Glenn Gould n’a pas été le premier à le remarquer : chez Bach, l’instrumentarium n’est pas primordial. Pour preuve, Les Objets volants, compagnie de jonglage se réclamant « du cirque, du théâtre, des arts plastiques et des mathématiques », interprète le Prélude n° 1 en ut majeur du Clavier bien tempéré aux boomwhackers, tubes de couleurs rattachés à la famille des percussions. On attend maintenant les quarante-sept Préludes (et Fugues) restants.
Bach, L’Offrande musicale, canon 1 à 2. « Moins de musicologie, davantage de musique » préconise le nouveau directeur de Radio France Mathieu Gallet pour enrayer le déficit d’audience de France Musique. Et si on essayait - pour l’œil comme pour l’oreille - la pédagogie bien comprise ?
François Lafon
Vu à la télé : Esa-Pekka Salonen composant son Concerto pour violon sur iPad. Inspiration devant sa glace en train de se raser, maturation chez lui en Finlande au bord d’un lac gelé, à Londres à la gare de St Pancras ou sur la terrasse de la Tate Modern, finalisation avec le Philharmonia Orchestra et la violoniste Leila Josefowicz. Un nouveau docu-pub faisant suite, entre autres, à l’application The Orchestra, où Salonen et « son » Philharmonia accréditent la double idée que la technologie peut donner un coup de jeune à la sacro-sainte musique classique et que la tablette iPad ne fait pas forcément de vous un consommateur passif. « A cool, elegant piece of work » selon Alex Ross, critique influent du magazine américain The New Yorker et auteur de l’excellent livre The Rest is noise (voir ici). Curieuse impression quand même de voir le très sérieux Salonen, moins médiatisé ici que dans les pays anglo-saxons, jouer les VRP de la compagnie à la pomme, laquelle il est vrai a fait fortune en mettant, avec l’iPod, la musique dans toutes les poches. De là à conclure qu’une simple application peut vous conduire à la tête du Philharmonia …
François Lafon
Capture d'écran de la pub iPAd
Vous supportez difficilement les pianistes en extase, les violoncellistes au sourcil courroucé, les flûtistes à l’œil de gallinacé ? Vous aimerez en revanche cette interprétation orbiculo-occipito-zygomatique du 1er Concerto pour violon et orchestre de Niccolo Paganini (1825-1840).
PS. Expérience risquée. Ne pas reproduire.
François Lafon
Il y a Jonathan Dagan, alias J.Viewz, un Américain dont le circuit imprimé MaKey MaKey peux transformer bananes, aubergines et carottes en touches de clavier. Il y a aussi le Vienna Vegetable Orchestra, rival des Wiener Philharmoniker jouant sur des violons en poireau, des percussions en courges et des flûtes en carottes. Tous ont bien sûr pour maître Salvador Dali, lequel déclarait en 1971 : « Les premières maisons comestibles […], les premiers et seuls bâtiments érotisables, dont l’existence vérifie cette formation urgente et si nécessaire pour l’imagination amoureuse : pouvoir le plus réellement manger l’objet du désir ». (De la beauté terrifiante et comestible de l’architecture modern style (1933) in Oui, Salvador Dalí et Robert Descharnes, éd. Denoël/Gonthier, 1971, vol. 2, p. 26). Mais comment ne pas admirer ce jeune homme au look Ircam-1980 nommé PRKTRNIC, seul capable à ce jour de resserrer en quatre minutes les liens distendus entre saucisse de Strasbourg et cordes en boyau ?
François Lafon
28 centimètres de haut, 63,5 de large, 38 de profondeur : c’est l’Opéra de Sidney en Lego, disponible en septembre prochain pour la modique somme de 320 dollars (243, 81 €, cours actuel). Conçu par l’architecte Jorn Utzon (danois comme la maison Lego) et inauguré en 1973, le bâtiment original (183 mètres de long, 120 de large, 1,8 hectare de superficie, 580 piliers de béton s’enfonçant dans la mer), est devenu le symbole de l’Australie comme la Tour Eiffel est celui de la France. Attention, le modèle se compose de 2989 briques, et s’adresse aux as de l’assemblage. Si vous y arrivez, vous pourrez passer à la Tour Eiffel : 3428 briques, 1,08 mètre de hauteur, 4,5 kg, mais enchères pouvant monter jusqu’à 3000 €, le produit ayant été retiré du marché en 2009.
François Lafon
Lancement par Universal du Blu-ray Pure Audio : trente-six références, dont dix classiques, de Karajan à Hélène Grimaud. Selon le dossier de presse : un support n’obligeant plus à compresser le son, une qualité d’écoute inégalée, la chaleur du disque vinyle en plus. Une initiative hardie, à l’heure du tout dématérialisé, de l’arrivée de la fibre et de la 4 G sur téléphone mobile, de la vogue de la VOD, de l’échange de plus en plus facile sur Internet. Une pierre aussi dans le jardin de ceux, nombreux, qui écoutent en voiture ou dans la rue sur MP3 des enregistrements au son ultra-compressé, et ne prennent plus le temps de s’asseoir face aux enceintes de papa pour savourer les joies de la hi-fi. Un pari commercial risqué si l’on pense à l’échec du SACD dans les années 2000, en dépit, déjà, d’une évidente plus-value sonore. Mais le SACD exigeait l’achat d’un lecteur onéreux, alors que le Blu-ray peut se lire aussi sur d’autres appareils (box ADSL, consoles de jeux, ordinateurs). Précision pratique : les albums coûtent 19,99 € pièce et sont impossibles à copier, mais sont accompagnés d’une offre gratuite de téléchargement, ce qui permet de les écouter sur MP3 avec la qualité sonore d’un téléchargement classique … à 9,99 €. Enthousiasme mitigé sur les forums : le Blu-ray audio n’est pas meilleur que le SACD, et il est aussi cher à l’unité. En septembre 2008, le constructeur coréen Samsung annonçait pour 2013 la mort du Blu-ray, lancé un an auparavant. Aujourd’hui Sony (inventeur du procédé) promet le « Violet-ray », permettant de stocker vingt fois plus d’informations. Mais que ne tenteraient pas les éditeurs pour retrouver l’âge d’or du disque roi ?
