Mercredi 4 décembre 2024
Le cabinet de curiosités par François Lafon
Le Groupe des Six et les Années folles
lundi 25 janvier 2021 à 14h40
Auteur de la première monographie française consacrée à Barber en 2012 (Hermann), Pierre Brévignon signa trois ans plus tard le spirituel  Dictionnaire superflu de la musique classique (Le Castor Astral) – où, à l’index « Poulenc », il relevait ce mot de Cocteau sur le compositeur des Mamelles de Tirésias : « On se demande d’où vient l’exquise musique de ce porc lubrique et disciple d’Harpagon. » Quelle entrée en matière pour cet ouvrage dévolu au Groupe des Six, quelque vingt-cinq ans après celui de Jean Roy (Le Seuil) ! Parrainé par Satie et un jeune Cocteau endossant le « costume d’imprésario officieux » avec une unique partition commune, Les Mariés de la tour Eiffel, en 1921, voilà un groupe constitué d’Auric, Durey, Honegger, Milhaud, Poulenc et Tailleferre – tous ont la vingtaine au moment de leur rencontre –, apparu entre « le Debussy dernière manière et le Messiaen Jeune France ». Pour Brévignon : « En tant que collectif, la trace qu’il laisse frôle le négligeable (…) La révolution musicale annoncée avait accouché d’une souris. »
Le vrai sujet de cet essai est Cocteau – 23 ans à l’époque – qui renonce à son personnage de « prince frivole » des salons pour enfourcher « ce qu’Apollinaire n’a pas encore baptisé l’Esprit nouveau ». Appliquant la « recette » du scandale suscité par la création du Sacre, il devient quatre ans plus tard l’instigateur de Parade (1917) : un spectacle des Ballets russes sur une musique de Satie et dans des décors et costumes de Picasso, à propos duquel on trouve pour la première fois le mot « sur-réalisme », sous la plume d’Apollinaire. « Un langage ferme, net et dépouillé de tout agrément imagé » (Stravinsky), tel est le credo d’une partition qui, à rebours des « vagues de l’impressionnisme dépérissant » (Stravinsky), va sceller l’union des Six, dont Satie sera le mentor. Rien, ou presque, ne les rassemble, mais chacun à sa façon cherche un renouvellement du langage, leurs œuvres intégrant à des degrés divers des éléments du jazz, de la chanson populaire, des rythmes sud-américains, une forme de légèreté, un humour cocasse ou féroce, avec cette volonté de sortir du cadre. Un brin sévère, Bévignon affirme au 2/3 de son ouvrage qu’« au saut quantique du Sacre du printemps, les Six n’opposent qu’un entrechat farcesque », tout en distinguant chez eux cette manière d’intégrer l’esprit du music-hall et l’écriture polytonale – future clé de voûte de l’esthétique de Milhaud. Qu’on le veuille ou non, l’éphémère Groupe des Six appartient à l’histoire des Années folles – c’est déjà beaucoup.                                        
Franck Mallet
Pierre Brévignon, Le Groupe des Six, Actes Sud, 246 p., 20€

 

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