Mardi 19 mars 2024
Le cabinet de curiosités par François Lafon
Hauts lieux de divertissement pour l’impératrice Joséphine et Napoléon Bonaparte sous le Premier empire, le Château de Malmaison, ainsi que celui de Bois-Préau, racheté sous le Second Empire par la famille Rodrigues-Enriques, retrouvaient une partie de leur lustre musical d’antan grâce aux efforts conjoints d’Elisabeth Claude, leur Conservatrice, associée à Sylvie Brély, Présidente de La Nouvelle Athènes – Centre des pianos romantiques, à l’occasion de la première édition du Festival de Pentecôte dédié à l’esthétique du premier romantisme français. Si l’Histoire a retenu avec raison la figure de Beethoven, il s’agissait de redécouvrir, et même plus simplement de s’ouvrir, à celles, oubliées, de Devienne, Hortense de Beauharnais, Duport, Hérold, Garat, Wély, Jadin, Dussek, Grétry ou Adam, frottées au chant italien de Paisiello et Spontini.
La 3e journée débutait l’après-midi sur quatre quatuors à cordes de la fin du XVIIIe siècle par les excellents instrumentistes de l’Ensemble Infermi d’Amore, tous formés récemment par Amandine Beyer à la Schola Cantorum Basiliensis de Bâle. Certes, le soleil dardait à travers les baies vitrées de l’Orangerie et il n’était pas facile de garder l’accord sur des instruments aux cordes si sensibles aux températures, mais le style délicat et chantant du Quatuor op. 1 n° 3 de Jadin trouvait là des interprètes totalement passionnés. Avec Boccherini (Quatuor à cordes op. 2 n° 6), le jeu s’intensifie et se colore, avant le Quatuor op. 34 n° 1 de Pierre Baillot (1771-1842), vraie découverte aux accents plus dramatiques, avec les ritournelles « À l’Espagnole » de son « Menuetto ». Le Quatuor en sol mineur de Viotti offrait une conclusion brillante à ce récital.
Le second concert de 18h30 proposait un panorama éloquent des concerts donnés une fois par semaine dans son salon par Joséphine, concocté par Coline Dutilleul (mezzo-soprano), Aline Zylberajch sur piano Erard (celui de 1806 restauré par Christopher Clarke pour La Nouvelle Athènes) et Pernelle Marzotti (harpe Erard). Entre pièces solistes de Mehul, Paisiello, Pleyel et Nadermann (Sonate en do mineur pour harpe) et mélodies de Hortense, la fille de Joséphine (extraites des « 12 Romances »), airs d’opéras de Paisiello (Zingari in Fiera et Nina), Méhul (Ariodante transcrit par Jadin) auxquels s’ajoutaient des romances de Pierre-Jean Garat (Il était là) et Jadin (La mort de Werther), un air du Huron, opéra-comique de Grétry et la langueur sublime d’O nume tutelar, air tiré de La Vestale de Spontini (bien vu, Coline Dutilleul !), les interprètes révélaient tout le charme et l’attrait de ces œuvres à la fois joyeuses, tendres et ardentes. La Bibliothèque de Malmaison recèle encore bien des secrets – plusieurs opéras y furent créés avant Paris – et des partitions d’Hortense de Beauharnais y dorment encore.         
Franck Mallet

Orangerie du Château de Bois-Préau, Parc de Malmaison, 15h & 18h30, dimanche 28 mai 2023
(Photo : Coline Dutilleul © DR)
 
vendredi 13 mai 2022 à 22h34
Carmen (Bizet) ? Une femme libre.
Rosine ? (Rossini, Le Barbier de Séville) ? Une jeune qui se libère.
Angelina (Rossini, La Cenerentola) ? La bonté libérée.
Chérubin (Mozart, Les Noces de Figaro) ? Un ado qui prend des libertés
Sesto (Mozart, La Clémence de Titus) ? Un apprenti libérateur.
Ruggiero (Handel, Alcina) ? Un ensorcelé libéré.
La Périchole (Offenbach) ? Une artiste libre. 
Dorabella (Mozart, Cosi fan tutte) ? Une libérée en devenir.
Zerlina (Mozart, Don Giovanni) ? L’innocente libérée.
Charlotte (Massenet, Werther) ? Une femme qui ne parvient pas à se libérer : au festival d’Aix-en-Provence 1979, elle n’ira pas plus loin que la générale.

Teresa Berganza nous a quittés ce vendredi 13 mai, elle avait quatre-vingt-neuf ans. Quand Gabriel Dussurget, fondateur et directeur du festival d’Aix-en-Provence, impose la jeune mezzo-soprano de vingt-quatre ans dans Cosi fan tutte en 1957, les spécialistes l’ont prévenu : petite voix, elle n’ira pas loin. Trente-deux ans plus tard, elle est Carmen au Palais Omnisports de Bercy, dans une mise en scène de Pier-Luigi Pizzi. Au milieu de l’air des cartes, courte panne de sono. La voix de Berganza résonne « au naturel » dans l’immense espace. En toute liberté…
François Lafon
(Photo © DR)

lundi 4 octobre 2021 à 23h25
A la salle Gaveau dans la série L’Instant Lyrique : Michael Spyres, baritenor. Après le disque concept (voir ici), le concert. Pas pour vérifier si cet ancien baryton devenu ténor assoluto (de Mozart à Wagner) sans renoncer à ses amours passés est aussi étonnant en live qu’en studio, ni pour prendre une leçon d’histoire de la vocalité, ce qu’il ne fera pas plus « en vrai ». Costume trois pièces à (discrets) carreaux, contrastant avec le gris classique du pianiste Mathieu Pordoy : un duo en équilibre, où voix et clavier respirent de conserve. Première partie : Les Nuits d’été de Berlioz. Version ténor donc, si l’on se fie à la "Villanelle" initiale. Ah non : c’est à deux (viril "Spectre de la rose") voire à trois voix ("Sur les lagunes" façon basse) que les six mélodies se déclinent. A plus encore même, tant est large la gamme des sentiments : bonne façon de départager les tenants de la voix unique et ceux de la troisième voix dans ce prototype et déjà archétype de la mélodie française. La suite sera phénoménale : repris du disque, l’air du Comte (Les Noces de Figaro acte 3) avec ses « extensions » pour ténor, idem pour la "Sérénade" de Don Giovanni (ténor, baryton ? les premiers l’ont aussi chantée) suivant un "Largo al factotum" (Rossini), où le Barbier de Séville fait entendre les voix de ses client(e)s. Retour à la clé de sol pour finir, avec un Postillon de Lonjumeau (Adam) stratosphérique et en bis l’air à contre-ut en rafale de La Fille du régiment (Donizetti). Pas une faute de français (ni d’italien, ni d’allemand dans La Veuve joyeuse en bis-bis), pas une seconde de laisser aller, là où le moindre dérapage ferait tourner le concert au numéro de cirque. Et tout cela le lendemain de la dernière de Fidelio à l’Opéra Comique (voir ) ! Joués sans effet superflu, les deux intermèdes pianistiques (Sonnet 123 de Pétrarque de Liszt et A la manière de Chabrier façon Ravel) attestent du sérieux (humour compris) de l’ensemble. 
François Lafon
Salle Gaveau, Paris, 4 octobre (Photo © DR)

dimanche 31 mai 2020 à 21h21
Deux semaines à peine après Gabriel Bacquier, c’est Mady Mesplé qui nous quitte, à quatre-vingt-neuf ans. Période sans pitié, où le monde d’avant (… Michel Piccoli, Jean-Loup Dabadie, Guy Bedos) tire brutalement sa révérence. Un seul souvenir cette fois, mais qui définit bien cette Lakmé saluée par Pierre Boulez comme une musicienne hors pair, cette Lucia di Lammermoor faisant valoir de par le monde les mérites d’une école française à l’époque dépréciée. Au début des années 1980, week-end lyrique au Creusot (Saône-et-Loire). Salle bondée, audience grand public pour la divette hebdomadaire de Dimanche Martin sur Antenne 2. Mais pas de robe à frous-frous ni d’airs d’opérette ce soir-là. Chevelure rousse coiffée à la lionne, c’est une Mady en simple fourreau grège qui se lance avec sa non moins royale pianiste Janine Reiss dans un récital Liszt, mélodies françaises et allemandes, somptueux « Sonnets de Pétrarque ». Succès final, nombreux rappels : « La même qu’à la télé ? », demande une dame. C’était cela, Mady Mesplé, populaire et aristocrate, étoile de la tradition des Françaises aux aigus fous (Lily Pons, Mado Robin, Natalie Dessay…), sans jamais jouer les divas. 
François Lafon

(Photo © DR)
vendredi 15 mai 2020 à 10h28
Disparition du baryton Gabriel Bacquier, à la veille de ses quatre-vingt-seize ans. Don Giovanni, Scarpia, Falstaff, Golaud, grand seigneur et homme du peuple, feu et glace, autorité et vis comica. Plutôt qu’une nécrologie de plus, dix souvenirs en hommage à un artiste hors-normes. 
 
1960 - Le Don Giovanni « du » graphiste Cassandre au Festival d’Aix-en-Provence, en direct et en Eurovision. Bacquier promu vedette en une soirée. Six ans plus tard, Pelléas et Mélisande, toujours en direct d’Aix (en prime time, autres temps…)
1960 - Le jeune Bacquier enregistre Scarpia, avec Jane Rhodes en Tosca. Seul témoignage de studio du grand Scarpia de l’après-guerre (avec Tito Gobbi) … mais en français. 
1975 - Palais Garnier, La Force du destin de Verdi. Bacquier en Fra Melitone, moine ivrogne et irascible. Le public rit tellement qu’on n’entend plus l’orchestre. 
1976 - Palais Garnier, Otello de Verdi avec Placido Domingo et Margaret Price. Cabale contre Bacquier (pas assez verdien ?) en Iago. Tel Robert Hirsch sifflé dans Ionesco à la Comédie-Française, il esquisse un bras d’honneur à la salle.
1977 - Palais Garnier, Don Giovanni. Une orange échappée du souper final roule sur le plateau enténébré. Bacquier (maintenant Leporello) la ramasse et jongle avec elle, dernier salut au Don foudroyé. 
1978 - Aix-en-Provence, Don Pasquale de Donizetti. Partenaire : un (faux) singe, ajout du metteur en scène Jean-Louis Thamin.  
1980 - Metropolitan Opera de New York, Bacquier magistral en Beckmesser des Maîtres Chanteurs de Wagner. Fake news : il était le premier à regretter de ne pas avoir touché au répertoire germanique. 
1984 - Palais Garnier : adieux au rôle de Scarpia. Bacquier assassiné par Hildegard Behrens devant une salle … distraite : le siège de Luciano Pavarotti vient de céder sous son poids. 
1996 - Lille, le vieux roi Arkel dans Pelléas et Mélisande sous la direction de Jean-Claude Casadesus (enregistré par Naxos). Passage de relais avec la jeune génération française (dont Mireille Delunsch)
2008 – Dernier acte : un album de chansons de Pierre Louki. Rien moins que du cross over. 
François Lafon

