Des cinq Oscars remportés par The Artist, on a tendance à oublier celui de Ludovic Bource. Comme le film lui-même, sa musique est un habile pastiche : rythmes sautillants d’un xylophone pour évoquer le burlesque à la Chaplin, romantisme à la Max Steiner pour les moments plus mélodramatiques, c’est le monde sonore d’avant Citizen Kane (1941), le film d’Orson Welles avec lequel le talent du compositeur Bernard Herrmann s’est révélé. Quant aux notes qui accompagnent le climax de The Artist, elles ont été empruntées à la grande scène d’amour de Vertigo, le chef d’œuvre d’Alfred Hitchcock, dont la partition est signée par Bernard Herrmann, justement. C’est un choix cinéphile assumé du réalisateur Michel Hazanavicius, même si la musique est utilisée dans un autre sens : la grande montée wagnérienne de Herrmann (qui dans Vertigo rend, lui, un hommage à Tristan et Isolde) explose dans un lumineux accord au moment où Kim Novak et James Stewart s’embrassent, tandis que dans The Artist le même accord libérateur illustre le suicide raté de Jean Dujardin. Ce n’est pas le seul emprunt musical avoué dans le film. On y entend aussi une page d’Alberto Ginastera, peut-être en hommage aux origines argentines de Bérénice Bejo, la vedette féminine du film. Et il y a plus qu’un soupçon d'emprunt aux Planètes de Holst (non crédité, cette fois-ci) dans la scène du cauchemar. Le grand absent de ces Oscars (et pas seulement pour sa musique) est Drive, trop novateur sans doute pour le goût de l’Académie, qui cette année n’a eu d’yeux et d’oreilles que pour la cinéphilie nostalgique. Et puis Cliff Martinez, auteur d’une bande son qui colle parfaitement au rythme et à l’atmosphère du film, a eu le tort de créer une partition électronique au lieu d’utiliser un orchestre dans la bonne tradition hollywoodienne. Qui plus est, il l’a enrichie de chansons dont il n’est pas l’auteur, ce qui, selon les règles de l’Académie, l’a disqualifié pour être nommé aux Oscars de la meilleur musique « originale ». Un « hommage » à Bernard Herrmann ne doit sans doute pas faire partie de la même catégorie…
Pablo Galonce