh, tic. Il prend le bus : silence pour nous, tse, spleeh, tic dans les écouteurs. Il entre dans un studio, une chanteuse chante, l’i-phone sur le micro : tap, clac, etc. Le jeune homme est le héros d’autres vidéos, dont l’une se passe dans un parc et invente un nouveau rythme, le Duckstep (pas du canard). Celle-ci, intitulée Everything is an instrument, est une publicité pour une application i-phone destinée aux i-compositeurs en i-herbe. Capter les rythmes de la vie moderne, faire musique de tout : on pense aux ancêtres, Pierre Henry, Mauricio Kagel. La musique du jeune homme n’aurait pas eu sa place dans les festivals d’avant-garde des années 1970, mais le principe est le même.

François Lafon

jeudi 19 mai 2011 à 17h56

Au programme de l’Orchestre de Paris cette semaine : La Barque solaire, pour orgue et orchestre, de Thierry Escaich, la 3ème Symphonie « avec orgue » de Saint-Saëns et le Concerto pour violoncelle de Dvorak. Paavo Järvi est au pupitre, Escaich lui-même à l’orgue et Gautier Capuçon au violoncelle. Le clavier d’Escaich est installé côté jardin. De part et d’autre du plateau : de grandes enceintes. La Barque solaire, inspiré du Livre des Morts Egyptien, place l’orgue, aux harmonies d’éternité, au centre d’un orchestre déchaîné. Des sonorités faibles et étouffées : ce n’est pas un concerto pour orgue, précise le compositeur. Soit. Dans la Symphonie de Saint-Saëns, l’orgue est là aussi pour soutenir, mais il éclate, au début du Finale, en un péremptoire do majeur. Même discrétion. Avant l’entracte, Capuçon, très applaudi (à juste titre) dans Dvorak, appelle Escaich pour un bis kitsch et délicieux : « Mon cœur s’ouvre à ta voix » (Saint-Saëns, Samson et Dalila) transcrit pour violoncelle et orgue. Egale frustration. Le grand Cavaillé-Coll de Pleyel, inauguré en 1929 par Marcel Dupré, n’est qu’un lointain souvenir. Aujourd’hui, on se passe, quand on construit ou rénove une salle, de ce genre de monument, onéreux, archaïque et encombrant. Hier soir, on l’a quand même un peu regretté.

François Lafon

Salle Pleyel, Paris, 18 et 19 mai.

Une table lumineuse, sur laquelle est dessinée une portée. Deux enceintes sur pieds. Une clé de sol, des noires et des croches en bois, d’une vingtaine de centimètre de hauteur. Posez une noire entre les deux lignes du bas de la portée : un fa se fait entendre, tandis que le nom de la note s’affiche en-dessous. Alignez plusieurs notes, et appuyez sur un bouton placé à gauche de la table : la mélodie que vous venez de composer résonne à vos oreilles. Le timbre de base est celui du piano, mais il suffit d’actionner un autre bouton pour entendre un vibraphone, ou une guitare. Pourquoi ces objets encombrants, alors que vous pouvez obtenir le même résultat sur votre écran ? Parce que, justement, la manipulation des notes en bois (et non en plastique), leur poids, différent selon leur durée, font partie du traitement. Il s’agit, en fait, de se désintoxiquer du côté virtuel de l’ordinateur. « Même si un piano est un instrument de musique relativement simple à utiliser, il ne vous apprendra pas à lire ni à composer une partition », dit la publicité. Bien d’accord : on peut jouer Au Clair de la lune avec un doigt, mais pas réviser son solfège rien qu’en regardant le clavier. Le titre de l’article de présentation sur Gizmondo est plus étrange : «La table surface que Beethoven aurait pu concevoir ». Parce qu’il était sourd ? Dans le petit film de démonstration, les notes jouées par la table sont accompagnées par un long accord électronique. D’où vient-il ? De la table, ou d’un ordinateur ? A quoi sert-il ? A nous faire croire qu’un Steve Reich ou un John Adams sommeille en chacun de nous ? Que ne ferait-on pas pour adoucir le dur apprentissage de la musique ! Seul élément mystérieux : le prix de ce prodige de technologie.

François Lafon

Table Noteput, conçue par Jürgen Graef et Jonas Heue.

Il faut le voir pour y croire. Pour lancer un téléphone portable écolo à coque en bois, Samsung a construit dans la forêt japonaise un xylophone (de bois) géant et incliné, lequel, actionné par une petite boule (en bois) dégringolant de touche en touche, joue Jésus que ma joie demeure de Jean-Sébastien Bach. La forêt est magnifique, peuplée de biches et d’écureuils. Espérons qu’elle est très loin de Fukushima.

François Lafon
 

lundi 4 avril 2011 à 17h32

Question pour le Trivial Pursuit : combien un Steinway de concert a-t-il de touches ? Réponse : quatre-vingt-huit. Et un Stuart and Sons ? Cent-deux. Wayne Stuart, facteur à Newcastle, dans le New South Wales, en Australie, est très fier de son chef-d’œuvre : « D’autres pianos ont autant de notes graves que le mien, mais aucun n’a autant de notes aiguës. » A quoi servent-elles, ces touches supplémentaires ? « A amplifier la résonance, à décupler l’énergie. » « Beethoven aurait aimé, renchérit le pianiste local (et beethovénien) Gerard Willems. Il n’y avait que soixante-dix touches sur son piano, mais il aurait sûrement utilisé les autres s’il les avait eues à sa disposition. » (sic). Et le son ? « Grâce à un dispositif original, les cordes vibrent différemment, poursuit Willems. On peut tenir une note beaucoup plus longtemps. C’est comme si l’on tirait des fils de laine. Chacun a son épaisseur et son parfum. C’est un piano typiquement australien : soleil et sable fin. » « Pas très ensoleillé, réplique le pianiste et pédagogue Jeoffrey Lancaster. Cette clarté, ces sonorités cristallines donnent un résultat glacial. » Reste à convaincre les compositeurs de composer pour lui et les pianistes de l’acheter. Il coûte 300 000 dollars australiens (223 000 euros), accord en sus.

