Mardi 19 mars 2024
Concerts & dépendances
vendredi 29 septembre 2017 à 23h49
A l’Auditorium de la Fondation Louis Vuitton, soirée Lucas Debargue. Un film et un concert – deux même : Debargue au piano solo, Debargue compositeur –, trois façons d’appréhender ce musicien de vingt-six ans, célèbre en un jour et tout aussi rapidement donné comme un génie torturé, après que le jury du Concours Tchaikovski de Moscou lui eût, en 2015, concédé un quatrième prix alors que presse et public le plébiscitaient. Réalisé par son ami Martin Mirabel, le film (Lucas Debargue, tout à la musique) le suit tout au long de l’année suivant le Concours : voyages, concerts, enregistrements, autographes, bains de foule, récréation, lassitude. Un documentaire assez long (1h25), de facture classique, porté par le personnage, jeune homme plein d’idées et n’hésitant pas à les imposer, contradictoire mais pas trop, fou d’admiration devant les grands du jazz, animé par la certitude d’ « avoir besoin d’apporter une réponse musicale à ce qu’il éprouve dans la vie ». Confirmation en live, où il enchaîne les 13ème (D.664) et 14ème (D.784) Sonates de Schubert avec pour fil d’Ariane la volonté de ne se laisser à la splendeur de la musique qu’après lui avoir fait avouer ses intentions les plus secrètes. Jeu extrême, sophistiqué, torturé peut-être (voir plus haut), tranchant en tout cas sur les interprétations esthétiques mais sans relief de nombre de ses congénères. Debargue compositeur après l’entracte, avec les formidables frères Castro Balbi (David, violon ; Alexandre, violoncelle) pour son Trio pour piano et cordes en quatre mouvements. Musique tonale (« L’ut majeur, c’est la maison », explique-t-il), influences diverses, éclairs de jazz, des longueurs et quelques bavardages, mais toujours ce feu allumé par celui qui avoue que quand il fait de la musique, il est « dans un état de fragilité beaucoup trop fort », ajoutant : « Si j’étais comme ça dans la vie, je mourrais ».
François Lafon 

Fondation Louis Vuitton Neuilly-sur-Seine, 29 septembre. Diffusion sur Medici et Radio Classique (photo © DR)

A l’Opéra Comique : Miranda, « d’après Henry Purcell ». Ne cherchez pas l’œuvre dans le catalogue, vous ne la trouverez pas. Miranda est la fille du magicien Prospero dans la pièce de Shakespeare La Tempête. Or Purcell a composé un "semi-opéra" (spécialité anglaise de l’époque) d'après la pièce. Mais ce n’est pas seulement cette musique que l’on entend dans le spectacle. Katie Mitchell (metteur en scène), Cordelia Lynn (librettiste) et Raphaël Pichon (chef d’orchestre) ont inventé de toutes pièces une suite à La Tempête, treize ans après que Prospero a brisé ses sortilèges et retrouvé le monde des humains. Il n’est pas indispensable, cependant, de connaître son Shakespeare par cœur pour saisir ce qui se passe. Car ce qu’a sur le coeur Miranda (« l’Admirable »), personnage clé mais que Shakespeare fait peu parler, n’est pas ce qu’on attendait. Elle organise un faux suicide, de fausses obsèques pour faire voir à son père, à son mari Ferdinand, l’intérieur de son âme malheureuse. Raphaël Pichon et Katie Mitchell, qui ont déjà mis Bach à contribution dans leur mémorable Trauernacht (Aix-en-Provence, 2014), poursuivent là leur sombre réflexion, avec la mort comme commun dénominateur. Le spectacle est déroutant : un semi-opéra recomposé ? Pas vraiment, bien que la structure en soit référentielle, avec un « mask » (autre spécialité anglaise) au milieu. Dans cette église de béton où éclate le drame familial, la sublime musique de Purcell sonne à la fois naturelle et incongrue, comme une bande son légèrement déconnectée de l’image. Chanteurs/acteurs parfaits, Ensemble Pygmalion somptueux. Signe des temps, cependant, que cette propension à donner à La Tempête - pièce, il est vrai, énigmatique donc inquiétante – d’aussi sombres prolongements, comme l’a fait déjà, bien que très différemment, la Compagnie La Tempête au récent festival Berlioz (voir ici). 
François Lafon

