Mardi 19 mars 2024
Le cabinet de curiosités par François Lafon
mercredi 15 février 2017 à 11h38
Aux éditions Actes Sud : Horowitz l’Intranquille de Jean-Jacques Groleau. Pas facile de saisir ce pianiste vif-argent, de le suivre dans ses humeurs fantasques, dans les méandres d’une vie à la fois hors du commun et au fond peu romanesque. Au premier abord, un personnage pas très sympathique, capricieux, exhibitionniste, nombriliste, cyclothymique, intéressé. En d’autres termes, un dépressif, un bipolaire même (comme on dit aujourd’hui), paniqué à l’idée de perdre l’or qu’il avait au bout des doigts. Car si le talent ne s’explique pas, le sien était plus insaisissable, plus paradoxal encore que celui des autres. Plus doué pour les petites formes que pour les grandes, il donnait au moindre impromptu un éclat de diamant. Interprète mais pas créateur - à la différence de son maître Rachmaninov -, il n’hésitait pas à retailler à sa main les partitions les plus intouchables. Mais comment expliquer ce sens du rythme et de la respiration, ce toucher arachnéen et puissant en même temps, cette façon de provoquer désir et frustration chez un auditeur charmé et/ou agacé, en fin de compte captivé ? Sans chercher à expliquer l’inexplicable, Jean-Jacques Groleau - plus encore sur la corde raide que dans son essai sur Rachmaninov (même éditeur) - fait sentir tout cela, laissant Horowitz se perdre dans l’ombre et revenir dans la lumière, alterner hyperactivité et paralysie mentale (et digitale), jouer à Qui a peur de Virginia Woolf ? avec son épouse Wanda (née Toscanini) et brouiller les pistes menant à sa psyché mal assumée. Le reste est dans les (nombreux) enregistrement de l’artiste. 

François Lafon



Horowitz l’Intranquille, de Jean-Jacques Groleau.
Actes Sud/Classica, 209 p., 19 €

vendredi 10 février 2017 à 08h45
On n’apprend qu’aujourd’hui la disparition de Nicolai Gedda (91 ans), survenue il y a un mois, le 8 janvier. C’est semble-t-il lui-même qui l’a voulu. Une rumeur vite démentie l’avait déjà donné pour mort en mai 2015. Qui se souvient de ce ténor dont la carrière a été longue et glorieuse, mais dont l’apogée remonte aux années 1950-1970 ? Beaucoup de monde en fait : il a tout chanté (soixante-dix rôles), tout enregistré (plus de 200 titres) au temps du disque roi, en particulier pour La Voix de son Maître, label lyrique par excellence. Russe et suédois d’origine, il avait le don des langues et des styles, Parisien dans Gluck et Gounod, Viennois dans Mozart, Milanais dans Verdi, Moscovite dans Tchaïkovski et Moussorgski. Un chanteur caméléon surtout, à la technique aguerrie, à la voix d’ampleur moyenne mais extraordinairement étendue, au timbre neutre mais colorable à volonté, sophistiqué quand il chantait avec Elisabeth Schwarzkopf, plus nature aux côtés de Victoria de Los Angeles, plus véhément face à Maria Callas. Rééditions aidant, le monde lyrique est toujours geddaisé :  de Boris Godounov (rôle de Dimitri) aux Contes d’Hoffmann, ses interprétations restent les standards auxquels, plus ou moins consciemment, se réfèrent chanteurs et mélomanes. 

François Lafon
(Photo © DR)

vendredi 3 février 2017 à 23h21
A l’amphithéâtre de l’Opéra Bastille, master class de Philippe Jordan avec les chanteurs et pianistes-chefs de chant de l’Académie de l’Opéra. Après Mozart la saison dernière, Les Contes d’Hoffmann d’Offenbach, dont Jordan a dirigé cet automne la reprise dans la grande salle. « Une œuvre difficile pour de jeunes chanteurs », prévient Christian Schirm, directeur artistique de l’Académie. « Le répertoire maison, que nous avons pour mission de défendre », ajoute le chef. Offenbach, Mozart des Champs-Elysées mais né musicien allemand : un double univers qui est aussi le sien. Salle comble pour écouter cinq voix et quatre pianistes de l’actuelle promotion, à qui Jordan annonce qu’ils vont (peut-être) devoir prendre des risques, aller au-delà du beau chant, trouver l’amertume d’Hoffmann dans les « ac » de Kleinzack, jouer le paradoxe entre les mots tendres et l’inhumanité de la poupée Olympia (« Les oiseaux dans la charmille »), entretenir la fascination diabolique jusque dans le fa aigu final de « Scintille, diamant », confronter des mondes parallèles (la voix du Diable, celle, consolatrice, de la Mère) dans le trio « Tu ne chanteras plus ». Personnalités tranchées : le ténor Jean-François Marras butte sur les « ac », la colorature Pauline Texier donne trop de vibrato à sa poupée, le baryton-basse Mikhail Timoshenko ne voit pas l’intérêt dramatique du fa aigu (« mais je l’ai ! », précise-t-il), le pianiste Thibaud Epp joue trop legato pour planter le décor adéquat. « Je ne suis ni metteur en scène ni technicien de la voix, rappelle Jordan. C’est par la musique qu’on va y arriver ». Tous y arrivent en effet, Timoshenko - voix de bronze et personnalité affirmée - le premier. Et Philippe Jordan de montrer tout en douceur à la salle conquise qu’il ne suffit pas de savoir diriger un orchestre pour être un chef lyrique à part entière. 
François Lafon

(Photo : Paulie Texier © DR)
 

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