François Lafon
 

http://www.stuartandsons.com/

vendredi 8 octobre 2010 à 09h27

Andrew Woolley, un musicologue attaché à l’université de Southampton, vient de découvrir une copie manuscrite d’un concerto pour flûte de Vivaldi dans les papiers de la famille Lothian, déposés en 1991 aux Archives Nationales d’Ecosse. C’est probablement Robert Kerr, fils du troisième marquis de Lothian et flûtiste aguerri, qui l’a acquise dans les années 1730, durant le tour d’Europe que les fils de famille se devaient d’effectuer à l’époque. Il devait exister d’autres copies dudit concerto, puisqu’on en trouve trace dans le catalogue d’un libraire hollandais en 1759, treize ans après la mort de Kerr. L’œuvre, qui sera créée à Perth (Ecosse) en janvier prochain et dont l’exécution dure de six à sept minutes, faisait partie d’un groupe de quatre concertos disparus qui, telles Les Quatre Saisons, auraient pu s’appeler Les Quatre Nations, à avoir la France, l’Espagne, l’Angleterre et les Indes. Car celui-ci est sous-titré Il Gran Mogol. Curieuse coïncidence : Le Grand Mogol est aussi le nom du cinquième plus gros diamant jamais connu, une fabuleuse pierre de 280 carats dédiée à Shâh Jahân, bâtisseur du Taj Mahal, découverte en 1650 dans la mine de Kollur, à Golconde, et disparue en 1739 lors du pillage de Dehli par les Perses. Mais pour être digne d’un tel joyau, il aurait au moins fallu que ce concerto soit composé par Mozart.

François Lafon

jeudi 2 septembre 2010 à 08h47

Qu’est-ce qui fait qu’une musique nous touche, et une autre pas, qu’un interprète nous bouleverse, et qu’un autre nous laisse froid ? C’est une histoire de cœur, répond le Heart Chamber Orchestra. Rien de sentimental dans sa démarche. De la science, rien que de la science. Sur scène : des musiciens avec leurs instruments. Devant chacun d’eux : un ordinateur portable. Derrière eux : un double écran géant. La musique qu’ils jouent est générée en direct par leur rythme cardiaque, lequel détermine aussi les dessins que l’on voit sur l’écran. A mesure qu’ils s’échauffent, le rythme s’accélère et les dessins se compliquent. Beethoven et Bartok n’ont pas fait autre chose, direz-vous, et sans ordinateur ni électrocardiogramme. Eh bien si, justement, ils ont fait autre chose, car les variations cardiaques du Heart Chamber Orchestra feraient bâiller les derniers fans de la musique new age. Il faudrait que ces pionniers s’essayent à Beethoven et Bartok, ou qu’ils prêtent leur matériel au Philharmonique de Berlin. Ce qu’on verrait sur l’écran serait peut-être terrifiant, mais la musique aurait plus de cœur

François Lafon



 

Vos enfants vous traitent de has-been quand vous écoutez la 4ème Symphonie de Brahms par Carlos Kleiber et le Philharmonique de Vienne ? Branchez-les sur les GSO (Game Symphony Orchestra), des ensembles issus des universités américaines, et spécialisés dans l’accompagnement de jeux vidéo. Aux Etats-Unis, les orchestres les plus traditionnels, en mal d’inspiration et en panne de subsides, ont même pris le relais des GSO. L’Orchestre National de Washington, par exemple, vient de faire un tabac avec un concert monstre accompagné de projections sur écrans géants, à l’occasion du vingtième anniversaire du jeu Final Fantaisie. Au programme : Distant Worlds, musique de Nobuo Uematsu. Le Symphonique de San Francisco (directeur : Michael Tilson-Thomas) et celui de Houston s’y sont mis sans état d’âme, et c’est une phalange européenne, le Philharmonique Royal de Stockholm, qui a enregistré Distant Worlds (AWR Records, distribué par Sony). Mais d’où vient que les amateurs de jeux vidéo, genre aussi peu classique que possible, soient toqués de musique orchestrale ? De Star Wars bien-sûr. Tommy Tallarico, le créateur et manager de ces concerts Video Games Live, a vu la saga quand il avait dix ans : « C’était la première fois que j’écoutais de la musique orchestrale. Quand j’ai su que John Williams se réclamait de Mozart et Beethoven, je me suis précipité pour acheter des disques. Mon but dans la vie a changé : je ne voulais plus être une rock star, mais un compositeur sérieux ». Le rêve américain pas mort ! Mais au fait, à quoi ressemble-t-elle, cette musique d’autant plus évolutive qu’elle peut-être recomposée à l’infini selon la façon dont vous jouez et rejouez devant votre écran ? Disons, pour être gentil, qu’elle est à la BO de Star Wars ce que Les Planètes de Holst est à la 4ème de Brahms.

François Lafon

jeudi 24 juin 2010 à 15h44

Si la vuvuzela n’évoque pour vous qu’un essaim de mouches tournoyant au-dessus de l’équipe de France en décomposition, précipitez-vous sur le site du quotidien hambourgeois Die Zeit. Dans le cadre chic du Konzerthaus de Berlin, trois instrumentistes en queue de pie jouent Brahms et Ravel sur ce sympathique instrument. Enfin, ils essayent.

François Lafon

lundi 21 juin 2010 à 12h16

Il y a tout juste soixante-deux ans, le 21 juin 1948, Columbia Records commercialise les deux premiers disques 33 tours : une réédition de l’album The Voice of Frank Sinatra, initialement paru en 78 tours, et le 2ème Concerto pour violon et orchestre de Mendelssohn par Nathan Milstein et Bruno Walter dirigeant le Philharmonic-Symphony Orchestra of New York, enregistré en mai 1945. En France, c’est en décembre 1949 que l’on découvre les joies du « microsillons incassable sur plastique vinylite » avec L’Apothéose de Lully, le Quatrième Concert royal et La sultane de François Couperin. Roger Désormière dirige l’Ensemble Orchestral de L’Oiseau-Lyre, où Pierre Pierlot joue du hautbois. En 1931, RCA avait tenté de lancer le système Victrolac (des disques tournant à la vitesse de 33 tours 1/3 par minute) : échec total. La même année, l’Anglais Alan Dower Blumlein avait fait breveter sa nouvelle invention, l’enregistrement binaural (en d’autres termes, la stéréophonie), et avait essayé, sans succès, de la vendre à l’industrie du cinéma. Il s’était alors adressé à EMI (Electric and Musical Industries), né de la fusion de la Gramophone Company (His Master’s Voice) et de la filiale britannique de Columbia Records. Verdict : « Personne n’a besoin de ce genre de gadget ». En 1957, quand fut lancé le 33 tours stéréo, Blumlein était mort depuis quinze ans. Vive les anniversaires ! 

