Mardi 19 mars 2024
Le cabinet de curiosités par François Lafon
jeudi 28 mars 2013 à 12h15

Dans la série des interviews historiques rééditées par le magazine britannique Gramophone à l’occasion de son 90ème anniversaire : Pierre Boulez (1967). Le maestro parle de la direction d’orchestre comme d’un hobby, « une occasion d’entendre nombre d’œuvres comme je voulais les entendre », réfute l’idée d’ « approche objective » de la musique qu’on lui reprochait à l’époque, rappelant que les partitions ne sont pas des « objets passifs », et qu’elles doivent être interprétées dans l’ « esprit du temps » - entendez le temps présent, pas la reconstitution hasardeuse du temps passé qu’il ne cessera de reprocher aux baroqueux. Il invoque une « lacune dans l’éducation musicale » pour expliquer la difficulté du grand public à apprécier ses propres œuvres, préfère aux « concerts musées » des « concerts galeries » où l’on joue de la musique actuelle et n’hésite pas à se comparer à Cézanne en affirmant que « s’il pouvait expliquer ce qu’il veut dire dans sa musique, il n’y aurait plus de musique », de même que ce sont le mystère et la subtilité et non la description d’un paysage qui sont intéressants dans les toiles représentant la Montagne Sainte Victoire. Il regrette que Wieland Wagner soit mort avant d’avoir pu monter avec lui Pelléas et Mélisande car celui-ci « se serait injecté dans la musique française comme je l’ai fait moi-même dans celle de son grand-père », et confie qu’il rêve de diriger La Tétralogie, Lulu et Don Giovanni, vœu qu’il réalisera aux deux tiers. Rien dans tout cela - anathèmes oubliés, grands principes plus tard contournés - que les anti-boulézien aiment à pointer dans ses nombreux propos et écrits. Deux points intéressants quand même : il n’a pas à l’époque l’intention de composer un opéra, si ce n’est peut-être « une œuvre utilisant la scène » (une idée récurrente pourtant, qu’il finira par abandonner, tous ses librettistes mourant avant d’avoir fait le travail), et ne pense pas que les dispositifs électroniques « soient faits pour produire des sons musicaux », tout en prédisant « qu’il y a là une partie du futur ». Cela dix ans avant que l’Ircam n'ouvre ses portes.

François Lafon

Photo © DR

jeudi 21 mars 2013 à 09h34

Deux informations qui n’ont rien à voir, et pourtant… Le 15 mars, on annonce que le violon sur lequel Wallace Hartley, chef de l’orchestre du Titanic, a joué « Plus près de Toi, mon Dieu » au moment où le paquebot coulait, a été retrouvé. « Le major Renwick pensait que j'étais le mieux à même d'en faire usage, mais il s'est révélé absolument injouable, sans doute en raison de sa vie mouvementée », a déclaré son dernier possesseur, un professeur de violon auquel ledit major l’avait confié. On le croit volontiers. Expertisé par Andrew Aldridge, de la maison de vente aux enchères Henry Aldridge and Sons, l’instrument va être exposé à l’hôtel de ville de Belfast, où le Titanic a été construit. Le 17 mars, une moto Honda CB750C, fleuron de la collection de Coluche (mais pas celle sur laquelle l’humoriste a eu l’accident qui lui a coûté la vie) a été mise aux enchères pour 1000 euros à Fontainebleau, et est partie pour 7200 euros. Estimé à 100 000 euros (valeur de mise à prix), le violon de Wallace Hartley, lui, ne sera pas adjugé à un particulier, mais cédé à un musée. Aux dernières nouvelles, son authenticité est douteuse : il aurait bien appartenu à Hartley, mais ce n’est pas lui que le violoniste aurait emporté sur le Titanic. En tout état de cause, le degré de macabre des reliques a lui aussi son prix. 

