Si l’on prend les initiales de Center for History and Analysis of Recorded Music (Centre d’Histoire et d’Analyse de la Musique Enregistrée), cela donne CHARM. Tout un programme ! Installé à Londres depuis 2004 et élaboré sous l’égide du King’s College, le CHARM part du principe que « même lorsque la musique existe sous la forme d’un texte écrit, les interprètes jouent un rôle essentiel dans l’expérience qui, pour la plupart des gens, est la musique elle-même ». Une manière de considérer l’interprétation comme un élément de la création. Cela ne plait pas à tout le monde, mais ne manque pas de bon sens, dans la mesure où un siècle d’archives sonores permet désormais d’apprécier l’évolution de l’interprétation, c’est à dire de la compréhension d’une œuvre. Les intitulés des quatre chantiers en cours sentent leur université : « Concert et enregistrement entre 1925 et 1932 », « Evolution de l’interprétation des Lieder de Schubert », « Analyse du motif dans l’interprétation », « Style, sens et interprétation des Mazurkas de Chopin ». Mais les conclusions, assistées et disséquées par ordinateur, s’adressent à un public plus large, dans la mesure où elles s’étendent, entre autres, aux significations sociales et culturelles révélées par l’interprétation et la manière dont celle-ci est reçue. Pour le commun des mélomanes, le site du CHARM propose près de cinq-mille enregistrements bien souvent indisponibles ailleurs, à écouter ou télécharger gratuitement. On découvre comment on chantait les Madrigaux de Byrd en 1923, comment John Barbirolli dirigeait Elgar à l’époque où les Variations Enigma étaient de la musique contemporaine, ou comment Mischa Spoliansky et le Julien Fuchs Symphony Orchestra faisaient swinguer la Rhapsody in Blue de Gershwin en 1927. De quoi faire réfléchir ceux qui croient encore qu’il existe des interprétations définitives des chefs-d’œuvre du répertoire.
François Lafon