Quiconque connaît Marc Vignal – c’est notre cas puisque nous avons la chance de le compter parmi les chroniqueurs de Musikzen – sait qu’il ne badine pas avec l’Histoire. Pour évoquer une musique ou raconter un destin, seuls comptent pour lui les documents avérés que son infatigable curiosité lui a permis de rassembler et que son érudition l’a amené à en posséder à fond le moindre détail. Ce Salieri est donc loin de l’image romanesque qu’on en a généralement après Amadeus, la pièce de Peter Shaffer et le film de Milos Forman. " La coexistence avec Mozart," comme le dit judicieusement Marc Vignal, ne constitue, d’ailleurs, pas l’essentiel du livre : elle a duré dix ans alors que Salieri a vécu pratiquement soixante ans à Vienne. On découvre ainsi, dans cette riche biographie, l’art du louvoiement de cet Italien tiraillé entre l’opera buffa de sa péninsule natale et le Singspiel à l’allemande, ballotté par des souverains successifs aux goûts forts différents (Marie-Thérèse, Joseph II, Léopold II et François II), et très soucieux de préserver sa place de directeur des théâtres impériaux. En toile de fond, des luttes d’influence pour le choix des œuvres, des compositeurs, des chanteurs ou des librettistes, bref, rien qui n’ait disparu aujourd’hui. Et la musique de Salieri ? Marc Vignal raconte les plus importants de sa quarantaine d’opéras ainsi que l’accueil qui leur a été fait, mais on sent bien que ces œuvres n’ont rien d’impérissable, et l’on comprend bien pourquoi en lisant les extraits de lettres qui figurent dans ce livre : le style chantourné et déférent de Salieri laisse présager de partitions honnêtes ; celui de Mozart, pétulant et fougueux, de quelques éclairs de génie.
Gérard Pangon
Antonio Salieri éd. : Bleu nuit - Collection Horizons 176 pages 20€