Effet Coupe du monde chez Erato : du Brésil sous toutes les formes, cross-over compris. Sous le titre Brazil, le Quatuor Ebène, les pieds dans l’eau sur fond de Copacabana, accompagne l’Américaine Stacey Kent et le Français Bernard Lavilliers dans un répertoire où passent Astor Piazzolla ("Libertango") et Charlie Chaplin ("Smile"). Les fans de celui-ci et de celle-là seront-ils rejoints par les amateurs des Ebène dans Brahms et Debussy ? Ceux-ci, il est vrai, s’étaient déjà distingués en 2010 chez Virgin (devenu… Erato) avec l’album Fiction, où Stacey Kent côtoyait Natalie Dessay, laquelle aujourd’hui fait partie du voyage Rio-Paris, en compagnie d’Agnès Jaoui, d’Helena Noguerra et de la guitariste Liat Cohen. Sous une couverture Pain de sucre/Tour Eiffel/Christ Rédempteur dans le pur style tour- operator, ce deuxième disque s’offre la caution du Carioca Villa-Lobos, même si l’on y retrouve du premier - mais cette fois en VF -, le tube "Aguas di Marços" ("Les Eaux de Mars", version Moustaki), très différemment interprété. Et si ce mélange des genres vous paraît trop salé-sucré – pour ne pas dire trop commercial – vous pouvez visiter le Brésil avec le plus sérieux (quoique…) Darius Milhaud, honoré par un formidable coffret de dix CD issus des catalogues Erato et EMI. Le Boeuf sur le toit par Bernstein et Milhaud lui-même (avec une préférence pour le second), mais aussi les Saudades do Brazil sous les doigts de Jacques Février, la Brazileira de Scaramouche à deux pianos par Milhaud et la grande Marcelle Meyer, le "Souvenir de Rio" du Carnaval d’Aix et la Ballade pour piano et orchestre ponctuent cette « Vie heureuse » (rappel des mémoires de Milhaud Ma vie heureuse – Belfond) où dans les genres les plus variés, le grand Aixois fête comme personne le soleil et le jeu.
François Lafon
Brazil : 1 CD Erato – Rio-Paris : 1 CD Erato – Darius Milhaud, Une Vie heureuse : 10 CD Erato
A la salle Gaveau, « Cantabile, récital lyrique Mozart », par l’Orchestre des Pays de Savoie sous la baguette de son chef permanent Nicolas Chalvin. Sous ce titre à la fois bateau et énigmatique, un programme « comme à l’époque » : entre chacun des quatre mouvements de la 33ème Symphonie, Cédric Tiberghien vient jouer le 17ème Concerto pour piano, et Sophie Karthäuser chanter des airs de concert, les deux solistes se retrouvant à la fin pour l’air Ch’io mi scordi di te, avec piano obligé. Mélange du plus grand Mozart et de l’un peu moins grand, ballet inhabituel d’interprètes. L’Orchestre est enthousiaste mais perfectible, Tiberghien ne sucre pas le sucre dans le déjà expressif Concerto, mais entre en totale empathie avec la chanteuse, timbre doré, technique de haute école, émotion maîtrisée. Un concert pas du tout comme les autres, en fin de compte.
François Lafon
Salle Gaveau, Paris, 22 mai Photo © DR
C’est la saison des saisons : les opéras et orchestres publient en ce moment les plaquettes 2014-15. A quoi sert un tel objet ? En principe, à montrer le calendrier de concerts, date par date, et à annoncer les abonnements et les tarifs des places. Fonctionnel, neutre, prévisible, même si ces dernières années la tendance est à la surenchère graphique. Pas pour l’Orchestre symphonique de la Radio de Bavière : le calendrier des concerts y est, certes, mais présenté sans la moindre mise en page, du texte noir sur blanc. Pur minimalisme graphique, même pas de photos des chefs invités. Mais ce n’est pas tout. L’intérêt principal de ces 124 pages se trouve surtout dans les infographies avec une quantité impressionnante d’informations sur l’orchestre et son directeur musical, Mariss Jansons. La première (qui sert aussi de couverture) montre le rythme cardiaque des musiciens et du chef (Daniel Harding) pendant un concert. On ne sera pas étonné de savoir que celui dont le rythme monte plus haut c’est le chef, mais les autres infographies sont plus surprenantes : Comment transporte-t-on 135 personnes et tout le matériel nécessaire pour une tournée ? Comment se déroule une semaine de la vie de l’orchestre de la première répétition jusqu’au concert ? D’où viennent les musiciens ? Quel est le répertoire de Mariss Jansons (surprise : Haydn arrive en cinquième position) ? Avec ces infographies, créées par la société berlinoise Golden Section Graphics, l’orchestre fait mieux que se présenter : il devient un objet de curiosité et montre tout ce qu’il faut faire avant de jouer une seule note de musique. Pas mal pour se légitimer en ce temps où, même en Allemagne, l’avenir des orchestres est menacé.
