Henryk Gorecki n’en est jamais revenu, le monde musical non plus. En 1977, au festival de musique contemporaine de Royan, Ernest Bour et l’Orchestre de Baden-Baden créent sa 3ème Symphonie, dite « des Chants plaintifs ». Trois mouvements : 1. Lento - 2. Lento - 3. Lento. Le premier est inspiré des Lamentations de la Sainte Croix (XVème siècle), le deuxième est une prière écrite sur le mur de sa cellule par une victime des nazis, le troisième est un chant populaire polonais. Applaudissements polis, succès d’estime. Quinze ans plus tard, paraît chez Nonesuch un enregistrement de ladite symphonie dirigé par David Zinman, un chef respecté mais dépourvu à l’époque de l’aura de patriarche dont il jouit aujourd’hui. En revanche la soprano Dawn Upshaw, qui intervient dans les trois mouvements, est une vedette, connue pour son militantisme en faveur de la musique de son temps. Le phénomène part de Grande-Bretagne : 400 000 exemplaires vendus en quelques mois, entrée au Top 50. Le reste de l’Europe et l’Amérique s’enflamment, les ventes dépassent le million, le « classique » fait un bond dans les statistiques de ventes de disques. En 1994, un enregistrement low cost, dirigé par l’excellent chef polonais Antoni Wit, suivi d’un autre, au prix fort chez Philips, surfent sur la vague. En 2005, Naïve en publie une nouvelle version, dirigée par Alain Altinoglu avec le Sinfonia Varsovia : succès inespéré. On réalise à quel point cette musique à l’harmonie simple et au ton recueilli a ouvert la voie à Arvo Pärt et aux néo-grégoriens. Henryk Gorecki vient de mourir à soixante-seize ans, à Katowice. Le catalogue de ses œuvres est impressionnant. Personne, hormis les spécialistes du genre, ne s’est apparemment demandé s’il avait composé autre chose que cette que cette Symphonie. Selon Wikipedia, « il s’est toujours défendu de vouloir écrire une musique qui réponde aux attentes d’un public quel qu’il soit. » Nous voilà rassurés.
François Lafon