François Lafon

Paris 75008, sous la bulle de verre du métro Saint-Lazare. Citadins et banlieusards se croisent et se bousculent dans un enchevêtrement d’escaliers roulants dont on dirait qu’ils ont été disposés tout exprès pour que les gens se bousculent en se croisant. Sur les murs, des pubs à la taille de l’endroit. En ce moment, et jusqu’au 15 mai, la ville de Vienne (Autriche) étale ses fastes touristiques. Un poster de cent-vingt-cinq mètres carrés montre les Wiener Philharmoniker jouant dans la Salle dorée du Musikverein. Tous les quarts d’heure - de 9h30 à 12h30, hors week-ends et joues fériés -, la valse de Strauss Frühlingsstimmen (Voix du printemps) ajoute le son à l’image, tandis qu’un comédien en queue de pie imite Karajan, entouré de valseurs distribuant des cartes postales éditées par un voyagiste. Entre deux bousculades, le voyageur capte le message : Concert du nouvel an, Danube bleu, crème fouettée, vie facile, vacances. De quoi tenir jusqu’au quai (encombré) de la ligne 14. La légende de la photo magique rive le clou : « En ce moment, vous pourriez écouter cette musique dans une des plus belles salles de concert du monde. Prenez le premier train pour Vienne. Vienne, c’est maintenant ou jamais. » Tout est dans le « vous pourriez. » Manquent les « si » : « si vous n’étiez pas en train de galérer dans le métro, » par exemple. En mars, Ikea a meublé les quais des stations Saint-Lazare et Opéra de canapés protégés par des vigiles. « En ce moment, vous pourriez vous asseoir dessus, si vous n’étiez pas SDF, » aurait pu préciser la pub.
 

Touch me, I'm yours (Touche-moi, je suis à toi). Il ne s'agit pas de racolage sur la voie publique, mais d'une opération « pianos dans la rue », lancée à Barcelone par le Britannique Luke Jerram, en parallèle avec le Concours Maria Canals, qui réunit en ce moment dans la ville quatre-vingt-onze pianistes venus de vingt-six pays. Jusqu'au 26 mars, vingt instruments, répartis dans des lieux très fréquentés, s'offrent à qui veut s'occuper d'eux. Déjà, des élèves des écoles d'art et de design en ont décoré sept sous les arcades de la Plaza Reial : couleurs vives, collages à la Max Ernst, transformation du plus bourgeois des instruments en icônes militantes. Les passants, eux, ne se privent pas de promener leurs doigts sur les claviers, que ce soit pour jouer Au clair de la lune (version catalane) ou la Sonate « Au clair de lune », ou tout simplement pour faire du bruit : rien de plus irrésistible qu'un clavier qui s'offre à vous ! La mairie de Barcelone présente l'opération comme un test de responsabilité civique, et les instruments – qui sont entretenus quotidiennement et couverts la nuit d'un manchon protecteur - feront le bonheur de diverses associations. « Faites ça à Paris, ce sera un massacre », penseront certains. Pas sûr : l'opération a été tentée à Sao Paulo, Sydney et Londres, et aucun piano n'a été vandalisé, ni même abîmé. Il n'y a qu'à Bristol, la plus petite de toutes ces villes, que l'un des quinze instruments exposés a subi les derniers outrages.