Pablo Galonce
Non content d’être filmé comme une émission de variétés et de raconter une histoire à côté de laquelle les romans de Delly passent pour du Stendhal, le Grace de Monaco d’Olivier Dahan fait un usage du classique au niveau zéro. Grace Kelly a la nostalgie de son Amérique natale ? « O mio babbino caro » (O mon papa chéri) du Gianni Schicchi de Puccini. La Callas et Onassis (que tout le monde appelle Ari, comme le prince Rainier n’est autre que Ray !) sont omniprésents ? Hop, une belle soirée où la diva (du moins son clone) chante « Ebben ? Ne andro lontana ? » de La Wally d’Alfredo Catalani, que personne n’ignore plus depuis le Diva de Jean-Jacques Beineix. Et lorsque Grace évoque ses états d'âme avant de triompher enfin de cet affreux monde de requins et de prononcer un long discours à la philosophie de pacotille sur le thème « Faites l’amour, pas la guerre » (pas tout à fait dit comme ça, certes), c’est le Miserere d’Allegri version guimauve qui sert de fond sonore. Snif ! Ça racole, ça racole. Rassurez-vous quand même : question sirop, la musique originale est pire. Quand un film est une daube, il l’est jusqu’au bout.
Gérard Pangon
Aux Editions M.E.O, Ciel avec trou noir, de Caroline Alexander. Un puzzle autobiographique en forme d’énigme, ou comment d’Allemagne en France via la Belgique et l’Angleterre, une enfant juive traverse le « trou noir » du nazisme pour se reconstruire en comédienne, puis en écrivain et critique de théâtre et de musique. Une figure du métier, comme on dit. Tout autant que le théâtre, la musique structure le récit : forme sonate (thème A, thème B, retour du A), chromatisme et diatonisme (1989 : pèlerinage au lieu de naissance ; 2007 : pose de « stolpersteine », ou pierres du souvenir ; 2011 : voyage à Auschwitz). Pas de sensiblerie, une certaine distance, de l’humour même, et un humour finement référentiel, comme l’envahissement par le prélude de Tristan et Isolde de l’étrange mini-librairie nichée dans le théâtre de l’Ambigu (remplacé en 1966 par un immeuble de bureaux), tenue par un pétainiste astrologue (sic) découvrant dans le thème de l’auteur le trou noir qui donnera son titre au livre. Non moins évocateur ce cycliste chasseur d’autographes faisant son entrée au son de la "Chevauchée des Walkyries", et cherchant le théâtre (nous sommes an 1964) où Maria Casarès joue La Reine verte de Maurice Béjart et Pierre Henry. « Il y aura hélas encore des multitudes de façons d’aborder le thème où le vingtième siècle s’est englouti », remarque dans sa préface l’écrivain belge Pierre Mertens (auteur, entre autres, du livret de l’opéra La Passion de Gilles, musique de Philippe Boesmans). Le mal par le mal, Wagner en guise de vaccin, n’est peut-être pas la pire.
François Lafon
Ciel avec trou noir, par Caroline Alexander. Préface de Pierre Mertens. Editions M.E.O, 240 p., 20 €
Dans la collection Folio Biographies (Gallimard) : George Gershwin de Franck Médioni. Un Gershwin vu du jazz, dédié à Martial Solal, s’ouvrant sur une évocation de Manhattan de Woody Allen (« Pour lui, New York semblait n’exister qu’en noir et blanc et ne vibrer qu’au rythme du grand George Gershwin ») et se refermant sur l’épitaphe imaginée par le musicien lui-même : « George Gershwin, compositeur américain… Compositeur ? Américain ? ». Une bio sérieuse par ailleurs, alertement écrite, prenant en compte les multiples aspects et aspirations de ce surdoué de la chanson fasciné par Ravel et dont Schoenberg prononça l’éloge funèbre à la radio. A comparer avec les ouvrages déjà parus en VF sur le sujet, fortement influencés par la personnalité de leurs auteurs : entertainment avec Alain Lacombe (Gershwin, Une chronique de Broadway - Van de Velde), histoire avec Eric Lipmann (L’Amérique de George Gershwin), musique avec Denis Jeambar et Maryvonne de Saint-Pulgent (Mazarine), analyse du phénomène par les classiques Jean-Christophe Marti (Ed. Gisserot) et Mildred Clary (Gershwin, une rhapsodie américaine - Pygmalion). Tous oscillant entre le song de Porgy an Bess (cité par Médioni) : « I Got Plenty O’nuttin’ » (« Je suis plein de rien ») et l’affirmation de Gershwin lui-même : « J’ai la modeste prétention de contribuer à l’élaboration du grand roman musical américain. C’est tout ».
François Lafon
George Gershwin, par Franck Médioni, Gallimard, Folio “Biographies”, 254 p., 8,40 € (7,99 € en format numérique)