Photo : Gabriel Bacquier au Festival de Nohant en 1986

Temps retrouvé pour le premier des quatre Lundis musicaux 2020 de l’Athénée : Dame Felicity Lott, déjà dans le peloton de tête (trois récitals) des Lundis de l’ère Pierre Bergé (1977-1989). Inchangée, la soprano britannique préférée du public français, elle-même francophone (elle a failli devenir professeur de français) et aussi célèbre pour ses Offenbach (ah, sa Belle Hélène en nuisette au Châtelet !) que pour ses Strauss (ah, sa dernière Maréchale du Chevalier à la rose à l’Opéra Bastille !), pour ses Mozart et ses Lehar (Veuve joyeuse en VO et VF), découverte de ce côté du Channel dans Stravinsky (The Rake’s Progress) en même temps que Poulenc (Dialogues des Carmélites). C’est ce parcours brillant autant que déroutant qu’elle évoque ce soir, très Maréchale dans sa grande robe rouge mais maniant l’autodérision avec maestria dans des commentaires heureusement enregistrés (micros visibles) : « Je suis trop longue, je n’aurai plus de voix pour chanter ». « Non ! » répond la salle bondée de fans. Ce n’est pas lui faire injure de remarquer qu’elle n’a plus sa voix d’autrefois, mais – signe des grandes – elle ne triche pas, risque des notes désormais périlleuses et charme toujours par son talent à trouver la couleur vocale adéquate et à donner leur juste poids aux mots, confrontant Fancie (Britten) et Fancy (Poulenc) sur les même texte de Shakespeare, enchaînant sur un Parlez-moi d’amour que bien des chanteuses françaises pourraient lui envier, retrouvant son assise vocale dans "Beim Schlafengehen" (Strauss, Quatre Derniers Lieder) et l’exact équilibre joué/chanté dans la « Griserie » de La Périchole (Offenbach), terminant le programme avec Yes ! de Maurice Yvain et Albert Willemetz, donné à l’Athénée en décembre dernier. Son pianiste Sebastian Wybrew (un élève de Graham Johnson) lui emboite le pas avec un très britannique œil qui frise.
François Lafon 

Théâtre de l’Athénée, Paris, 24 février (Photo © DR)

dimanche 11 février 2018 à 18h19
Finale, à l’Opéra Comique, du concours Voix Nouvelles (voir ici). Douze concurrents – sept filles, cinq garçons -, présentés par Natalie Dessay (première lauréate du concours en 1988 et marraine de l’événement) et accompagnés par Laurent Petitgirard avec l’Orchestre Colonne. Niveau général élevé, premier prix et prix de la Meilleure interprète du répertoire français décernés par un jury de décideurs (beaucoup de directeurs de théâtres) à la prometteuse soprano Hélène Carpentier, trois prix – dont celui du public – à la soprano Angélique Boudeville, membre de l’Académie de l’Opéra de Paris (voir ), voix somptueuse et présence chaleureuse (mais attention à la diction !). XIXème siècle à l’honneur dans le choix des airs (deux pour chacun, dont un obligatoirement en français) : Gounod et Massenet en tête, un seul Mozart (Papageno par le baryton Kamil Ben Hsaïn Lachiri), un Ravel (L’Heure espagnole par la mezzo Eléonore Pancrazi). Absence donc de toute musique postérieure à la Grande Guerre et antérieure à la Révolution. Il faut, certes, plaire (et pas seulement au jury) et faire ses preuves dans le « grand répertoire ». Quid, tout de même, du répertoire dit baroque, largement représenté sur les scènes et auquel l’école de chant française - dont on ne donnait pas cher il y a encore vingt-cinq ans - doit une partie de sa résurrection ? Parmi les six-cent-sept candidats initiaux, un seul contre-ténor. L’union nationale, dans ce domaine aussi, relève-t-elle du vœu pieux ? 
François Lafon 

Opéra Comique, Paris, 10 février (Photo : Hélène Carpentier©DR)

vendredi 26 janvier 2018 à 23h38
Au Palais Garnier, concert avec orchestre de la promotion 2017-2018 de l’Académie de l’Opéra section voix (ex-Atelier Lyrique). Salle bondée, public bon-enfant multipliant les selfies, venu en amateur plutôt qu’en juge. Pour les onze dive et divi en herbe, tout de même un impressionnant grand oral sous le plafond de Chagall. Programme classique mais plaçant haut la barre : Mozart, Rossini, Massenet, Berlioz, Strauss (Richard), avec l’impeccable Orchestre de l’Opéra sous la baguette vive de Jean-François Verdier, sorti de ses rangs (clarinette solo), actuellement directeur de l’Orchestre Victor Hugo Franche-Comté. Au jeu des pronostics, on ne s’inquiète pas pour l’avenir lyrique de l’Irlandaise Sarah Shine, voix légère et sourire enjôleur, à son affaire en Sophie (de Werther) comme en Sophie (du Chevalier à la rose), ni pour celui du trio ukraino-polonais (dans Cosi fan tutte) Mateusz Hoedt – Maciaj Kwasnilowski – Danylo Matviienko, ce dernier exemplaire aussi en Chorèbe des Troyens. Belles personnalités dans ce groupe où du reste personne n’est fade : Sonja Petrovic, voix et œil de tragédienne (mais diction française à perfectionner), Jean-François Marras, ténor français comme les scènes en ont besoin, Angélique Boudeville, soprano dijonnaise au timbre somptueux et au naturel dramatique (trop ?) affirmé.  Tous à l’aise en scène malgré un trac évident (ou grâce à lui), comme ils l’ont récemment montré dans la très théâtrale Ronde de Philippe Boesmans à l’Amphithéâtre Bastille (voir ici).
François Lafon
 
Opéra National de Paris – Palais Garnier, 26 janvier (Photo : Sarah Shine © DR)
 
dimanche 11 décembre 2016 à 00h09
Dans la cale de la POP, Marc Mauillon marche sur les traces de Bruce Chatwin dans Songline (Le Chant des pistes), itinéraire monodique. Mais là où l’écrivain voyageur suivait les chemins des aborigènes australiens, le baryton français convoque Jehan de Lescurel (fin du XIIIème siècle) et Philippe Leroux (né en 1959), Blanche de Castille (mère de saint Louis) et la performeuse américaine Meredith Monk, Georges Aperghis et Guillaume de Machaut pour expérimenter en solo - secondé en coulisse par le chorégraphe Yannick Hugron et la designer Stéphanie Langard - le credo aborigène : « tout ce qui existe a dû être chanté pour être créé ». « Voilà maintenant plus de vingt-cinq ans que le chant remplit ce même rôle dans ma vie », explique-t-il. Une grande heure (dix minutes de trop peut-être) de virtuosité a capella, où le chanteur passe sans solution de continuité d’un univers à l’autre, dans « une quête d’essentiel, une ascèse qui met en valeur les infinies possibilités de l’instrument humain ». Eclairage minimal, émanant des baguettes de bois dont il construit des structures fragiles, gestuelle à la fois naturelle et sans cesse au bord du déséquilibre, comme si ses mille inflexions vocales traversaient son corps tout entier. Et tout cela sans affectation, avec un humour même qui affleure là où on ne l’attendrait pas. Public extraordinairement attentif, proche à le toucher, installé de part et d’autre de l’ère de jeu centrale : ce n’est pas tous les jours qu’un artiste de cette trempe laisse entrer les profanes dans son atelier secret. 
François Lafon

La POP, face au 40 quai de la Loire, 75019 Paris, 8, 10, 11 décembre. Rouen, Chapelle Corneille, 15 décembre. CD Songline chez Son an Ero/Petit Festival. Photo © DR

mercredi 31 août 2016 à 08h47

La Saxe à l’époque de Bach n’est pas un royaume. Elle ne le deviendra qu’en 1806, par la grâce de Napoléon. Son souverain est de 1697 à 1733 l’électeur Friedrich August Ier, en même temps roi de Pologne sous le nom d’Auguste II le Fort. Il a, pour obtenir cette dignité royale, abjuré le luthéranisme pour le catholicisme, mais - exception notable - sans obliger ses sujets saxons à en faire autant. La Saxe luthérienne a donc une cour catholique. Dans sa capitale, Dresde, fleurit l’opéra italien, alors qu’à Leipzig, où Bach est cantor, la musique est luthérienne. Lorsque meurt en 1727 Christiane Eberhardine, duchesse de Saxe et reine de Pologne, qui contrairement à son mari est restée luthérienne, Bach compose une Trauerode (Ode funèbre), exécutée à Leipzig par les étudiants lors d’un service commémoratif. Françoise Lasserre et l’Ensemble Akadêmia l’ont programmée à La Chaise Dieu, suivie par le Magnificat, en ce lieu œuvre « de résistance », si l’on peut dire. Avec Jan Dismas Zelenka, natif de Bohême et musicien de cour à Dresde, on ne quitte pas les sommets. Il étudia à Vienne, et ses quelque vingt messes réussissent une synthèse rare de ferveur, d’éclat et de dynamisme, comme plus tard celles de Haydn. Vaclav Luks et le Collegium & Collegium Vocale 1704 avaient mis Zelenka à l‘honneur au festival 2013. Ils ont récidivé cette année avec la Missa Divi Xaverii, composée en 1729 à la gloire de saint François Xavier, patron de Maria Josepha, épouse du futur Friedrich August II (et August III de Pologne), alors enceinte : ouvrage splendide, pour quatre solistes vocaux (souvent traités de façon très « moderne »), chœur et un important effectif instrumental, trompettes et timbales intervenant aux endroits les plus inattendus. Grand succès, comme en début de concert pour un concerto de Heinichen et la messe brève en sol mineur de Bach.

