Mardi 19 mars 2024
Le cabinet de curiosités par François Lafon
Opérette dernier round (de la saison) : Sauvons la caisse de Charles Lecocq et Faust et Marguerite de Frédéric Barbier au Studio Marigny, suite du cycle de mini-spectacles initié par le Palazetto Bru Zane et lancé en janvier dernier avec deux petits actes fous signés Hervé (Le Compositeur toqué) et Offenbach (Les Deux Aveugles – voir ici). Non moins folles mais un peu moins fines, reposant d’autant plus sur les interprètes, ces deux pochades tirées elles aussi d’un vivier oublié « représentant presque les deux tiers du répertoire lyrique français de l’époque romantique », que l’on donnait en lever de rideau dans les grands théâtres et en pièces principales dans les petits. Aussi déchaîné qu’en Compositeur toqué, le comédien-ténor Flannan Obé fait le lien entre les deux spectacles, en duo cette fois avec Lara Neumann, longtemps sa partenaire du trio Lucienne et les Garçons, et vue récemment à Marigny (grande salle) en Mam’zelle Nitouche (voir ). Deux « natures » face à face, elle plus chanteuse, lui plus acteur (Une sorte de clown tout en finesse), tous deux poussant la note (Lecocq, même avant Madame Angot, plus marquant que l’oublié Barbier) et maniant le nonsense à un train d’enfer, secondés par le discret mais performant accordéoniste et arrangeur Pierre Cussac. Mise en scène cette fois encore de Lola Kirchner, bric et broc efficace. Quatre représentations (matinées et soirées) ce week-end. Ne vous en privez pas. 
François Lafon 

Théâtre Marigny - Studio, Paris, jusqu’au 23 juin (Photo © DR)

Le terme « glagolitique » désigne l’alphabet imaginé par les saints Cyrille et Méthode, évangélisateurs du royaume de Grande-Moravie au IXème siècle, pour fixer par écrit la langue slavonne, ancêtre du bulgare actuel. A quelques détails près, le texte utilisé par Leos Janacek dans sa Messe glagolitique pour solistes, chœur,
orgue et orchestre est la traduction en slavon de l’ordinaire de la messe catholique. Composé en 1926, créé en décembre 1927 à Brno, l’ouvrage se situe au centre de la production ultime du compositeur. En huit paries, dont trois purement instrumentales, cette messe est unique par la « joie barbare » qui l’anime. Janacek l’imaginait exécutée en présence de tout un peuple et en plein air. L’orchestre est traité par touches franches, comme un grand orgue, avec des cuivres aux sonorités pointues et des timbales percutantes, et la déclamation vocale est des plus dramatiques. Cette œuvre enfonçant ses racines dans le terroir et lançant parfois au ciel des appels à la révolte a terminé en splendeur le dernier concert de l’Orchestre
National de France, avec un chœur de Radio France à la rudesse toute slave et des solistes vocaux originaires de divers pays, dont la Slovaquie. A la direction, le chef finlandais Jukka-Pekka Saraste, ce qui nous a valu, en début de concert, une remarquable interprétation du poème symphonique Les Océanides de Sibelius (1914), d’une alchimie et d’une séduction sonores rares. Ni Sibelius ni Janacek ne
connaissaient la musique de l’autre, mais leurs affinités devraient être explorées. Avant l’entracte, six des Wunderhorn Lieder de Mahler, dont on aurait apprécié une plus nette mise en valeur des textes mais remarquablement accompagnés par Saraste.
Marc Vignal
 
Auditorium de Radio France, 20 juin (Photo © Felix Broede)
 
