Mardi 19 mars 2024
Le cabinet de curiosités par François Lafon
samedi 24 novembre 2018 à 11h18
Déjà riche d’une soixantaine de titres, la petite collection Musique d’Actes Sud n’échappe pas toujours au dilemme des formats courts : biographie résumé ou essai sur un destin ? Directeur du festival Berlioz à la Côte Saint-André, Bruno Messina connait son sujet en live. Et comme il a la plume alerte et des idées originales (que les berlioziens ne manqueront pas de discuter)… Mais encore ? D’abord il habite en Isère, terre natale du compositeur, et il est ethnomusicologue de formation : il sait donc ce que replacer la musique dans son contexte veut dire. Balayant le cliché d’un Berlioz faisant table rase de ses origines, il relie au contraire l’inspiration de l’artiste à cette terre entre nord et sud, mystérieuse et accidentée, à la fois barrée et protégée par la montagne. Le reste - carrière (funèbre et triomphale), voyages (la reconnaissance est toujours ailleurs), vie sentimentale (immature mais essentielle) -  trouve tout naturellement sa place au rythme de chapitres courts aux titres évocateurs (« Du feu et des foules », « La Beauté du Diable »), dessinant un héros/looser incompris de ses contemporains mais promis à l’immortalité, archétype de l’artiste romantique. Plus difficile à définir : l’impression que l’on a, au terme de ces presque deux-cents pages à la fois amoureuses et distanciées (qui aime bien…), de s’approcher de l’insaisissable en suivant cet homme qu’on aurait bien voulu connaître au risque de le trouver insupportable. Autant qu’un brillant essai, une introduction aux commémorations du cent-cinquantième anniversaire de la mort du musicien (… dont Messina est le commissaire) qui laisse espérer que l’imagination y sera au pouvoir. 
François Lafon

Berlioz, par Bruno Messina. Actes Sud,  208 p., 18 euros (13, 99 euros en livre numérique)

mardi 20 novembre 2018 à 01h01
Création d’une commande-maison à la Fondation Louis Vuitton : Stupori, pour baryton, violon, flûte et percussions de Salvatore Sciarrino, vertige d’un cycle Maurizio Pollini annulé tardivement, et mêlant, selon l’habitude militante du pianiste, répertoires classique et contemporain. En guise de prélude : 6 Capricci pour violon, composés en 1976, suivis de deux pièces pour flûte plus récentes (1989 et 2001) : pluie et vent, bestiaire imaginaire, corps haletant (extraordinaire Immagine Fenicia pour flûte) illustrant la grande interrogation du compositeur : « Je suis ici et maintenant : qu’est-ce que j’entends ? ». Inspiré d’un haïku, d’une inscription sur un palais Renaissance ou d’une épigraphe dans une langue jadis parlée par les Messapes, Stupori procède du même univers, opéras miniatures chers à Sciarrino, mais curieusement moins évocateurs, en dépit de l’excellente interprétation du baryton Otto Ketzameier et des formidables violoniste (Carolin Widmann) et flûtiste (Matteo Cesari). Seconde partie romantique alla Pollini : le Quintette en ut majeur de Schubert - créé il y a 190 ans jour pour jour - par le quatuor Hagen et Gautier Capuçon en second violoncelle. L’esprit est là, les accidents de parcours aussi. L’Adagio, moment de grâce attendu, ne déçoit pas pour autant.
François Lafon

Fondation Louis Vuitton, Paris, 19 novembre (Photo © Harald Hoffmann - CardArchive)