Marc Vignal

Abbatiale Saint-Robert, La Chaise Dieu, 25 et 26 août Photo © DR

L’ère des Médicis à Florence s’étend sur exactement trois siècles, de 1434 à 1737, avec pour le chef de famille le titre de duc à partir de 1532 et un peu plus tard celui de grand-duc de Toscane. Chez les Médicis comme dans les autres cours de la Renaissance, les mariages étaient l’occasion de fêtes somptueuses, de spectacles monumentaux alliant avec faste le théâtre, la musique et la danse. Tel fut le cas en 1589 lors du mariage de Ferdinand Ier de Médicis, grand-duc de Toscane, avec Christine de Lorraine, sa cousine lointaine, petite-fille de Catherine de Médicis, reine de France. La Pellegrina, pièce en cinq actes du poète et juriste Girolamo Bargagli, fut augmentée de six intermèdes - dont un représentant l’Harmonie des sphères sous la voûte céleste et un autre les Enfers - avec comme thème unificateur le pouvoir de la musique antique. C’est ce spectacle qu’à La Chaise Dieu ont « reconstitué » Raphaël Pichon, son Ensemble Pygmalion et d’excellents solistes vocaux, ces derniers donnant corps à des figures mythiques telles qu’Apollon, Orphée, Vénus ou Daphné, sans oublier des Bergers. Il s’agissait de célébrer et de chanter les amours d’Apollon et de Daphné, ou les larmes d’Orphée après la perte d’Euridice et avant sa propre apothéose. Les compositeurs ayant nom Giulio Caccini, Alessandro Striggio, Emilio de Cavalieri ou encore Jacopo Peri, pour ne citer que les plus connus, on se trouvait à La Chaise Dieu transporté soudain dans une représentation d’opéra, avec le degré d’émotion et de puissance dramatique que cela implique. Il n’était pas encore question d’opéra à Florence en 1589, mais peu importe, les réflexions sur les rapports littérature-musique allaient bon train, et cette forme d’art pointait à l’horizon. Il fallait séduire, mais aussi impressionner : pari tenu par Raphaël Pichon et ses musiciens pour ce grand concert « A la cour des Médicis », avec pour conclure un Ballet des Amants festif en diable, clos par le « chœur » de Cavalieri « O che nuovo miracolo », aux paroles appropriées.

Marc Vignal

Abbatiale Saint-Robert, La Chaise Dieu, 25 août Photo © DR

dimanche 28 août 2016 à 19h43

Qui dit « Chanson parisienne de la Renaissance » dit en priorité Clément Janequin et Claudin de Sermizy. Du premier, on ignore tout de la jeunesse et de la formation. Ecclésiastique, il fut rarement inspiré par le culte divin, du moins si l’on en juge par ce qui nous est parvenu, et mourut en 1558 sans avoir connu l’aisance matérielle. Sur les premières années du second, on n’est guère mieux renseigné, mais il occupa d’importants postes officiels, en particulier (jusqu’à sa mort en 1562) à la chapelle royale, et écrivit autant de musique sacrée que profane. Le festival de La Chaise Dieu - l’année 2016 est celle de son cinquantième anniversaire - les a programmés l’un et l’autre, en un beau concert intitulé « Florilège Renaissance » : extraits de deux messes parodiques (réutilisant le matériau de chansons antérieures) de Janequin, dont celle intitulée La Bataille, et motets de Pâques et de Noël de Sermisy. Avec comme interprète l’Ensemble Clément Janequin « de » Dominique Visse, fait de quatre solistes vocaux - de la voix de haute-contre à celle de basse - et d’un orgue. Effectifs réduits, mais ferveur intense, plénitude sonore également, en harmonie avec le lieu, une église de dimensions modestes entourée d’un cloître magnifique. Entrée en matière idéale pour un festivalier.
(A suivre).

Marc Vignal

Abbaye Saint André, Lavaudieu, 24 août Photo © DR 

mercredi 27 janvier 2016 à 11h17

Réédition chez Warner du Voyage d’hiver de Schubert par Jon Vickers. Un cas d’école : tel l’éléphant dans un magasin de porcelaine, le Tristan (et l’Otello, le Don José, le Peter Grimes, le Florestan, etc.) de son époque fait tout ce qu’il ne faut pas faire. Il joue au lieu de suggérer, incarne au lieu de d’évoquer, lâche, au lieu de la retenir, une voix plus râpeuse que jamais (l’artiste était en fin de carrière). Applaudissements gênés mêlés de bravos frénétiques au Théâtre des Champs-Elysées (16 février 1983), où l’on est venu parce que Vickers en scène – quoi qu’il chante – ça ne se rate pas. Foudres de la critique quand paraît l’enregistrement chez EMI, où le directeur Alain Lanceron décide d’immortaliser en studio l’objet du scandale et parle « d’un parcours à mille lieu des standards du Liederabend, mais qui fit date ». Trente ans plus tard, instructive vérification : Vickers fait bien tout ce qu’il ne faut pas faire et a raison de le faire. Mystère de l’artistiquement correct… L’album est titré In memoriam Jon Vickers 1926-2015, complété pour les anglophones (pas de traduction dans le livret) par une intéressante conversation avec l’artiste enregistrée à Londres en 1998.

François Lafon
 

2 CD Warner Classics 0825646031573

mardi 12 janvier 2016 à 14h20

Caméléon de la pop autoproclamé, David Bowie, 69 ans, aura été l'un des musiciens qui ont le plus épousé leur époque. Tout d’abord mime sous la houlette de Lindsay Kemp, puis chanteur de variété à partir du milieu des années soixante (Images) avant de virer rock, il a autant suivi les modes qu'il les a accompagnés, puis rattrapés, pour finalement les squeezer et les précéder - d'où ces personnages ambigus catalyseurs d’univers fantastiques, du psychédélique Major Tom (Space Odity) au tueur horrifique Nathan Adler (Outside), en passant par Ziggy Stardust, Aladdin Sane, le monstre orwellien de Diamond Dogs ou encore le Thin White Duke de Station to Station, qu'il a su orchestrer différemment à chaque fois en musique et en espace. Comédien (plutôt bon), il a autant joué du mystère à l’écran et sur les planches, endossant des rôles d’extra-terrestre (The Man Who Fell To Earth), de gigolo (Just a Gigolo), de phénomène de foire (Elephant Man), de vagabond (Baal), de vampire (Les Prédateurs), d’officier britannique (Furyo), de revenant (Twin Peaks), de tyran (Ponce Pilate dans La dernière tentation du Christ !) ou bien d’icône de l’art – Warhol dans Basquiat... Philip Glass a rendu hommage à son talent novateur en arrangeant pour orchestre deux de ses meilleurs albums (Low, Heroes). Et quand il en eu assez de vouloir être au goût du jour, pour plaire aux plus jeunes, donc, il a su explorer des styles où peu d’artistes rock s’essayent, mêlant expérimentations, hasard et minimalisme en s’associant à Brian Eno, le créateur de Discreet Music et autre Music for Airports,ainsi qu’aux six jazzmen avec lesquels fut concocté Blackstar, son dernier opus, sorti deux jours avant sa disparition. « Merci pour nos bons moments, Brian. Ils ne disparaîtront jamais » avait-il écrit par mail à Eno, la semaine dernière. Merci à toi, David.

Franck Mallet

Photo : Furyo de Nagisha Oshima © DR

Au Théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis, Trissotin ou les Femmes savantes, titre rectifié par Molière lui-même lors de la reprise de sa pièce. Une transposition seventies signée Macha Makeïeff d’une pièce souvent qualifiée de misogyne, où l’on voit mieux que d’habitude que les hommes ne sont pas plus épargnées que les dames, lesquelles ont pour principal défaut de ne savoir pas raison garder devant une émancipation longtemps réprimée. Hiatus réussi entre la liberté de la relecture - avec un inquiétant Trissotin façon Conchita Wurst - et le traitement philologique du texte : pas un vers faux, diérèses marquées et enjambements bannis. Inserts musicaux pourtant - Dowland, Grétry, Purcell et tubes 1970 - dans cette pièce sans musique créée un an avant Le Malade imaginaire, derniers feux de la comédie-ballet. Surprise d’entendre Clitandre (Ivan Ludlow) et Bélise (Thomas Morris) en duo lyrique, le premier baryton et/ou contre-ténor, britannique de naissance et ex-Wotan de la mini-Tétralogie montée par Antoine Gindt (2011), la seconde ténor bouffe (toujours pas d’hérésie : Bélise a été repris par l’acteur Hubert, lequel avait créé … Philaminte). Deux chanteurs d’opéra en challengers d’une troupe de comédiens aguerris : pas une première, mais bien un signe des temps.

François Lafon

Théâtre Gérard Philipe, Saint-Denis, jusqu’au 29 novembre. Tournée en France jusqu’en mars 2016 Photo © DR

samedi 29 août 2015 à 18h05

Bonne nouvelle pour Jonas Kaufmann : son album « The Age of Puccini » chez Decca est en tête des charts en Allemagne. C’est pourtant ce même CD que le ténor lui-même pointait du doigt il y a tout juste un mois dans un communiqué cinglant : « Cette compilation ne comporte que trois airs de Puccini datant de 2007 et 2008, les dix-huit autres venant pour la plupart de mon vieil album de 2010 Verismo Arias ». Une concurrence déloyale vis-à-vis de son nouveau récital all Puccini « Nessun dorma », annoncé pour la mi-septembre par son nouvel éditeur Sony. Le procédé n’est pas nouveau : quand Roberto Alagna puis Rolando Villazon – pour s’en tenir aux ténors – sont passés chez Universal, leur ancien éditeur EMI n’a pas hésité à recycler le back catalogue les concernant, avec des titres non moins ambigus. Or voilà que le Puccini-Sony de Kaufmann se retrouve, en termes de précommandes, derrière le Puccini-Decca. Ses fans sont-ils censés préférer le jeune Kaufmann, (à peine) moins raffiné mais au timbre moins barytonnant ? Quelques esthètes, peut-être…

François Lafon

En DVD chez Fra Musica, La Vie de Bohème, version française de l’opéra de Puccini, hommage à Léna et Michel Rainer. En photo, dans le style Studio Harcourt, une jeune femme souriante dont le visage dira quelque chose aux habitués de longue date des opéras et concerts. La Vie de Bohème en question est une « dramatique » - on pourrait dire une « opératique » - réalisée par Henri Spade pour la RTF en 1960 : image école des Buttes-Chaumont, playback imprécis, atmosphère "Enfants du paradis". Léna Pastor, la jeune femme de la couverture, chante Mimi, entourée des têtes d‘affiche de l’Opéra-Comique d’alors : Alain Vanzo, Xavier Depraz, Willy Clément, Jean-Pierre Laffage. Explications dans le livret : Léna Pastor a interrompu sa carrière pour s’occuper avec son époux Michel Rainer de l’agence artistique (Rudolf Serkin, Isaac Stern, Itzhak Perlman…) que celui-ci avait créée après la guerre. Selon leurs volontés (ils ont disparu à quelques mois de distance, en 1988-1999), leur ex-assistant Jean-Pierre Brossmann, devenu directeur du Châtelet, a créé un prix destiné à récompenser de jeunes chanteurs. C’est avec le reliquat de ce legs que ce DVD a été réalisé. Double propos donc : rendre hommage à deux figures du métier, et – plus « grand public », si l’on peut dire – rappeler les vertus d’une école de chant et d’interprétation balayée dans les années 1970 par la mondialisation du monde lyrique. Pas besoin de sous-titres pour cette Bohème en VF dont on ne perd pas un mot, ni de mode d’emploi dramaturgique : de l’opéra populaire, au premier degré, où l’on allait comme les Enfants du paradis allaient voir Frédérick Lemaître. Impossible à refaire, mais d’autant plus riche d’enseignement.