François Lafon - Olivier Debien
« Le public de la musique classique tousse deux fois plus que celui des autres musiques ». C’est Andreas Wagner, professeur à l'Institut de biologie de l'évolution et des études environnementales à l'Université de Zurich, professeur à l’Université de Santa Fe (Texas), auteur de La Robustesse et l'évolutivité dans les systèmes vivants (Princeton University Press, 2005), des Origines des innovations évolutives (Oxford University Press, 2011) et du Rôle du hasard dans l’évolution darwinienne (Philosophy of science, 2012) qui l’a dit à l’antenne de la BBC Radio 4. « Certes, le public classique est plus âgé, mais les chiffres sont là et montrent une vraie différence avec les autres musiques ! », a-t-il ajouté, précisant que les œuvres du XXème siècle, spécialement « les mouvements lents et retenus » font encore plus tousser que celles des autres époques. Substituant l’expérience à la science, on peut rappeler au professeur Wagner que la toux constitue une des réactions les plus communes aux situations dérangeantes (telle la musique du XXème siècle, spécialement pour un public âgé), et que la nervosité aidant, on a davantage envie de tousser quand la musique est douce, qu’il s’agisse de l’Andante amoroso de la Suite Lyrique de Berg ou du mouvement lent d’un Concerto pour piano de Mozart. On peut ajouter que les jeunes toussent peut-être autant pendant la Techno Parade, mais que cela ne s’entend pas.
François Lafon
Hébergée sur le site communautaire américain Vimeo, cette petite animation due au vidéaste suisse Florian Geyer fait le buzz. Point de départ : j’ai voulu comprendre la musique. Conclusion : pas besoin de la comprendre pour y prendre plaisir. Etapes intermédiaires : musique des sphères, associations, émotions, dissonance, consonance, rythme, tempérament, vague sonore, chair de poule, cercle des quintes, chansons d’amour, musique d’ascenseur, comment elle nous fait danser. Graphisme inventif, bande son moins parlante. Eternelle polémique : le plaisir du connaisseur est-il plus - ou moins - grand que celui du néophyte, l’émotion (produit marketing breveté) vaut-elle tous les savoirs ?
Understand Music from finally. on Vimeo.
Nouveautés Peugeot du Mondial de l’automobile 2012 : le concept car Onyx et un piano demi-queue, commandé par la maison Pleyel et conçu par le Peugeot Design Lab. « Depuis deux siècles, le piano c'est cinq mètres cubes de noir, explique dans Le Figaro Arnaud Marion, directeur de la création chez Pleyel, une sorte de monolithe à l'heure où les espaces de vie sont hyperscénarisés et où l'on n'hésite plus à changer des détails aussi infimes qu'un bouton de porte. ». L’instrument, succédant dans la gamme Pleyel aux relookages signés Andrée Putman, Hilton McConnico et Michele de Lucci, est en bois et en fibre de carbone, monté sur un seul pied et paré d’un mécanisme abaissé, ce qui met le couvercle au niveau du clavier et permet ainsi à tout le public, même s’il n’est pas « côté mains », d’apprécier le jeu de l’interprète. L’objet va chercher dans les 165 000 € (avec le tabouret) et intéresse beaucoup les industriels chinois. On se demande ce qu’en ont pensé les licenciés du groupe PSA, venus manifester lors de l’inauguration du salon.
François Lafon
Mondial de l’automobile, Porte de Versailles jusqu’au 14 octobre.
« Y a-t-il besoin d’un compositeur pour écrire de la musique ? » C’est la question que, sur le site BBC News, pose Armand Leroi, professeur de biologie évolutive du développement à l'Imperial College de Londres. « On ne pense pas toujours la musique en termes d’évolution. Or tout le monde sait qu’elle a une histoire et des traditions, qu’elle est en perpétuelle mutation. Les différentes traditions musicales se rejoignent, se transmutent, fusionnent et de divisent à nouveau. Ce qui est évident dans le domaine de la biologie, pourquoi ne pas tenter de le lui appliquer ? Pourquoi ne pas admettre qu’elle évolue selon un processus darwinien ? » Travaux pratiques avec le Dr Bob MacCallum, spécialiste de la vie des moustiques à l'Imperial College de Londres le jour, animateur de Darwin Tunes la nuit. Sur son programme d’ordinateur : deux brèves boucles sonores. Il y a des notes dans tous les sens, les différents types de sons sont générés de façon aléatoire. Puis les deux boucles originelles se mélangent et se recombinent, afin de créer quatre nouvelles boucles, puis seize, puis autant qu’on veut, jusqu’à donner une centaine de thèmes musicaux. Quelques milliers de mutations plus tard, apparaissent des timbres instrumentaux que personne n’a programmés. Il y a des moments forts et des moments faibles, des périodes de création intense et des plages de stagnation, des blocages débouchant sur des solutions inattendues. Comme dans l’histoire de la musique « humaine », en somme. Test sur des adultes : certains thèmes marchent, d’autres non. Tests sur des enfants : ce ne sont pas les mêmes thèmes qui marchent. On trie tout cela, les flops passent à la poubelle, les tops servent à créer de nouveaux thèmes, plus complexes, plus harmonieux, plus mélodieux. Résultat de l’expérience : en se passant de compositeurs, on peut créer la musique dont rêvent les consommateurs. La loi du marché en tant que force créatrice. « Ce n’est pas du Mozart, concède le Pr Leroi, mais la musique du peuple dans sa forme la plus pure ». En musique aussi, le populisme a de beaux jours devant lui.