mardi 16 mars 2010 à 00h01
Vous vous rappelez, Orange Mécanique de Stanley Kubrick ? C'était en 1971. On y voyait Alex (Malcolm McDowell), drogué à Beethoven et à l'ultra-violence, soigné de son ultra-violence à coups de Beethoven, qu'il ne pouvait plus écouter sans être instantanément pris de nausée. Folle fiction inspirée d'un roman de ce fou d'Anthony Burgess ? Eh bien, quarante ans plus tard, la réalité rattrape la fiction. A Derby (Grande-Bretagne), il y a une école où l'on oblige les élèves les plus indisciplinés à écouter du Mozart et du Ravel. Résultat : 60% d'incivilités en moins. Brendan O'Neill, animateur du site spiked-online.com ("dopage en ligne.com") et auteur d'un essai intitulé Weaponizing Mozart (qu'on pourrait traduire par « Comment transformer Mozart en arme ») déclare que l'école en question n'hésite pas à « donner ainsi un grand coup sur la tête des délinquants ». Un grand coup sur la tête, Mozart ? Allez dire ça aux gens qui cassent leur tirelire pour aller s'en délecter à Aix ou à Salzbourg ! Cette thérapie de choc nous rappelle que :
1 – Les enfants n'aiment pas la musique classique. Leur oreille est formée à des harmonies basiques, aisément reconnaissables et peu fatigantes pour les cellules grises.
2 – Le système scolaire a abandonné l'idée de transmettre aux élèves les clés de la culture.
3 – Pour le peuple, la musique est plus que jamais une affaire de gens chics, à laquelle ils n'a pas accès.
En Angleterre, au Pays de Galle et en Irlande du Nord, les pouvoirs publics ont trouvé un moyen infaillible d'empêcher les attroupements de jeunes dans les parcs et autres lieux publics : on y diffuse de la musique classique à fort régime. C'est plus efficace et moins dangereux que la petite boite à ultrasons (illégalement) utilisée chez nous, et destinée à troubler l'oreille interne des moins de vingt-cinq ans (tiens, presque comme dans Orange mécanique). La musique comme agent excluant : on connait des mélomanes qui aimeraient moins Mozart s'il n'avait cette vertu. Quand durcira-t-on le ton en passant de Mozart à Schoenberg ? Là, il faudra faire attention : les mélomanes risquent de fuir et les jeunes d'aimer.
Bonne nouvelle pour les musiciens : la pratique de leur art améliore leurs fonctions cérébrales. Cela commence très tôt, si l'on en croit les experts réunis fin 2009 à l'Université d'Austin, au Texas. Au bout d'un an de formation, l'enfant musicien a un cortex auditif différent de celui de ses camarades : mémoire, capacité d'attention et même aptitude au langage sont stimulées. Et cela s'améliore avec l'âge : entre dix et treize ans, les progrès s'accélèrent. Cela se remarque particulièrement chez les sujets atteints de déficits du langage (l'aphasie) ou de l'identification des mots écrits (la dyslexie). Des analyses plus fines ont montré que les régions du cerveau concernées ne sont pas exactement les mêmes selon que l'on étudie le piano (instrument polyphonique), le violon ou que l'on chante. Qu'à cela ne tienne : faites de la musique et vous deviendrez plus intelligent. « Ah non, rien à voir, rectifie le professeur Antoine Sahin, de l'Université de Columbus. L'éducation musicale ne conduit pas nécessairement à améliorer le QI ni la créativité ». Quant à l'intelligence, c'est une notion variable, dont l'appréciation dépend, chez l'enfant, des origines sociales, de l'éducation et du niveau culturel des parents. Glenn Schellenberg, professeur à l'Université de Toronto, indique cependant que « la pratique de la musique et même son écoute passive peuvent aider à accomplir certains tests cognitifs ». Cela marche rien qu'en écoutant Mozart ? « Beaucoup moins bien », répondent en substance ces dignes scientifiques. « Et puis, ajoute Schellenberg, pour les adultes, les effets de la cognition musicale sont plus difficiles à cerner ». Moralité : faites étudier la musique à vos enfants et écoutez autant de Mozart que vous voudrez. Rien de tout cela ne peut vous faire de mal.
lundi 22 février 2010 à 00h13
Le mois dernier, Frédéric Mitterrand a annoncé le projet « carte jeune » : 200 euros de potentiel d'achat de musique en ligne à moitié remboursés par l'état. Voici maintenant Moozar, ou la possibilité de dédommager les artistes dont on a piraté les disques sur Internet. Au pays du Téléthon, on compte décidément sur le bon cœur du consommateur. Moozar, c'est une start-up créée par le juriste David Brami. Le Monde.fr, qui lui consacre un article, qualifie l'entreprise d'utopie libérale, ou encore d'alternative à l'usine à gaz Hadopi. On paie (un euro, ou plus, si l'on veut), mais après coup : il ne s'agit plus d'acheter un produit, mais de remercier l'artiste du plaisir qu'il nous a procuré. La nuance est élégante. Brami invoque la conscience des internautes, assure que si 95% d'entre eux sont des prédateurs, ils sont 60% à souhaiter réparer leur faute. Quand le législateur patauge, l'imagination prend le pouvoir. Bonne idée, en plus, d'appeler cela Moozar. Wolfgang Amadeus, en termes d'image, est la conscience de la musique. De toute façon, le classique n'est pas concerné, ou si peu. Car pour recevoir les dons (c'est le mot employé) des internautes repentants, il faudrait que Mozart, ou ses actuels interprètes, soient inscrits à Moozar.
dimanche 21 février 2010 à 00h28
Si Bela Bartok avait su, il y aurait mis encore plus d'énergie : les tonnes de documents et enregistrements qu'il a recensés pour que la musique traditionnelle - c'est-à-dire non écrite - de son pays ne tombe pas dans l'oubli sont désormais en ligne, sur le site de l'Institut de musicologie de l'Académie des Sciences de Hongrie. A moins d'être musicologue, direz-vous, pas besoin de connaître tout cela pour apprécier le compositeur, ni même pour détecter les traces de folklore hongrois dans Le Château de Barbe-Bleue. Certes, mais à l'heure où tout et n'importe quoi est conservé, archivé, protégé, pérennisé, digitalisé, MP3isé, ce travail acharné de sauvegarde d'un patrimoine en danger méritait bien cela. « A quoi sert d'apprendre, puisque tout est dans les livres ? » se demandait l'ancien cancre Sacha Guitry. A ne pas oublier, par exemple, qu'un Bartok a sué sang et eau sur les chemins des Carpates, et qu'il en a rapporté des trésors.
dimanche 14 février 2010 à 08h33
La caméra enveloppe amoureusement un pavillon acoustique façon gramophone. Musique d'ambiance, lointaine. Une main masculine entre dans le champ et introduit un iPhone dans le réceptacle pratiqué à cet effet sur le socle en bois clair (chutes de noyer) du pavillon. Musique plus forte. Plan fixe du dispositif. Nom de l'appareil : le iVictrola (référence à l'invention de la Victor Machine Talking Company – 1901-1929), œuvre du designer Matt Richmond. Amplification acoustique ne nécessitant aucune installation électrique : écologique et élégant (pas de fil). Très chic dans une résidence secondaire avec poutres en polyurétane haute densité et cheminée à effet feu de bois. Trouve naturellement sa place auprès d'un téléphone en bois et cuivre, avec clavier digital dissimulé sous cadran d'époque amovible. Commentaire d'un internaute : « Peuh ! Déjà vu il y a deux jours sur … » C'est dire qu'on n'est pas près de trouver ce chef-d'oeuvre dans les brocantes et vide-greniers. En attendant, il coûte 425 dollars (295 euros, profitez du change, s'il en est encore temps). Mais il faut être patient : il est déjà en rupture de stock.
lundi 1 février 2010 à 09h08

Quand la musique devient nuisance… Tout a commencé l'année dernière à Stockholm, où Volkswagen (les voitures) et le site rolighetsteorin.se ont fomenté un coup médiatique en dotant la station de métro Odenplan d'un « escalier piano ». Chaque marche foulée émet une note, et le tout a l'aspect d'un clavier géant, avec touches noires et touches blanches. La fréquentation de l'escalier a grimpé de 66%, celle de l'escalator adjacent a baissé d'autant, et la vidéo fait un tabac. Ce que l'histoire ne dit pas, c'est qu'aux heures d'affluence, ce gadget monumental fait un bruit d'enfer, et que les employés de la station n'en peuvent plus. L'idée n'est pas neuve : les musical stairs des Musées des Sciences de Minneapolis et de Boston ont amusé plusieurs générations d'Américains, et les amateurs de nanars cinématographiques se souviennent de Big (1988), où Tom Hanks foulait un « plancher piano » resté dans les annales (la scène a été parodiée chez Les Simpsons).

