Décès, à quatre-vingt-deux ans, de l’écrivain et critique Hector Bianciotti, un des rares privilégiés à avoir vraiment vu Maria Callas dans La Traviata mis en scène par Luchino Visconti à la Scala de Milan (vingt-et-une représentations en 1955-1956). « Le destin de Maria Callas fut de lutter contre le destin, pour devenir dans la réalité tangible une autre, l'autre. Peut-être la seule bonté du sort à son endroit fut-elle de lui permettre de mourir avant que n'affleurât, surgissant des profondeurs où elle la gardait, assoupie, la grecque primitive, la terrienne, la grosse fille boudeuse, mal attifée qui lui avait fait le don des mystères et des infinis qu'elle recelait, » écrit-il dans Le Pas si lent de l’amour (1995). Dans Le Traité des saisons (1977), roman autobiographique écrit à la troisième personne, il raconte sa découverte de la musique (« La musique fut ainsi pour lui le premier nom de l’extase – et peut-être sera-ce l’ultime ») et évoque déjà Callas, cette fois dans Norma, sous forme d’acrostiche : « Chrysalide mystérieuse entre les plis de son vêtement, Altière et royale sans raideur, La lune qui apparaît dans le ciel double sa présence, La salle comble retient son souffle, etc. » « Personne comme elle n’aura montré, dans son abandon calculé à l’emphase, la scène primordiale de la naissance de l’art : le désir corporel de transcendance », conclut-il. Argentin d’origine piémontaise, n’écrivant qu’en français à partir de 1982 (il a été élu à l’Académie française en 1996), Bianciotti avait un style fleuri, bien adaptée à sa nature de fan. Et qui davantage que les Français aime cette manière extasiée, voire hystérique, de parler de la musique et des artistes ?
François Lafon