Lulu, opéra dérangeant : créé à Zürich en 1937, deux ans après la mort d’Alban Berg, il n’est donné dans sa Vienne « natale » qu’en 1962, et ne sera présenté dans la version complétée par le compositeur Friedrich Cerha qu’à Paris en 1979. C’est la création viennoise – dans la version courte seule autorisée alors par la veuve du compositeur - qui paraît aujourd’hui en DVD, filmée par l’ORF le 9 juin 1962 au Théâtre An der Wien. L’image en noir et blanc n’est pas très nette et le son n’est que correct, mais le plateau est somptueux et Karl Böhm dirige cette musique comme s’il s’agissait de Don Giovanni ou de La Femme sans ombre, avec juste ce qu’il faut de charme viennois pour rappeler que pour être un maître du dodécaphonisme, Berg respirait le même air que Mozart et Strauss. La mise en scène d’Otto Schenk est très classique et les décors et costumes évoquent davantage Feydeau que la Sécession viennoise, mais la direction d’acteurs est juste et précise, et l’ensemble se laisse voir comme une dramatique télé de l’époque héroïque, ce qui ne lui va pas si mal. A la fois mangeuse d’hommes et victime du désir des mâles, Evelyn Lear joue et chante (fort bien) Lulu au premier degré, ce qui ajoute à son mystère. Autour d’elle, les messieurs sont à la fois odieux et ridicules, la palme revenant Paul Schöffler en Docteur Schön et à Josef Knapp en père-amant-clochard. Formidable Gisela Litz en comtesse Geschwitz. A ranger aux côtés du coffret (Arthaus aussi) réunissant cinq spectacles historiques du Deutsche Oper de Berlin (voir ici).
François Lafon
1 DVD Arthaus Musik 101 687