Or voilà que le métro de Milan vient d'installer un « escalier piano » à la station Duomo, très fréquentée par les touristes. Quand on sait qu'en italien, escalier musical se dit scala musicale et que le Duomo (la cathédrale) n'est pas loin du Teatro alla Scala, on apprécie la finesse du concept. Aucun jeu de mots n'est apparemment possible entre escalier musical et Opéra Bastille. Cela épargne peut-être les oreilles des usagers de la RATP.

lundi 18 janvier 2010 à 00h24
Pourquoi les airs en majeur, comme Singin'in the rain, sont-ils plus joyeux que les airs en mineur, tel Another Brick in the wall des Pink Floyd ? C'est la grave question que se sont posée les chercheurs en neurosciences de l'Université de Durham en Caroline du Nord (Etats-Unis). Ils ont d'abord mis en parallèle la musique (sept-mille-cinq-cents mélodies classiques occidentales et chansons folkloriques finlandaises) et la langue (américaine). Première découverte : un rythme soutenu est plus dynamisant qu'un rythme lent. Deuxième découverte : les tierces mineures sont quinze fois plus nombreuses dans les morceaux en mineur que dans les morceaux en majeur. Ils ont alors fait lire à une dizaine de volontaires des textes optimistes (« J'ai gagné au loto ») et d'autres, plus moroses (« Mon divorce se passe mal »), en se concentrant sur la façon dont ceux-ci prononçaient les voyelles : les fréquences vocales étaient proches du mode majeur dans le premier cas, du mineur dans le second. Ils ont recommencé avec des Chinois parlant le mandarin : mêmes remarques. Ultime découverte : ces constatations se retrouvent dans différentes cultures, ce qui corrobore la théorie de la communauté des racines biologique entre des groupes humains très éloignés les uns des autres. Le compte-rendu de l'expérience est paru dans le très sérieux Journal of the Acoustical Society in America. Comme le faisait méchamment remarquer Debussy, l'Orphée de Gluck pourrait chanter « J'ai retrouvé mon Eurydice, rien n'égale mon bonheur », sur le même air que « J'ai perdu mon Eurydice, rien n'égale mon malheur ». Peut-être parce que l'air en question est en fa majeur.
lundi 4 janvier 2010 à 13h51
Portable vissé à l'oreille, iPod à plein volume, soirées en boite et techno-parade : les acouphènes sont les fléaux des oreilles branchées. Pour soigner ces bourdonnements, sifflements ou tintements incessants, qui ne frappent pas que les clubbers mais affligent aussi les musiciens d'orchestre et même les discophiles drogués aux Symphonies de Chostakovitch, l'Institut de Biomagnétisme et d'Analyse du Biosignal de l'Université Wilhelms de Westphalie (Munster, Allemagne) prépare un traitement purement musical. Soumis, à raison de douze heures par semaine, à des musiques débarrassées des fréquences correspondant à celles de leurs bourdonnements, sifflements, etc., un groupe de patients-cobayes a constaté une baisse significative des symptômes. Les chercheurs travaillent à une réorganisation du cortex auditif, dont il s'agit de recâbler dans des tons différents les parties devenues suractives, ou (plan B) à soumettre les neurones auditifs concernés à une « dépression à long terme » entraînant une diminution de leur sensibilité maladive. Brrr ! Avant qu'un Copenhague de la pollution sonore ne devienne nécessaire, mieux vaut écouter Speak low (Kurt Weill - 1943) que de se condamner au Vol du bourdon (Rimski-Korsakov - 1900).
mercredi 16 décembre 2009 à 14h45
Ca y est : après un départ piano-piano, le Blu-Ray distance le DVD. Les lecteurs ne sont pas plus chers, et les foyers s'équipent progressivement d'écrans adéquats. Le CD, lui, n'a pas été détrôné par le SACD, mais sa disparition est toujours annoncée. Info, intox, effets d'annonce téléguidés par les fabricants et revendeurs ? En tout cas, le clivage des générations est bien réel. En gros, les vieux regardent leurs disques avec l'œil de Scarlett O'Hara à la veille de quitter Tara, tandis que les jeunes garnissent leur baladeur MP3 sans se demander si la disparition des chers boitiers est ou non une perte irréparable. Comme il l'explique dans un papier plein de nostalgie, le critique musical du Boston Globe, lui, a coupé la poire en deux : il numérise sa discothèque, mais conserve dans le sous-sol les pochettes auxquelles il va régulièrement rendre visite. Pour cela, il faut évidemment avoir un baladeur MP3 genre iPod, mais ne pas être logé dans un T3. Il raconte aussi qu'il a vraiment découvert le Quatuor en sol mineur de Brahms par Arthur Rubinstein et les Pro Arte le jour où un ami le lui a fait entendre en 78 tours. Poussé à ce stade, le fétichisme réunit les générations. Pour le jazz et le rock, les d'jeunes mangeurs de MP3 ne jurent que par le 33 tours vinyle. Pour le classique, ils remontent jusqu'au 78 tours en gomme-laque. Et le Blu-Ray dans tout ça ? Encore un qui va finir au sous-sol.
Si les machines volantes de Léonard de Vinci fonctionnent comme ses instruments de musique, l'espace aérien n'est pas près d'être sécurisé. A l'occasion de l'exposition l'Atelier de Leonard da Vinci, à New York, le facteur Edoardo Zanon a construit un clavi-viola (en français : clavecin-alto) selon les plans figurant dans le Codex Atlantico, le recueil de dessins le plus important laissé par l'auteur de La Joconde, et conservé à la Bibliothèque Ambrosiana de Milan. Cet instrument digne du professeur Tournesol, destiné à combiner cordes pincées et cordes frottés, legato et staccato, était prévu pour faire l'économie d'un exécutant, mais il nécessite tout de même la présence d'un assistant, employé à tourner une roue entraînant elle-même une courroie de coton faisant office d'archet, tandis que l'interprète, sur lequel le clavi-viola est fixé à la poitrine et à une jambe à l'aide d'un harnais, doit marcher pour activer le mécanisme, ce qui lui permet, par exemple, d'accompagner commodément une procession. Comme on peut l'entendre en visionnant cette vidéo, le mécanisme en question fait beaucoup de bruit, défaut qu'Edoardo Zanon prévoit d'éliminer en le remplaçant par un moteur électrique. Cela, Léonard ne l'avait pas inventé, laissant par là même entrevoir les limites de son génie.
vendredi 11 décembre 2009 à 13h44