Opéra Comique, Paris, jusqu’au 5 octobre. En direct sur Arte Concert le 29 septembre à 20h. Sur France Musique le 15 octobre à 20h (Photo © Pierre Grosbois)

vendredi 22 septembre 2017 à 23h33
Week-end Stravinsky à la Philharmonie de Paris : Simon Rattle dirige la « Ballet trilogy » (L’Oiseau de feu, Petrouchka, Le Sacre du printemps) avec le London Symphony Orchestra. Une première au concert (paraît-il), épuisante pour l’orchestre et délicate pour le chef. Le premier se couvre de gloire, le second nous rappelle que c’est souvent là où l’on ne l’attend pas qu’il étonne le plus. Depuis ses enregistrements de jeunesse (EMI) avec l’Orchestre de Birmingham, on sait son Stravinsky anguleux et analytique, bien que son geste se soit arrondi (les années Berlin y sont-elles pour quelque chose ?). Dans L’Oiseau de feu, ultime hommage de Stravinsky à son maître Rimski-Korsakov, il fait apparaître le trublion sous l’élève respectueux. Dans Petrouchka, il passe au scanner l’extraordinaire patchwork savant/populaire, faux collages et vrais chausse-trappes résultant de cette libération. Enfin son Sacre du printemps pousse à l’extrême ce cheminement, continuité et rupture mêlés. Pour cela, il se permet quelques libertés avec le rythme (les bouléziens feront la grimace), quelques accentuations personnelles. La salle, bondée, ne s’y arrête pas et réserve un triomphe mérité au chef et aux musiciens (fabuleuse trompette dans Petrouchka, haute voltige des percussionnistes). Un exemple à méditer, une semaine après le Sacre très différent dirigé par Mikko Franck avec le Philharmonique de Radio France (voir ici). 
François Lafon

Philharmonie de Paris, Grande salle Pierre Boulez, 22 septembre (Photo © Charles d'Hérouville)

Révélé à Ambronay en 2006, alors qu’il n’était qu’un simple stagiaire venu suivre les cours du chef Gabriel Garrido, son compatriote argentin, Leonardo Garcia Alarcon a acquis en dix ans une renommée internationale, non seulement à la tête de son ensemble Cappella Mediterranea fondé en 2005, ou comme directeur artistique du Chœur de chambre de Namur, mais aussi comme nouvel interprète du répertoire baroque, en particulier italien : Cavalli, Falvetti, Vivaldi et bien sûr Monteverdi. En résidence durant quatre ans à l’abbaye, il est depuis trois ans « artiste associé » du Centre culturel de rencontre, et à ce titre, il dirigeait le concert d’ouverture du premier week-end d’Ambronay avec « son » Orfeo de Monteverdi – qu’il remettait sur le métier, avec une nouvelle équipe de solistes. Ses enregistrements monteverdiens récents (Les Vêpres et les albums « Piazzolla-Monteverdi » et « 7 péchés capitaux ») l’ont montré soucieux de restituer la richesse infinie des émotions contenue dans le théâtre musical de Monteverdi.
Plus expérimenté dans sa direction, plus fin aussi, le chef empoigne l’ouvrage avec une maîtrise qui l’honore dans la clarté et l’équilibre des plans et une attention sans faille au chant. On goûte le rôle quasi soliste de la harpe (Marie Bournisien) qui, grâce à son art de l’ornementation, confère à cet Orfeo une assise médiévale. Avec une distribution homogène, dominée par le ténor Valerio Contaldo (photo), exceptionnel rôle-titre, le chef donne la ligne directrice de l’ouvrage, tournée vers la grande lamentation du cinquième acte – qui « devrait conclure l’opéra » selon Alarcon, alors que celui-ci s’achève sur « le très beau duo entre Orphée et Apollon, clairement ajouté » pour éviter un final dramatique. Si Contaldo (et le chef ?) n’ont pas forcément raison d’en faire un personnage ambigu et charmeur, voire « donjuanesque » au troisième acte, face à un Charon/commandeur (la basse Salvo Vitale), son interprétation du cinquième acte restera dans les mémoires, tant le ténor y incarne à la perfection la grandeur et le tragique si humain de son personnage. La Musica/Eurydice de Mariana Flores (qui débutait à l’Opéra de Paris la saison dernière dans Eliogabale) est d’un niveau comparable : timbre cuivré, souplesse et noblesse d’une voix à la sensibilité idéale dans un tel répertoire ; des qualités qu’elle partage avec la mezzo Anna Reinhold (complices dans Cavalli, aussi !) dans les rôles de la sombre Proserpine (acte IV !) et de L’Espérance. Enfin, une mention spéciale au jeune Britannique Nicholas Scott, venu tout comme Reinhold du Jardin des Voix de William Christie : ténor prompt à endosser différentes expressions, de celui de berger à celui d’esprit des enfers, tout en donnant l’Écho à Orphée. Des louanges qui s’adressent aussi bien à la Cappella Mediterranea qu’au Chœur de chambre de Namur – même si leurs claquements de main pour accompagner en rythme le final des nymphes et des bergers paraissait, quoique bon enfant, un brin déplacé (*).  
À l’inverse, le lendemain, la prestation de l’Arpeggiata de Christina Pluhar ne suscitait que gêne et questionnements. Comment se fait-il que la formation ne soit plus que l’ombre d’elle-même, avec une pauvreté sonore qui n’a d’égale que le jeu uniforme appliqué tant à Monteverdi qu’à Cavalli et Sances, y compris par Doron Sherwin, joueur de cornet à bouquin si accompli jusque-là ? En vedette, le contre-ténor Philippe Jaroussky offrait une prestation sans éclat, réussissant à chanter de la même manière des airs pris chez Monteverdi (Orfeo, Couronnement de Poppée), Cavalli (La Calisto, Il Giasone, L’Ormido) et Purcell (en bis Remember me de Didon et Enée) – un comble…  
Franck Mallet
 