François Lafon
Un hit sur le net : David Beckham jouant l’Hymne à la Joie de Beethoven. Instrumentarium : des ballons de football et un mur de tambours accordés ad hoc. But de l’opération : promouvoir Galaxy Note, le nouveau smartphone de Samsung, Beckham étant milieu de terrain du Los Angeles Galaxy. C’est la presse sportive qui fait le plus la grimace : vilains sons, pas de rythme, déhanchements inutiles. Faire ça à Beethoven ! Pas grave, les smartphones Samsung cartonnent déjà : cinq millions vendus en cinq mois.
François Lafon
Questions de sons chez les constructeurs de voitures. Dans une interview au Detroit Free Press, Michael Arbaugh, chef du design intérieur chez Ford, annonce la suppression du lecteur de CD dans les prochains modèles. Cela permettra d’affiner les tableaux de bord, de gagner de la place et surtout d’alléger le tout de deux kilos, détail appréciable en ces temps de scrupules écologiques et d’augmentation du prix du carburant. Le lecteur multi-CD a déjà disparu de la gamme européenne Ford Focus, 95% des acheteurs choisissant la version avec connexion à un appareil MP3, 90% y ajoutant une connexion Bluetooth. Même scénario pour la Chevrolet Sonic RS, sur laquelle le lecteur optique est remplacé par le système MyLink, lequel permet de connecter un Smartphone et de diffuser la musique via des sites comme Pandora en utilisant la 3G. Selon la société d’études Stratacom, 331 000 acheteurs de voitures refuseraient l’option CD cette année aux Etats-Unis, et leur nombre passerait à plus de douze millions d’ici 2018. On pourrait donc assister à une disparition du CD bien plus rapide que celle de la K7. « Les moins de trente ans utilisent des lecteurs MP3. Ils n’achètent plus de CD », ajoute Michael Arbaugh. « Pour ceux qui ne connaissent rien aux nouvelles technologies, il sera difficile – voire impossible – de se tourner vers ce genre de système. Or ces mêmes personnes sont la plupart du temps âgées et plus susceptibles d’acheter un véhicule que les jeunes générations. Conclusion, il est peu probable que tous les constructeurs imitent Ford immédiatement. », rétorque le site spécialisé Gizmodo. A propos, quelles musiques écoutent les uns et les autres ? Les amateurs de classique seront-ils les derniers à acheter des CD ? Mais ceux-là, c’est bien connu, roulent encore en carrosse.
François Lafon
Salle de bal nordique ? Pièce à vivre d’un chalet de montagne ? Décor pour une Tétralogie écolo ? Couloir du temps aux reflets cuivrés ? Ordinateur vu en coupe ? Les affiches Näher an der Klassik (Plus près du classique) annonçant le cycle de musique de chambre du Philharmonique de Berlin, font un tabac sur la Toile. Il s’agit en fait d’un voyage au centre de quelques instruments de musique, conçu par le photographe Björn Ewers et réalisé par les rois du cliché chic Andreas Mierwa et Markus Kluska, lesquels ont utilisé un Hasselblad numérique avec objectif grand angle ouvert à f/22 en pose longue de 4 secondes, d’où l’impression de vastitude qui se dégage de l’ensemble. Pas ou très peu de HDR (traitement numérique) : lumière du flash et fumée de cigarette pour les effets de halo. Réactions d’un internaute : « Quand je lis qu’il a fallu découper des instruments, je peux pas m’empêcher de hurler “Massaaacre”. » Réponse de Ewers : « Le violoncelle était en réparation et déjà ouvert. C’est la flûte, avec ses effets de miroir, qui a été la plus difficile à photographier. ». Autre réaction : « Je suis sûr qu’on dort bien là dedans ». Pour un cycle de musique de chambre…
François Lafon
Vous hésitez à vous lancer car vous ne savez pas quel instrument choisir ? Eh bien voilà la solution : suivez la piste.
Pour votre violon, cordes métalliques ou cordes en boyau? Dépassé tout cela, affirme le Dr Shigeyoshi Osaki, de l’Université Nara, au Japon. L’avenir réside dans les cordes en soies d’araignée. En assemblant de trois à cinq mille fils produits par des femelles de l’espèce Nephila maculata, le tout torsadé en trois faisceaux bien serrés, on obtient, d’après lui, un amalgame plus solide qu’une corde en boyau, mais moins résistant qu’une corde en métal. Selon le site BBC News, ces cordes arachnéennes, vues en coupe transversale et au microscope électronique, auraient la particularité d’être en leur centre composées de soies tressées et assemblées de différentes manières, ne laissant aucun espace entre elles. Le petit (ou le grand) plus ? « Un timbre doux et profond, inconnu jusqu’ici, capable d’inspirer de nouvelles musiques, et dont raffolent déjà quelques virtuoses renommés, » affirme le Dr Osaki. A quand une nouvelle version pour cordes seules du Festin de l’araignée d’Albert Roussel ?