L'ethno-minéralogiste Erik Gonthier peut être content : entre les travaux du Palais de Chaillot et la migration d'une partie des collections au musée des Arts Premiers, les lithophones subsahariens néolithiques du Musée de l'Homme n'ont pas souffert. Ces curieux sucres d'orge de pierre (lithos en grec) comptent parmi les premiers instruments de musique. A la différence de l'arpeggione et du glass harmonica, le lithophone a traversé les siècles. On le retrouve en Inde comme au Kenya, en Chine aussi bien qu'en Afrique du nord. Il est l'ancêtre du xylophone, des marimbas et du glockenspiel, le jeu de clochettes de Papageno dans La Flûte enchantée.

Certains de ses avatars européens sont troublants. Ce sont les Musical Stones of Skiddaw, construites en Angleterre dans la première moitié du XIXème siècle, où la rugosité de quatre claviers de pierres alignées contraste avec le raffinement bourgeois d'un coffrage genre piano de famille, et le Steinspiel (jeu de pierres) utilisé par le compositeur allemand Carl Orff, lequel ne rêvait que de retrouver la musique au son de laquelle Wotan montait au Walhalla. On peut préférer imaginer nos grands pères homo sapiens accompagnant leurs chants du son des ces stalactites montés en jeux et frappés d'une baguette de pierre ou de bois, le tout dans l'acoustique de cathédrale de grottes peintes à fresque et éclairées par des torches fumantes. Cérémonies religieuses, rites funéraires, teufs d'enfer façon Famille Pierrafeu ? Tout cela sans doute. Quand on va au concert, il est peut-être bon d'y penser.

ionique. Un drôle de mot inventé dans les années 1950, ajoutant à « bio » (la vie) le suffixe - ic (à la manière de) et signifiant imiter la nature quand celle-ci ne fonctionne plus. Or c'est une ancienne pianiste, la Catalane Maria Antonia Iglesias, qui a testé les gants bioniques, destinés à remplacer ses doigts nécrosés par la faute d'un pneumocoque. La señora Iglesias se réjouit des performances de ces gants, équipés d'un système permettant de commander à sa main comme si ses doigts étaient encore là et en particulier de saisir un objet sans l'écraser. On pense à ces pianistes dont les doigts ont un jour refusé de fonctionner (Leon Fleisher, Murray Perahia, Michel Béroff), à ces musiciens atteints de surdité (Beethoven bien sûr, mais aussi Fauré), à ces peintres qui ne voient plus, ou dont les mains sont frappées de rhumatismes, comme Renoir, lequel à la fin de sa vie faisait attacher ses pinceaux à ses doigts douloureux. Reste à inventer le gant bionique qui permettra aux pianistes handicapés de jouer comme avant. Il ne s'agira plus, à l'époque, de vendre son âme au diable, comme dans La Main enchantée de Gérard de Nerval, dont Maurice Tourneur a tiré en 1943 un des grands films fantastiques français : La Main du Diable
jeudi 10 décembre 2009 à 13h48
Des murs rouges, une cinquantaine de tables, un grand bar : c'est le Poisson Rouge, un restaurant tendance de Greenwich Village, à New York. Au milieu, un piano. Particularité de l'endroit : on y entend du classique. Ce soir, Gabriel Kahane, compositeur et partenaire d'Elvis Costello, chante Schubert, accompagné par le jeune pianiste Jonathan Biss. « C'est dans des lieux comme celui-ci, et pour un public comme le nôtre, que ces Lieder ont été composés », explique-t-il. Un peu plus loin dans le Village, le Fat Cat, un bar pour étudiants, organise des lundis musicaux, et ne désemplit pas.
Ici, l'expérience a été tentée, mais n'a jamais vraiment marché. Les concerts de Lou Landes, un restaurant proche de Montparnasse, ont eu leur heure de gloire, mais on se souvient aussi, dans divers lieux éphémèrement branchés, de ces soupers lyriques qui viraient au fou rire, où la (fausse) serveuse posait son plateau pour chanter La Traviata et où le (non moins faux) barman adressait la Sérénade de Don Giovanni à la dame du vestiaire. Même si les artistes confirmés ne pensaient pas déchoir en allant cachetonner dans des restaurants, adapteraient-ils leur style au lieu ? Les instrumentistes prendraient-ils des airs de jazzmen et les chanteurs s'inspireraient-ils d'Yves Montand dans Les Berceaux de Fauré ? De l'autre côté de l'Atlantique, l'accession au classique est encore un facteur d'ascension sociale, et l'on accepte mieux qu'un artiste se comporte dans un bar comme il le ferait à Carnegie Hall, ou qu'il passe sans complexe de Schubert à Costello.
mercredi 9 décembre 2009 à 11h57
La musique est un médicament, ne pas dépasser la dose prescrite. Aristote en parlait déjà, et avant lui les Mésopotamiens, que l'on crédite d'avoir inventé la musicothérapie. Le dernier en date à saisir le filon est un chirurgien du Massachusetts Hospital (Etats-Unis), pianiste à ses heures, et nommé Claude Conrad. Pour une intervention de routine, le Dr Conrad écoute les Préludes et fugues (lesquels ?) de Bach, une « musique structurante et analytique ». Quand il s'agit en revanche de traiter d'urgence un grand brûlé, il met de la techno ou du rap. Dans l'unité de soins intensifs qu'il dirige, il a testé ses malades : une heure de mouvements lents de Sonates pour piano de Mozart, et voilà que leur pression artérielle diminue, et que les hormones de stress se calment. Il a testé aussi ses confrères : le folk et le death metal ont un peu ralenti leur travail, mais n'ont pas affecté leur précision, alors que Mozart a amélioré cette dernière, sans modifier leur rythme. Mauvais camarade, un de ses collègues-cobayes, le Dr David Rattner, a déclaré que la musique le détend, mais qu'il écoute de tout, et qu'il serait incapable de dire ce qu'il a dans les oreilles quand il est concentré sur son travail. Résultat des observations : le classique est calmant, le moderne dynamisant, et la musique en général bonne pour la santé. Oubli significatif : le Dr Conrad ne se pose pas la question de la consonance et de la dissonance. Le classique, c'est Bach et Mozart. Faire écouter Schoenberg et Boulez à un chirurgien en train d'opérer, c'est exposer le patient à une boucherie indigne des disciples d'Hippocrate.
dimanche 6 décembre 2009 à 19h26