16 et 17 septembre, Abbatiale, Ambronay. (Photo : Valerio Contaldo©Bertrand Pichène)
 
(*) Orfeo diffusé sur France Musique le 24 septembre, à 20h 
 
À venir : week-end 2 : avec Karina Gauvin et Le Concert de la Loge (22/09 ), La Résurrection de Haendel dirigé par O. Dantone (23/09) et Les Cris de Paris, dir. G. Jourdain (24/09).
Week-end 3 : Ensemble Céladon & Paulin Büngen (28/09), Messe en si de Bach dirigée par G. Schwarz (29/09 à Lyon, Correspondance, dir. S. Daucé, Canticum Novum, dir. E. Bardon (30/09) et Les Arts Florissants, dir. P. Agnew (01/10). 
Week-end 4 : Capella Sanctae Crucis, dir. T. Simas Freire (05/10) et Un Requiem imaginaire par J.-F. Zygel, Spirito, dir. N. Corti (06/10).

Début, à l’Auditorium de Radio France, du week-end anniversaire (quatre programmes) de l’Orchestre Philharmonique de Radio France : quatre-vingt ans et de nombreux changements de nom autant que d’attributions pour ce deuxième orchestre radiophonique (après le National, créé en 1934), justement défini « à géométrie variable » lors de sa grande refonte en 1976, mais devenu l’alter ego, voire le rival de son aîné sous les baguettes pourtant bien différentes de l’Allemand Marek Janowski et du Coréen Myung-Whun Chung. Ce soir avec le Finlandais Mikko Franck, son chef depuis 2015, l’OP joue la carte « couleurs françaises » : évident dans Ravel et Debussy, pas absurde dans Stravinsky. On dirait presque que les innombrables nuances de gris des trois Nocturnes de celui-là ont déteint sur Le Sacre du Printemps de celui-ci, tant le chef mise sur la perpétuelle surprise rythmique plutôt que sur les déchaînements de la « Russie païenne ». Ses Nocturnes, eux, privilégient le dégradé plutôt que le camaïeu : net contraste avec les trois exercices pour le Prix de Rome de Ravel (il échoua cinq fois) ouvrant le concert (La Nuit, L'Aurore, Tout est lumière), objets de curiosité plutôt séduisants où le compositeur du Boléro fait son possible pour plaire au jury sans pouvoir s’empêcher de faire … du Ravel. Chœur (beau succès pour son chef Sofi Jeannin), Maîtrise et Orchestre impeccables. 
François Lafon 

Les 80 ans de l’Orchestre Philharmonique de Radio France, 15, 17, 17 septembre, Auditorium, Studio 104. Concert du 15 en streaming sur Arte Concert (pendant six mois) et francemusique.fr (Photo © C. Abramowitz/Radio France)

Prise de fonction, à l’Auditorium de Radio France, d’Emmanuel Krivine à la tête de l’Orchestre National de France. Auditoire de luxe : politiques, directeurs de salles, tous les décideurs sont là. Pour l’occasion, le maestro admiré et redouté pour ses remarques assassines mélange les genres et les styles, mais pas les thèmes. C’est de volupté qu’il est question, et de volupté postromantique. De silence aussi, dans cette salle qui magnifie l’orchestre mais ne laisse passer aucune imprécision. « Volupté souffrante » (selon Krivine lui-même) avec la Passacaille, op. 1 d’un jeune Anton Webern encore occupé à jouer au chat et à la souris avec les sons pour finir par saturer l’espace. « Volupté en gloire » avec les Quatre derniers Lieder de Richard Strauss, ultime révérence au romantisme tandis que Pierre Boulez donnait sa première Sonate pour piano (1949). « Volupté mystique » enfin, avec La Symphonie en ré mineur de César Franck, depuis longtemps un de ses chevaux de bataille. Le geste bref, volontiers fulgurant, le premier directeur français du National depuis Jean Martinon (1968-73) aère les textures, mais n’éteint pas le son. Cela donne un fabuleux deuxième mouvement de la Symphonie de Franck, là où tant de chefs oublient de respirer (formidables solistes du National). Cela donne aussi un Strauss sans langueurs intempestives, mais devient un « quatre pièces pour orchestre avec voix obligée », en l’occurrence la wagnérienne Ann Petersen, laquelle libère de superbes aigus dans … Morgen, qu’elle chante en bis comme un cinquième dernier Lied. En bonus (« Ce ne sera pas long », annonce Krivine de sa voix flûtée), la "Barcarolle" des Contes d’Hoffmann d’Offenbach : « volupté et tendresse, ou le contraire ». La plus berçante des Barcarolles entendues depuis longtemps, cela dit. 
François Lafon