François Lafon
« Vous pouvez répondre, je ne vous dérangerai pas » (Kiri Te Kanawa) ; « Si c’est ma mère, dites-lui que je suis en train de travailler » (Lorin Maazel) ; « Vous, oui vous : sortez ! » (William Christie). La semaine dernière à New York, un téléphone mobile sonne pendant le finale recueilli de la 9ème Symphonie de Mahler. Alan Gilbert, directeur du Philharmonique, interrompt le concert. « Avez-vous bien éteint votre portable ? », demande-t-il au fautif, qui se contente de hocher la tête. A la synagogue de Peskov en Slovaquie, le violoniste Lukas Kmit est dérangé par la petite valse Nokia. Il réagit lui aussi…
François Lafon
Un homme en noir dérobe des pâtes dans un musée, avant de s’enfuir par les toits. Musique : Allegro con brio de la 25ème Symphonie de Mozart. Une Clio musclée déplace une citerne. Musique : Non piu andrai, extrait du 1er acte des Noces de Figaro. Un couple joue aux échecs, sourires Email Diamant. Musique : Voi che Sapete, l’air de Chérubin. Appareil photo E720 de Samsung avec lecteur de MP3 intégré. Musique : la Marche turque. Verkade, fruits and form, ou comment arriver la première dans l’ascenseur occupé par le patron. Musique : le Dies irae du Requiem. Faisselle Rians, 100% naturelle. Musique : encore la Marche turque. Dernier en date : une voix de femme décrit l’intérieur de la Renault Energy dCi 130, pendant qu’on en voit le moteur et qu’une voix d’homme se demande si le plus étonnant dans cette voiture, ce n’est pas, justement, le moteur. Musique : le Porgi amor de la Comtesse dans les Noces de Figaro. Tout a commencé avec la Reine de la nuit, muse du riz Taureau ailé de Lustucru. Rien de tel que Mozart pour enchanter le plus utilitaire des produits. C’est beau, la pub.
François Lafon
Mais qu’avez-vous, chers fidèles de musikzen.fr, à vous passionner soudain pour les surnoms donnés aux œuvres célèbres, et en particulier à celui de la 7ème Symphonie de Beethoven ? Les pièces à titre, c’est avéré, marchent mieux que les autres. La 14ème Sonate pour piano en ut dièse mineur op. 27 n° 2 de Beethoven ne serait peut-être pas aussi célèbre si son Adagio sostenuto n’évoquait un clair de lune, et l’ultime Symphonie de Mozart paraîtrait probablement moins grandiose si elle n’était surnommée « Jupiter ». La plupart de ces titres sont d’ailleurs apocryphes : c’est le poète Ludwig Rallstab qui a trouvé « Clair de lune » et l’impresario Johann Peter Salomon, probablement influencé par la tonalité d’ut majeur du chef-d’oeuvre, qui a pensé à « Jupiter ». Il y a des titres moins évidents : pourquoi la Sonate « Waldstein » de Beethoven (du nom de son dédicataire) s’appelle-t-elle aussi « L’Aurore », pourquoi la 1ère Symphonie de Tchaikovski, pourtant composée pendant l’été 1866, est-elle sous-titrée « Rêves d’hiver » ? On comprend mieux l’appellation « Chant de la nuit » pour la 7ème Symphonie de Mahler dont les deux Nachtmusik sont les moments les plus étonnants, ou encore l’appellation de « Brandebourgeois » conférée par le musicographe Julius August Philipp Spitta aux six Concertos dédiés par Bach au margrave Christian Ludwig de Brandebourg. Le sous-titre de la 7ème Symphonie de Beethoven n’est pas dû, lui, à un commentateur oublié, mais à Richard Wagner en personne. Sensible aux rythmes très marqués dont l’œuvre est saturée, il l’a surnommée « Apothéose de la danse », ce qui, pour nos oreilles modernes, ne signifie plus grand-chose.
François Lafon
Photo : La Danse, de Carpeaux, sur la façade de l'Opéra Garnier à Paris
Savez-vous ce que c’est qu’un Ohrwurm ? En allemand, cela veut dire « ver d’oreille ». Métaphoriquement parlant, il s’agit d’une musique qui s’insinue dans votre oreille et ne veut plus en sortir. En anglais, on dit earworm (traduction littérale d’ohrwurm) ou musical hitch, qu'on pourrait traduire par « démangeaison musicale », à ne pas confondre avec a hook (littéralement « un hameçon », formule mélodique ou rythmique qui capture l’attention, tel le début de la 5ème Symphonie de Beethoven). Selon James Kellaris, professeur à l’Université de Cincinnati, « ce phénomène est susceptible de toucher 97 à 99% de la population, les femmes et les musiciens étant les plus concernés ». Est-ce à dire que les femmes ont plus d’oreille que les hommes (les musiciens étant bien sûr hors concours) ? En 1956, l’écrivain d’anticipation Arthur C. Clake (auteur de 2001, l’Odyssée de l’espace) a publié une nouvelle, The Ultimate Melody, dans laquelle un savant sadique invente une mélodie fatale et inoubliable, correspondant exactement aux rythmes électriques fondamentaux qui animent le cerveau. En est-on là quand on n’arrive pas à se débarrasser d’une chanson - bien souvent stupide et hautement oubliable -, entendue le matin à la radio ? Dans les pays anglo-saxons, ce phénomène est pris très au sérieux par les spécialistes de neuro-imagerie, mais alimente aussi les médias : les auditeurs du Shaun Keaveny Breakfast Show, émission très populaire de BBC 6 Music, sont priés de faire savoir en compagnie de quel earworm ils se sont réveillés. En France, on parle de scie (chanson, formule, argumentation ressassée et usée), de rengaine (refrain banal, chanson ressassée - de rengainer : remettre dans la gaine) et l’on se plaint qu’un air nous trotte dans la tête, mais aucun ver d’oreille hexagonal ne s’est insinué dans le langage.
