Lorin Maazel à Daniel Barenboim : « Tu vas diriger Le Sacre du printemps à *** ? Fais attention : à la page ***, il y a une erreur de mesure ». Daniel Barenboim : « Quand l’as-tu dirigé là-bas pour la dernière fois ? ». Lorin Maazel : « Il y a une quinzaine d’années ». Une anecdote non vérifiée, mais qui donne une idée de la réputation, dans les milieux musicaux, du chef dont on apprend aujourd’hui la disparition. On disait aussi qu’il était capable, en deux répétitions, de faire sonner n’importe quel orchestre comme le Philharmonique de Vienne. Vu de la salle, Maazel fascinait et agaçait en même temps : gestique étudiée, partitions survolées, répertoire pléthorique, omniprésence sur les podiums les plus en vue. Le grand public se souvient de ses concerts du nouvel an à Vienne, ou de son excursion à Pyongyang en 2008 avec le New York Philharmonic. En France, il avait dirigé en coup de vent (mais pendant quatorze ans, de 1977 à 1991) l’Orchestre National et tenu la baguette (mieux qu’on ne l’avait affirmé à l’époque) de Don Giovanni, le film de Joseph Losey. Entre ses aînés Karajan ou Bernstein, cet Américain né à Neuilly-sur-Seine a eu du mal à trouver sa place, et pourtant il a joué dans la même cour. Il a aussi composé un opéra d’après le roman 1984 de George Orwell, créé à Londres en 2005 : la lutte d’un homme seul contre tous les Big Brothers. Une façon de s’exposer, comme il se gardait si bien - sauf exceptions notables et toujours inattendues – de le faire sur un podium.
François Lafon