Pour qui ne connaîtrait pas John Cage, figure majeure du XXème siècle, cet ouvrage apporte bien des réponses. Oui, il fut bien cet élève américain de Schoenberg – qui déclarait affectueusement à son propos : « Un inventeur ! Un inventeur de génie. Pas un compositeur, mais un inventeur. Un grand esprit. » Étudiant, sa route est déjà tracée dès les années trente, lorsqu’il écrit à ses parents, à l’occasion d’un de ses premiers périples en Europe avec un camarade rencontré à Naples : « Nous évitons avec soin les routes soigneusement balayées et, dans les pays où nous allons, nous nous faufilons dans les lieux ordinaires ; je suis particulièrement intéressé par les gens des villes, par tous les gens ». Comme une profession de foi, qui déterminera toute une vie tournée vers la poésie, la philosophie, la peinture, la musique, les installations et la danse – impossible d’oublier son compagnon Merce Cunningham ! –, mais aussi l’amitié, l’échange… et une bonne dose d’humour.
Interrogeant durant plus d’une décennie les institutions, les partitions et les proches – en particulier les Français, des compositeurs Pierre Mariétan à Jean-Yves Bosseur, et des interprètes Martine Joste à Joëlle Léandre, en passant par Gérard Frémy –, Anne de Fornel donne à voir et entendre : « toute l’immensité, la complexité et la richesse de la production musicale, plastique et muséale de Cage. » Jusque-là, on trouvait des commentaires sur plusieurs œuvres, mais ici la chercheuse, hyper documentée, engobe la totalité. Une somme qui s’appuie en outre sur d’abondantes archives, notamment épistolaires, où le pédagogue Cage justifie son intérêt pour l’expérimentation, le hasard et le zen, sans parler de son attachement à Satie – à la fois source d’inspiration et matériau sonore pour le musicien qui s’identifie à lui –, et ses multiples trouvailles sur le jeu instrumental, de la percussion au piano préparé !
Pour couronner le tout, Anne de Fornel se révèle aussi une excellente pianiste en duo avec Jay Gottlieb, éminent cagien, dans un album qui paraît simultanément avec, entre autres, les Three Dances, pour deux pianos préparés (1945), ainsi que la version du Socrate de Satie, arrangé pour deux pianos par Cage (1944-1969) – partitions également chorégraphiées par Cunningham.
Franck Mallet
Anne de Fornel, John Cage, Fayard, 696 p., 49€
« Cage meets Satie », par Anne de Fornel et Jay Gottlieb (pianos), 1 CD Paraty 159183 (56 min)