François Lafon
Dessin extrait de www.coloriages.biz
Un jeune homme se lève. Au pied du lit, un i-phone. Le jeune homme pose les pieds par terre : tap, tap. Il frappe dans ses mains : clac, clac. Dans la salle de bains, il allume son rasoir électrique : tse-tse-tse-tse. Petit déjeuner, il fait frire un œuf - splehhh,- et actionne le grille-pain : tic, tac. Il prend sa guitare, et essaye une mélodie. Il sort, croise une fille jouant du violon : mélodie encore, plus accompagnement i-phone : tap, clac, tse, spleeh, tic. Il prend le bus : silence pour nous, tse, spleeh, tic dans les écouteurs. Il entre dans un studio, une chanteuse chante, l’i-phone sur le micro : tap, clac, etc. Le jeune homme est le héros d’autres vidéos, dont l’une se passe dans un parc et invente un nouveau rythme, le Duckstep (pas du canard). Celle-ci, intitulée Everything is an instrument, est une publicité pour une application i-phone destinée aux i-compositeurs en i-herbe. Capter les rythmes de la vie moderne, faire musique de tout : on pense aux ancêtres, Pierre Henry, Mauricio Kagel. La musique du jeune homme n’aurait pas eu sa place dans les festivals d’avant-garde des années 1970, mais le principe est le même.
François Lafon
Au programme de l’Orchestre de Paris cette semaine : La Barque solaire, pour orgue et orchestre, de Thierry Escaich, la 3ème Symphonie « avec orgue » de Saint-Saëns et le Concerto pour violoncelle de Dvorak. Paavo Järvi est au pupitre, Escaich lui-même à l’orgue et Gautier Capuçon au violoncelle. Le clavier d’Escaich est installé côté jardin. De part et d’autre du plateau : de grandes enceintes. La Barque solaire, inspiré du Livre des Morts Egyptien, place l’orgue, aux harmonies d’éternité, au centre d’un orchestre déchaîné. Des sonorités faibles et étouffées : ce n’est pas un concerto pour orgue, précise le compositeur. Soit. Dans la Symphonie de Saint-Saëns, l’orgue est là aussi pour soutenir, mais il éclate, au début du Finale, en un péremptoire do majeur. Même discrétion. Avant l’entracte, Capuçon, très applaudi (à juste titre) dans Dvorak, appelle Escaich pour un bis kitsch et délicieux : « Mon cœur s’ouvre à ta voix » (Saint-Saëns, Samson et Dalila) transcrit pour violoncelle et orgue. Egale frustration. Le grand Cavaillé-Coll de Pleyel, inauguré en 1929 par Marcel Dupré, n’est qu’un lointain souvenir. Aujourd’hui, on se passe, quand on construit ou rénove une salle, de ce genre de monument, onéreux, archaïque et encombrant. Hier soir, on l’a quand même un peu regretté.
François Lafon
Salle Pleyel, Paris, 18 et 19 mai.
Une table lumineuse, sur laquelle est dessinée une portée. Deux enceintes sur pieds. Une clé de sol, des noires et des croches en bois, d’une vingtaine de centimètre de hauteur. Posez une noire entre les deux lignes du bas de la portée : un fa se fait entendre, tandis que le nom de la note s’affiche en-dessous. Alignez plusieurs notes, et appuyez sur un bouton placé à gauche de la table : la mélodie que vous venez de composer résonne à vos oreilles. Le timbre de base est celui du piano, mais il suffit d’actionner un autre bouton pour entendre un vibraphone, ou une guitare. Pourquoi ces objets encombrants, alors que vous pouvez obtenir le même résultat sur votre écran ? Parce que, justement, la manipulation des notes en bois (et non en plastique), leur poids, différent selon leur durée, font partie du traitement. Il s’agit, en fait, de se désintoxiquer du côté virtuel de l’ordinateur. « Même si un piano est un instrument de musique relativement simple à utiliser, il ne vous apprendra pas à lire ni à composer une partition », dit la publicité. Bien d’accord : on peut jouer Au Clair de la lune avec un doigt, mais pas réviser son solfège rien qu’en regardant le clavier. Le titre de l’article de présentation sur Gizmondo est plus étrange : «La table surface que Beethoven aurait pu concevoir ». Parce qu’il était sourd ? Dans le petit film de démonstration, les notes jouées par la table sont accompagnées par un long accord électronique. D’où vient-il ? De la table, ou d’un ordinateur ? A quoi sert-il ? A nous faire croire qu’un Steve Reich ou un John Adams sommeille en chacun de nous ? Que ne ferait-on pas pour adoucir le dur apprentissage de la musique ! Seul élément mystérieux : le prix de ce prodige de technologie.
François Lafon
Table Noteput, conçue par Jürgen Graef et Jonas Heue.
Il faut le voir pour y croire. Pour lancer un téléphone portable écolo à coque en bois, Samsung a construit dans la forêt japonaise un xylophone (de bois) géant et incliné, lequel, actionné par une petite boule (en bois) dégringolant de touche en touche, joue Jésus que ma joie demeure de Jean-Sébastien Bach. La forêt est magnifique, peuplée de biches et d’écureuils. Espérons qu’elle est très loin de Fukushima.
François Lafon
Question pour le Trivial Pursuit : combien un Steinway de concert a-t-il de touches ? Réponse : quatre-vingt-huit. Et un Stuart and Sons ? Cent-deux. Wayne Stuart, facteur à Newcastle, dans le New South Wales, en Australie, est très fier de son chef-d’œuvre : « D’autres pianos ont autant de notes graves que le mien, mais aucun n’a autant de notes aiguës. » A quoi servent-elles, ces touches supplémentaires ? « A amplifier la résonance, à décupler l’énergie. » « Beethoven aurait aimé, renchérit le pianiste local (et beethovénien) Gerard Willems. Il n’y avait que soixante-dix touches sur son piano, mais il aurait sûrement utilisé les autres s’il les avait eues à sa disposition. » (sic). Et le son ? « Grâce à un dispositif original, les cordes vibrent différemment, poursuit Willems. On peut tenir une note beaucoup plus longtemps. C’est comme si l’on tirait des fils de laine. Chacun a son épaisseur et son parfum. C’est un piano typiquement australien : soleil et sable fin. » « Pas très ensoleillé, réplique le pianiste et pédagogue Jeoffrey Lancaster. Cette clarté, ces sonorités cristallines donnent un résultat glacial. » Reste à convaincre les compositeurs de composer pour lui et les pianistes de l’acheter. Il coûte 300 000 dollars australiens (223 000 euros), accord en sus.