Si indépendant Albert Roussel (1869-1937) qui, après sa formation musicale, choisit de faire carrière dans la marine, pour revenir ensuite étudier le contrepoint à la Schola cantorum – devenu professeur, il aura pour élèves Satie et Varèse, ou encore Martinu et Krasa. Qui, parmi les musiciens d’aujourd’hui, qui n’ont pas été des enfants prodiges, peut rivaliser avec un catalogue si diversifié, du ballet (Le festin de l’araignée, Bacchus et Ariane…) à l’opéra Padmâvati, en passant par de mémorables partitions d’orchestre (les Évocations, les quatre symphonies) ou de musique chambre, jusqu’à cette opérette, Le testament de la tante Caroline, signée en 1936 et ressuscitée à point nommé par Les Frivolités Parisiennes ?
L’histoire, entre grand-guignol et humour noir – Oui, on peut rire à un enterrement ! –  est du génial Nino, pseudonyme de Michel Veber, neveu de Tristan Bernard et auteur de livrets pour Ibert (Angélique) et Rosenthal (Rayon des soieries, Un baiser pour rien, Les bootleggers), qui fournit au compositeur un feu d’artifices de situations comiques et de calembours à l’emporte-pièce, digne du grand Guitry.
Dix ans avant la création française, à l’Opéra Comique, sous la baguette de Roger Désormière – qui fut un four (…), Roussel confessait : « qu’avec Ravel, tout est conventionnel au théâtre, et qu’il est donc inutile de chercher à faire vrai. C’est pourquoi je crois opportun un retour à certaines formes délaissées ou peu exploitées : opéra-bouffe, ballet, opéra-ballet. » Remonter un siècle plus tard de tels ouvrages est un pari risqué. Si le texte de Nino « tient » toujours – « Les situations sont franches, la méchanceté est totale ! » écrit à juste titre le metteur en scène Pascal Neyron –, en revanche gare à l’interprétation, qui peut vite basculer dans la caricature, la lourdeur, voire la vulgarité… Force est de constater que le plateau – neuf comédiens et chanteurs, tous formidables – se régale de ce texte qui virevolte entre parlé et chanté, et dont l’esprit se situe du côté de la comédie napolitaine, voire de Gianni Schicchi de Puccini – autre histoire de testament, tout aussi loufoque ! La musique se veut grinçante et enjouée, on y entend aussi bien la mélodie débridée du Festin de l’araignée que les rythmes caracolant de la 3ème Symphonie dans cet orchestre de vingt-sept musiciens (pas si petite que cela, la fosse de l’Athénée !), sous la baguette du chef d’orchestre Dylan Corlay… également prêtre officiant devant le cercueil de cette « pauvre » tante Caroline. On s’amuse, on rit, et on loue la prestation de ces héritiers qui se chamaillent avec un enthousiasme et un mordant communicatifs : Marie Perbost, Marion Gomar, Marie Lenormand, Lucille Komitès, Fabien Hyon, Charles Mesrine, Romain Dayez, Aurélien Gasse et Till Fechner…   

Franck Mallet

6 juin, Athénée théâtre Louis-Jouvet, Paris
Prochaines représentations : 11, 12 et 13 juin, 20h – et 12 juin, conférence sur l’œuvre, salle Christian-Bérard, à 19h (Photo : @PierreMichel)
mardi 4 juin 2019 à 00h01
Aux Bouffes du Nord, le Quatuor Artemis fête son trentième anniversaire et fait une fois encore peau neuve. Passation de pouvoir en musique : les sortants et les entrants ensemble dans le 1er Sextuor à cordes de Brahms et la Sonate pour piano de Berg (transcrite par Heime Tuller, ex-violoniste du Quatuor), la nouvelle formation enchaînant après l’entracte sur le 1er Quatuor « De ma vie » de Smetana. Deux œuvres de jeunesse, l’une souriante (Brahms), l’autre hantée (Berg) en guise d’au revoir, le roman d’une vie (Smetana) pour annoncer l’avenir. Redistribution des rôles : la sortante Anthea Kreston est passée ce soir du violon à l’alto, à l’exemple de Gregor Siegel, violon jusqu’en 2015, alto depuis, ce dernier se retrouvant doyen du groupe, place occupée jusqu’aujourd’hui par le violoncelliste Eckart Runge, dernier représentant de la formation initiale. Un jeu de piste qui ne relèverait que du Grand Livre des Records si l’esprit qui a animé les anciens ne se retrouvait intact chez les nouveaux (ou plutôt les nouvelles, les excellentes Suyoen Kim - violon - et Harriet Krijgh - violoncelle) autour de Gregor Siegel et Vineta Sarelka (violon). « Notre constante : prendre le temps », explique cette dernière dans un français parfait, annonçant en bis le mouvement lent du Quatuor de Debussy qui, lui, « arrête le temps ». Constatation cornélienne : pour les Artemis, le temps est en effet un grand maître. 
François Lafon 

Bouffes du Nord, Paris, 3 juin (Photo © Felix Broede)

 

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