François Lafon

1 DVD Fra Musica - INA

mercredi 15 octobre 2014 à 09h20

« Première, oui, seconde, jamais ! » C’est ainsi qu’Anita Cerquetti refuse en 1956 de signer comme remplaçante de Maria Callas. En 1953, à vingt-deux ans, elle a chanté en alternance avec elle le rôle d’Aïda à Vérone, mais trois ans plus tard la Cerquetti a compris qu’elle a droit à la pleine lumière : Luchino Visconti l’a choisie pour interpréter la grande scène du troisième acte du Trouvère, dans Senso, elle a triomphé dans l’Abigaille de Nabucco dirigé par Tullio Serafin, dans Norma avec Franco Corelli, dans Amélia du Bal masqué… Ironie du sort : c’est en remplaçant la Callas au pied levé dans Norma à Rome qu’elle atteint, en janvier 1958, une renommée internationale, au niveau de Maria Callas et de Renata Tebaldi. Mais au-delà de la gloire, apparaît la lassitude. « Pendant ces dix années, je n’ai fait que des débuts. Un soir, je chantais un opéra. Le lendemain, je répétais celui de la semaine suivante. » Anita Cerquetti donne sa dernière représentation publique en octobre 1960. La mort de son père, puis celle de son mentor, Mario Rossini, en 1959, l’ont amenée à se mettre en retrait. Dans ce monde de l’opéra, elle ne supportait plus l’indifférence, encore moins les rivalités : il lui manquait l’humain, cet humain qu’elle donnait à tous ses rôles. « Je n’avais rien, que la musique. A un certain point, se ressent le besoin de quelque chose d’autre. J’ai pris une décision, j’ai dit : ça suffit ! » D’Anita Cerquetti, disparue le 13 octobre, il ne reste que quelques disques, quelques entretiens et le superbe hommage que le cinéaste Werner Schroeter lui a rendu dans Poussières d’amour.

Albéric Lagier

samedi 26 juillet 2014 à 13h30

Le 27 avril 1978, attroupement à la salle Pleyel : « Peter Lindroos, souffrant, est remplacé dans Un Bal masqué par Carlo Bergonzi ». Soirée historique, triomphe pour le ténor que Rolf Liebermann, alors directeur de l’Opéra, refusait d’engager, le trouvant mauvais acteur. Retour trois ans plus tard au Théâtre des Champs-Elysées pour un non moins triomphal Andrea Chénier de Giordano, toujours en version de concert. « Le » ténor verdien de l’après-guerre, a-t-on dit de lui : timbre cuivré, style impeccable. Son secret, d’après ceux qui n’aiment pas les ténors italiens : il avait commencé comme baryton, et en avait conservé le naturel. A Busetto, où le jeune Verdi avait appris la musique, Carlo Bergonzi formait les jeunes générations au sein de l’Accademia verdiana et tenait une auberge nommée I Due Foscari (sixième opéra du Maître - 1844). Il vient de mourir à Milan, à quatre-vingt-dix ans et treize jours. Ecoutez ses nombreux enregistrements, à commencer par l’intégrale des trente-et-un airs de ténor du répertoire verdien (1972-74 – Philips) : peu de ratés, la référence à peu près partout. Même remarque pour ses Puccini, pour son Paillasse avec Karajan : Carlo Bergonzi ne chantait que l’opéra italien, mais dans ce domaine, il a donné le la à (presque) tous les autres.

François Lafon
Photo © DR

lundi 7 juillet 2014 à 19h56

Réédition en coffret « Das Alte Werk » des trois opéras de Monteverdi par Nikolaus Harnoncourt, enregistrés en studio de 1968 à 1974. Trois monuments fondateurs, cellules-mères de toutes les interprétations modernes (c'est-à-dire baroques) de ces chefs-d’œuvre auparavant amputés et déformés. En bonus, une rareté : Cathy Berberian chante Monteverdi (1975), reprenant des extraits de L’Orfeo et du Couronnement de Poppée, complétés par le Lamento d’Ariana, la Lettera amorosa et le Concerto pour voix et instruments "Con che soavita". Cheveux platine (elle les aura bleus, ou verts), croulant sous les bijoux, « la » Berberian retrouve ainsi son statut de diva redécouvreuse, mascotte et fer de lance de l’entreprise harnoncourienne, aussi incontestable en Messagère de malheur (L’Orfeo) ou en impératrice déchue (Le Couronnement) qu’elle l’était dans la Sequenza III composée pour elle par son époux Luciano Berio, les tubes des Beatles savamment baroquisés ou les onomatopées cartoonesques de Stripsody, grand moment de nonsense musical inspiré par les comics strips américains, avec lequel elle terminait ses récitals en apothéose. Elle allait même, comme elle n’avait pas la voix puissante, jusqu’à refuser de chanter sans micro, ce qui à l’époque (elle a disparu en 1983, à 57 ans) la discréditait aux yeux des « vrais » amateurs. C’est dire le vide qu’elle a laissé sur les austères (chacune à sa manière) planètes baroque et contemporaine.

François Lafon

The Legendary Monteverdi Cycle 1968-74. 9 CD Warner Classics « Das Alte Werk »

A la salle Gaveau, « Cantabile, récital lyrique Mozart », par l’Orchestre des Pays de Savoie sous la baguette de son chef permanent Nicolas Chalvin. Sous ce titre à la fois bateau et énigmatique, un programme « comme à l’époque » : entre chacun des quatre mouvements de la 33ème Symphonie, Cédric Tiberghien vient jouer le 17ème Concerto pour piano, et Sophie Karthäuser chanter des airs de concert, les deux solistes se retrouvant à la fin pour l’air Ch’io mi scordi di te, avec piano obligé. Mélange du plus grand Mozart et de l’un peu moins grand, ballet inhabituel d’interprètes. L’Orchestre est enthousiaste mais perfectible, Tiberghien ne sucre pas le sucre dans le déjà expressif Concerto, mais entre en totale empathie avec la chanteuse, timbre doré, technique de haute école, émotion maîtrisée. Un concert pas du tout comme les autres, en fin de compte.

François Lafon

Salle Gaveau, Paris, 22 mai Photo © DR
 

mercredi 30 avril 2014 à 10h32

Disparition de Micheline Dax, quatre-vingt dix ans, reine du théâtre de boulevard et voix de Miss Piggy dans le Muppet Show. Son apparition, appuyée sur une console géante dans le spectacle Les Branquignols (1972 - Théâtre La Bruyère, rôle de Mme de Mortemouille) est de ces chocs qui vous marquent longtemps. Siffleuse aussi (Les plus grands airs sifflés – 1995, Parlophone), mais surtout chanteuse, et pas seulement de variétés. « Quelle tessiture ? » « Soprano léger » répondait-elle d’une voix de baryton-basse. Pour preuve, cette Veuve joyeuse de Lehar (La Voix de son maître – 1967, avec Michel Dens et Suzanne Lafaye) où elle chante Missia Palmieri en français avec l’accent anglais (une tradition oubliée). Ou bien La Vie parisienne d’Offenbach à la télévision (31 décembre 1967, DVD Editions Montparnasse) avec la Compagnie Renaud-Barrault, où elle succède à Suzy Delair dans le rôle "à voix" de Métella. Rien à voir donc avec Françoise Rosay – autre voix de mêlécasse autrefois lyrique – qui avait chanté Salammbô de Reyer et Thaïs de Massenet au Palais Garnier avant d’occuper durablement, au cinéma, les emplois de maîtresse femme. Encore que… En 1972, dans le dessin animé Tintin et le lac aux requins, elle prêtait sa voix à Bianca Castafiore.

François Lafon

Vidéo : Micheline Dax dans Vos gueules les mouettes de Robert Dhéry

lundi 9 décembre 2013 à 10h05

Disparition, à soixante-dix-neuf ans, du baryton finlandais Tom Krause. Un pensionnaire à plein temps de l’Opéra de Paris dirigé par Rolf Liebermann (1973-1980) : quand Gabriel Bacquier était pris ailleurs, il était le Comte dans Les Noces de Figaro ; quand José Van Dam n’était pas là, il chantait Figaro. Besoin d’un Amfortas (Parsifal) ? Tom Krause. D’un quadruple méchant des Contes d’Hoffmann dans la mise en scène de Patrice Chéreau ? Tom Krause encore. D’un Dandini dans La Cenerentola de Rossini ? Tom Krause toujours. Tard dans sa carrière, il a été appelé par Hugues Gall et Gerard Mortier, assistants de Liebermann devenus eux-mêmes patrons : Frère Bernard dans Saint François d’Assise d’Olivier Messiaen (1992) Titurel dans Parsifal (2001). Un « troupier », à l’ancienne, et pour cela un peu sous-estimé : un pis-aller presque. Mais aussi un pionnier, protéiforme, multi-styles, polyglotte, bon comédien. Sa carrière internationale et sa discographie en attestent : Strauss et Mozart avec Georg Solti, Les Noces de Figaro avec Karajan (Le Comte cette fois), Brahms avec Bernard Haitink. Thésaurisé par les collectionneurs : un récital Sibelius de premier ordre (Decca, réédité par Eloquence), comme pour rappeler que Tom Krause n’était en aucun cas un artiste de deuxième ordre.

François Lafon

samedi 9 novembre 2013 à 09h32

Voici un coffret pour nostalgiques : au moment même où Plácido Domingo, dans sa nouvelle tessiture de baryton, sort un nouveau disque d’airs de Verdi, Sony réédite ces six opéras du compositeur (Luisa Miller, La Force du Destin, Aida, Otello, Le Trouvère, les Vêpres siciliennes), parus à l’origine chez CBS. C’était la grande époque de Domingo ténor verdien, et même de Domingo « le » ténor verdien tout court tant il était demandé dans cet emploi. Mais ce coffret ne réveille pas seulement l’admiration qu’on peut avoir pour le grand chanteur. Produits de la fin des années 1960 au début des années 1990, ces six opéras restituent un certain âge d’or de l’opéra enregistré. Il suffit d’entendre les premières mesures de cet Otello sous la baguette électrisante de James Levine pour comprendre tout ce qu’un enregistrement sur le vif (pour ne pas parler d’un DVD) ne peut plus nous offrir : une prise de son calibrée, une finition soignée qui invite aux écoutes répétées, une distribution (Renata Scotto en Desdemona et Sherril Milnes en Iago, excusez du peu) qui, dans le studio, donne le meilleur pour accompagner Domingo dans son rôle fétiche. Bref, du disque d’opéra comme un objet produit de A à Z par des maisons de disques qui pouvaient encore se permettre d’enfermer pendant des semaines entières chanteurs et orchestre pour un résultat aussi beau que possible. A l’époque des live recordings vite faits et autres captations diffusées sur Internet ou dans les cinémas, comment ne pas se sentir nostalgique ?