François Lafon
http://www.stuartandsons.com/
Andrew Woolley, un musicologue attaché à l’université de Southampton, vient de découvrir une copie manuscrite d’un concerto pour flûte de Vivaldi dans les papiers de la famille Lothian, déposés en 1991 aux Archives Nationales d’Ecosse. C’est probablement Robert Kerr, fils du troisième marquis de Lothian et flûtiste aguerri, qui l’a acquise dans les années 1730, durant le tour d’Europe que les fils de famille se devaient d’effectuer à l’époque. Il devait exister d’autres copies dudit concerto, puisqu’on en trouve trace dans le catalogue d’un libraire hollandais en 1759, treize ans après la mort de Kerr. L’œuvre, qui sera créée à Perth (Ecosse) en janvier prochain et dont l’exécution dure de six à sept minutes, faisait partie d’un groupe de quatre concertos disparus qui, telles Les Quatre Saisons, auraient pu s’appeler Les Quatre Nations, à avoir la France, l’Espagne, l’Angleterre et les Indes. Car celui-ci est sous-titré Il Gran Mogol. Curieuse coïncidence : Le Grand Mogol est aussi le nom du cinquième plus gros diamant jamais connu, une fabuleuse pierre de 280 carats dédiée à Shâh Jahân, bâtisseur du Taj Mahal, découverte en 1650 dans la mine de Kollur, à Golconde, et disparue en 1739 lors du pillage de Dehli par les Perses. Mais pour être digne d’un tel joyau, il aurait au moins fallu que ce concerto soit composé par Mozart.
François Lafon
Qu’est-ce qui fait qu’une musique nous touche, et une autre pas, qu’un interprète nous bouleverse, et qu’un autre nous laisse froid ? C’est une histoire de cœur, répond le Heart Chamber Orchestra. Rien de sentimental dans sa démarche. De la science, rien que de la science. Sur scène : des musiciens avec leurs instruments. Devant chacun d’eux : un ordinateur portable. Derrière eux : un double écran géant. La musique qu’ils jouent est générée en direct par leur rythme cardiaque, lequel détermine aussi les dessins que l’on voit sur l’écran. A mesure qu’ils s’échauffent, le rythme s’accélère et les dessins se compliquent. Beethoven et Bartok n’ont pas fait autre chose, direz-vous, et sans ordinateur ni électrocardiogramme. Eh bien si, justement, ils ont fait autre chose, car les variations cardiaques du Heart Chamber Orchestra feraient bâiller les derniers fans de la musique new age. Il faudrait que ces pionniers s’essayent à Beethoven et Bartok, ou qu’ils prêtent leur matériel au Philharmonique de Berlin. Ce qu’on verrait sur l’écran serait peut-être terrifiant, mais la musique aurait plus de cœur
François Lafon
Vos enfants vous traitent de has-been quand vous écoutez la 4ème Symphonie de Brahms par Carlos Kleiber et le Philharmonique de Vienne ? Branchez-les sur les GSO (Game Symphony Orchestra), des ensembles issus des universités américaines, et spécialisés dans l’accompagnement de jeux vidéo. Aux Etats-Unis, les orchestres les plus traditionnels, en mal d’inspiration et en panne de subsides, ont même pris le relais des GSO. L’Orchestre National de Washington, par exemple, vient de faire un tabac avec un concert monstre accompagné de projections sur écrans géants, à l’occasion du vingtième anniversaire du jeu Final Fantaisie. Au programme : Distant Worlds, musique de Nobuo Uematsu. Le Symphonique de San Francisco (directeur : Michael Tilson-Thomas) et celui de Houston s’y sont mis sans état d’âme, et c’est une phalange européenne, le Philharmonique Royal de Stockholm, qui a enregistré Distant Worlds (AWR Records, distribué par Sony). Mais d’où vient que les amateurs de jeux vidéo, genre aussi peu classique que possible, soient toqués de musique orchestrale ? De Star Wars bien-sûr. Tommy Tallarico, le créateur et manager de ces concerts Video Games Live, a vu la saga quand il avait dix ans : « C’était la première fois que j’écoutais de la musique orchestrale. Quand j’ai su que John Williams se réclamait de Mozart et Beethoven, je me suis précipité pour acheter des disques. Mon but dans la vie a changé : je ne voulais plus être une rock star, mais un compositeur sérieux ». Le rêve américain pas mort ! Mais au fait, à quoi ressemble-t-elle, cette musique d’autant plus évolutive qu’elle peut-être recomposée à l’infini selon la façon dont vous jouez et rejouez devant votre écran ? Disons, pour être gentil, qu’elle est à la BO de Star Wars ce que Les Planètes de Holst est à la 4ème de Brahms.
François Lafon
Si la vuvuzela n’évoque pour vous qu’un essaim de mouches tournoyant au-dessus de l’équipe de France en décomposition, précipitez-vous sur le site du quotidien hambourgeois Die Zeit. Dans le cadre chic du Konzerthaus de Berlin, trois instrumentistes en queue de pie jouent Brahms et Ravel sur ce sympathique instrument. Enfin, ils essayent.
