Samedi 5 octobre 2024
Le cabinet de curiosités par François Lafon
lundi 24 septembre 2018 à 10h38
Aux éditions Musée de la Musique : Le violon Sarasate, Stradivarius des virtuoses, par Jean-Philippe Echard. Moins palpitant qu’un roman policier, direz-vous. Eh bien pas du tout. En Sherlock Holmes de l’archet (le héros de Conan Doyle est d’ailleurs violoniste), l’auteur, conservateur au Musée de la Musique à Paris, a braqué sa loupe sur un fleuron de la collection, ce « Sarasate » du nom de l’illustre virtuose espagnol qui en a été le propriétaire après qi'il eut appartenu à Paganini lui-même. De sa fabrication à Crémone en 1724 jusqu’à la vitrine parisienne où il trône désormais, nous suivons l’instrument, le perdons et le retrouvons, décryptions les traces laissées sur le bois par le temps et les hommes, guidés par l’auteur qui nous rafraîchit ludiquement la mémoire sur la lutherie et les luthiers (l’illustre famille Stradivari en tête), le marché des instruments et les stars qui les ont joués, agrémentant le parcours, tel un Cluedo très raffiné, de nombreux plans et photos, lettres et croquis. A chaque disparition/réapparition du précieux instrument, péripéties auxquelles l’auteur doit parfois donner sa solution personnelle, un léger doute plane : est-ce bien lui ? Comme dans les meilleurs romans policiers, décidément. 
François Lafon 

Le violon Sarasate, Stradivarius des virtuoses, par Jean-Philippe Echard. Musée de la Musique, 128 p., 12 euros

mardi 18 septembre 2018 à 10h12
Sur Arte dimanche 23 : Prélude à Debussy, de Marie Guilloux. « Debussy est mort il y a cent ans, mais sa musique est vivante. Nous avons donc interrogé ses interprètes », prévient la réalisatrice. Même piège pour ceux-là que pour celle-ci : l’évanescence, l’impressionnisme façon Nymphéas.  Le film tient l’équilibre entre flou visuel (quelques enchaînements vaporeux) et précision factuelle, assurée par un luxe de documents (mais où est le « Crapaud Arkel », presse-papier fétiche du compositeur ?), un commentaire à la pointe sèche (signé Gérard Pangon … de Musikzen) et les témoignages précités. Un vrai feu d’artifice que ceux-ci, anciens (Samson François) comme actuels (de Barbara Hannigan à Philippe Jordan) se retrouvant dans leurs tentatives - brillantes, même inspirées - de saisir l’insaisissable, Alexandre Tharaud (« Avant, je caressais l’ivoire ») tendant la main à Marguerite Long (« Les notes, pas de problème, mais le sens ? »). Façons aussi de cerner le sujet : Pierre Boulez dirigeant – lunettes noires à la Jean-Pierre Melville sur le nez – et épinglant (en anglais) l’obsession nationaliste de Debussy, Leonard Bernstein évoquant le non-dit debussyste avant de plonger démiurgiquement dans le final de La Mer, ou encore Nicolas Le Riche se regardant (aujourd’hui) danser (naguère) L’Après-midi d’un Faune. Tout cela brossant, en 52 minutes passant comme l’éclair, un portrait en creux et en bosses du très daté « Claude de France » accouchant de la plus novatrice des musiques. 
François Lafon