Pablo Galonce

Domingo, The Verdi Opera Collection. 15 CD Sony Classical

lundi 30 septembre 2013 à 11h14

Premier volume, chez EuroArts/Idéale Audience, d’une collection consacrée aux portraits et documentaires réalisés par Bruno Monsaingeon : Dietrich Fischer-Dieskau. Un coffret de six DVD ou Blu-ray dont le cinquième, Paroles ultimes, est un curieux objet cinématographique, dont le projet a effrayé (presque) tout le monde, y compris les grandes chaînes culturelles. Paroles donc, et ultimes, puisque cette autobiographie en un prologue et quinze scènes résultant de six heures d’interviews réalisées en 2008/2009 à Berg (Haute-Bavière) a été interrompue par la maladie et la mort du protagoniste. Pendant une heure et demie, face caméra, le chanteur se raconte, seul ou presque, les questions étant autant que possible coupées : enfance, guerre, débuts, scène, direction d'orchestre, disque, Lied, opéra, carrière, enseignement, Furtwängler, Kubelik, Karajan (très peu), Böhm, Julia Varady (qu’il épouse en 1977). Propos éclairants, pas toujours tendres (Furtwängler en prend pour son grade), conscience évidente d’être un cas unique, mais aucune autocongratulation. Seule incompréhension, partagée par de nombreux chanteurs : la mise en scène d’opéra contemporaine. Montage et idées alla Monsaingeon : voir DFD s’écouter lui-même chantant Schumann – paroles murmurées, œil heureux ou sourcils froncés - est en soi une leçon de chant. Cela pourrait être réservé aux fans et aux professionnels, c’est un document comme on aimerait en avoir sur nombre d’artistes et écrivains. A essayer sur ceux - jeunes et moins jeunes - pour qui Fischer-Dieskau n’est – au mieux - qu’un nom omniprésent sur ces objets d’un autre temps : les disques.

François Lafon

Coffret de 6 DVD ou Blu-ray, livre de 204 pages. EuroArts/Idéale Audience

dimanche 14 juillet 2013 à 18h53

Manne pour la presse anglo-saxonne, traditionnellement plus « gossip » (ragots, commérages) que la nôtre : le divorce Roberto Alagna - Angela Gheorghiu. Dans The Independent (centre droit, public middle class), celle-ci accuse son ex-époux de violence conjugale. Réplique du Guardian (centre-gauche, public un peu plus upper class) : un article intitulé « Les assertions sérieuses d’Angela Gheorghiu ne devraient pas être prises au sérieux. » Communiqué du ténor sur Facebook : « Les accusations publiées dans un article récent paru dans The Independent et qui ont été largement reprises par ailleurs, sont sans fondement et diffamatoires. Désormais cette affaire est entre les mains des avocats. » Intéressant quand même de comparer les fact files (fiches d’information) accompagnant l’article de l’Independent :
Angela Gheorghiu, 47 ans, née à Adjud, Roumanie – Soprano - Etudes : Université Nationale de Musique de Bucarest - Débuts professionnels : Cluj-Napoca, Opéra National de Roumanie, 1990 - Débuts internationaux : Londres, Royal Opera House, 1992 - Récompenses : Artiste féminine de l’année, Classic Brit Awards, 2001, 2010 ; Officier de l’Ordre des Arts et Lettres ; Star of Romania.
Roberto Alagna, 50 ans, né en Seine-Saint-Denis, France – Ténor - Etudes : largement autodidacte, débuts dans des cabarets. - Débuts professionnels : Glyndebourne Opera Touring Company, 1988, après avoir remporté le Concours Luciano Pavarotti. - Récompenses : Laurence Olivier Award for Outstanding Achievement in Opera, 1995; Chevalier de la Légion d’Honneur, 2008.
L’artiste officielle et le self made man. Le(la)quel(le) croire, lorsqu’on est abonné à un journal centre droit middle class ?

François Lafon
 

Photos Roberto Alagna © JM Lubrano - Angela Gheorghiu © Cosmin Gogu

jeudi 24 janvier 2013 à 23h32

Dans le sillage de L’Enfant et les sortilèges au Palais Garnier, l’Atelier lyrique de l’Opéra explore « le monde de Ravel » à l’Amphithéâtre Bastille. Mélodies isolées, petits et grands cycles par huit voix et trois pianistes, avec, pour les Chansons madécasses, deux super-solistes de l’Orchestre, le flûtiste Frédéric Chatoux et le violoncelliste Aurélien Sabouret. Comme il n’y a pas de petit Ravel, les chanteurs sont sans cesse sur la corde raide. Voix ou diction ? Les deux, et ce n’est pas toujours évident. Pas possible non plus de se laisser aller à la musique ni de faire confiance au texte. Que le poème soit de Paul Morand, Mallarmé ou Tristan Klingsor, Ravel pratique la balle coupée, le contre-coup. Curieusement, ce sont les étrangers qui s’en tirent le mieux, tel le ténor portugais Joao Pedro Cabral, excellent diseur des pourtant redoutables Histoires naturelles de Jules Renard. Comme si les Français tombaient sans s’en apercevoir dans les pièges de l’art si français de Ravel.

François Lafon

Photo © DR

mercredi 12 décembre 2012 à 11h51

Sale temps pour les divas : après Lisa Della Casa, Galina Vichnievskaia s’en va. Toutes deux étaient suisses, l’une de naissance, l’autre d’adoption, après avoir été déchue de la nationalité soviétique en compagnie de son époux Rostropovitch, pour avoir, entre autres, soutenu le dissident Soljenitsine. Unique point de comparaison. A la scène comme à la ville, Vichnievskaia était de l’espèce des lionnes. Personne n’aurait osé ironiser en la voyant, en 1982 au Palais Garnier, chanter à cinquante-six ans la fraîche Tatiana d’Eugène Onéguine. Idem lorsque, quatre ans plus tard, elle est Natacha dans Guerre et Paix de Prokofiev, en concert à Pleyel. Après la disparition de Rostropovitch, il y a cinq ans, on l’a vue enseigner le chant à l’école qu’elle avait créée à Moscou, tzarine revenue d’exil, gardienne du temple s’insurgeant contre l’entrée au Bolchoï de la mise en scène moderne, actrice de cinéma aussi, dans Alexandra d’Alexandre Sokourov. Avant d’être réhabilité pendant la perestroïka, le couple Rostropovitch-Vichnievskaia était soupçonné de jouer les martyrs de la liberté, de médiatiser une situation pas si terrible que cela comparée à celle d’autre dissidents. L’ami et inspirateur de Prokofiev et de Chostakovitch et la Callas russe, diva emblématique du bloc de l’est, n’étaient forcément pas des dissidents comme les autres.

François Lafon

mardi 11 décembre 2012 à 17h04

Comme on est salé ou sucré, mer ou montagne, Balzac ou Flaubert, Brahms ou Wagner, Callas ou Tebaldi, on a longtemps été Schwarzkopf ou Della Casa. Les deux sopranos ayant des répertoires assez similaires, on préférait - ou pas - la sophistication de l’une à la spontanéité de l’autre en Comtesse des Noces de Figaro ou en Maréchale du Chevalier à la rose. Lisa Della Casa, qui vient de mourir à quatre-vingt treize ans, était donnée aussi comme la principale victime collatérale – avec Sena Jurinac et Teresa Stich-Randall – de l’association Elisabeth Schwarzkopf – Walter Legge, la diva et son producteur, lequel ne supportait qu’une seule rivale à son égérie et épouse : Maria Callas, l’autre diva labellisée EMI. Della Casa, belle comme Schwarzkopf, glamour comme elle, mènera quand même une belle carrière, y compris au disque, principalement sous l’étiquette Decca. Ceux qui la préféraient ont même connu une petite revanche, en 1999, quand Deutsche Grammophon a officiellement édité le live du Chevalier à la rose 1960 à Salzbourg sous la baguette de Karajan, production filmée, mais avec Schwarzkopf en Maréchale. Mais leur plus belle revanche, c’est Arabella, autre ouvrage sucré-salé de Richard Strauss, où Schwarzkopf n’était que bonne, et Della Casa sans rivale.

François Lafon

vendredi 16 novembre 2012 à 10h03

Il y eut Claude Véga en Maria Callas, Anna Russell en Elisabeth Schwarzkopf, plus récemment Michel Fau cherchant la voix (?!?) de Carla Bruni, voici Kimchilia Bartoli (Kangmin Justin Kim, vingt-trois ans, contre-ténor) au Lutkin Hall de la North Western University (Illinois) dans « Agitata da due venti », extrait de La Griselda de Vivaldi. Look and enjoy, comme on dit là-bas, avant de comparer avec l’original.
 

Pavarotti n’est plus là, Boccelli plafonne : place à Alessandro Brustenghi, trente-quatre ans et un physique de cinéma, le nouveau ténor italien « signé » par Decca. Particularité de l’artiste : il est franciscain, ébéniste-menuisier, préposé à l’accueil des touristes à la basilique Santa Maria degli Angeli d’Assise. Son clip de présentation le vend comme tel : robe de bure, sandales, barbe de trois jours, main sur le cœur, regard tourné vers le ciel. On le voit aussi, sur une photo, traverser Abbey Road, quarante-trois ans après les Beatles, sous le regard bienveillant des passants. Titre de son premier album, à paraître cet automne : The Voice from Assisi. Un bon client pour les marketeurs : ténor (forte connotation sexuelle) mais moine (délices de l’interdit), symbole de réussite (il va gagner beaucoup d’argent), mais vœu de pauvreté (c’est son ordre qui touchera les royalties). A cela s’ajoute l’attrait du danger : Sœur Sourire a quitté son couvent, l’un des Prêtres a jeté la soutane aux orties. Ultime séduction : il possède une voix naturelle assez reconnaissable, mais largement perfectible, si l’on en juge par le Panis Angelicus qu’il interprète sur son clip. Comme pour rappeler que la perfection n’est pas de ce monde.

François Lafon

dimanche 12 août 2012 à 18h56

Sur Arte, première semaine (il y en a trois) d’Open Opera, casting Carmen, Star Academy lyrique débouchant sur une représentation de l’ouvrage de Bizet mis en scène par le cinéaste Volker Schloendorff au théâtre de plein air du Wannsee à Berlin. Jury éclectique : la soprano française Annick Massis, la basse allemande Franz Hawlata, le ténor américain David Lee Brewer, moins connu que les deux autres mais fils de Grace Bumbry, Carmen de grande mémoire. Tonalité d’ensemble résolument positive, contraste entre les coups d’œil qui échappent aux jurés pendant les épreuves et les compliments qu’ils distribuent à tout le monde. Tendance générale : la surenchère expressive. Qu’ils concourent dans Strauss ou Rossini, les Carmen ont déjà les poings sur les hanches, les Don José la main sur le cœur et les Escamillo le jarret conquérant. « Quand je chante Bizet, je pense à Mozart », affirmait Teresa Berganza. Les candidats retenus ont deux semaines pour cesser de faire le contraire.