François Lafon
Il y a tout juste soixante-deux ans, le 21 juin 1948, Columbia Records commercialise les deux premiers disques 33 tours : une réédition de l’album The Voice of Frank Sinatra, initialement paru en 78 tours, et le 2ème Concerto pour violon et orchestre de Mendelssohn par Nathan Milstein et Bruno Walter dirigeant le Philharmonic-Symphony Orchestra of New York, enregistré en mai 1945. En France, c’est en décembre 1949 que l’on découvre les joies du « microsillons incassable sur plastique vinylite » avec L’Apothéose de Lully, le Quatrième Concert royal et La sultane de François Couperin. Roger Désormière dirige l’Ensemble Orchestral de L’Oiseau-Lyre, où Pierre Pierlot joue du hautbois. En 1931, RCA avait tenté de lancer le système Victrolac (des disques tournant à la vitesse de 33 tours 1/3 par minute) : échec total. La même année, l’Anglais Alan Dower Blumlein avait fait breveter sa nouvelle invention, l’enregistrement binaural (en d’autres termes, la stéréophonie), et avait essayé, sans succès, de la vendre à l’industrie du cinéma. Il s’était alors adressé à EMI (Electric and Musical Industries), né de la fusion de la Gramophone Company (His Master’s Voice) et de la filiale britannique de Columbia Records. Verdict : « Personne n’a besoin de ce genre de gadget ». En 1957, quand fut lancé le 33 tours stéréo, Blumlein était mort depuis quinze ans. Vive les anniversaires !
François Lafon
Paris 75008, sous la bulle de verre du métro Saint-Lazare. Citadins et banlieusards se croisent et se bousculent dans un enchevêtrement d’escaliers roulants dont on dirait qu’ils ont été disposés tout exprès pour que les gens se bousculent en se croisant. Sur les murs, des pubs à la taille de l’endroit. En ce moment, et jusqu’au 15 mai, la ville de Vienne (Autriche) étale ses fastes touristiques. Un poster de cent-vingt-cinq mètres carrés montre les Wiener Philharmoniker jouant dans la Salle dorée du Musikverein. Tous les quarts d’heure - de 9h30 à 12h30, hors week-ends et joues fériés -, la valse de Strauss Frühlingsstimmen (Voix du printemps) ajoute le son à l’image, tandis qu’un comédien en queue de pie imite Karajan, entouré de valseurs distribuant des cartes postales éditées par un voyagiste. Entre deux bousculades, le voyageur capte le message : Concert du nouvel an, Danube bleu, crème fouettée, vie facile, vacances. De quoi tenir jusqu’au quai (encombré) de la ligne 14. La légende de la photo magique rive le clou : « En ce moment, vous pourriez écouter cette musique dans une des plus belles salles de concert du monde. Prenez le premier train pour Vienne. Vienne, c’est maintenant ou jamais. » Tout est dans le « vous pourriez. » Manquent les « si » : « si vous n’étiez pas en train de galérer dans le métro, » par exemple. En mars, Ikea a meublé les quais des stations Saint-Lazare et Opéra de canapés protégés par des vigiles. « En ce moment, vous pourriez vous asseoir dessus, si vous n’étiez pas SDF, » aurait pu préciser la pub.
Touch me, I'm yours (Touche-moi, je suis à toi). Il ne s'agit pas de racolage sur la voie publique, mais d'une opération « pianos dans la rue », lancée à Barcelone par le Britannique Luke Jerram, en parallèle avec le Concours Maria Canals, qui réunit en ce moment dans la ville quatre-vingt-onze pianistes venus de vingt-six pays. Jusqu'au 26 mars, vingt instruments, répartis dans des lieux très fréquentés, s'offrent à qui veut s'occuper d'eux. Déjà, des élèves des écoles d'art et de design en ont décoré sept sous les arcades de la Plaza Reial : couleurs vives, collages à la Max Ernst, transformation du plus bourgeois des instruments en icônes militantes. Les passants, eux, ne se privent pas de promener leurs doigts sur les claviers, que ce soit pour jouer Au clair de la lune (version catalane) ou la Sonate « Au clair de lune », ou tout simplement pour faire du bruit : rien de plus irrésistible qu'un clavier qui s'offre à vous ! La mairie de Barcelone présente l'opération comme un test de responsabilité civique, et les instruments – qui sont entretenus quotidiennement et couverts la nuit d'un manchon protecteur - feront le bonheur de diverses associations. « Faites ça à Paris, ce sera un massacre », penseront certains. Pas sûr : l'opération a été tentée à Sao Paulo, Sydney et Londres, et aucun piano n'a été vandalisé, ni même abîmé. Il n'y a qu'à Bristol, la plus petite de toutes ces villes, que l'un des quinze instruments exposés a subi les derniers outrages.
Quand la musique devient nuisance… Tout a commencé l'année dernière à Stockholm, où Volkswagen (les voitures) et le site rolighetsteorin.se ont fomenté un coup médiatique en dotant la station de métro Odenplan d'un « escalier piano ». Chaque marche foulée émet une note, et le tout a l'aspect d'un clavier géant, avec touches noires et touches blanches. La fréquentation de l'escalier a grimpé de 66%, celle de l'escalator adjacent a baissé d'autant, et la vidéo fait un tabac. Ce que l'histoire ne dit pas, c'est qu'aux heures d'affluence, ce gadget monumental fait un bruit d'enfer, et que les employés de la station n'en peuvent plus. L'idée n'est pas neuve : les musical stairs des Musées des Sciences de Minneapolis et de Boston ont amusé plusieurs générations d'Américains, et les amateurs de nanars cinématographiques se souviennent de Big (1988), où Tom Hanks foulait un « plancher piano » resté dans les annales (la scène a été parodiée chez Les Simpsons).
Or voilà que le métro de Milan vient d'installer un « escalier piano » à la station Duomo, très fréquentée par les touristes. Quand on sait qu'en italien, escalier musical se dit scala musicale et que le Duomo (la cathédrale) n'est pas loin du Teatro alla Scala, on apprécie la finesse du concept. Aucun jeu de mots n'est apparemment possible entre escalier musical et Opéra Bastille. Cela épargne peut-être les oreilles des usagers de la RATP.
