Article illustré, dans le New York Times du 29 juillet, sur un cimetière de pianos à vingt miles au nord de Philadelphie. Meubles éventrées, claviers éclatés, mécanismes tordus, gémissement final des cordes. Déchirement sentimental aussi : envoyer le piano de Grand-père à la casse, c’est enterrer Grand-père une seconde fois. Les causes du blasphème sont multiples : vieillissement des instruments (un piano moyen dure quatre-vingt ans), engorgement du marché de l’occasion (eBay est saturé de propositions), coût exagéré des réparations, concurrence des importations chinoises et des pianos numériques, crise du logement (un piano, fût-il droit, est encombrant). Même l’école ou l’association de quartier n’en veulent plus. Des sites Web - parfois ouverts, comme L’Adoption piano, par les casseurs eux-mêmes -, tentent de trouver de nouveaux foyers aux pauvres condamnés. Des propositions originales fleurissent : « Votre piano n’a plus aucun avenir, nous pouvons récupérer l’une ou l’autre pièce, propose un site français. Son meuble est encore attirant : on peut imaginer de le transformer en meuble fonctionnel. Votre piano ne peut même pas offrir de greffon à un de ses contemporains : prix de l’enlèvement et de l’évacuation définitive sur demande ». En France encore, l’association Music Solidarity, créée début 2012, est spécialisée dans le recyclage des cordes usagées : « On ne peut se permettre de jeter du nickel à la poubelle alors que dans soixante ans il n'y en aura plus. A la bourse des métaux de Londres, le nickel se négocie autour de 16.000 dollars la tonne. » Moins pragmatique, le romancier portugais José Luis Peixoto dans son roman Le Cimetière des pianos (Grasset, 2008) : « Je regardais les pianos morts et songeais aux pièces qui ressuscitaient dans d'autres pianos, et je croyais que toute la vie pouvait être reconstruite de cette façon. Mes fils grandissaient et devenaient des garçons comme je l'avais été il y avait si peu de temps. Le temps passait. Et j'étais certain qu'une part de moi comme les pièces des pianos morts continuaient d'agir en eux. » Remise à l’équerre de Charles Trenet, qui chantait en 1971 : « Ne cherchez pas dans les pianos ce qu'il n'y a pas. Soyez heureux d'avoir l'écho du temps d'papa ».
François Lafon