François Lafon

Open Opera, 12, 19 26 août, 16h50. Carmen, mis en scène de Volker Schloendorff, 18 août sur Arte, 2 septembre, 15h50, sur Arte Live Web

Le baryton russe Evgeni Nikitin ne chantera pas le Hollandais dans Le Vaisseau fantôme le 25 juillet pour l’ouverture du festival de Bayreuth. Aphonie ? Mésentente avec le chef Christian Thielemann ? Non, tatouage : une croix gammée, visible sur un document diffusé par une chaîne de télévision allemande et relatant le passé de batteur de rock du chanteur. Le plus curieux est que Nikitin avait fourni l’année dernière au festival une documentation photographique sur ses décorations cutanées - célèbres dans le métier -, probablement en vue d’une utilisation par le jeune metteur en scène Jan Philipp Gloger. « Une croix gammée en Russie dans les années 1990 n’avait pas la même signification qu’en Allemagne en 2012 », a déclaré à sa décharge l’auteur et éditeur russe Anastasia Boutsko. « Une croix gammée est rédhibitoire, et pas seulement à Bayreuth », a répondu Christian Thielemann, reprochant par ailleurs à l’agent de Nikitin de ne pas avoir averti son client du scandale auquel il s’exposait. Au tournant des années 1980, le baryton afro-américain Simon Estes avait été admis à chanter Le Vaisseau fantôme sur la Colline sacrée, mais s’était vu refuser le rôle de Wotan : un Roi des dieux noir, c’était encore trop pour l’époque. Bayreuth n’a toujours pas fini de régler ses comptes avec son passé.

François Lafon

http://www.bayreuther-festspiele.de Photo © DR

mercredi 18 juillet 2012 à 09h48

Selon une étude réalisée par les Départements d'obstétrique, gynécologie et psychologie de la Wayne State University de Detroit (USA), les sopranos vivent en moyenne cinq ans de plus que les mezzo-sopranos. Responsables : les oestrogènes (hormones féminines), dont le nombre est plus élevé chez les chanteuses développant leur registre aigu. L’étude concerne 286 sopranos et mezzos nées entre 1850 et 1930. Pourquoi cet intérêt pour les divas ? Pour contourner les lois de l’éthique, qui interdisent la publication de tests relatifs à l’influence des hormones sexuelles sur la longévité. Car l’étude concerne aussi les chanteurs (226 cas étudiés). Ceux-ci vivent en moyenne un an et demi de moins que leurs partenaires féminines, mais la testostérone n’a pas les mêmes effets que les oestrogènes : basses et ténors ont la même espérance de vie, qu’ils cultivent ou non leur registre aigu. Moralité : les sopranos ont toujours une longueur d’avance sur leurs partenaires. Ce ne sont pas Magda Olivero (102 ans) ni Lisa della Casa (93 ans) qui diront le contraire.

François Lafon

Photo © DR
 

vendredi 18 mai 2012 à 19h36

« Faites plaisir aux sourds : la Callas est morte ! » titrait Charlie-Hebdo en 1977. On ne ferait pas ce genre de plaisanterie à propos de Dietrich Fischer-Dieskau, ne serait-ce que parce que le « maestro des lieder », pour reprendre le titre d’une des innombrables nécrologies parues aujourd’hui, n’a jamais été un people. Il a tout chanté (avec quels partenaires !), tout enregistré (plusieurs fois), participé à nombre de créations, dirigé des orchestres (moins bien qu’il ne chantait), écrit des livres (idem), mais était avare d’interviews et ne se laissait prendre en photo avec son épouse (la quatrième) que parce que celle-ci, Julia Varady, était une soprano connue. Il était de bon ton, dans les années 1980, de déplorer ses maniérismes, et d’ajouter que sa tendance à faire passer les mots avant la musique s’accentuait à mesure que sa voix s’usait. En 1988, un astéroïde avait reçu son nom : 42482 Fischer-Dieskau. Comme il avait mis fin à sa carrière de chanteur en 1992 (il avait soixante-sept ans), les jeunes générations ne le connaissaient plus, et avaient tendance, quand ils tombaient sur un de ses nombreux basiques (Le Voyage d’hiver, Don Giovanni, voire Rigoletto dirigé par Rafael Kubelik) à le trouver démonstratif, extérieur, pour tout dire démodé. Parce que, tel son ami Karajan, il avait enregistré mille disques, ses contemporains l’avaient cru immortel. C’est peut-être maintenant qu’il va le devenir.

François Lafon

lundi 19 mars 2012 à 09h44

Dans le but de trouver une distribution pour Carmen, qu’il va monter au théâtre de plein air du Wannsee à Berlin en août prochain, le cinéaste Volker Schloendorff invente le télé-crochet classique : six émissions de quatre-vingt-dix minutes diffusées le dimanche après-midi par Arte et la ZDF. Dans le jury : le ténor américain David Lee Brewer, fils de Grace Bumbry, ex-Carmen des scènes internationales. "Le choix d'un casting est une part importante du travail d'un cinéaste et il est aujourd'hui souvent suivi par une caméra, vu qu'il n'y a plus de film sans making-off (sic)", explique Schloendorff, qui précise que sa Carmen se passera à Cuba dans les années 1950. Il ne dit pas si l’on suivra les candidats jusque dans la salle de bains, comme à la Star Ac’, ni si les jurés tourneront le dos aux chanteurs pour mieux apprécier leur voix, comme dans The Voice sur TFI. "Le but que nous voulons atteindre, c'est de populariser l'opéra, de l'ouvrir à un large public. En collaboration avec Arte, c'est un objectif que nous pouvons atteindre, que nous allons atteindre", a déclaré Peter Schwenkow, organisateur de l’événement. Tant qu’on ne nous annonce pas une Carmen avec Jenifer et Christophe Willem…

François Lafon

Grace Bumbry dans Carmen (Chicago 1964)

mardi 31 janvier 2012 à 10h15

Enième reprise de Rigoletto à l’Opéra Bastille, dans la non-mise en scène de Jérôme Savary. Point fort de la soirée : le ténor polonais Piotr Beczala, que les grandes scènes s’arrachent dans un répertoire allant de Mozart à Wagner. Un Duc de Mantoue à la Nicolaï Gedda, élégant et un peu froid, plus Don Juan que Casanova. Un chant à l’avenant, tiré au cordeau, impeccablement stylé, sans coups de glotte ni trémolos. Seul bémol : son aigu est limité, il évite les notes (bien souvent rajoutées) qui font crouler la salle. Autour de lui, le meilleur (Nino Machaidze en Gilda, Dimitry Ivaschenko en Sparafucile) et l’acceptable (Zeljko Lucic en Rigoletto), sous une baguette véloce (Daniele Callegari). Propos glanés à la sortie : « Il s’économisait, le Duc ». On ne vient pas pour le contre-ut, mais c’est lui qu’on attend.

François Lafon

Opéra National de Paris Bastille, les 1, 4, 7, 11, 14, 18, 20, 23 février Photo © Opéra de Paris

mardi 5 juillet 2011 à 01h27

Reprise d’Otello de Verdi à l’Opéra Bastille. Rien, a priori, de remarquable Mise en scène pataude d’Andrei Serban (2003) - tout de même édulcorée de ses détails les plus ridicules -, direction au radar de Marco Armiliato. Pour les amateurs : l’Otello musclé d’Aleksandrs Antonenko, révélé à Salzbourg sous la baguette de Riccardo Muti. Pour les fans : Renée Fleming en Desdémone glamour. Déception générale : Antonenko a bien la voix et le tempérament du rôle, mais Fleming pense à autre chose et Lucio Gallo aboie en Iago. En juillet, changement de cast. Antonenko étonne toujours, mais Sergei Muzraev est aussi sobre que possible en Iago, et Tamar Iveri (Desdémone) console ceux qui pensent n’avoir droit qu’à une doublure de Fleming. Applaudissements nourris. Les critiques auraient dû attendre juillet.

François Lafon

Opéra National de Paris – Bastille, 4, 7, 10, 13, 16, juillet. (Photo DR)

mercredi 2 mars 2011 à 18h00

Racisme ordinaire à Vienne. Le 10 février à 21h30, sur la Kärtnerstrasse, une jeune et élégante afro-américaine monte dans un taxi. « Pas de noirs dans ma voiture ! », déclare le chauffeur. La dame fond en larmes. L’affaire fait du bruit car celle-ci s’appelle Angel Blue, elle est soprano, et s’apprête à chanter Le Viol de Lucrèce de Benjamin Britten au Théâtre An der Wien, aux côtés d’Angelica Kirchschlager et Kim Begley. A la police, elle déclare que le chauffeur était un quinquagénaire aux cheveux gris et qu’il parlait correctement l’anglais. Réaction d’Andreas Curda, directeur de la Ligue des chauffeurs de taxi viennois : « Sans numéro d’immatriculation, on ne le retrouvera pas ». Placido Domingo, qui veille sur sa jeune carrière, présente miss Blue comme la Leontyne Price de demain. Lors des débuts de Leontyne Price en Tosca sur NBC TV, plusieurs chaînes américaines avaient refusé de relayer le programme, rien que parce qu'elle était noire. Mais c’était en 1955.

François Lafon

Photo : www.angeljoyblue.com

mercredi 22 décembre 2010 à 09h31

Dermatomiositis : sous ce terme barbare sentant la maladie rare se cacherait la cause réelle du déclin vocal et de la mort de Maria Callas. Une affection aux effets retard, entraînant le relâchement des muscles et des tissus, à commencer par ceux du larynx. Sale coup pour la légende de la diva foudroyée par un destin impénétrable ! Un médecin italien était déjà arrivé à ce diagnostic en 1975, après avoir examiné la patiente, mais il ne l’a divulgué qu’en 2002. Deux experts en phoniatrie de l’université de Bologne, Franco Fussi et Nico Paolillo, ont poursuivi son travail. Ils ont étudié tous les disques de Callas - en particulier les live -, et les vidéos. Ils ont observé la façon dont, dans les dernières années de sa carrière, elle levait les épaules et rentrait la poitrine quand elle respirait, au lieu de d’ouvrir la cage thoracique. Ils ont analysé son évolution vers la voix de mezzo, qui ne tenait pas, d’après eux, qu’à son goût (avéré) pour les notes graves. Et comme le dermatomiositis se soigne à la cortisone et aux immunodépresseurs, lesquels peuvent entraîner une déficience cardiaque, la mort de la diva s’expliquerait (si l’on ose dire) tout naturellement. « Ce ne sont pas les chagrins d’amour qui ont tué Callas », titre le quotidien La Stampa. Allez faire admettre ça à ses fans !