L'ethno-minéralogiste Erik Gonthier peut être content : entre les travaux du Palais de Chaillot et la migration d'une partie des collections au musée des Arts Premiers, les lithophones subsahariens néolithiques du Musée de l'Homme n'ont pas souffert. Ces curieux sucres d'orge de pierre (lithos en grec) comptent parmi les premiers instruments de musique. A la différence de l'arpeggione et du glass harmonica, le lithophone a traversé les siècles. On le retrouve en Inde comme au Kenya, en Chine aussi bien qu'en Afrique du nord. Il est l'ancêtre du xylophone, des marimbas et du glockenspiel, le jeu de clochettes de Papageno dans La Flûte enchantée.
Certains de ses avatars européens sont troublants. Ce sont les Musical Stones of Skiddaw, construites en Angleterre dans la première moitié du XIXème siècle, où la rugosité de quatre claviers de pierres alignées contraste avec le raffinement bourgeois d'un coffrage genre piano de famille, et le Steinspiel (jeu de pierres) utilisé par le compositeur allemand Carl Orff, lequel ne rêvait que de retrouver la musique au son de laquelle Wotan montait au Walhalla. On peut préférer imaginer nos grands pères homo sapiens accompagnant leurs chants du son des ces stalactites montés en jeux et frappés d'une baguette de pierre ou de bois, le tout dans l'acoustique de cathédrale de grottes peintes à fresque et éclairées par des torches fumantes. Cérémonies religieuses, rites funéraires, teufs d'enfer façon Famille Pierrafeu ? Tout cela sans doute. Quand on va au concert, il est peut-être bon d'y penser.
Une vingtaine d'hommes et de femmes en noir tenant des iPhones et équipés, à chaque poignet, d'un haut-parleur ressemblant à un gros bracelet-montre, deux ordinateurs sur des piédestaux, un chef donnant le départ d'un long accord annonçant un moderne Or du Rhin : sommes-nous à Bayreuth dans un futur hypothétique ? Assistons-nous à une cérémonie initiatique ? Partons-nous à la recherche du son primordial ? Un peu de tout cela : George Essl, le chef, est professeur assistant de génie informatique et de musique à l'Université du Michigan, créateur de l'ocarina App, ou premier instrument de musique pour l'iPhone, directeur du Michigan Mobile Phone Ensemble et co-directeur du Stanford Mobile Phone Orchestra. Les étudiants, eux, ont appris à reproduire sur iPhone le son des instruments traditionnels, ou à en inventer de nouveaux, virtuels, donc sans limites. Après l'Ouverture 1812 de Tchaikovski jouée par mille portables programmés, voici la telephone music au naturel, et dans ses oeuvres. Un grand concert est programmé le 9 décembre. On est prié d'éteindre son portable.
Déception chez les fans : Dan Brown n'écrira jamais un Stradivarius Code. C'est la faute à une douzaine de chercheurs français et allemands, qui se sont penchés sur les vernis utilisés par le luthier, et les ont soumis au diagnostique du synchrotron Soleil, le grand instrument électromagnétique inauguré en 2006 par Jacques Chirac à Saint-Aubin (Essonne), et destiné à accélérer les particules élémentaires (au grand dam de Claude Allègre, lequel roulait, quand il était ministre de la Recherche, pour un système britannique). Et qu'ont-ils découvert, ces dignes scientifiques ? Tout simplement que le vernis en question était constitué de deux fines couches, la première à base d'huile - comme celle qu'utilisent les peintres pour préparer leur toile -, la seconde mélangeant huile et résine de pin, le tout étant destiné à donner aux instruments l'inimitable teinte rouge qui est la signature du maître. Et ça, on le savait déjà, les livres de compte de Stradivarius indiquant l'achat réitéré de sandaraque, de benjoin et de quelques autres épices. Le secret du son, lui, reste intact, et les légendes qui vont avec, la plus célèbre étant que le luthier rangeait ses instruments sous le lit conjugal dans le but de leur transmettre l'énergie dégagée par les folles nuits qu'il y passait avec son épouse. Après tout, Dan Brown pourrait se mettre à un Synchrotron Soleil Code, où il nous expliquerait le rôle ésotérique d'un appareil de quatre-cents millions d'euros destiné à analyser des couches de vernis.
Vous en avez assez d'imiter Karajan devant la glace de la cheminée ? Vous êtes saisi par une envie irrépressible de diriger, en vrai, de chez vous, l'Ouverture « 1812 » de Tchaïkovski ? Qu'à cela ne tienne : avec mille téléphones portables, deux mille SMS, quelques mois de travail, une équipe performante (dont un Network Gourou), vous pouvez réaliser votre rêve. C'est ce qu'un Néo-Zélandais nous prouve, vidéo à l'appui. Certes, l'exécution finale, où l'on voit le mur de portables clignoter comme une carte de commissariat un soir de Fête de la musique, ne dure que trente-huit secondes, et le rendu sonore évoque davantage le synthé aigre de la pionnière Wendy Carlos que le velours du Philharmonique de Berlin. Mais c'est le making of qui est hallucinant. Car il ne suffit pas de répartir les sons sur les téléphones et de coordonner l'ensemble, il faut d'abord les produire, ces sons. Et là, on fait appel aux méthodes qu'utilisait Karajan : on enregistre de vrais instrumentistes. Il y a même une séance d'applaudissements, avec de vrais gens frappant leurs mains l'une contre l'autre. Moralité : si vos enregistrements de l'Ouverture « 1812 » ne vous suffisent plus (mais pourquoi, d'ailleurs, vous fixer sur cette horreur, alors que Tchaïkovski a produit tant de jolies choses ?), faites établir un devis : il n'est peut-être ni plus onéreux ni plus compliqué d'inviter chez vous le Philharmonique de Berlin que de vous offrir trente-huit secondes de SMS en folie.