Chez Actes Sud/Classica : Alexandre Scriabine, par Jean-Yves Clément, première monographie en français - à l’occasion du centième anniversaire de sa disparition - depuis celle, très complète, de Manfred Kelkel (Fayard – 1999). Pour définir l’art de cet anti-Rachmaninov (son ami pourtant et condisciple au Conservatoire de Moscou), Clément, auteur d’ouvrages sur Chopin et Liszt, fait appel à Novalis (« idéalisme magique, excitation du moi réel par le moi idéal ») et fustige ceux qui voudraient faire de lui un « prophète musical du New Age ». De fait, l’auteur du Poème satanique, du Poème de l’extase et des Sonates pour piano « Etats d’âme (n° 5), « Messe noire (n° 7) et « Messe blanche » (n° 9), désireux de « parvenir à la béatitude aussi bien qu’à la transfiguration de l’homme par la musique et tous les arts en une sorte de régénération alchimique », n’existe que par sa musique, « vécue comme un appel vers un autre monde ». Clément s’attache donc, sans fumeuses digressions, à analyser sa musique, laquelle, influencée par Chopin, influencera nombre de ses successeurs (Schoenberg, Berg, Szymanowski), jusqu’à Cage, Stockhausen et Messiaen (qui ne s’en vantera pas). Une musique rien moins que délirante en tout cas, et dont la partie pianistique, très importante et aux dénominations chopiniennes (Sonates, Préludes, Mazurkas, Nocturnes, Valses, Impromptus, Etudes) mérite, plus que ses œuvres orchestrales (Symphonies, Poème de l’extase, Prométhée ou le Poème du feu) une place qu’on ne lui concède pas encore vraiment au panthéon des compositeurs essentiels. Signe du destin : il n’aura pas le temps de composer son grand-œuvre intitulé … Mystère, sa quête de « retour à la spiritualité pure » (Boris de Schloezer, un autre de ses rares biographes) n’allant que « Vers la flamme , du nom d’une de ses dernières et géniales pièces pour piano, elle-même précédant une danse nommée Flammes sombres, composée peu avant qu’il ne meure à quarante-sept ans, en demandant « Qui est là ? »
François Lafon
Jean-Yves Clément : Alexandre Scriabine. Actes-Sud/Classica, 208 p., 18,50 €