François Lafon

dimanche 6 juin 2010 à 07h00

Cela fait toujours un effet bœuf. Comment, cette crooneuse, cette rockeuse, cette voix embuée par l’alcool et la fumée, c’est Renée Fleming ? Les fans de divas adorent cela : avec de genre de disque, ils peuvent enfin réconcilier leur réputation d’esthètes avec leurs goûts les plus secrets. Peter Mensch, producteur de l’enregistrement et manager (entre autres) de Led Zeppelin, est allé à Londres faire entendre, en cachant l’étiquette, le master de ce Dark Hope (Sombre espoir) aux responsables d’Universal, l’éditeur de Fleming : mais qui est cette nouvelle venue qui chante Leonard Cohen, Band of Horses, Jefferson Airplane et quelques autres ? Ils auraient dû savoir : Fleming n’en est pas à son premier essai, son CD de jazz Haunted heart a fait son effet en 2006, et ses incartades dans le cross over sont bien connues. Eh bien non, paraît-il (mais faut-il le croire ?). La diva préférée des Américains n’est pas la première à se livrer à l’exercice : il y a vingt-cinq ans, Kiri Te Kanawa -comme Fleming voix de miel et tempérament réservé sur les scènes d’opéra- cassait le box office avec l’album Blue Skies, où l’on avait du mal à la reconnaître. Pour remonter encore plus loin, la wagnéro-verdienne Eileen Farrell prenait à peine le temps de se remettre d’une représentation de La Force du destin au MET avant d’aller chanter le blues dans les clubs de Manhattan. Le disque, là aussi, en témoigne : c’est davantage à Sarah Vaughan qu’à Kirsten Flagstad qu’on pense en l’écoutant. Dans le cas de ces trois dames, il ne s’agit plus de cross over, mais bien d’un  autre métier. Rien à voir avec Plácido Domingo clamant des tangos comme si c’était Paillasse ou Jessye Norman prenant des airs de Diva de l’empire pour susurrer Les Chemins de l’amour. Peut-être aussi qu’une Fleming est mieux placée pour amener ainsi le « grand public » à l’opéra que les pop stars jouant aux opera stars, comme cela se passe dans une émission bien connue de la chaîne anglaise ITV.

François Lafon

Renée Fleming : Dark Hope (Decca, 2010) - Eileen Farrell : I gotta right to sing the blues (Sony, 1961) – Kiri Te Kanawa : Blue Skies (Decca, 1985)

Mais qui est donc ce William Shimell, qui partage avec Juliette Binoche l’affiche de Copie Conforme, le film d’Abbas Kiarostami en compétition à Cannes et sorti en salle le 19 mai ? Binochisée jusqu’à l’extase (comme le jury, qui a donné  à l’actrice le prix d’interprétation), la presse cinéma n’en dit pas grand-chose, comme étonnée que ce quinquagénaire aux tempes argentées, que l’on n’avait jamais vu sur un écran, se comporte en  habitué des sunlights. Les mélomanes eux-mêmes ont cru à un homonyme : il y a bien eu un baryton nommé Michel Roux, spécialiste de Golaud dans Pelléas et Mélisande, et qui n’avait rien à voir avec le populaire acteur de boulevard, voix française de Tony Curtis et de Peter Sellers. Mais non,  William Shimell est bien le baryton anglais, spécialiste de Mozart et Haendel, que Kiraostami a rencontré il y a deux au festival d’Aix-en-Provence, où il montait Cosi fan tutte.

- Avez-vous déjà fait du cinéma ?
- Euh, non.
- Voulez-vous en faire ?
- Euh, oui.

Commentaire de Shimell, non dépourvu d’humour britannique : « A l’opéra, quand le metteur en scène dit quelque chose, il faut toujours répondre oui. Ce que je ne savais pas, c’est que mes trente années de scène ne me serviraient à rien devant la caméra. Pour chanter, il faut utiliser les muscles du visage. En gros plan, quand un sourcil bouge, cela fait l’effet d’un cataclysme ». Il a en tout cas mieux réussi  sa reconversion que José van Dam ou Ruggero Raimondi, bien empruntés quand ils ont dû faire l’acteur devant la caméra de Gérard Corbiau ou d’Alain Resnais. « C’est un autre métier », conclut Shimell. Maintenant que l’on filme les spectacles lyriques et qu’on les retransmet en direct dans des salles de cinéma, les deux disciplines vont tendre à se confondre. « Au détriment des voix », diront les nostalgiques. 

François Lafon

Tous les mêmes ! Hier samedi, à 22 h 50, on peut voir sur Arte, en direct de la Monnaie de Bruxelles, José van Dam expirer en beauté dans le Don Quichotte de Massenet. Soixante-dix ans, cinquante ans de carrière et des adieux télévisés à la maison-mère. Il aura décidément tout réussi. Une larme ? Oui et non, puisqu’on va le revoir, en récital et même à l’opéra, dans La Veuve Joyeuse en décembre à Genève, et dans Ariane et Barbe-Bleue de Dukas à Barcelone en 2011. Ce ne seront plus des grands rôles (Barbe-Bleue, malgré sa présence dans le titre, doit avoir vingt mesures à chanter), mais tout de même. Dans Le Monde du 7 mai, il lance un appel d’offre : si vous cherchez un metteur en scène pour Pelléas et Mélisande ou La Damnation de Faust, il est prêt. Il se voit bien aussi débuter une carrière de chef d’orchestre. Et puis il n’abandonne pas ses élèves de la Chapelle musicale Reine Elisabeth, à Bruxelles. Tous les mêmes, vraiment, quand il s’agit de raccrocher. Quoiqu’avec José van Dam, il faille se méfier : cet homme apparemment tranquille, qui a mené une carrière que tous ses confrères lui envient, est capable de disparaître et de reparaître à volonté. En toute discrétion, comme d’habitude. 

François Lafon

Massenet : Don Quichotte. Laurent Pelly (mise en scène), Marc Minkowski (direction). Bruxelles, Théâtre de la Monnaie, 8, 11, 12, 14, 18, 19 mai. Captation d’Arte disponible jusqu’au 15 mai sur liveweb.arte.tv.

mercredi 14 avril 2010 à 07h49

Fin d’une ère : la Lauritz Melchior Heldentenor Foundation met la clé sous la porte, et lègue son fonds (1,1 milliards de dollars, tout de même) au Metropolitan Opera de New York. Moins grave que le refus du Japon d’arrêter la pêche au thon rouge ? Peut-être, mais un peu du même ordre. Melchior avait lui-même créé cette fondation en 1964, avec l’aide de la Juilliard School, dans le but de contribuer à la recherche et à la formation de heldentenoren (ténors héroïques) dans son genre, un genre déjà bien atteint à l’époque. L’entreprise était généreuse, mais un peu folle : il s’agissait d’arrêter le temps, de refuser d’admettre que le ténor wagnérien au souffle de forge et à la carcasse de géant était un spécimen en voie de disparition, que Wagner était désormais condamné à être chanté par des humains normaux (ou presque). Les responsables de la fondation, qui approchent aujourd’hui des quatre-vingt-dix ans, reconnaissent que depuis une dizaine d’années, ils n’ont travaillé qu’à perpétuer le souvenir du grand homme, à gérer sa discographie, à classer ses photos. Mais avant, du vivant de Melchior (disparu en 1973, deux jours avant ses quatre-vingt-trois ans) et durant cette fin de siècle, période de basses eaux pour le chant wagnérien ? La Fondation a couronné Dennis Heath, Ian DeNolfo et quelques autres, dont on n’a plus entendu parler. Il n’y a guère que William Cochran qui ait fait une petite carrière. « Si l’on n’agit pas, le Heldentenor va s’éteindre, comme l’oiseau dodo », disait Melchior. S’il avait su qu’un jour, les représentations seraient filmées, et que l’on demanderait à Tristan et à Siegfried d’avoir, en plus, le physique de l’emploi…

François Lafon 
Carmen de Bizet et Andrea Chénier de Giordano, deux intégrales d'opéras enregistrées en studio et éditées par Decca. Impensable dans la conjoncture actuelle ? Non, puisqu'elles ont pour tête d'affiche Andrea Bocelli, le ténor non voyant. Les plateaux, autour de la pop star, n'ont rien de déshonorant : Carmen est dirigé par Myung-Whun Chung, avec l'habituée du rôle-titre Marina Domashenko et Bryn Terfel himself chantant Escamillo, et Chénier réunit Violeta Urmana, Lucio Gallo et le chef Marco Armiliato, tous habitués des scènes internationales. Dans des conditions similaires, Bocelli a déjà enregistré quelques rôles poids-lourds : La Bohème, Tosca, Le Trouvère, Werther, Cavelleria Rusticana, Paillasse et même le Requiem de Verdi sous la baguette de Valery Gergiev. Qui va lui jeter la pierre ? Il pourrait se contenter de gagner beaucoup d'argent en susurrant des remix de Con te partiro. Tout de même, son éditeur hésite à envoyer les disques aux critiques, et ceux-ci sont mal à l'aise : difficile de tirer sur un handicapé. Expérience intéressante : organiser avec quelques amis une écoute à étiquette cachée (on n'ose dire à l'aveugle). Dans le lecteur : Andrea Chénier. Perplexité générale : « C'est Pavarotti en fin de carrière ? » ; « Il ne manque pas de charme, mais il a du mal » ; « Apparemment, il y a un montage par note ». On passe à Carmen. « C'est le même ? » ; « Il croone » ; « Il ne fait pas ça sur scène, quand même ? ». Une fois dévoilé le pot aux roses, silence gêné : « Il n'y arrive pas, mais il se passe quelque chose ». Ce quelque chose, c'est ce qu'entendent les fans. Alors, ce qu'en disent les critiques …
 

« Tenori, tenori ! », soupire Renata Scotto, qui en a vu passer un certain nombre tout au long de sa glorieuse carrière. A Londres, Rolando Villazón croise le fer, par droit de réponse interposé, avec Rupert Christiansen, le critique musical du Daily Telegraph, qui lui reproche d'avoir participé à une nouvelle émission de la chaîne ITV intitulée Popstar to operastar (pas besoin de traduire), où des chanteurs de variétés viennent s'essayer à l'opéra, coachés par une vedette du genre. « Cette émission n'ouvrira pas les portes de l'opéra, écrit Christiansen. Elle les fermera au contraire, et ne fera que confirmer le préjugé selon lequel l'opéra, c'est cheap, moche et banal ». « Pourquoi les critiques sont-ils si furieux? De quoi ont-ils peur? Ils prétendent défendre la vérité de l'opéra, dont cette émission ne serait en aucun cas représentative, répond le ténor. Cela les choquerait-il autant de voir des gens jouer au Monopoly, sous prétexte que ce n'est pas ainsi que fonctionne la véritable vie économique ? ». Le blog Opera Chic, qui colporte la polémique, jette de l'huile sur le feu : «  Ce n'est pas en prenant la plume qu'un chanteur doit répondre à un critique, mais en chantant. Mais peut-être Rolando Villazón flirte-il avec le crossover parce qu'il sait que, pour raison de santé, il ne pourra plus très longtemps chanter sans micro ». Pas très classe, tout ça. De ce côté-ci du Channel, nous avons la preuve, depuis que Florent Pagny a sorti son album Baryton, que l'art lyrique peut résister à tout, et nous ne nous choquons pas de voir Roberto Alagna faire la tournée des palais des sports avec le programme de son disque Sicilien. Mais qu'est-ce que tout cela nous raconte, au fond ? Que l'opéra doit passer par la case démagogie pour gagner au Monopoly ? 321 000 téléspectateurs, le 26 janvier, ont regardé sur Arte Werther, superbement mis en scène et filmé par Benoit Jacquot en (presque) direct de l'Opéra Bastille. Ce n'est pas parce qu'à la même heure il y en avait 7 041 000 sur TF1 devant Benjamin Gates ou le trésor des Templiers que l'art lyrique est en péril.

