Selon qu’on aime ou non Massenet, on le qualifie d’héritier de la grande tradition française, ou de faiseur d’opéras à l’usage des boutiquiers 3ème République. Comme dans les deux cas on a tort et raison à la fois, Jaques Bonnaure évite de tomber dans le piège commun aux biographes : l’hagiographie. C’est en cela que son petit livre, chez Actes Sud, est exemplaire. « Saint-Saëns, qui a vécu quatre-vingt-six ans, est né avec La Juive et mort avec Wozzeck. Massenet, qui n’a vécu que soixante-dix ans, est tout de même né avec Nabucco et mort avec Pierrot Lunaire, en pleine explosion du cubisme », constate-t-il. Il en conclut que c’est parce qu’il n’a jamais sauté le pas, qu’il est resté un artiste bourgeois, que l’auteur de Manon et de Werther s’est fait honnir et encenser avec une telle constance. Comme il l’avait fait dans son Saint-Saëns (même éditeur), Bonnaure adopte un ton mi-figue mi-raisin pour raconter la vie de ce bourreau de travail, couvert d’honneurs et professeur admiré (Chausson, Koechlin, Enesco, Hahn, Magnard sont ses élèves), capable de traiter tous les sujets à condition qu’ils appuient une seule et simple idée : l’amour excuse bien des égarements. Cette mesure, qui lui évite d’évaluer Esclarmonde à l’aune de La Walkyrie et Chérubin à celle des Noces de Figaro, donne envie d’écouter Massenet sans s’agacer ni ricaner a priori, ou tout en moins d’en faire l’effort.
François Lafon
Jacques Bonnaure : Massenet. Ates Sud/Classica, 192 p., 18 €