Les quelque cent trente-neuf cahiers de conversation de Beethoven, à savoir, pour l’essentiel, ceux que son « confident et ami » Anton Schindler ne détruisit pas avant de les vendre à la Bibliothèque royale de Berlin en 1846, n’ont été publiés dans leur intégralité que de 1968 à 2001, en Allemagne : onze volumes de février 1818 au 6 mars 1827 totalisant près de cinq mille pages. Evoquant dans la préface les éditions partielles antérieures, Karl-Heinz Köhler écrit : « En 1946 parut à Paris une édition française de ces conversations, sélection des plus subjectives. » C’est cet ouvrage, dû à Jacques-Gabriel Prod’homme, qui est réédité dans une révision de Nathalie Krafft. On n’a là qu’une infime partie de l’ensemble. Les notes et transitions de Nathalie Krafft, puisées aux meilleures sources, sont les bienvenues, mais elles aussi sont sans commune mesure avec le gigantesque appareil critique de l’édition complète, impossible à reproduire ici. Sur quelques points, le bât blesse légèrement. Les critères de choix de Prod’homme restent mystérieux, mais on aurait pu indiquer tous les endroits où se trouvent ses coupures, dater avec plus de précision les passages sélectionnés, ou encore, dans de très rares cas, mieux identifier certains interlocuteurs et revoir la traduction. Prod’homme ne pouvait connaître les suppressions, modifications et falsifications de Schindler : on n’en a pris conscience qu’à la fin des années 1970. Lire les cahiers est comme entendre un seul interlocuteur d’un dialogue téléphonique : Beethoven n’écrivait presque jamais, il s’exprimait oralement. Les cahiers permettent cependant de bien le saisir à tel ou tel moment. Les sujets abordés sont des plus divers, des soucis quotidiens à la haute politique en passant par les questions artistiques ou morales. Dépassée mais toujours utilisable, et surtout sans concurrence, cette réapparition en français doit être saluée comme elle le mérite.
Marc Vignal
Cahiers de conversation de Beethoven (1819-1827). Traduits et présentés par Jacques-Gabriel Prod’homme. Edition révisée par Nathalie Krafft. Buchet Chastel 2015, 446 p.