mardi 6 novembre 2018 à 12h51
Condisciple de Debussy au Conservatoire de Paris, Paul Dukas (1865-1935) ne signa qu’une poignée d’œuvres – mais quels chefs-d’œuvre, entre sa Symphonie, son opéra Ariane et Barbe-Bleue d’après Maeterlinck, le ballet La Péri et le célèbre Apprenti sorcier ! Il écrivit aussi de nombreux articles critiques et fut professeur de musique, notamment de Messiaen, son élève le plus illustre. À ces activités multiples s’ajoute celle d’un épistolier extrêmement fécond, au vu de cette somme, dont ce n’est que le volume 1 (…), rassemblée par Simon-Pierre Perret, qui cosigna avec Harry Halbreich une biographie de Magnard, sans oublier celle de Dukas, cosignée avec Marie-Laure Ragot. Celui qui rédigeait quotidiennement environ huit à dix lettres, comme il le confiait à Laura Albéniz, aura eu à cœur d’échanger avec le monde entier, partageant son enthousiasme pour un jeune chef (Gustav Mahler) entendu à Londres, au cours de l’été 1892, saluant un chef-d’œuvre créé à l’Opéra-Comique (Pelléas de Debussy), ou encore « professeur attentif » (Perret) de son élève Robert Brussel – qui reçoit entre 1894 et 1934 pas moins de 360 lettres. Au lendemain de la Grande Guerre, le voilà vitupérant contre la jeune génération du Bœuf sur le toit, « simple clownerie » ramenant l’auditeur « à Medrano », ou contre les Dadas, « phoques savants ». Ailleurs, le lecteur pénètre avec intérêt dans la gestation d’Ariane et Barbe-Bleue, avec l’écoute complice de l’ami Vincent d’Indy, à qui il déclara qu’il fallait créer : « des œuvres qui parlent à l’imagination et au sentiment musical de ceux qui en ont – tant pis pour les autres –, des œuvres dans lesquelles la musique crée son propre programme par elle-même : modèle la symphonie en ut mineur (Symphonie n° 5 de Beethoven) – pas celle de Saint-Saëns [la 3ème avec orgue] ni celle de Brahms [la 1ère ] !! »   
Franck Mallet
 
Correspondance de Paul Dukas, rassemblée et présentée par Simon-Pierre Perret, vol. 1 : 1878-1914
Actes Sud/Palazzetto Bru Zane, 690 p., 45 euros

lundi 5 novembre 2018 à 22h18
Fils héritier de Mario, le petit bonhomme qui gambade depuis des années sur les consoles de jeu vidéo, Line Rider, né en 2007, est un gamin lugeur, avec bonnet sur la tête et écharpe au vent. On le trouve sur le jeu en ligne qui porte son nom, où l’internaute est invité à lui tracer un circuit sur lequel il va glisser. Le talent du joueur est alors de dessiner un circuit véritablement spectaculaire.
Rien à voir avec la musique, direz-vous.
Sauf qu’un internaute particulièrement ingénieux (et patient) fait glisser Line Rider en musique, transformant les lignes en portées d’un genre nouveau, avec un résultat à la fois poétique, stupéfiant, voire hallucinant, et addictif.
« DoodleChaos », l’internaute au pseudo intrigant, a le rythme dans la peau, et ce rythme, il le traduit en images. Cette mise en lumière d’une œuvre musicale vaut tous les discours savants, avec des effets emphatiques inattendus : comment mieux faire entrer l’auditeur dans une œuvre telle que 5ème symphonie de Beethoven (voir ici) ? Ou Dans l'Antre du Roi de la Montagne (Peer Gynt - Edvard Grieg - voir ) ou encore La Danse de la Fée Dragée (Casse-Noisette – Tchaïkovski - par ) ?
La musique ainsi revisitée de façon ludique par les joueurs en ligne pourrait être matière à réflexion pour une industrie musicale toujours à la recherche de nouvelles ficelles pour élargir son auditoire : et si cette ficelle était une ligne ?
Albéric Lagier

vendredi 2 novembre 2018 à 10h44
Cliché bien connu, mais pas toujours injustifié : les critiques musicaux ne vont pas au théâtre, les critiques de danse ne s’intéressent pas à l’opéra, et les critiques littéraires ne mettent pas les pieds dans une salle de concert. Gérard Mannoni, qui livre ici ses souvenirs un peu en vrac mais avec la plume alerte qu’on lui connaît, est donc une exception, puisqu’il a suivi la danse, la musique et l’opéra (ces deux derniers n’attirant pas toujours le même public) tout au long de sa longue carrière. On le retrouve tel qu’au Quotidien de Paris ou sur France Musique, conservateur mais curieux de tout, groupie dans l’âme mais l’œil malicieux, maniant une plume d’autant plus assassine qu’elle sait être caressante. C’est aussi le passage du monde d’hier à celui d’aujourd’hui qu’il raconte, s’adressant autant à ceux qui portaient smoking pour aller voir danser Yvette Chauviré qu’à leurs petits-enfants, pour qui Ruggero Raimondi, naguère star de l’éphémère « filmopéra », a rejoint Chaliapine parmi les gloires du temps jadis. 
François Lafon  

Une vie à l’Opéra, souvenirs d’un critique, par Gérard Mannoni, Buchet-Chastel, 255 pages, 20€
 

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