dimanche 24 janvier 2010 à 10h01
Emoi dans la presse américaine : Placido Domingo est un phénomène, mais aussi un problème. Au Metropolitan Opera de New York, il chante Verdi (Simon Boccanegra) un soir et dirige Verdi (Stiffelio) le lendemain. Voilà pour le phénomène. Le problème, qui relève aussi du phénomène, est qu'il est aussi le directeur de l'Opéra de Los Angeles (côte ouest) et de celui de Washington (côte est). Au début, tout s'est bien passé, le maestro tenorissimo n'ayant qu'à lever un sourcil pour faire accourir le gratin de l'opéra. Coûts énormes, à commencer par les émoluments de M. le Directeur, mais recettes à l'avenant. Et puis la crise est venue, et les deux maisons ont déchanté. Dettes, emprunts, mécènes qui se font tirer l'oreille (ou qui meurent de vieillesse), et un directeur qui n'est qu'une voix (quelle voix !) au téléphone ou une silhouette entre deux avions. A Washington, Le Crépuscule des dieux a dû être donné sans décors ni costumes. Scandale d'abord, dans un pays où luxe et opéra sont synonymes, succès ensuite : on parle de pureté, d'intimité, d'essentiel. La révolte continue pourtant de gronder. Dans le New York Times, une responsable syndicale fustige les manières de M. le Directeur, qui arrive en coup de vent la veille d'une première et demande des modifications d'autant plus coûteuses qu'elles sont tardives, ou fait payer le chœur en heures supplémentaires parce qu'il l'a convoqué un jour de repos. Cette responsable syndicale s'appelle Kallas, Eleni Kallas. Comme disait Marx : « L'Histoire ne recommence pas, elle bégaie ».
lundi 11 janvier 2010 à 09h57
A l'Opéra de Paris en janvier : Werther, version ténor, peut-on lire dans la presse. Depuis que les Américains Dale Duesing et Thomas Hampson ont chanté le rôle transposé par Massenet lui-même à l'usage du baryton Mattia Battistini, il faut en effet préciser. Werther baryton, pourquoi pas, surtout quand c'est Hampson ou Ludovic Tézier qui chantent. Mais y a-t-il plus ténor que Werther, si ce n'est Don José dans Carmen, pour ne pas sortir du répertoire français ? Comment imaginer, autrement que le contre-ut en bandoulière, ces loosers qui font fondre le cœur des dames en clamant leur infortune ? Une blague de coulisses a longtemps circulé, reposant sur l'idée tenace que le quotient intellectuel des chanteurs à clé de sol était moins élevé que celui de leurs collègues à clé de fa, ce qui n'est pas toujours vrai : « On a dû m'enlever les trois-quarts du cerveau », annonce un ancien professeur de philosophie à un ami. « Et comment te sens-tu ? », demande l'ami. « Très bien, je suis devenu ténor. Je chante Werther à l'Opéra ». Précisons que Jonas Kaufmann, qui est affiché dans le rôle à l'Opéra Bastille, a failli être professeur de mathématiques, mais jamais de philosophie.
Crédit photo : Royal Opera House, Covent Garden/ Catherine Ashmore

Massenet : Werther. Avec Jonas Kaufmann, Sophie Koch. Michel Plasson (direction). A l'Opéra National de Paris Bastille, du 14 janvier au 4 février 2010.
On donne toujours Bayreuth comme la dernière institution culturelle dirigée par les descendants de son fondateur. C'est oublier le festival de Glyndebourne, dans le Sussex, dirigé par la famille Christie depuis son ouverture en 1934. L'actuel directeur, Christie III, prénommé Gus, vient de convoler avec la soprano australienne Danielle de Niese, qu'il a rencontrée dans son propre théâtre en 2005, où elle chantait le rôle de Cléopâtre dans le Jules César de Handel. On est content pour eux. Ce qui est amusant dans l'histoire, c'est la fidélité de Gus à l'histoire familiale. Si son grand-père John Christie a fondé Glyndebourne, c'est pour faire plaisir à son épouse, la cantatrice Audrey Mildmay. Tous deux étaient fans de Wagner et avaient passé leur voyage de noces à Bayreuth, mais comme Miss Mildmay avait une voix à chanter Mozart, c'est à ce dernier qu'ils ont consacré leur festival. Détail troublant : Danielle de Niese n'a pas plus de voix qu'Audrey Mildmay. Cela n'a pas empêché Glyndebourne d'afficher Tristan et Isolde, mais c'était en 2003, avec Nina Stemme dans le rôle principal.
mardi 24 novembre 2009 à 12h40
D'abord, on frémit. L'Allemande Diana Damrau, qui s'est fait un nom en chantant la Reine de la Nuit, s'y mettrait donc, elle aussi ? « L'Andalousie a tout : la musique, les racines dans la culture marocaine, l'architecture, la beauté des paysages, la fierté du peuple. Les femmes sont fortes et libres, sans pour autant négliger leur féminité. Il y a tout cela dans la musique et la danse flamenco. Même avec vos pieds, vous faites de la musique ». C'est sûr, elle va annoncer qu'elle prépare un récital de mélodies espagnoles, ou (pire !) qu'elle va chanter Carmen. Eh bien pas du tout ! Pour l'instant, elle se contente de prendre des cours de flamenco à … San Francisco, entre deux représentations de La Fille du régiment de Donizetti. Cèdera-t-elle, comme nombre de ses consoeurs non hispanophones, aux sirènes de Granados et Falla, Turina et Montsalvage ? Sans affirmer (parce que c'est faux) qu'on ne chante bien que dans son arbre généalogique, on a tout de même vu jadis la grande Margaret Price et naguère l'intrépide Joyce Di Donato (entre autres, et pour ne prendre que les meilleures), se ridiculiser à vouloir jouer les fières Andalouses. Elles ont cru que l'oeillade était payante et le cante jondo moins difficile à saisir que les finesses aux relents de chrysanthèmes de la mélodie française. Elles ont sans doute vu aussi Victoria de Los Angeles saisir une chaise et une guitare, et révéler le tempérament de feu qu'elle avait si bien caché sous les langueurs de Mimi et de Marguerite. Damrau, elle, se contente pour l'instant de rappeler que sa maman, qui a été étudiante au pair en Espagne, lui a donné le goût du soleil andalou, et que quand elle chante, elle le fait avec le corps tout entier. Déjà, le San Francisco Chronicle l'appelle La Damrita. Aie, aie !
Crédit photo : © John Palmer
vendredi 13 novembre 2009 à 11h23
Dans une interview accordée au Corriere della Serra, Angela Gheorghiu raconte longuement son divorce avec Robert Alagna. Dont acte. C'est la fin qui est savoureuse : « Deux compositeurs, l'Américain William Maselli et le Roumain Vladimir Cosma, sont en train d'écrire des opéras à mon propos : Bonnie and Clyde et Draculette. Mes surnoms sont devenus des marques de fabrique. Ma première réaction a été : "Comment osent-ils ?" Et puis je me suis dit que si la musique était bonne, je les chanterais volontiers. Je n'ai besoin pour cela que d'un ténor ». Imaginons la réaction de Maria Callas si Gian Carlo Menotti lui avait dédié un ouvrage intitulé La Tigresse se rebiffe. Autres temps, autres mœurs.
Crédit photo : Sasha Gusov
mardi 20 octobre 2009 à 11h12
« With the bottom of my hearth, euh, from the bottom… I want to thank you”. Plus Mr Bean que jamais, Rolando Villazón annonce son come back sur son site, et remercie tous ceux qui lui ont écrit pour lui souhaiter bon courage pendant son année sabbatique forcée. A la suite de quoi il pousse la note fortissimo et sort du champ en sautant par-dessus son siège. Allez, après ça, faire la fine bouche sur son agitation en scène, reprochez-lui de chanter la main sur le cœur et le cœur sur la main, mettez-le en concurrence avec l'autre ténor du moment, l'élégant Juan Diego Florez. Rien n'y fera. Evitez - au risque de passer pour un rabat-joie - d'insinuer que s'il a eu de grave problèmes vocaux, c'est parce qu'il brutalise sa voix, et que sa technique n'est peut-être pas à toute épreuve. Cela paraîtra aussi déplacé que de rappeler que Pavarotti n'avait pas une silhouette de jeune premier. Il n'y a guère que les ténors pour échapper ainsi à la critique, pour entretenir avec leur public un rapport de pop star à groupies. « Touche pas à mon ténor » , préviennent les villazonophiles. Promis, on essaiera.
mercredi 16 septembre 2009 à 10h12

« Aux Etats-Unis, en particulier, on voit trop de chanteurs souffrant de surpoids. Notre métier consiste à faire rêver les gens. On n'est pas obligé d'avoir la taille mannequin, mais un chanteur doit avant tout être en forme, et si l'on est trop gros, on ne reste pas en forme très longtemps. En plus, sur scène, c'est horrible. »
Qui met ainsi les pieds dans le plat (c'est le cas de le dire) ? Geneviève de Fontenay sortant du Metropolitan Opera ? Tom Ford s'essayant à la mise en scène lyrique après avoir tâté du cinéma (1) ? Mais non : Natalie Dessay, bien sûr. Même dans le très sérieux Classical Singer Magazine, la French diva tant aimée des Américains ne renonce pas à son franc-parler. A la question : « Cela n'abîme pas la voix, de se faire maigrir ? », elle répond : « Non. Il faut prendre son temps. Si votre surpoids n'est pas d'ordre pathologique, c'est que vous mangez trop. A vous de prendre vos responsabilités. » Boum !
Repris par Operachic, ces propos lui valent des réactions pour le moins épidermiques. On peut lire, entre autres : « Au Volpe Gala, elle avait l'air d'une anorexique. Arrivé à un certain âge, on doit faire attention à ne pas trop maigrir. Le visage se relâche, et le nez et les oreilles prennent toute la place. » Reboum ! Dans le Duo des chats, Rossini n'a même pas eu besoin de mots pour exprimer ce genre de gentillesses.

 

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