François Lafon

Quel rapport entre Benoit XVI et Simon Rattle ? Ils ont annoncé leur démission presque en même temps. Celle du second a fait moins de bruit que celle du premier, et pourtant le journaliste du Frankfurter Allgemeiner qui a interview le maestro à cette occasion insiste sur le fait qu’hormis Claudio Abbado, les directeurs du Philharmonique de Berlin sont morts à la tâche, à commencer par Leo Borchard, successeur de Furtwängler et prédécesseur de Karajan (Sergiu Celibidache n’étant considéré que comme un intérimaire), disparu trois mois après sa nomination, tel un Jean-Paul 1er de la baguette. « Aujourd’hui, le directeur musical d’un orchestre reste en poste cinq ans, explique Sir Simon. Les temps ont changé, dans le monde de la musique, les horloges ne sont plus réglées de la même manière. J'ai été marié dix-huit ans avec le City of Birmingham Orchestra, et tout le monde a crié: « Assez! C'est une éternité! ». Lorsque je quitterai Berlin, en 2018 si tout va bien, j’aurai passé seize ans avec l'Orchestre. » « Quand je viens à la Philharmonie, Karajan est toujours là », réplique (perfidement ?) l’interviewer. « C’est vrai, il vient me chercher pour déjeuner », répond Rattle (humour à l’anglaise), ajoutant « Nous sommes là pour assumer une certaine responsabilité pendant un certain laps de temps. C’est un principe fondamental de la démocratie ». Une notion que les papes actuels semblent intégrer moins difficilement que ne l’aurait fait Karajan en son temps.

François Lafon

lundi 11 mars 2013 à 09h26

55 millions de visites sur YouTube, 77 000 abonnés : Justin Biber, Lady Gaga ? Non, Valentina Lisitsa, pianiste. A titre de comparaison, la mezzo galloise Katherine Jenkins, reine du cross-over au Royaume-Uni, ne réunit, elle, que 5600 abonnés. En 2006, cette Ukrainienne installée aux Etats-Unis produit à ses frais un DVD des vingt-quatre Etudes de Chopin et le met en vente sur Amazon. Déception : non seulement le DVD ne se vend pas, mais elle en retrouve le contenu sur la Toile. Elle décide alors de mettre son œuvre sur YouTube. Surprise : les ventes du DVD s’envolent. Elle poste alors des vidéos la montrant en répétition, et met en place un flux direct permettant à ses fans de participer à la composition de ses programmes. En 2009, elle hypothèque sa maison pour financer l’enregistrement des Concertos de Rachmaninov avec le London Symphony Orchestra et crée sur son canal une fonction intitulée « Rach Project » permettant de suivre le work in progress. En 2012, elle donne au Royal Albert Hall de Londres (5544 places) un concert diffusé en direct sur YouTube. Elle signe par ailleurs un contrat d’exclusivité avec Decca, dont le premier bébé n’est autre que… les quatre Concertos de Rachmaninov, et obtient que ses enregistrements continuent à être disponibles gratuitement sur son canal. « Nous ne voulons pas être le grand méchant label qui restreint la communication de l’artiste avec ses fans », explique Paul Moseley, directeur de Decca, au Wall Street Journal. Et comment joue Valentina Lisitsa ? Sec et brillant, si l’on en croit ses vidéos. A suivre, et pas les yeux fermés.

François Lafon

Rachmaninov : Concertos pour piano n° 1-4 – Rhapsodie sur un thème de Paganini. Valentina Lisitsa (piano), London Symphony Orchestra, Michael Francis (direction) – 2 CD Decca http://www.youtube.com/user/ValentinaLisitsa

jeudi 7 mars 2013 à 09h44

Hécatombe de fin d’hiver : en moins d’une semaine, Wolfgang Sawallisch (voir ici) Van Cliburn, Marie-Claire Alain, Rafael Puyana, Georges Liccioni, Jérôme Savary. Un Kappelmeister, un pianiste météorique, une organiste emblématique, un claveciniste collectionneur, un ténor français, un showman multifonctions. Rien à voir a priori entre tous ceux-là, sinon qu’à part celle de Savary - justement parce qu’il était multifonctions -, leur disparition n’a pas remué ciel et terre. Raison principale : c’étaient des musiciens reconnus, voire adulés par les connaisseurs, mais pas - ou plus - des stars. L’Américain Van Cliburn avait fait sensation en remportant, en pleine guerre froide, le Concours Tchaikovski de Moscou, mais, retiré tôt des estrades, il n’existait plus qu’à travers le concours qui portait son nom. Marie-Claire Alain était - tout style gardé - à l’orgue ce que Maurice André était à la trompette, mais ses trois (admirables) intégrales Bach ne figurent pas dans toutes les discothèques. Rafael Puyana avait été l’élève de Wanda Landowska et Nadia Boulanger, mais les baroqueux nouvelle génération l’avaient remisé au rayon des ancêtres nécessaires. Quant à Georges Liccioni, il appartenait à la génération perdue du chant français d’après-guerre, à laquelle on reconnait, avec trente ans de retard, un style, une diction que l’on retrouve chez les meilleurs de leurs lointains héritiers, Roberto Alagna en tête. Le paradis artificiel des stars ne saurait en effet que faire d’artistes de cette espèce.

