Samedi 20 avril 2024
Le cabinet de curiosités par François Lafon
L’inondation, opéra à rebrousse-poil
mercredi 2 octobre 2019 à 00h12
Création de l’année à l’Opéra Comique : L’Inondation de Francesco Filidei (musique) et Joël Pommerat (texte et mise en scène) d’après la nouvelle d’Evgeni Zamiatine (scénariste des Bas-fonds de Jean Renoir d’après Gorki). Du pur Pommerat, puisqu’à la différence de ses précédents livrets d’opéras, celui-ci n’est pas l’adaptation d’une de ses pièces, mais qu’il l’a élaboré sur le vif, au cours d’ateliers réunissant chanteurs, musiciens, comédiens et… compositeur, Filidei se prêtant au jeu de l’« écriture de plateau » chère au dramaturge-régisseur. « J’ai voulu me couler dans le moule classique de l’opéra afin de le briser de l’intérieur », déclare le musicien. Plutôt que d’anti-opéra (terme galvaudé), on pourrait parler d’opéra à rebrousse-poil : dans un pays et une époque indéterminées (ni la Russie de 1929 ni la France de 2019), l’histoire banale (un homme attiré par une adolescente, l’épouse craque) de gens banaux (et taiseux, difficulté supplémentaire à l’opéra) dans un cadre banal (un immeuble modeste, solitude et promiscuité mêlées). Une inondation (nous sommes au bord d’un fleuve) fera sauter les digues du refoulement et celles de la banalité. Chant debussyste (Pelléas et Mélisande a été créé sur la même scène) mais orchestre très filideien, c’est à dire -  fidèle à la nouvelle originelle - faisant entendre, sentir, imaginer les sons de la nature, de la rue, de l’immeuble que l’on voit en coupe, un peu comme dans Playtime de Jacques Tati : un double crescendo aboutissant à deux climax, avant et après ladite inondation, lorsque la tête de l’épouse déborde elle aussi. Résultat millimétré (on s’y croirait, dans cet immeuble) et « dérapages de réalité » alla Pommerat, tel ce voisin contre-ténor, narrateur omniscient habitant les combles, ou le dédoublement de l’adolescente, comédienne et chanteuse créant une atmosphère fantastique évoquant plutôt… Boulgakov. Tout cela distillant un mélange de fascination et d’ennui que l’on imagine savamment calculé. Superbe travail du Philharmonique de Radio France sous la baguette de l’excellent Emilio Pomarico, lequel dirige un plateau sans faille de chanteurs-acteurs où il retrouve Boris Grappe (le mari), son non moins excellent Wozzeck de l’Opéra de Dijon (voir ici).  
François Lafon 

Opéra Comique, Paris, jusqu’au 3 octobre. Représentation ultérieures à Angers, Nantes, Rennes, Luxembourg, Limoges, Caen (Photo © Stefan Brion)

 

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