Réédition chez Actes Sud de Musiciens d’autrefois de Romain Rolland. Une compilation d’articles parus entre 1902 et 1908, traitant de Lully, Gluck, Grétry et Mozart, mais aussi de "l’Opéra avant l’opéra" et de "l'Orfeo de Luigi Rossi". La préface nouvelle du très autorisé Gilles Cantagrel met l’accent sur la pertinence de ces textes datant de l’époque où Vincent d’Indy redécouvrait l’Orfeo de Monteverdi, mais aussi sur la distance qui nous sépare d’eux. Germaniste, pacifiste, prix Nobel en 1915, ami de Richard Strauss et de Stephan Zweig, auteur d’une Vie de Beethoven qui a fait date, Rolland avait choisi comme sujet de thèse « Les Origines du théâtre lyrique moderne. Histoire de l’opéra en Europe avant Lully et Scarlatti ». Peu d’erreurs ni de fausses routes dans ces études, et même d’étonnantes intuitions, compte-tenu de l’état de la musicologie au début du siècle dernier. Des jugements esthétiques qui ne sont plus les nôtres, en revanche, d’autant plus (d)étonnants sous cette plume en même temps classique et lyrique de conteur au long cours (plongez-vous, si vous en avez le temps, dans son roman-fleuve Jean-Christophe). Principales victimes : Rameau et Mozart. Du premier, qu’il oppose au « Retournons à la nature » de Gluck via Jean-Jacques Rousseau : « Je suis convaincu que ceux qui l’admirent le plus aujourd’hui auraient été les premiers à réclamer, avec les Encyclopédistes, une réforme de l’orchestre, des choeurs, du chant, du jeu, de l’exécution musicale et dramatique ». Du second : « Au milieu des bouleversements de passions qui, depuis la Révolution, ont soufflé sur tous les arts et troublé la musique, il est doux de se réfugier parfois dans sa sérénité (…) et de contempler au loin dans la plaine les combats des héros et des dieux de Beethoven et de Wagner ». Dans les deux cas : l’idée aujourd’hui caduque mais tenace qu’il y a progrès en art, et particulièrement en musique.
François Lafon
Romain Rolland : Musiciens d’autrefois. Préface de Gilles Cantagrel. Actes Sud, 286 p., 27 €