François Lafon

lundi 4 mars 2013 à 09h15

Chez Actes Sud, La passion prédominante de Janine Reiss, La voix humaine, de Dominique Fournier. Un double titre codé (citation de Don Giovanni + opéra de Poulenc) surmontant la photo d’une dame élégante en manteau de lainage à col de fourrure. Rien qui puisse attirer le chaland s’il n’est déjà amateur d’opéra, et amateur éclairé encore, Janine Reiss étant chef de chant, c'est-à-dire destinée à rester dans l’ombre des vedettes qu’elle fait travailler. « Qui pourrait bien être intéressé par ce livre ? », a-t-elle demandé au producteur de télévision Dominique Fournier quand il lui a présenté le projet. Le livre n’a pas dû être facile à écrire, Janine Reiss n’étant ni bavarde ni vantarde. Les stars internationales se bousculent pour préparer leurs rôles avec elle ? Oui, et alors ? Elle a été la conseillère et l’amie de Maria Callas ? Oui, et un soutien dans les années difficiles. Elle est la mémoire des grandes années du disque lyrique ? Oui encore, et de la scène aussi, particulièrement à l’Opéra de Paris, à l’époque où Rolf Liebermann en était le directeur. La première partie retrace cette vie à la fois luxueuse et austère, et les propos de Janine Reiss la dépeignent tout entière : simples, voire évidents en apparence, à méditer en réalité. Dans le dernier tiers, l’auteur livre tout cru, un peu en vrac, l’essentiel des heures d’interview qu’il a réalisés. Cela a un côté hâtif, répétitif, mais là encore il y a à glaner, avec en filigrane la conscience qu’a cette oreille des stars d’appartenir à un monde lyrique qui est déjà une page d’histoire.

François Lafon

La passion prédominante de Janine Reiss, La voix humaine, de Dominique Fournier. Actes Sud, 155 p., 17 €

dimanche 3 mars 2013 à 08h48

Il est désormais possible de tout savoir sur la zarzuela, cette « belle inconnue » : genre éminemment espagnol, part non négligeable de l’art lyrique avec plus de 20 000 titres d’environ cinq cents compositeurs répartis sur quatre siècles, alternance du parlé et du chanté, veine souvent pittoresque, mettant en jeu chanteurs et choristes à l’élocution parfaite, acteurs et danseurs, lumières et machineries. Le nom provient d’une demeure royale au nord de Madrid, le Palacio de la Zarzuela, construit au début du XVIIe siècle : « palais de la Ronceraie », car zarza en espagnol signifie ronce. Pierre-René Serna dresse l’historique et la chronologie (de 1622 à 1981) du genre et, dans un ordre alphabétique inversé de Z à A (il fallait bien commencer par Zarzuela), passe en revue vingt-deux œuvres-clés (intrigue, musique, éventuelle discographie), environ cinquante musiciens ainsi que plusieurs notions et termes essentiels parmi lesquels tonadilla, Madrid, livrets et librettistes, genres et sous-genres, discothèque, bibliothèque, Barcelone, Amériques et Philippines. Parmi les compositeurs, certains sont bien connus, comme Turina, Rodrigo, Granados, Manuel Garcia, Boccherini, beaucoup ne le sont que des spécialistes, et quelques personnalités ne doivent leur inclusion dans la liste qu’à un extrait significatif de leur correspondance : Saint-Saëns, Nietzsche. Sont mentionnés près de trois cents enregistrements, et l’annexe comprend une sélection discographiques puis un index des compositeurs, des œuvres et des librettistes. Surtout, ne pas oublier que la zarzuela fut honorée à note époque par les plus grands chanteurs, de Pilar Lorengar à Alfredo Kraus et de Teresa Berganza à Placido Domingo.

Marc Vignal

Pierre-René Serna : Guide de la zarzuela. Bleu Nuit, 2012, 336 p.

 

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