Arte, 23 septembre, 23h20 (Photo © DR)

lundi 10 septembre 2018 à 18h13
Aux Editions Actes Sud : Meyerbeer par Jean-Philippe Thiellay, en parallèle avec la reprise des Huguenots à l’Opéra Bastille. En 1985, à l’occasion de la recréation de Robert le Diable au Palais Garnier, le journaliste et opératographe Sergio Segalini publiait Meyerbeer, diable ou prophète ? (Editions Beba). L’année dernière, l’universitaire Violaine Anger donnait un Giacomo Meyerbeer aux Editions Bleu Nuit, alors que le Deutsche Oper de Berlin affichait Le Prophète. Trois manières d’appréhender le phénomène : militante (Segalini), polémique (Anger), historique (Thiellay). Pas de plaidoirie ni de réquisitoire à propos de ce compositeur aussi délaissé qu’il a été adulé sous la plume de ce dernier, n° 2 actuel de l’Opéra de Paris et co-auteur avec son père Jean Thiellay d’un Bellini et d’un Rossini sensiblement plus engagés dans la même collection de succinctes biographies (voir ici). Tout un siècle traversé en cent-cinquante pages pourtant, à la suite et au rythme trépidant du Berlinois Jakob, devenu Giacomo en Italie et Jacques à Paris, où il fixera en quatre blockbusters (les trois déjà cités plus L’Africaine) les canons du grand opéra à la française. Comment en effet appréhender la musique de Meyerbeer, ou plutôt ses musiques, captant l’air du temps et des lieux, innovant sans dérouter, faisant son miel d’un art du chant en mutation ? « Beaucoup de bruit pour rien », s’acharneront les réfractaires, « le prototype du théâtre musical » répondront les adeptes. Et si le génie singulier de Meyerbeer était, justement, d’être insaisissable ? 
François Lafon

Meyerbeer, par Jean-Philippe Thiellay. Actes Sud, 192 p., 19 euros (13, 99 euros en livre numérique)
Berlioz qui s’expose, Berlioz qui s’écoute à La Côte Saint-André. Au musée, exposition Les Images d’un iconoclaste. Tandis que les photographes jouent les sorciers en capturant le reflet des hommes, les caricaturistes en soulignent les traits : Berlioz le bourgeois prend la pose devant l’objectif de Petit, Carjat fait de l’artiste un homme à la tête de chou. A l’auditorium du musée, le berliozien d’honneur David Cairns évoque « le Dieu caché » du compositeur : français châtié, humour anglais, analyse imparable d’une recherche en musique de la foi perdue. Embardée à l’église, où Patrick Messina (clarinette), Henri Demarquette (violoncelle) et Fabrizio Chiovetta (piano) musardent chez Schumann (seul, à deux, à trois, voix superbes, entente cordiale) avant d’attaquer le Trio op. 114 de Brahms, petit frère mal-aimé du plus célèbre Quintette : un hors-sujet qui n’en est pas tout à fait un, de Berlioz sacré à sacré Berlioz, thème de l’année. Retour aux fondamentaux au Château Louis XI : après Bach (quatre cantates mercredi 29 à Saint-Antoine-l’Abbaye), John Eliot Gardiner et l’Orchestre Révolutionnaire et Romantique content les « Légendes sacrées du sud » d’un Berlioz dont la chambre d’enfant ouvrait sur le midi. Musiciens debout pour une ouverture du Corsaire fusant comme la foudre, puis aux genoux de la mezzo Lucile Richardot, tessiture interminable, tempérament de feu et diction expressive en souveraines abandonnées - reine (Les Troyens) et pharaonne (La Mort de Cléopâtre). Non moins magistral après l’entracte, concurrençant l’orchestre-spectacle selon Teodor Currentzis (voir ici) : un Harold en Italie à voir (presque) autant qu’à entendre, où l’altiste Antoine Tamestit - silhouette paganinienne pour tenir la partie que Paganini, le vrai, avait refusée à Berlioz parce qu’elle ne le mettait pas assez en vedette -, parcourt les paysages orchestraux en acteur-témoin au son de rêve, tel Childe Harold de Byron visitant le monde. Formidable analyse musico-dramatique d’un chef-d’œuvre déroutant, confirmant - s'il en était besoin - Gardiner en berliozien du temps présent. 
François Lafon

Festival Berlioz, Le Côte Saint-André, 31 août (Photo © DR)

 

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