Une vingtaine d'hommes et de femmes en noir tenant des iPhones et équipés, à chaque poignet, d'un haut-parleur ressemblant à un gros bracelet-montre, deux ordinateurs sur des piédestaux, un chef donnant le départ d'un long accord annonçant un moderne Or du Rhin : sommes-nous à Bayreuth dans un futur hypothétique ? Assistons-nous à une cérémonie initiatique ? Partons-nous à la recherche du son primordial ? Un peu de tout cela : George Essl, le chef, est professeur assistant de génie informatique et de musique à l'Université du Michigan, créateur de l'ocarina App, ou premier instrument de musique pour l'iPhone, directeur du Michigan Mobile Phone Ensemble et co-directeur du Stanford Mobile Phone Orchestra. Les étudiants, eux, ont appris à reproduire sur iPhone le son des instruments traditionnels, ou à en inventer de nouveaux, virtuels, donc sans limites. Après l'Ouverture 1812 de Tchaikovski jouée par mille portables programmés, voici la telephone music au naturel, et dans ses oeuvres. Un grand concert est programmé le 9 décembre. On est prié d'éteindre son portable.

samedi 5 décembre 2009 à 10h20
 

Déception chez les fans : Dan Brown n'écrira jamais un Stradivarius Code. C'est la faute à une douzaine de chercheurs français et allemands, qui se sont penchés sur les vernis utilisés par le luthier, et les ont soumis au diagnostique du synchrotron Soleil, le grand instrument électromagnétique inauguré en 2006 par Jacques Chirac à Saint-Aubin (Essonne), et destiné à accélérer les particules élémentaires (au grand dam de Claude Allègre, lequel roulait, quand il était ministre de la Recherche, pour un système britannique). Et qu'ont-ils découvert, ces dignes scientifiques ? Tout simplement que le vernis en question était constitué de deux fines couches, la première à base d'huile - comme celle qu'utilisent les peintres pour préparer leur toile -, la seconde mélangeant huile et résine de pin, le tout étant destiné à donner aux instruments l'inimitable teinte rouge qui est la signature du maître. Et ça, on le savait déjà, les livres de compte de Stradivarius indiquant l'achat réitéré de sandaraque, de benjoin et de quelques autres épices. Le secret du son, lui, reste intact, et les légendes qui vont avec, la plus célèbre étant que le luthier rangeait ses instruments sous le lit conjugal dans le but de leur transmettre l'énergie dégagée par les folles nuits qu'il y passait avec son épouse. Après tout, Dan Brown pourrait se mettre à un Synchrotron Soleil Code, où il nous expliquerait le rôle ésotérique d'un appareil de quatre-cents millions d'euros destiné à analyser des couches de vernis.