Maison de Radio France, Auditorium, 7 septembre. En streaming sur Arte Concert et Francemusique.fr. Ultérieurement sur Mezzo. (Photo © DR)

Avec Martin Luther en héros de leur concert à Saint-Père, l’ensemble Musica Nova de Lucien Kandel ne risquait guère d’engendrer des rires du côté du public – qui ne reprit pas pour autant en chœur les amen des cantiques chantés… En rendant hommage aux premiers compositeurs de la musique luthérienne associés à la Réforme, Musica Nova suivait le vœu d’une nouvelle pratique religieuse initiée par la figure allemande du protestantisme : « pour qui le chant était un élément essentiel de la dévotion », selon le musicologue Nicolas Dufetel dans sa présentation du concert. Luther, ermite augustin – qui, dans une lettre au compositeur Ludwig Senfl écrivait « Mon âme déborde et bouillonne d’amour pour elle [la musique], qui bien souvent m’a consolé et délivré de grandes peines » –, sollicita plusieurs compositeurs, en particulier Johann Walter (1496-1570), pour qui il rédigea plusieurs livres de chant. Apprécié notamment dans Machaut, Desprez, Willaert et Ockeghem, Musica Nova retrouve au sein d’un lieu de culte la ferveur et la pureté de ses voix tant cultivées et appréciées sur disque. Ni vedettes ni fioritures : à quatre, six ou huit, les voix s’harmonisent, s’entrelacent, s’éloignent et se passent le relais pour s’unir dans une éternité qui résonne sous les voûtes  – d’autant plus que les pièces de Walter, Senfl et Sixtus Dietrich s’articulent entre de brèves lectures de Luther (textes théoriques et Propos de table) et de Walter (lettre) bien utiles pour comprendre les enjeux moraux et esthétiques de la polyphonie luthérienne. 
 
Avec un saut de deux siècles, la ferveur religieuse jubile d’une tout autre manière avec Mozart, à l’affiche du concert clôturant ces Rencontres, le soir avec l’Académie Arsys Bourgogne et l’Orchestre Dijon Bourgogne – beaucoup de monde sur scène ! – dirigés par le chef d’orchestre Mihaly Zeke. D’entrée, le célèbre Exsultate jubilate KV 165 trépigne derrière le soprano de Sibylla Rubens, voix britannique sans étincelle peu concernée par le caractère juvénile d’une partition composée à l’âge de 17 ans — qui plus est destinée à un castrat, en 1773. Dernière œuvre chorale de Mozart, les Vêpres solennelles d’un confesseur KV 339 atteignent la grandeur nécessaire sous la baguette enthousiaste de Mihaly Zeke, qui préside aux destinées d’Arsys depuis 2015 et qui connaît bien la formation dijonnaise. De la fraîcheur, du rythme et de la complicité entre les quatre solistes, le chœur et l’orchestre — avec une mention spéciale pour la soprano Lise Viricel, voix séraphique issue des rangs d’Arsys, pénétrée par la grâce du Laudate dominum. Retenez son nom ! Un souvenir de plus pour ces Rencontres de Vézelay, qui annoncent pour leur prochaine édition au moins deux des trois soirées de 21h avec l’ensemble Pulcinella, dans La Résurrection et l’Ascension de Jésus de Carl Philipp Emanuel Bach, Aedes et Les Siècles dans le Requiem de Fauré. Par ailleurs, la Cité de la Voix entame une nouvelle résidence de deux ans avec le baryton Arnaud Marzorati et sa Clique des Lunaisiens (voir ici) – remarqués récemment pour son spectacle « Votez pour moi ! », à Paris (Bouffes du Nord), en juin dernier, et dont les Rencontres annoncent déjà en avant-première un spectacle autour du diable, mais pas avant minuit… à Vézelay.  
Franck Mallet
 
26 août, Saint-Père, église Notre-Dame et Vézelay, basilique Sainte-Marie-Madeleine  (Photo : Musica Nova©Valentine Poutignat)
 

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