mercredi 2 décembre 2009 à 12h47
Le style arts premiers high tech ne va pas avec la décoration de votre salon ? Tant mieux pour votre porte-monnaie, car ces enceintes Opere Sonere ne coûtent pas moins de 175 000 euros la paire. C'est qu'elles ne sont pas que décoratives : sous leurs airs de masques destinés à faire fuir les esprits mauvais, les structures supérieures sont censées reproduire les effets vibratoires d'un Stradivarius. Pour preuve, elles sont faites du même bois, originaire de la vallée de Fiemme, au nord-est du Trentin. Le constructeur ne précise pas s'il faut attendre trois siècles pour que le bois en question atteigne son plus haut degré de mûrissement. Si tel est le cas, peut-être qu'en 2309, ces enceintes vaudront 2 700 000 euros, somme atteinte en 2006 par le Stradivarius « Hammer ». Mais nos descendants sauront-il encore à quoi ont bien pu servir ces étranges sculptures d'appartement ?
jeudi 26 novembre 2009 à 17h37
Que fait dans la vie David W. Packard, fils de David Packard Senior, le co-fondateur de Hewlett-Packard ? Il a repris le flambeau allumé par son père ? Il dilapide sa fortune au soleil des Bahamas ? Pas du tout. Il publie en fac simile (ce qui est logique pour le fabriquant de photocopieurs numéro 1 au monde) les manuscrits des sept grands opéras de Mozart. En cinq années, l'affaire a été bouclée, et pourtant, elle n'était pas simple. A part ceux de Don Giovanni (à Paris) et de La Flûte enchantée (à Berlin), lesdits manuscrits sont en kit : une aria à Berlin, un trio à Cracovie, le reste un peu partout. L'avantage d'avoir accès aux manuscrits, soignés (Mozart raturait peu) mais tout de même moins lisibles que les éditions imprimées ? « C'est qu'on a l'impression de regarder par-dessus l'épaule du compositeur en train de travailler », répond Christof Wolff, le musicologue en charge du projet. On voit, dans Don Giovanni, comment Mozart a recalé la voix de Donna Anna par rapport à l'orchestre, ou encore, dans La Clémence de Titus, la façon dont il a corrigé les récitatifs confiés à son élève Süssmayr. Et surtout, on saisit dans quel ordre les idées lui venaient : selon les habitudes de l'époque, il calait les violons et les altos en haut et les basses en dessous, à la suite de quoi, au milieu, il travaillait la ligne vocale, ajoutant ou retranchant cuivres, vents et percussions. De quoi rêver pour 175 dollars (116 euros) le volume. Ces merveilles paraissent au moment même où disparaît le grand musicologue mozartien (et haydnien) H.C. Robbins-Landon. A croire que le hasard n'existe pas.
jeudi 26 novembre 2009 à 12h08
On a connu le clou d'argent planté dans le parquet entre vos deux enceintes, voici maintenant le Blackbody de chez LessLoss, une boîte noire censée absorber les vilains parasites provoqués par l'interaction entre votre chaîne hifi et l'électromagnétisme ambiant, tout cela dans le but de permettre à la musique enregistrée de s'épanouir dans sa pureté première. « Blackbody Radiation » ou « la radiation de cavité » se réfère à un objet ou à un système qui y absorbe tout l'incident de radiation et re-émet l'énergie caractéristique de ce système de rayonnement. On peut considérer l'énergie émise comme étant produite par la vague permanente ou les modes résonants de la cavité qui rayonne. », peut-on lire sur 1001actus.com. Si vous avez compris, et si vous y croyez, sachez que la boite noire en question va chercher dans les 800 euros. Qu'en pense la Commission antisectes ?
vendredi 20 novembre 2009 à 15h35
A l'exemple de Jean-Claude Casadesus avec son Orchestre de Lille, on a vu des phalanges se délocaliser dans des écoles, des prisons, des usines, des granges et des maisons de retraite. Comme tout a été fait dans ce domaine, et selon le principe qu'il faut aller chercher le public là où il est, le Forum Zeitgenössischer Musik Leipzig (FZML) a programmé, le 20 novembre, un Bordellkonzert (pas besoin de traduire) à l'Eros Center de la ville de Bach. Six musiciens et une mezzo-soprano ont interprété des pièces licencieuses et érotiques, parmi lesquelles Le Flirt d'Erik Satie, Sept Mélodies Erotiques de Dirk D'Ase, et Rythm Strip pour deux caisses claires d'Askell Masson. Sur le site du FZML, une photo représentant un violoniste visiblement inspiré par une go-go dancer lovée sur sa barre, donne, si l'on ose dire, le « ho là là ». Le concert a servi de produit d'appel à Sex.Macht.Musik (le Sexe fait de la musique), un festival de culture érotique qui a lieu à Leipzig du 4 au 6 décembre. Si les Leipzigois font à cette occasion sauter le verrou qui maintient la musique classique dans sa séculaire bienséance, on peut tout imaginer : les Variations « Eroica » de Beethoven vont devenir les Variations « Erotica »et le Knaben Wunderhorn de Mahler le « Corps merveilleux de l'enfant de malheur ».
mardi 17 novembre 2009 à 09h27
« Ce violon a l'air futuriste, quel son produira-t-il ? » se demande le site d'actualité technologique Gizmodo. Il est vrai que la photo de cet instrument imaginé par la designer autrichienne Gerda Hopfgartner laisse perplexe. Et la légende de continuer ainsi : « La question mérite d'être posée, car avec un Stradivarius, l'âge est le son ». La remarque est habile : si l'on admet que la sonorité d'un violon ancien se bonifie avec le temps, on ne peut qu'accepter l'idée que si le son de cet instrument neuf n'est pas idéal, c'est justement parce qu'il est neuf. Mais on peut rétorquer qu'étant donné qu'il s'agit d'un violon semi-acoustique – c'est-à-dire semi-électrique – le problème ne se pose pas de la même manière. Une autre légende évoque à son égard les courbes féminines, les yachts modernes et les corsets tendance. Pour les courbes féminines, Man Ray, dans sa photo intitulée Le Violon d'Ingres (1924), y avait déjà pensé. A la différence que sur le dos de Kiki de Montparnasse, l'idée du violon est indiquée par les ouïes, dont l'instrument de Gerda Hopfgartner est justement dépourvu. Il ne reste plus à Messieurs les photographes que de plancher sur les corsets modernes.
lundi 26 octobre 2009 à 10h44

Vous en avez assez d'imiter Karajan devant la glace de la cheminée ? Vous êtes saisi par une envie irrépressible de diriger, en vrai, de chez vous, l'Ouverture « 1812 » de Tchaïkovski ? Qu'à cela ne tienne : avec mille téléphones portables, deux mille SMS, quelques mois de travail, une équipe performante (dont un Network Gourou), vous pouvez réaliser votre rêve. C'est ce qu'un Néo-Zélandais nous prouve, vidéo à l'appui. Certes, l'exécution finale, où l'on voit le mur de portables clignoter comme une carte de commissariat un soir de Fête de la musique, ne dure que trente-huit secondes, et le rendu sonore évoque davantage le synthé aigre de la pionnière Wendy Carlos que le velours du Philharmonique de Berlin. Mais c'est le making of qui est hallucinant. Car il ne suffit pas de répartir les sons sur les téléphones et de coordonner l'ensemble, il faut d'abord les produire, ces sons. Et là, on fait appel aux méthodes qu'utilisait Karajan : on enregistre de vrais instrumentistes. Il y a même une séance d'applaudissements, avec de vrais gens frappant leurs mains l'une contre l'autre. Moralité : si vos enregistrements de l'Ouverture « 1812 » ne vous suffisent plus (mais pourquoi, d'ailleurs, vous fixer sur cette horreur, alors que Tchaïkovski a produit tant de jolies choses ?), faites établir un devis : il n'est peut-être ni plus onéreux ni plus compliqué d'inviter chez vous le Philharmonique de Berlin que de vous offrir trente-huit secondes de SMS en folie.

 

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